Interview de M. Louis Besson, secrétaire d’État au logement, à France-Inter le 17 juillet 1997, sur le projet de loi du précedent gouvernement sur l'exclusion, la transformation de bureaux en logements et l'amortissement Périssol (avantages fiscaux pour les logements neufs affectés à la location).

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Média : France Inter

Texte intégral

France Inter : Vous reprenez au sein de l’actuel Gouvernement un dossier que vous connaissez bien, puisqu’une loi votée en 1990 porte votre nom. Diriez-vous que vous reprenez ce dossier après une mise entre parenthèse, dans sa continuité ou qu’il doit être remis sur le métier ?

L. Besson : Je dirais que ce chantier a été poursuivi par mes successeurs, que dans un certain nombre de domaines beaucoup d’avancées ont été obtenues. Tous nos départements disposent de plans d’action pour le logement des plus démunis, tous nos départements disposent de fonds de solidarité-logement. En revanche, la production de logements d’insertion n’a pas été à la hauteur des espérances. Il y a donc, à la fois, à remobiliser et sans doute à compléter ce dispositif, et le cadre d’une loi à venir comme celle qui visera la lutte contre les exclusions pourrait tout à fait en être le support.

France Inter : Donc, vous n’êtes pas trop critique mais vous dites : on n’a pas mis suffisamment d’argent sur ce secteur ?

L. Besson : En précisant que quelquefois, il y a eu de l’argent de l’État qui n’a pas été consommé parce que mobilisé sur le terrain, pour créer des logements, pour accueillir des personnes, les familles les plus démunies, cela ne va pas partout de soi. Il y a des comportements très inégaux selon les collectivités territoriales, selon les organismes constructeurs, bref, il y a des endroits où la mobilisation s’est faite de tous les acteurs et puis des endroits où on a constaté, hélas, une inégalité de mobilisation et donc d’efficacité.

France Inter : Vous parliez il y a un instant du projet de loi contre l’exclusion. Ce projet est resté en panne, il était préparé par l’ancien gouvernement, il est resté en panne par cause de dissolution. L’actuel Gouvernement a l’intention de le reprendre tout en le modifiant, tout en y ajoutant des choses. En ce qui concerne votre secteur, qu’est-ce que vous gardez, qu’est-ce que vous laissez, qu’est-ce que vous ajoutez ?

L. Besson : Le Gouvernement veut bien, évidemment, que cette loi contre les exclusions, qui avait été promise par les principaux candidats présidentiels de 1995 et qui n’avait pas vu le jour dans les deux dernières années, soit reprise et débattue à l’automne. Dans le secteur du logement, comme dans les autres volets de ce texte, le Gouvernement a le souci d’enrichir le dispositif tel qu’il avait été préparé et présenté au Parlement. Je pense, par exemple, puisque votre question est très précise, que ce texte conservera certaines des dispositions qui avaient fait l’objet d’une discussion approfondie.

France Inter : Par exemple ?

L. Besson : Je pense, par exemple, aux attributions, aux règles d’attribution des logements locatifs HLM.

France Inter : Plus de transparence ?

L. Besson : C’était l’objectif mais cela a été l’objet d’une négociation très positive entre le Gouvernement et mouvement HLM. Il n’y a pas de raison de ne pas reprendre cet aspect des choses. En revanche, il faut aller plus loin, par exemple, dans le domaine de la prévention des expulsions. Il faut se donner des moyens de lutter contre l’insalubrité ou le saturnisme. Ce qui n’était pas évoqué. Il faut revenir à un financement de solidarité nationale pour les fonds de solidarité-logement, et ne pas garder, comme maintenant, le produit d’une taxation que supporte seulement une fraction des locataires HLM, alors que ces fonds sont accessibles à tous les locataires en difficultés, qu’ils soient du secteur privé ou public et qu’ils soient éventuellement même accédant à la propriété.

France Inter : Mais cela, encore une fois, est-ce que cela veut dire rajouter toujours des fonds ou est-ce que cela peut être un redéploiement de l’argent ?

L. Besson : C’est un grand débat. Le secteur du logement est très souvent invité à des redéploiements de ses moyens mais il faut aussi davantage de moyens. Ce qui vient d’être décidé dès la déclaration de politique générale du Premier ministre, en juin, est significatif d’une volonté de redonner au logement cette dimension de priorité nationale qui nécessite forcément plus de moyens.

France Inter : Quand on parle d’exclusion, on pense évidemment à ceux qui n’ont pas de logements, pas seulement à ceux qui sont dans des logements vétustes, ou avec des canalisations où il y a trop de plomb. Il y a de quoi comprendre leur colère quand ils voient des milliers et des milliers de mètres carrés vides, soit de bureaux, soit de logements de luxe, qui ne trouvent pas preneur parce qu’ils sont trop chers. Que deviennent les projets de reconversion, de réhabilitation ?

L. Besson : Je crois qu’un certain nombre de réalisations ont vu le jour dans le domaine de la conversion d’immeubles de bureaux. Ce sont des opérations très chères parce qu’il faut les acquérir pour ce qu’ils sont et il faut ensuite supporter la dépense de la conversion, qui, évidemment, aboutit à une dépense totale plus élevée que si on avait fait d’entrée les logements nécessaires.

France Inter : Je crois que le calcul du coût au mètre carré était fait à peu près ?

L. Besson : C’est quasiment plus cher que la construction de logements, dans la plupart des cas.

France Inter : 9 000 francs le mètre carré ?

L. Besson : Oui, au minimum, alors que nous arrivons à sortir des logements locatifs sociaux autour de 7 000 ou 8 000 francs selon les villes de France.

