Interviews de M. Lionel Jospin, premier secrétaire du PS, à France 2 le 29 mai 1996 et dans "L'Express" du 6 juin, sur la réforme de l'armée et sur la parité homme femme dans la vie politique.

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Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC L'Express - France 2 - L'Express - Télévision

Texte intégral

Date : 29 mai 1996
Source : France 2/Édition du soir

France 2 : Alors, ce rendez-vous citoyen d’une semaine, ça ne vous paraît pas suffisant ?

Lionel Jospin : Non, ça ne me paraît pas à la hauteur de l’enjeu. C’est vrai qu’il faut réformer le service national, nous l’aurions fait si nous étions aux responsabilités. Je crois d’abord que la méthode suivie par le président Chirac ne respecte pas la Constitution. J. Chirac a commencé son intervention, hier soir, en disant : « le 22 février dernier, je vous ai fait part de ma décision de professionnaliser l’ensemble de nos forces de défense ». Or, l’article 34 de la Constitution est très claire : c’est le Parlement qui précise, définit les principes d’organisation de la défense nationale et donc, on a là, sur un sujet fondamental, la fin de la conscription en France, une dérive solitaire, un pouvoir exceptionnel que s’arroge le président de la République. C’est ma première préoccupation, mais elle est inquiétante.

France 2 : Ça veut dire quoi, M. Jospin ? Ça veut dire que vous voulez une conscription nationale plus importante ? Vous voulez, pourquoi pas, un référendum sur la question ?

Lionel Jospin : En ce qui concerne le fond, maintenant, un rendez-vous d’à peine huit jours avec même pas l’armée ou la défense – d’ailleurs le président a parlé d’un rendez-vous avec la nation – sera un rendez-vous manqué. Ça sera une sorte de check-up médico-social des jeunes. Ça ne permettra pas de créer le lien entre les jeunes et la défense, et entre les forces armées et la société civile, et la société tout court. Et donc, nous restons attachés au principe d’une conscription. Ce rendez-vous de huit jours ne peut pas en tenir lieu, à mon sens.

France 2 : Je reviens sur ma question, moi : est-ce que ça veut dire que vous préconisez une consultation plus nationale, pourquoi pas un référendum sur cette question-là ?

Lionel Jospin : Cette question a été écartée par le président de la République. Mais nous nous allons mener une campagne d’opinion, puisque le débat commence. Il va avoir lieu au Parlement sur le thème de la conscription. Quand nous constatons que le président Chirac, en même temps, propose de supprimer la conscription, service national, fait la réintégration de la défense française dans l’OTAN, privatise ou commence à privatiser l’industrie d’armement, conçoit nos forces de défense comme des forces qu’on va projeter à l’extérieur, comme une sorte de corps expéditionnaire, dire aux Français à ce moment-là et notamment aux jeunes : « ne vous occupez plus des problèmes de défense, ça ne vous concerne pas, laissez ça à des professionnels », c’est une dérive qui, honnêtement, me préoccupe et j’espère que, dans le débat, à l’Assemblée nationale, des questions de ce type, fondamentales, vont être débattues.

France 2 : Est-ce qu’on peut, dire tout simplement, que vous êtes quasiment sur la même ligne que M. Léotard qui, lui aussi, trouve que cette période de huit jours est trop courte ?

Lionel Jospin : Je crois que je ne suis pas le seul à penser cela. L’ensemble des forces de gauche pensent ceci et des gens aussi importants comme M. Baumel, au RPR, le pensent. Dans la commission Séguin, il y a eu aussi des préoccupations qui ont été exprimées à cet égard. M. Léotard, c’est vrai, a dit un certain nombre de choses. Donc, pour moi, le débat commence.

France 2 : Est-ce qu’il n’est pas temps, quand même, d’en finir avec le service national ? Est-ce que ce n’est pas aussi courageux de prendre cette décision-là, dans la mesure où, beaucoup trouvent que le service est coûteux, qu’il est inégalitaire et inefficace ?

Lionel Jospin : C’est pour cela qu’une réforme n’aurait pu se faire qu’autour d’un service court, autour d’un service véritablement rendu universel, et donc égalitaire. Moi, je l’ai dit : la professionnalisation de l’armée est inéluctable, il faut la mener, mais ça n’est pas forcément l’armée de métier et on peut garder un lien avec les jeunes, avec la conscription, et on doit surtout se réserver la possibilité, en cas de modification de la menace extérieure, d’avoir une armée professionnalisée qui encadre un nombre de jeunes beaucoup plus grand, de citoyens, qui veillent à la défense de leur territoire. Donc, je pense qu’on tranche trop vite et de façon trop solitaire des questions fondamentales.


Date : 6 juin 1996
Source : L’Express

L’Express : Que vous inspire d’emblée le manifeste des dix ?

