Interviews de Mme Nicole Notat, secrétaire général de la CFDT, dans "Ouest-France" et à France 3 le 30 avril 1997, sur la loi Robien sur la réduction du temps de travail, l'unité syndicale à l'occasion du 1er mai et la campagne pour les élections législatives de 1997.

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Circonstance : Défilé du 1er mai à Nantes sur le thème "32 heures d'activité"

Média : France 3 - Ouest France - Télévision

Texte intégral

Ouest France : mercredi 30 avril 1997

Ouest France : Notat à Nantes, Blondel à Bordeaux, Viannet à Paris pour le 1er mai. L’unité syndicale a fait long feu ?

Nicole Notat : Je ne crois pas. L’unité sera même plus présente cette année. Sans doute parce qu’il y a un sursaut des syndicats pour faire barrage à l’entrée du Front national dans le monde du travail. Quant à ma venue à Nantes, si elle s’inscrit dans la continuité des 1ers mai CFDT en région, elle traduit surtout notre priorité emploi et réduction du temps de travail. Puisque Nantes a choisi pour thème central les 32 heures.

Ouest France : Le thème que vous souhaitez ancrer sur la campagne électorale ?

Nicole Notat : Oui, d’autant plus que je crains que la réduction du temps de travail ne fasse les frais d’un débat politique qui porterait sur son principe et non sur son application. Trois organismes indépendants (OFCE, BIPE, Bernard Bruhnes Consultants) viennent pourtant de démontrer que la loi Robien est efficace pour l’emploi, bénéfique pour la productivité et offre une occasion d’améliorer l’organisation du travail. Que les patrons qui s’y opposent réfléchissent bien, ils ne retrouveront pas de sitôt une telle opportunité.

Ouest France : Juppé a répondu qu’il garderait la loi Robien ?

Nicole Notat : Je voudrais qu’il ne se contente pas de la garder, sur la pointe des pieds, en restant au stade expérimental. Qu’il mette un peu de plus de punch pour l’amplifier et la généraliser. De même, il serait souhaitable que la gauche évite de tomber dans le piège de modalités trop mécaniques, à la manière désastreuse du passage de la 40e heure à la 39e.

Ouest France : Beaucoup de politiques pensent qu’il faut pourtant adapter la loi ?

Nicole Notat : De grâce, n’arrêtons pas une dynamique qu’on n’a jamais connue et qui démontre son efficacité. Si ajustement il doit y avoir, faisons-le sur la base d’une évaluation et ne nous trompons pas de bilan. On voit trop bien que la faiblesse du dispositif vient de certains chefs d’entreprise paresseux ou peureux. Soit ils n’osent pas aller aussi loin qu’ils le pourraient dans le changement d’organisation du travail, soit ils n’osent pas mettre sur la table la question de la compensation salariale. Or tout doit être sur la table. Si on ne traite pas les trois dimensions – la réduction, son financement, l’organisation du travail – il risque effectivement d’y avoir des effets pervers.

Ouest France : La loi Robien est devenue la potion magique et l’emploi pour la CFDT ?

Nicole Notat : Non évidemment. C’est « un » des moyens mais il y en a d’autres. Et j’aimerais d’ailleurs que les politiques s’en avisent. Tout le monde est d’accord pour la croissance. Mais, sur le comment, il faudrait être plus clair. Ainsi, je trouve la droite bien timorée par rapport à l’Europe. L’Europe et l’euro ne vont pas nous amener automatiquement l’emploi. J’attends donc que la droite, et Jacques Chirac en tête, précise les axes d’une politique européenne de l’emploi et pousse réellement la relance la relance par les grands travaux et le soutien sélectif d’activités, toujours promis, jamais réalisés.

Ouest France : La gauche propose une relance, mais pas le pouvoir d’achat…

Nicole Notat : En soi, l’idée de donner plus d’argent n’est pas contestable. Mais la question est de savoir si c’est efficace pour l’emploi. Je dis : attention ! Ne gâchons pas l’argent dont nous avons besoin par des affectations qui ne se révéleront pas aussi efficaces qu’on pourrait le penser. La vérité, c’est qu’il y a beaucoup trop de gens – chômeurs, RMistes, temps partiels, imposés – qui sont en sous-pouvoir d’achat. C’est cela qui tire la croissance vers le bas. Voilà pourquoi il faut inverser la fin et les moyens. C’est en réinsérant les exclus et en leur donnant du pouvoir d’achat qu’on relancera la consommation et les activités. Pas en produisant de l’épargne supplémentaire.