France Inter : Donc ce n’est pas très rentable ?

L. Besson : Donc, ce n’est pas très rentable et c’est là où il serait pertinent que la maîtrise de l’urbanisme soit, quelque part, très bien articulée sur la réalité des besoins, et fasse retenir dans les projets de construction ce qui correspond effectivement aux priorités qu’il faut satisfaire.

France Inter : On a pris connaissance, hier, de l’indice du coût de la construction qui sert notamment à calculer le prix des loyers dans le secteur privé : 1,32 %. Ce n’est pas énorme et dans l’ensemble, pour les propriétaires, ou en tous cas, pour les gens qui veulent investir leur argent, l’investissement locatif par rapport à la Bourse, ce n’est pas l’idéal. Alors qu’est-ce que vous pouvez faire pour inciter davantage de gens à investir dans le logement, surtout à une époque où il y a eu un projet de loi qui a bien marché – l’investissement Périssol – mais qui est tellement avantageux que l’on sent que l’actuel gouvernement n’a pas l’intention de le conserver ?

L. Besson : Il est non seulement avantageux mais à coûts différés. La plupart des promoteurs, aujourd’hui, ne peuvent engager leurs opérations avec le soutien des banques – qui ont été échaudées par quelques difficultés, que je n’ai pas besoin de préciser et de rappeler – que finalement les opérations ne s’engagent que lorsqu’elles sont assez largement vendues. Ce qui veut dire que l’avantage fiscal, lié à cette vente, n’intervient qu’après l’achèvement de la construction, la mise en location, la perception de revenu par l’acquéreur. Pratiquement, c’est à la troisième loi de finances qui suit qu’il faut payer la facture. Or, elle risque effectivement d’être lourde, sans pour autant déboucher sur un parc qui soit durablement affecté à la location.

France Inter : Enfin, ceux qui ont signé maintenant et jusqu’en 1998, vous payerez quand même ?

L. Besson : Tout ce qui est engagement pris sera bien évidemment honoré, mais l’idée est de chercher à ouvrir par la concertation une discussion au fond, pour voir selon quelles modalités nous pourrions arriver à bâtir un dispositif durable qui nous fasse quitter cette voie des mesures strictement conjoncturelles et toujours susceptibles d’être remises en cause. Un dispositif durable qui puisse être équilibré pour les divers partenaires que sont bien sûr l’investisseur, mais aussi le preneur et l’État qui, s’il apporte des avantages fiscaux, doit avoir en contrepartie la certitude que ses propres aides sont bien légitimes pour le propriétaire qui les reçoit et bénéfiques pour le locataire qui bénéficiera, qui recevra le logement correspondant.

France Inter : C’est dans ce cadre-là que s’inscrit l’idée d’un secteur conventionné dont j’ai vu plusieurs fois une mention dans vos écrits ou dans vos propos ?

L. Besson : Vous avez tout à fait raison. Au lieu d’avoir, ce qui est aujourd’hui le cas, un secteur public et social – le secteur HLM – et puis de l’autre, un secteur privé qui bénéficie temporairement de mesures conjoncturelles et puis qui voit son régime fiscal évoluer, être remis en cause, être un peu, ni vraiment libre, ni vraiment contractuel, essayer d’avoir d’une manière claire – comme cela existe dans d’autres secteurs – à côté du secteur public, un secteur conventionné et un secteur libre.

France Inter : Qu’est-ce que cela veut dire conventionné dans ces cas-là ? Cela veut dire des obligations mutuelles ?

L. Besson : Cela veut dire des obligations mutuelles, des avantages mais des contreparties.

France Inter : Laquelle par exemple ?

L. Besson : Je pense que, par exemple, s’il y a des avantages fiscaux qui aident à une meilleure rémunération du placement fait, il est légitime qu’en contrepartie, il y ait un loyer qui reste dans des niveaux acceptables – intermédiaires pour être simple – entre le niveau des loyers sociaux et le niveau des loyers libres.

France Inter : Encore faut-il qu’ils bénéficient à des gens qui en ont vraiment besoin ? Cela aussi sera surveillé ou plutôt conseillé ?

L. Besson : Tout cela fera l’objet de discussions très ouvertes. Nous avons déjà amorcé les rencontres avec les partenaires du secteur.

France Inter : Il y a eu plusieurs mesures d’annoncées lors du discours de politique générale de L. Jospin. Elles n’ont d’ailleurs pas tellement été mises en valeur : c’est une revalorisation de l’aide au logement. Est-ce que toutes ces mesures – cela fait un peu plus de 2,5 milliards – est-ce que cela jouera un rôle sur l’emploi ?

L. Besson : Les 2,5 milliards, ce sont les crédits qui ont été affectés à l’actualisation et à la revalorisation des aides personnelles. Ce sont 6 millions de ménages, les 30 % des ménages les plus pauvres de France, qui vont se les partager et qui vont y trouver un complément de pouvoir d’achat. Après trois années pendant lesquelles il n’y avait eu aucune actualisation, il y avait eu, là, un creusement des inégalités qu’il fallait absolument corriger. C’est une dimension forte des mesures familiales, qui ont été prises dès la mise en place du Gouvernement. Cela correspondra pratiquement à un cinquième point d’augmentation du Smic. Ce n’est pas tout à fait négligeable. Mais à côté de ces 2,5 milliards, vous me parlez de l’emploi et vous faites allusion au fait qu’un milliard 150 millions ont été consacrés aux réhabilitations, aussi bien dans le parc social public que dans le parc privé. Et là, il y a, avec 100 000 logements réhabilités supplémentaires, la perspective de sauver entre 30 000 et 35 000 emplois.