Texte intégral
10 novembre 1998, Sénat
REPONSE DU MINISTRE DE LA DEFENSE A UNE QUESTION DE M. GERARD CESAR, SENATEUR DE LA GIRONDE (Extraits)
Redéploiement des effectifs des forces de police et de gendarmerie nationale
Q : Déjà en juin dernier, j'avais attiré votre attention sur le projet gouvernemental de redéploiement des effectifs de police et de gendarmerie au profit des zones péri-urbaines et urbaines. J'avais alors manifesté mon inquiétude quant aux menaces de fermeture des brigades dans les communes et cantons ruraux, et quant aux conséquences de ces fermetures. Aujourd'hui, le sujet est plus que jamais d'actualité puisque le Premier ministre a récemment affiché sa "détermination" à conduire et à mener à son terme cette réforme. Il a d'ailleurs chargé M. Guy Fougier, conseiller d'Etat, de faire un tour de France des sites concernés et de lui remettre son rapport d'ici à la fin de l'année.
Si je comprends l'effort de sécurité qui doit être consenti en faveur du milieu urbain, j'estime que celui-ci ne doit en aucun cas se faire au détriment du monde rural. (...)
S'agissant de la délinquance, une étude récente - curieusement passée sous silence ! - réalisée par un groupe de travail de l'Institut des hautes études de la sécurité intérieure dans le département de l'Ain - je l'ai lue dans la presse, comme vous, monsieur le ministre - révèle une hausse supérieure à la moyenne des crimes et délits commis en zone rurale par rapport au reste du territoire. Même si les communes rurales restent plus sûres que les autres territoires, elles ne sont plus aujourd'hui à l'écart de la délinquance et subissent désormais le passage des malfaiteurs. De plus, on peut constater la montée des incivilités, tels que dégradations de bâtiments publics, de cabines téléphoniques, pillages d'écoles, de collèges d'églises, de cimetières et vols en tout genre.
Je veux également souligner le rôle « social », de la brigade de gendarmerie en raison de son positionnement particulier dans le monde rural. Chacun sait que, sans renoncer à la nécessaire application de la loi, le gendarme a un rôle d'écoute, de dialogue avec la population et qu'il est, à ce titre, un facteur de paix sociale. Intégré socialement, il l'est aussi économiquement puisqu'il y réside avec sa famille, ses enfants y sont scolarisés. Le gendarme est donc perçu comme un acteur de la vie locale par les populations rurales.
Au même titre que la poste, la perception, l'école, autant de services publics pour le maintien desquels les maires se battent, la brigade exerce une mission de service public et demeure l'un des derniers bastions de l'existence rurale. Avec sa suppression, ne risque-t-on pas d'accentuer le phénomène de désertification et de dévitalisation de nos cantons ruraux ? Ne pourrait-on pas envisager des traitements et des solutions spécifiques au monde rural dans le cadre d'une véritable politique d'aménagement du territoire où les problèmes de sécurité sont quasi absents, alors que la sécurité constitue un authentique service public de proximité ?
Ne pensez-vous pas qu'il eût été préférable d'initier cette réforme en lien étroit avec les élus plutôt que de les consulter lorsque les décisions semblent être prises ? Les critiques et inquiétudes de mes collègues, de droite comme de gauche, me le laissent à penser. Je vous remercie de bien vouloir répondre à mes questions et de me donner des précisions sur les menaces de fermeture qui planent sur les brigades de Rauzan et de Gensac.
R : Vous démontrez avec beaucoup d'éloquence combien il est difficile de faire une réforme dans ce pays dès qu'elle touche un intérêt acquis. Car vous défendez des intérêts acquis ! C'est votre conception de votre fonction, et je la respecte, même si, naturellement, je ne la partage pas. La France compte plus de policiers et de gendarmes armés et formés que tous les pays d'Europe. La couverture de nos besoins de sécurité est, me semble-t-il, très datée. En effet, vous le savez, la plupart des décisions de répartition de nos moyens de sécurité publique remontent à plusieurs dizaines d'années. J'entends tout à fait vos observations critiques sur la méthode qui a été suivie. Cette méthode a au moins consisté à vouloir agir. C'est sûr, nombre d'autres gouvernements ne se sont pas compliqué la vie sur ce sujet ; ils ont laissé le problème en l'état. J'entends dire en divers lieux, notamment sur certains bancs ou travées des deux assemblées, qu'il ne faut pas être timoré, qu'il faut, au contraire, avoir la volonté de faire des réformes. C'est la position de ce gouvernement, que vous combattez, ce qui est votre droit le plus strict ; mais nous répondons.
