Article et interviews de M. Paul Marchelli, président de la CFE CGC, dans "La Lettre confédérale" le 2 novembre 1990 (intitulé "Non "), dans "L'Humanité" et à RTL le 14 novembre, sur l'opposition à la contribution sociale généralisée (CSG) et la manifestation contre le projet de loi.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Manifestations organisées séparément par la CGC, la CGT et FO contre la CSG à la veille du débat parlementaire sur le projet de loi, à Paris le 14 novembre 1990

Média : Antenne 2 - L'Humanité - Télévision

Texte intégral


LA LETTRE CONFEDERALE : 2 novembre 1990

Une dernière fois mardi à Matignon, nous avons essayé de faire appel à la raison. En vain : le Premier ministre est bien décidé à créer un impôt supplémentaire, à entamer l'étatisation de la Sécurité sociale, et à diminuer les revenus présents et à venir des retraités. Tout cela sur un fond d'austérité dans la Fonction publique et dans le secteur nationalisé.

Nous ne sommes ni des gréviculteurs ni des habitués des manifestations de rues. Mais il y a des limites à ne pas dépasser. Pour des raisons qui lui appartiennent, et qui sont assurément liées à ses prétentions présidentielles, Michel Rocard tente de donner un formidable coup d'accélérateur à la socialisation de la France et à l'étatisation de notre société et de ses structures.

Nous ne pouvons pas l'accepter, d'autant qu'il continue à masquer la vérité en prétendant qu'il n'a pas l'intention de toucher à notre pouvoir d'achat, alors qu'en moins de trois ans la machine infernale qu'il met en place va provoquer mécaniquement une diminution du pouvoir d'achat de l'ensemble des salariés et des retraités.

Certes, ce sont les cadres qui sont frappés les premiers le plus durement, mais ce n'est qu'un commencement ; c'est l'ensemble de la Nation qui va être touché de plus en plus férocement : personne n'y échappera.

Le personnel d'encadrement de France était prêt à participer à la mise en place d'une « cotisation sociale généralisée » permettant d'asseoir le financement de la Sécurité sociale sur tous les revenus de la Nation. Mais nous ne sommes pas des Bourgeois de Calais et nous ne pouvons pas accepter d'être taillables et corvéables à merci, au gré de la fantaisie imaginative d'un futur candidat à la présidence de la République.

Nous appelons donc l'ensemble des Françaises et des Français, décidés à préserver leur pouvoir d'achat et leur protection sociale, à manifester puissamment avec nous, avant que ne s'ouvre le débat parlementaire, leur opposition aux projets de Michel Rocard.


L'HUMANITE: 14 novembre 1990

Q - Vous êtes fermement opposé à la contribution sociale généralisée, et vous dites qu'il s'agit d'un impôt dangereux. Expliquez-vous…

- Nous sommes pour une cotisation sociale généralisée, ce qui veut dire la participation de tous les revenus salariaux et non salariaux au financement de la Sécurité sociale. Mais pas dans les conditions proposées par M. Rocard. Nous avons à faire à un projet de loi qui sous prétexte de financer la Sécurité sociale d'une manière plus juste met en place un impôt nouveau, qui va peser de plus en plus lourdement sur l'ensemble des travailleurs.

Q - C'est toute la question du financement de la Sécurité sociale qui est posée.

- Il doit être social et non pas fiscal. Je trouve anormal qu'on nous dise aujourd'hui qu'on va prélever 37 milliards de francs et que c'est une affaire blanche pour la Sécurité sociale. Ces milliards, nous dit le gouvernement, serviront à alimenter des transferts sociaux au titre de la lutte contre les inégalités sociales. C'est là en vérité un faux débat, avec l'utilisation politicienne, des difficultés des Français. Si l'on continue dans cette ligne gouvernementale, nous allons arriver effectivement à une France à deux vitesses. Celle qui gagne et qui paye pour celle des pauvres. Nous n'en voulons pas. Ce que nous proposons, c'est de donner de la formation à ceux qui gagnent des salaires de misère.

Q - Sur les 37 milliards prévus, 3 seulement proviennent des revenus du capital ne considérez-vous pas cela comme insuffisant ?

- C'est un autre aspect du problème, mais vous avez raison. Nous aurions préféré que, dans un premier temps, le gouvernement prenne une disposition qui augmente le 1 % sur les revenus non salariaux. Je pense qu'il est encore temps pour le gouvernement de comprendre qu'il va à l'échec et qu'il est préférable qu'il retire son projet.

Q - Demain vous allez tenter, à l'occasion de la manifestation que vous organisez, de convaincre les groupes parlementaires que vous allez rencontrer.