Lionel Jospin : Je crois, comme les signataires, que la démocratie et, avec elle, les femmes, n’ont pas assez pénétré la République. Il me semble donc justifié que des femmes politiques de grande expérience dépassent, pour la première fois, les clivages partisans afin d’exiger la parité. Et j’en suis d’accord : pour atteindre ce but, le temps de la contrainte est bel et bren arrivé.

L’Express : Contrainte qui commencerait par vous-même ?

Lionel Jospin : J’ai toujours eu cette préoccupation. Je regrette cependant de ne pas avoir nommé suffisamment de femmes recteurs, lorsque j’étais ministre de l’éducation nationale. Aujourd’hui, j’exerce une responsabilité, j’ai une influence politique dans mon parti et dans le pays, différente de ce qu’elle était auparavant. Alors, je les utiliserai pour orienter très fortement le cours des choses vers la parité. Lors de notre prochaine convention, à la fin de juin, je proposerai une méthode, et l’ensemble de la direction du PS prendra ses responsabilités.

J’ajoute que, s’il le fallait vraiment pour inscrire le principe de parité dans notre dispositif législatif, je serais favorable à une révision de la Constitution. Car, pour moi, la parité n’est pas la défense d’une communauté particulière ou d’une minorité ; elle devrait refléter la mixité propre à l’espèce humaine.

L’Express : Pensez-vous que le PS soit vraiment ouvert à cette révolution ?

Lionel Jospin : Je le crois. La preuve : la réponse que les militants ont apportée à un questionnaire, en octobre 1995, quand j’ai été élu premier secrétaire. 75 % d’entre eux se sont déclarés favorables à ce que l’objectif de la parité soit inscrit dans les statuts du PS !

L’Express : Êtes-vous prêt à vous engager, dans ces colonnes, sur un calendrier ?

Lionel Jospin : Vous aurez remarqué que les signataires, elles, ne s’y sont pas risquées ! À titre personnel, pour arriver au but par étapes, je fixe un délai qui me paraît réaliste : dix ans, pour approcher de la parité entre les élu(e)s.

L’Express : Précisément, quelles étapes prévoyez-vous ?

Ma première proposition serait de concrétiser la parité très vite, dans les élections municipales et régionales. Elles se font sur des scrutins de liste. Il n’y a donc aucun obstacle technique pour présenter autant de femmes que d’hommes. Seuls comptent la volonté politique… et le nombre de candidates potentielles.

Ma seconde proposition, dans la perspective des prochaines législatives, je l’ai déjà indiquée aux responsables nationaux ou fédéraux : il s’agit de multiplier par deux la représentation des femmes au Parlement en 1998, et de doubler ainsi, à chaque échéance électorale, par exemple, de 5 à 10 %, puis de 10 à 20 %. En attendant d’introduire de la proportionnelle pour les législatives et les sénatoriales. Vous savez que j’en suis partisan, et je souhaite en faire l’un des points forts du programme socialiste.

L’Express : La proportionnelle amènera plus de femmes, mais aussi le Front national…

Lionel Jospin : Il faut savoir ce que vous privilégiez, vous, les femmes ! En tout cas, les signataires du manifeste ont l’air de penser que l’avancée pour les femmes, c’est-à-dire pour la démocratisation de notre système, contrebalancera largement l’irruption de députés d’extrême droite, qui, on l’espère, sera provisoire. C’est un avis que je partage.

L’Express : Êtes-vous favorable au financement des partis en fonction de leur ouverture aux femmes ?

Lionel Jospin : Oui. Mais, le financement public des partis étant, à mes yeux, indispensable, en tout état de cause, à la moralisation de la vie politique, je refuse l’idée d’une pénalisation telle qu’elle est formulée dans le texte. Je préférerais une discrimination positive : un surplus de financement pour les partis en fonction de la place qu’ils font aux femmes.

L’Express : L’idée d’assimiler le sexisme au racisme vient de la socialiste Yvette Roudy, qui n’avait pas réussi à l’imposer quand elle était ministre des droits de la femme, lors du premier septennat de François Mitterrand. Avez-vous changé d’avis là-dessus ?

Lionel Jospin : Cela dépend de ce que l’on vise : les actes, les ségrégations effectives ou les mots ? Je n’ai pas envie que l’on importe en France le « politiquement correct » américain. Et la loi est suffisante, me semble-t-il, pour sanctionner les actes de violence sexiste.

L’Express : Reste un référendum sur la parité…

Lionel Jospin : Je suis, naturellement et philosophiquement, méfiant, on le sait à l’égard du référendum. Il est moins fait pour le peuple que pour celui qui pose la question. À propos de la parité, encore plus, peut-être. À voir ce qui se passe sur le terrain, je ne voudrais pas qu’un échec lors d’une telle consultation marque un coup d’arrêt. Je suggère donc d’autres chemins.