Déclaration à la presse de M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé et à la Sécurité sociale, sur les mesures de sécurité transfusionnelle, prévention et éthique, liées au risque de contamination des produits dérivés du sang par le virus de l'ESB, Paris le 1er avril 1997.

Prononcé le 1er avril 1997

Intervenant(s) : 
  • Hervé Gaymard - secrétaire d'Etat à la santé et à la Sécurité sociale

Texte intégral

Une réunion d’experts s’est tenue à Genève du 24 au 26 mars 1997 au cours de laquelle de nouveaux résultats expérimentaux ont été présentés qui tendent à démontrer que le plasma de souris malades pouvait transmettre à des souris saines la maladie liée aux prions. Il convient cependant de préciser d’une part que les inoculations qui ont conduit à l’infection des animaux ont été réalisées par voie cérébrale et non par voie intraveineuse, d’autre part que l’infectiosité n’a pu être détectée que dans le plasma frais et le cryoprécipité. Ces résultats, bien que très préliminaires, ont conduit l’OMS à recommander, dans un mémorandum rédigé à la fin de la réunion et rendu public le 28 mars 1997, des mesures de prévention en matière de don du sang. Ces mesures ont déjà été adoptées par la France au cours de ces dernières années. Il s’agit notamment, lors de la sélection des donneurs de sang par l’entretien médical précédant le don du sang, des mesures d’exclusion du don de sang prises, à partir de 1992, et renforcées depuis lors, notamment à l’endroit des sujets ayant été traités par hormone de croissance extractive, des personnes avec antécédents familiaux d’Encéphalopathie Subaiguë Spongiforme Transmissible, des sujets ayant reçu une greffe de dure-mère et de cornée.

Le comité interministériel sur les encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles, présidé par le professeur Dormont, immédiatement saisi par les autorités françaises, des résultats présentés à Genève, s’est réuni le 27 mars 1997 et a rendu ses conclusions dès le 28. Pour ce comité, « les résultats présentés à Genève renforcent le bien-fondé des mesures de précaution visant à exclure du don du sang les sujets considérés comme à risque potentiel de développer une encéphalopathie à prions ».

Dès décembre 1996, j’ai pris la décision d’exclure définitivement du don de sang les receveurs de produits sanguins labiles.

Je rappelle, en effet, que c’était l’une des propositions du rapport remis par le comité de sécurité transfusionnelle sachant que les arguments principaux tenaient :

- à l’existence d’une chaîne potentielle de transmission par voie transfusionnelle d’agents infectieux non identifiables et notamment des maladies à prions, malgré la mise en œuvre des tests de dépistage obligatoires pour les agents infectieux connus ;
- ainsi qu’à l’impossibilité actuelle d’appliquer les méthodes d’inactivation aux produits sanguins labiles (sauf le plasma frais) contrairement aux médicaments dérivés du sang qui sont soumis à des procédés d’élimination et d’inactivation chimiques et physiques.

Cette mesure, prise par la France, l’a été en application du principe de précaution, la France ayant pris au cours de ces dernières années un ensemble de mesures qui assurent un des meilleurs niveaux de sécurité transfusionnel au monde.

J’avais, au même moment, indiqué que la mise en œuvre d’une telle mesure imposait qu’en soient très attentivement étudiées les modalités d’application, notamment en étroite concertation avec les divers acteurs impliqués dans le secteur de la transfusion pour éviter tout effet pervers qui pourrait être grave par ses répercussions en termes de santé publique :

- c’est pourquoi une expérimentation dans plusieurs régions a été lancée pour évaluer l’impact de cette mesure : cette expérimentation est achevée et la mesure devrait être généralisée à la fin de l’été 1997 ;
- l’expérimentation a permis de constater que la baisse d’approvisionnement en dans se situait aux alentours de 5 % et pouvait être notamment compensée par une campagne de promotion accrue en faveur du don ;
- il est prévu qu’une telle campagne soit prochainement lancée sous l’égide de l’Agence française du sang, cette campagne devants s’accompagner d’un effort d’information et d’’explication de la mesure d’exclusion en direction des donneurs de sang et des personnels de la transfusion sanguine.

En définitive notre dispositif semble répondre aux données actuelles des connaissances scientifiques en ce domaine.

