Déclarations de M. Jean-Louis Giral, vice-président du CNPF et président de la commission sociale du CNPF, sur la politique salariale des entreprises au niveau des branches et la recommandation patronale d'une "évolution modérée" du SMIC, Paris le 8 et le 19 juin 1990, publiées dans "CNPF La Revue des entreprises" le 19 juin.

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Circonstance : Réunion de la Commission nationale de la négociation collective à Paris le 8 juin 1990

Texte intégral

Déclaration de Jean-Louis Giral lors de la réunion de la Commission nationale de la négociation collective, le 8 juin 1990

L’économie française enregistre actuellement globalement de bons résultats. Grâce à la performance de ses entreprises, elle se redresse. Cette situation, qui recouvre toutefois de larges disparités selon les professions, reste cependant fragile, et les retards subsistent, notamment en matière d’investissements, avec nos concurrents étrangers.

La balance extérieure et la situation de l’emploi demeurent des préoccupations majeures qui nous imposent de rester prudents.

La politique salariale menée par les entreprises, ces dernières années, a contribué, en ramenant la part des salaires dans la valeur ajoutée à un niveau comparable à celui des autres pays, au rétablissement de notre situation économique, tout en maintenant chaque année des gains de pouvoir d’achat des salaires réels.

Dans une économie hyperconcurrentielle à l’échelle mondiale, on ne peut pas se permettre de répartir les fruits de l’expansion en privilégiant des méthodes qui hypothéqueraient le futur. C’est d’ailleurs pourquoi les entreprises ont favorisé l’intéressement et la participation. Il nous paraît, à ce propos, inopportun de vouloir aujourd’hui remettre en cause ou limiter ces mécanismes qui ont permis d’associer les salariés à la reprise de la croissance.

Le niveau des grilles des salaires minima ne doit pas occulter la progression des salaires réels. Il ne faut pas commettre l’erreur, ou faire semblant, d’assimiler les salaires minima à des salaires réels. Les salaires minima ne constituent qu’une garantie et étant établis au niveau de chaque profession, ils tiennent compte de la diversité des situations économiques et des structures de salaires des entreprises qui la composent.

Ceci montre clairement que le problème des salaires ne peut être réglé qu’au niveau des branches professionnelles et que le SMIC, qui doit retrouver son caractère de garantie de ressources, ne doit pas être un élément de politique de bas salaires. Toute augmentation excessive du SMIC écrase la hiérarchie au détriment des salariés les plus performants, et va à l’encontre des efforts de remise en ordre faits par les professions.

C’est vers une garantie annuelle de rémunération, prenant en compte l’ensemble des éléments ayant un caractère de salaire, quelle que soit leur périodicité, qu’il faudrait s’orienter. Cette garantie qui appréhenderait alors, effectivement, la réalité des salaires versés aux salariés clarifierait la situation.

Dans un tel contexte, la politique salariale que mènent en permanence les branches professionnelles trouverait sa pleine valeur et pourrait être poursuivie avec plus d’efficacité encore. Mais la poursuite de cette dynamique contractuelle nécessite stabilité et calme. Nous devons noter, en outre, que certaines professions ont déjà commencé des discussions pour la révision de leurs classifications, que d’autres s’y préparent ou sont sur le point de le faire. Ces négociations sont longues et délicates. Elles ne peuvent se mener dans la précipitation car, classer des emplois, qualifier des hommes et rémunérer des compétences, engagent durablement l’avenir des salariés et des entreprises.

Mais il demeure que l’ensemble de ces éléments constitutifs de la politique salariale a ses limites. Elles lui sont imposées par les coûts de production qui doivent rester compatibles avec le système concurrentiel. Faute de prendre en compte ces contingences, notre compétitivité s’amoindrirait et nous serions conduits à terme à des suppressions d’emplois.

Il apparaît donc, que c’est plus par des possibilités de progression de carrière des salariés les moins qualifiés, en leur proposant des formations adaptées, compte tenu de la capacité et de la volonté de chacun, qu’il faut conjointement rechercher une solution au problème des bas salaires. Nous relevons d’ailleurs que plusieurs professions se sont déjà engagées dans cette voie. Nous pensons que d’autres vont les imiter.

En conclusion, étant partisans de la politique contractuelle et l’ayant prouvé, nous continuerons à encourager les professions à persévérer dans cette démarche et à soutenir la dynamique dont elles sont à l’origine, sans entamer la stratégie globale de compétitivité qu’elles poursuivent et tout en veillant à ne pas démotiver le personnel d’encadrement. Mais, il est bien certain que toutes ces négociations se trouveraient facilitées si, dans le même temps, les salaires directs étaient soulagés d’une partie des contributions sociales qui les compriment et si le gouvernement modérait l’évolution du SMIC au 1er juillet ».

CNPF/9030074D14/ 1990 JUIN 19

Conférence de presse de Jean-Louis Giral, président de la commission sociale du CNPF

Le dynamisme contractuel ne doit pas être entravé

« L’efficacité de la politique contractuelle dépend du degré de latitude des partenaires sociaux, l’autonomie de ceux-ci est un gage d’efficacité » , a déclaré Jean-Louis Giral, président de la commission sociale du CNPF, mardi 19 juin 1990, au cours d’une conférence de presse consacrée à la politique salariale.

Le 10 mai dernier, a rappelé Jean-Louis Giral, le président de la République recevant une délégation du CNPF, composée de François Perigot, d’Ernest-Antoine Seillière et de Jean-Louis Giral, a exprimé le souhait que « soient engagées au plus tôt des négociations dans chaque branche sur les bas et les moyens salaires et sur les classifications ».