- Je vais rencontrer les socialistes et les centristes. Pour essayer de les convaincre de la nécessité de revoir la démarche du gouvernement. Avant de mettre en place un nouveau moyen de financement, qui sera assis sur l'ensemble des revenus formés dans le pays, la moindre des choses serait de faire un tour d'ensemble de la protection sociale. Mais pour l'hospitalisation on nous dit qu'on est en train de réfléchir, pour la retraite on verra ça au printemps prochain, pour les allocations familiales, c'est une grande affaire, il faut qu'on en discute un peu plus avec les patrons. On ajoute : faites-nous confiance, vous allez voir tout va marcher. Eh bien non ! Nous serons dans la rue demain.

Q - Vous ne serez pas les seuls à manifester, il y a eu des contacts avec la CGT...

- Je ne trouve rien d'extraordinaire d'avoir reçu ici M. Krasucki. Lorsqu'il y a une difficulté majeure dans le pays, Il est normal que nous ayons des consultations intersyndicales, ce qui ne veut pas dire que du jour au lendemain les organisations vont changer d'orientation. Cette rencontre nous l'avons eue avec la CGT, aussi avec FO, la CFDT, la CFTC, et le résultat, c'est que demain, l'ensemble du monde syndical à l'exception de la CFDT - qui a décidé de devenir le porte-parole du gouvernement - a décidé de manifester contre la CSG. Qu'il y ait trois cortèges dans Paris, je dis tant mieux. Il faut que les représentants du peuple voient passer le mécontentement de l'ensemble des salariés. Il faut que le pouvoir politique en tienne compte.


Antenne 2 : 14 novembre 1990

Q : Pourquoi êtes-vous contre cet impôt qui va permettre à 80 % des salariés de payer moins pour les prestations sociales ?

-" Parce que ces 80 % sont une vue de l'esprit, la CSG est un impôt nouveau, qui va croître et embellir d'année en année. Des gens du parti socialiste, comme STRAUSS-KAHN, le reconnaissent. A 1,1 % la CSG ne peut pas financer les 13 milliards de déficits de la Sécurité sociale de l'année prochaine. M. ROCARD a expliqué que la CSG était une affaire blanche, il s'agit simplement de transférer 37 milliards à l'intérieur de la Sécurité sociale sans pour autant régler les problèmes de financement de celle-ci. Si la CSG est votée, le problème du financement de la Sécurité sociale restera ce qu'il est."

Q : Le vote du parlement pour augmenter la CSG, n'est-ce pas une garantie supplémentaire ?

-" Absolument pas, car le parlement dans le même temps n'est pas saisi de la problématique financière de la sécu. Le gouvernementt dit, "je mets en place un impôt nouveau, et, du financement de la sécu, de la manière dont la sécu dépense son argent, cela nous en parlerons plus tard". Ca, c'est inadmissible. Le contribuable va être l'imbécile chronique. On lui colle un impôt supplémentaire et puis ensuite, on va s'apercevoir qu'il va falloir l'augmenter parce qu'il y a des dépenses supplémentaires auxquelles il faut faire face."

Q : La plupart de vos cadres ont des salaires moyens inférieurs à ces 15 ou 18 000 francs, donc font partie de ces 80 % qui vont payer moins de cotisations ?

-" Ca c'est l'astuce du gouvernement et c'est en cela qu'il est impardonnable. M. ROCARD s'avance masqué. En parlant de ces 80 %, il ne s'agit que de la première année. Dès l'année suivante, même si l'impôt ne bouge pas, du fait que les cotisations, elles, ne bougeront pas non plus, les salariés vont supporter un prélèvement supplémentaire. C'est cela qui est scandaleux et profondément malhonnête. Je suis partisan de la cotisation sociale généralisée, c'est à dire de l'obligation pour tous les revenus, salariaux ou non, de financer la sécu, mais au travers d'une cotisation, pas au travers d'un impôt. C'est à dire une cotisation déductible de l'assiette imposable. Vous ne trouvez pas que l'on paye assez d'impôt ?

Q : Mais la CSG va dans le sens de l'Europe ?

-" Il ne faut pas se fier aux apparences. C'est vrai quand on regarde en gros. Un ménage sur deux paie l'impôt direct en France. Il y a une concentration du prélèvement fiscal considérable sur 50 % des français avec une progressivité de l'impôt tout à fait atypique. C'est là que cela ne va plus, on en arrive à un prélèvement beaucoup trop important sur des catégories comme le personnel d'encadrement ou comme les professions libérales, qui sont extrêmement surchargées par le poids de l'impôt."

Q : Cela ne vous gène pas de manifester aux cotés de la CGT, contre M. ROCARD ?

-" Ce n'est pas anormal. C'est tout à fait anormal qu'un impôt supplémentaire mette en cause le pouvoir des ménages. C'est la raison pour laquelle j'appelle à manifester cette après-midi.