Cependant deux questions méritent encore un examen attentif :

1° L’exclusion du don pore sur les receveurs de produits sanguins labiles et non sur l’ensemble des receveurs de produits sanguins qui, outre les produits sanguins labiles, comprennent notamment les médicaments dérivés du sang.

Faut-il étendre cette mesure à l’ensemble des produits dérivés du sang ?

L’exclusion des receveurs de produits sanguins labiles se comprend notamment par l’existence d’une fenêtre de séroconversion, tandis que les produits sanguins stables subissent des procédés d’inactivation et peuvent être soumis à une procédure e quarantaine.

La décision d’une exclusion généralisée à l’ensemble des receveurs de produits dérivés du sang doit être analysée au regard du risque d’insuffisance d’approvisionnement en sang qui pourrait en résulter. En effet, le nombre de receveurs de produits sanguins labiles (c’est-à-dire les transfusés) doit être rapproché du grand nombre de personnes ayant reçu, durant leur vie, un médicament dérivé du sang (immunoglobulines, fractions coagulante…,) ou un médicament contenant un produit dérivé du sang (vaccins, produits dans lesquels un dérivé sanguin constitue une matière première…).

D’autre part, les produits sanguins stables ne sont pas tous identiques face au risque potentiel de transmission d’une maladie à prions. L’étude de Brown doit inciter à poursuivre les recherches afin de déterminer, avec certitude, les possibilités d’une telle transmission selon les diverses fractions du produit sanguin utilisé et le mode de préparation de ces produits stables et des médicaments qui en dérivent.

Au total, la mesure de sécurité transfusionnelle, conduisant à exclure les receveurs de produits sanguins labiles devra être, le cas échéant, actualisée en fonction de l’évolution des connaissances en la matière.

D’ores et déjà, j’ai décidé de saisir sur ce sujet d’une possible extension de l’exclusion du don de sang à l’ensemble des receveurs de produits sanguins et de leurs dérivés, les différentes instances scientifiques compétentes que sont le Comité de sécurité transfusionnelle, le Comité interministériel sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles ainsi que le Comité de sécurité virale auprès de l’Agence du médicament.

2° Parallèlement se pose une question d’ordre éthique qui est celle de l’information des receveurs de produits sanguins préparé à partir de donneurs de sang, ultérieurement reconnus atteints d’une maladie de Creutzfeldt-Jakob.

S’agissant de receveurs de médicaments dérivés du sang provenant de sujets reconnus atteints d’une MCJ, une circulaire de la Direction générale de la santé en date du 31 juillet 1996, confirmait la mesure de prudence que constituait le retrait des lots de tels médicaments, mesure que seule la France en Europe avait mise en œuvre.

Cette circulaire, par ailleurs, laissait aux médecins prescripteurs, dans le cadre du colloque singulier avec son patient, le soin d’apprécier la nécessité d’une information en fonction de chaque cas particulier.

En effet, à l’époque, en l’absence d’aucun indice de transmission de la MCJ par les Produits sanguins labiles et les produits sanguins stables, il avait été considéré qu’une telle information ne pouvait être rendue systématique, car, du fait de l’inexistence de tests de diagnostic et de toute mesure thérapeutique, il n’y avait pas de bénéfice thérapeutique pour la personne.

A la lumière des travaux de Monsieur Brown, cette option doit-elle être revue ?

1° D’une part, l’intérêt d’être informé, pour le receveur, s’en trouve-t-il modifié ?

2° D’autre part, l’information doit-elle être rendue systématique dans l’un ou l’autre cas ?

Ce sujet requiert une réflexion approfondie qui dépasse le seul strict cadre médical. C’est pourquoi, j’ai décidé de saisir le Comité consultatif national d’éthique afin de recueillir son avis sur ce sujet délicat. Je recueillerai, parallèlement l’avis de l’Académie nationale de médecine.

En définitive, je crois, en matière de sécurité transfusionnelle, à l’importance de confier aux experts le soin d’approfondir nos connaissances afin que l’acte de transfuser un produit sanguin labile ou de prescrire un produit dérivé du sang demeure un acte salvateur, sachant que l’exigence du politique dans ce domaine doit accompagner et stimuler les efforts de recherche.