Qu'il faille faire un effort supplémentaire de concertation et d'écoute des élus locaux, j'en suis convaincu. Nous serons encore plus intéressés si les élus locaux font des propositions plutôt que de se crisper sur le gel de toutes les situations acquises.
Je vous ai entendu dire que des cantons moins peuplés que le vôtre comptaient beaucoup de gendarmes. Si je comprends bien, par cohérence, dans ce cas-là au moins, vous estimez qu'il serait utile de redéployer les effectifs. Sinon, ce n'était pas la peine d'en faire mention, sauf à maintenir aussi une brigade de six gendarmes pour un habitant ! Le principe selon lequel il y aurait deux brigades par canton n'a jamais été posé : jamais nulle part, et par personne. Cela, c'est le conservatisme. D'ailleurs, vous ne recommandez pas que, dans la soixantaine de cantons que compte le département que vous représentez, il y ait 120 brigades de gendarmerie, soit deux par canton. Vous demandez simplement la conservation de l'existant. Cela, ce n'est pas de la concertation !
Il faut avoir la volonté, des deux côtés, de regarder comment l'on peut adapter l'appareil de sécurité. Nous savons tous que la police nationale est mieux adaptée à certains types de terrain, qu'elle peut organiser son travail dans le milieu urbain de façon efficace, et que la gendarmerie nationale a une fonction de maillage du territoire. Je pense, rejoignant en cela le rapport cosigné par MM. Roland Carraz et Jean-Jacques Hyest, votre collègue, qu'avec une brigade par canton et une complémentarité bien organisée entre les brigades - elles ne sont pas isolées, elles fonctionnent en réseaux - on peut obtenir de bons résultats. J'observe, en outre, qu'aux brigades territoriales s'ajoutent les pelotons de surveillance et de prévention les brigades de prévention de la délinquance des jeunes, les brigades motorisées pour assurer la sécurité routière. C'est donc une palette de moyens qui sont utilisés.
Sachez qu'aucune décision n'est prise et que la concertation sera menée. Mais sachez aussi que vous avez tort d'employer le terme de « menace » et de faire jouer des arguments sentimentaux, non confirmés par la réalité des faits, pour vous opposer à toute modification du tissu de sécurité publique. Si vous évoluez, dans le sens où vous reconnaissez que, dans un département tel que le vôtre, qui compte plus de 1 500 000 habitants, les choses doivent changer, et s'il y a bonne foi des deux côtés, nous pourrons avancer.
Vous représentez les contribuables, monsieur le sénateur, dont l'argent doit être bien dépensé en matière de sécurité publique. Or, je suis obligé de constater que dans certaines brigades, nous mobilisons six gendarmes, six professionnels chevronnés, pour un délit de voie publique par mois et même, dans certains cas, deux appels téléphoniques par jour ! Le gouvernement peut-il rester les bras ballants devant de tels écarts de charge de travail ?
La concertation aura lieu de toute manière, et laissez-moi vous dire qu'elle sera d'autant plus productive qu'il y aura une réelle volonté de réforme et d'adaptation des moyens des deux côtés, et pas seulement du côté du gouvernement !
24 novembre 1998, Assemblée nationale
REPONSE DU MINISTRE DE LA DEFENSE A UNE QUESTION DE M. PHILIPPE AUBERGER, DEPUTE DE L'YONNE
Redéploiement des effectifs des forces de police et de gendarmerie nationale
Q : Une importante concertation est en cours sur le redéploiement des forces de gendarmerie. Je me réjouis d'ailleurs que le gouvernement ait souhaité prolonger cette concertation et y ait associé l'ensemble des élus. Encore faut-il s'accorder sur les critères qui vont servir pour le redéploiement de ces forces de gendarmerie. Certes, monsieur le ministre de la défense, vous en avez appelé, il y a quelques semaines, au sens de l'Etat, ce qui est concevable. Mais le sens de l'Etat repose, notamment, sur un principe républicain qui est celui de l'égalité des citoyens devant le service public de la sécurité. En l'occurrence, je souhaite que celui-ci soit respecté.
Critères de redéploiement
Parmi les critères à prendre en considération, certains paraissent évidents : l'évolution de la population protégée, le niveau de la délinquance, la position plus ou moins centrale de la brigade de gendarmerie par rapport à la population à desservir, ainsi que l'état des installations immobilières susceptibles d'héberger l'ensemble des gendarmes.
En revanche, un critère mériterait d'être précisé. C'est celui de la coexistence, ou non, des zones de police et des zones de gendarmerie. En effet, il peut arriver qu'une partie d'un canton soit placée dans la zone de police et que l'autre partie soit placée sous l'autorité d'une brigade de gendarmerie. On ne voit pas pourquoi cette population serait moins bien desservie que celle qui relève d'une brigade de gendarmerie couvrant
la totalité d'un canton.