Profondément attaché à la politique contractuelle, le CNPF a immédiatement indiqué qu’il inciterait les professions à aller dans ce sens.

En effet, a souligné le président de la commission sociale du CNPF, l’initiative du chef de l’Etat conforte l’action déjà menée en la matière par de nombreuses professions.

Le bilan annuel établi par la Commission nationale de la négociation collective vient de le démontrer : en effet, si l’on observe en 1989 d’après ce bilan une quasi-stabilité de l’activité conventionnelle après la forte hausse de 1988, en revanche les textes sur les salaires signés au niveau national sont en progression de 6,7 % (315 avenants contre 295 en 1988).

L’enquête relative aux négociations sur les salaires et les classifications que le CNPF vient de réaliser le confirme.

93 professions couvrant quelque 7 millions de salariés ont répondu à cette enquête.

Dans le domaine salarial, sur 83 négociations salariales déjà intervenues au titre de 1990 au niveau national, 53 professions ont signé des accords salariaux : 18 au 4e trimestre 1989 – 35 au 1er trimestre 1990.

Parmi celles-ci, 33 professions ont adopté des mesures en faveur des salaires les plus bas, dont 8 sous forme de garanties annuelles de rémunération.

A ces accords nationaux, il convient d’ajouter plus d’une centaine d’accords régionaux ou départementaux déjà intervenus pour 1990 suivant le calendrier habituel de ces négociations dans :
- le bâtiment,
- la blanchisserie teinturerie,
- les carrières et matériaux de construction,
- le commerce de quincaillerie,
- la métallurgie,
- les travaux publics.

60 professions ont programmé (suivant un processus déjà engagé) ou envisagent d’ouvrir des négociations sur les salaires d’ici la fin de l’année.

Parmi celles-ci, 27 envisagent de prendre des mesures pour les bas salaires.

La couverture conventionnelle salariale a donc incontestablement tendance à s’étendre.

De nombreuses professions ont souligné le fait que les salaires réels pratiqués dans les entreprises sont sensiblement supérieurs aux salaires minima conventionnels, que ce soit dans le secteur secondaire (habillement, ciments et chaux) ou dans le secteur tertiaire (banques).

Le niveau des grilles de salaires minima ne doit pas occulter la progression des salaires réels. Il ne faut pas commettre l’erreur, ou faire semblant, d’assimiler les salaires minima à des salaires réels.

Dans le domaine des classifications :
- 34 accords ont été signés de 1985 à 1990 dans 33 professions,
- 28 professions ont actuellement des négociations en cours et 30 professions envisagent de négocier sur le thème des classifications.

Les négociations sur ce thème s’avèrent toujours longues et délicates. Elles ne peuvent, en effet, se mener dans la précipitation car classer les postes d’emploi, réviser les qualifications et rémunérer les compétences engagent durablement l’avenir tant des salariés que des entreprises.

Il existe donc bien une dynamique contractuelle en ce domaine. Le CNPF ne peut que soutenir cette dynamique et donc inciter les professions à persévérer dans cette voie.

Cependant, cette politique de revalorisation des bas salaires par voie contractuelle comporte ses propres limites et doit être complétée.

Les limites de cette politique, ce sont les contingences économiques et donc les capacités concurrentielles des différents secteurs d’activité.

Les bons résultats de l’économie française ne doivent pas masquer certains retards structurels qu’illustrent la situation préoccupante de notre commerce extérieur et notre fort taux de chômage.

C’est aussi la nécessité de développer une politique sociale motivante qui ne démoralise pas le personnel d’encadrement.

Cette politique doit être complétée par des possibilités de progression de carrière des salariés les moins qualifiés, grâce à des formations adaptées. C’est comme cela que les objectifs poursuivis pourront être atteints.

Ce dynamisme contractuel ne doit pas être entravé. Une augmentation excessive du SMIC au 1er juillet risquerait une fois de plus d’anéantir les efforts consentis par certaines professions pour revaloriser les bas salaires par voie contractuelle.

On ne peut, a souligné Jean-Louis Giral, critiquer le fait que les minima conventionnels soient souvent inférieurs au SMIC et plaider pour un nouveau coup de pouce. Car les coups de pouce antérieurs ont certainement contribué à aggraver cet état de fait.

Toute augmentation excessive du SMIC écrase la hiérarchie au détriment des salariés les plus performants, et va à l’encontre des efforts de remise en ordre faits pas les professions.

C’est vers une garantie annuelle de rémunération, prenant en compte l’ensemble des éléments ayant un caractère de salaire, quelle que soit leur périodicité, qu’il faudrait s’orienter. Cette garantie qui appréhenderait alors effectivement la réalité des salaires versés aux salariés, clarifierait la situation.

Le CNPF souhaite donc que la sagesse prévale.

Ce dynamisme contractuel peut être également soutenu. Ainsi toutes les actions qui seront menées pour soulager les entreprises des prélèvements excessifs qui obèrent leur compétitivité, notamment dans la perspective de l’achèvement du Marché unique, ne pourront qu’accroître la latitude des professions et des entreprises en matière de progression des salaires directs.

La politique contractuelle à laquelle nous sommes attachés, a conclu Jean-Louis Giral, a une double signification.

Non seulement elle sert de compromis accepté par les partenaires sociaux dans une société dont le tissu social n’est pas dénué d’âpreté, mais quand la politique contractuelle se déploie, elle constitue incontestablement une marque de confiance des pouvoirs publics dans la capacité des partenaires sociaux à traiter certains dossiers sociaux.

La politique contractuelle est donc d’autant plus pertinente et efficiente que les partenaires sociaux bénéficient d’un climat de confiance, d’une latitude d’action bien réelle.

En ce domaine aussi l’autonomie est plus efficace que la contrainte.