Ouest France : Quelle première mesure attendez-vous du futur gouvernement ?

Nicole Notat : Outre l’amplification de la réduction du temps de travail, je souhaite la poursuite de la réforme de l’assurance maladie, c’est-à-dire la réforme du financement des entreprises pour qu’il y ait une meilleure adéquation entre le financement de la protection sociale et l’emploi. J’ai d’ailleurs trouvé, sur ce point, un allié inattendu en la personne de Charles Pasqua puisqu’il affirme qu’il ne faut plus faire peser les charges des entreprises sur les salaires mais sur la valeur ajoutée.

Ouest France : Comment appréciez-vous l’engagement du CNPF derrière Jacques Chirac ?

Nicole Notat : Si le CNPF adhère à la limitation des heures supplémentaires que Juppé propose et qu’il a rejetée, s’il accepte la moralisation annoncée du temps partiel et qu’il a refusé de négocier, si la loi Robien devient son credo, ce seraient des changements significatifs de la part du CNPF qui m’importent plus qu’un engagement politique qu’il est libre d’exprimer.


France 3 : mercredi 30 avril 1997

E. Lucet : Cette baisse du chômage est le début de l’amélioration, ou c’est un bon argument électoral, selon vous ?

N. Notat : Soyons prudents. Ce n’est ni un argument électoral, ni le début d’une amélioration suffisante. Ce sont des fluctuations que l’on connaît depuis plusieurs mois. Ce qui prouve qu’il faut faire beaucoup plus et beaucoup plus fort dans les vraies solutions à trouver pour réduire le chômage.

E. Lucet : Demain, vous allez défiler pour le 1er mai, et, pour la première fois depuis longtemps, tous les syndicats ont décidé de faire un défilé unitaire. Pourquoi l’unité a-t-elle primé cette année ?

N. Notat : Non, elle n’a pas primé partout. A chaque fois qu’elle peut primer c’est bien, dès lors que les thèmes sont clairs, que les objectifs sont communs aux organisations syndicales, et le 1er mai se prête effectivement à ça. Mais le 1er mai se prête aussi à des initiatives plus originales, plus festives. C’est le cas aujourd’hui à Nantes, et j’avais été invitée par cette région et par cette ville à faire le 1er mai sur le thème « 32 heures d’activité », de festivités pour les 32 heures. Vous pensez bien que sur un thème, où la CFDT est à ce point identifiée, je n’ai pas hésité une seconde à être à Nantes sur cet objectif du 1er mai.

E. Lucet : Ce 1er mai unitaire n’est-il pas une réponse au Front national ?

N. Notat : A Paris je crois que si, et c’est bien. Je crois que ce qui s’est passé à Paris c’est la prise de conscience des syndicats, la prise de conscience des salariés, que le Front national cherchait maintenant à s’infiltrer dans le monde du travail, cherchait à faire entrer ses idées obscurantistes, ses idées de haine et de violence dans les entreprises, c’est évidemment insupportable pour les organisations syndicales. Donc, nous sommes bien à notre manière, dans notre rôle quand nous disons : non, à l’introduction du Front national dans le monde du travail.

E. Lucet : Qu’est-ce que vous avez pensé de l’attitude de J. Gandois, le patron des patrons, qui a un petit peu pris position dans cette campagne ? Est-ce que, vous aussi, vous allez prendre position par exemple ?

N. Notat : Vous connaissez déjà ma réponse. Vous savez très bien que la CFDT ne prendra pas position pour un camp ou pour un autre. Pour autant, la CFDT n’entend pas être neutre dans le débat politique, car les questions qui sont au cœur de la campagne électorale ce sont les questions de la société, ce sont les questions que les gens vivent au jour le jour, ce sont les questions du chômage, ce sont les questions de l’exclusion, c’est l’Europe à construire. Autant de questions qui nous intéressent parce qu’elles intéressent les salariés. Donc, la CFDT s’exprime et continuera à s’exprimer du pont de vue qui est le sien, d’organisation syndicale qui prend en charge ces questions, parce qu’elle a envie de vrais changements, de vraies transformations sur ce qui est intenable dans la vie sociale française aujourd’hui. Voilà, donc nous le faisons, du point qui est le nôtre, du côté des gouvernés. Les politiques le font, bien sûr, du côté des gouvernants quand ils aspirent à le devenir.