Prenons un exemple chiffré : dans un canton que je connais bien pour le représenter dans mon conseil général, il y a dix communes. L'une d'entre elles se trouve placée dans une zone couverte par la police ; il reste neuf communes, auxquelles d'ailleurs est adjointe une autre commune qui appartient à un autre canton, soit dix communes et 5 000 habitants, ceux-ci devant être inclus dans une zone de gendarmerie.
Au nom de quoi cette population serait-elle brimée ? Dès Ion qu'elle atteint un certain niveau, et que la délinquance y est forte, elle doit être desservie par une brigade de gendarmerie. Nous pourrions ainsi, du fait de la proximité des deux services, mieux coordonner la zone de police et la zone de gendarmerie. On ne peut pas accepter, lorsque la zone de police s'exerce sur une partie du canton, que le reste de la population qui ne fait pas partie de cette, zone ne soit pas correctement desservie et que l'égalité des devant le service public ne soit pas respectée.
Je voudrais faire valoir un deuxième élément : dans le passé et encore très récemment, les conseils généraux ont fait de très gros efforts pour héberger des brigades de gendarmerie. Dans la mesure où la réorganisation de la carte des services peut entraîner la fermeture partielle ou totale de certaines gendarmeries - dont la construction n'est pas toujours totalement amortie - et entraîner ailleurs la construction de logements dans d'autres brigades, il me paraÏt normal que les conseils généraux soient officiellement associés à cette réflexion. Ils pourraient ainsi veiller à la bonne utilisation des deniers publics.
R : Monsieur Auberger, je tiens à vous remercier de l'état d'esprit très constructif que reflète votre question. Les préoccupations que vous exprimez sont tout à fait légitimes. La volonté du gouvernement est de rendre aussi efficace que possible le maillage territorial des forces de sécurité publique. Ce maillage, hérité de l'histoire, doit être adapté aux changements de la réalité géographique de notre pays pour répondre aux besoins actuels, qui peuvent être mesurés en fonction de plusieurs critères.
Dans le débat public sur ces questions, on navigue toujours entre deux écueils. Si on emploie des critères précis, chiffrés, hiérarchisés, on est vite soupçonné de perdre son me et de traiter les problèmes de façon technocratique. C'est un reproche que vous avez déjà dû entendre vous aussi, compte tenu d'un précédent fâcheux qui nous est commun et qui consiste à avoir réussi un examen de trop, ce qui est extrêmement mal vu dans la vie politique. Si, par contre, on s'en tient à des critères trop généraux, on risque de se faire accuser d'agir à la tête du client.
Le gouvernement s'efforce donc de travailler avec bonne foi et bon sens, en recherchant d'abord, j'insiste sur cet objectif, une meilleure spécialisation des deux forces en fonction des terrains. Il est clair que la police nationale obtient ses meilleurs résultats, emploie au mieux ses moyens dans les zones de population groupée, dans les grandes et moyennes agglomérations, qui regroupent aujourd'hui une très forte proportion de la population. La gendarmerie, au contraire, fait preuve de réelles qualités, reconnues par les partenaires locaux, en particulier les élus, dans les zones de population plus dispersée, mais qui comportent maintenant, d'une part, des petites villes ayant ne fonction de ville centre et, d'autre part, la périphérie lointaine des grandes zones urbaines, dont le recensement nous permettra de vérifier, dans quelques mois, qu'elle constitue un des espaces où la croissance démographique est la plus forte.
Parmi les critères que nous essayons de conjuguer :
- le premier est l'importance de la population à desservir. La règle que nous appliquons en général est d'un gendarme pour 1 000 habitants. Et si, aujourd'hui, nous nous interrogeons sur les moyens d'améliorer la répartition des effectifs, c'est que certaines brigades comptent un sous-officier pour moins de 100 habitants ;
- le deuxième critère concerne le niveau de la délinquance et de l'insécurité en général. La constatation, plusieurs années de suite, d'un très faible nombre de crimes et délits est un des facteurs qui nous incite à réfléchir à l'évolution d'une brigade ;
- mais nous prenons également en compte - vous avez raison de le rappeler - les réalités géographiques. Pour nous il existe un butoir, qui est le temps d'intervention maximum en fonction du relief et du réseau routier. La gendarmerie doit offrir un service public de proximité. Son organisation, notamment pour le service nocturne, est centrée autour d'un objectif que nous respectons en règle générale, même si certaines situations extrêmes imposent des exceptions, à savoir des temps d'intervention toujours inférieurs à la demi-heure.