Texte intégral
RTL : Au moment où vous redevenez président de l’Assemblée nationale, quelle ambition avez-vous pour les députés ?
Laurent Fabius : Préparer l’Assemblée nationale de l’an 2000. C’est le fond et c’est à cela que je vais faire tendre tous mes efforts.
RTL : Concrètement ?
Laurent Fabius : Concrètement, cela veut dire cinq changements. Premièrement, plus de femmes. C’est commencé mais il va falloir aller plus loin. Plus de femmes à l’Assemblée mais aussi plus de femmes dans l’ensemble des fonctions électives. Deuxièmement, moins de cumul de fonctions. Dans la ligne de ce que nous avons déclaré dans la campagne électorale, il va falloir prendre des dispositions pour qu’on ne puisse plus cumuler des mandats importants.
RTL : Vous allez rester maire du Grand-Quevilly ?
Laurent Fabius : Si c’est autorisé par la nouvelle législation, oui. Sinon, je me plierai bien sûr à la nouvelle loi. Troisièmement, plus d’initiative venant des parlementaires. C’est quelque chose que l’on dénonce depuis très longtemps, les parlementaires sont bridés dans leurs initiatives, il faut donc ouvrir des créneaux pour que la loi puisse venir d’eux. Quatrièmement, un meilleur contrôle et cela joue pour tous les parlementaires, y compris bien sûr ceux de l’opposition, pour faire en sorte qu’ils puissent déposer des commissions d’enquête, que la Cour des comptes joue son rôle, etc. Cinquièmement, davantage d’ouverture aux citoyens en faisant jouer en particulier les nouvelles technologies. Si on fait cela, à savoir plus de femmes, moins de cumul, plus d’initiative parlementaire, un meilleur contrôle et plus d’ouverture, on aura une Assemblée nationale qui remplira vraiment son rôle par rapport au siècle qui vient.
RTL : Vous avez été déjà une première fois président de l’Assemblée nationale. Est-ce que les députés vous paraissent dans un autre état d’esprit qu’à la fin des années 80 ?
Laurent Fabius : Il y a deux grandes différences. D’abord, le contexte politique est différent puisqu’aujourd’hui, on est en cohabitation. La légitimité du Premier ministre trouve sa source forte dans l’élection des députés. Il y a une diversité des groupes, vous l’avez remarqué. Et donc, je crois que la vie politique va davantage se centrer à l’Assemblée. C’est la première différence. Deuxième différence : pour répondre précisément à votre question, les députés n’ont pas le même sentiment qu’avant. J’ai rencontré beaucoup de députés qui sont très marqués par leur campagne électorale où l’électorat leur a dit « on vous fait confiance mais ne décevez pas ; on vous élit sur un contrat précis, pas pour faire n’importe quoi, pas pour contester systématiquement ou applaudir systématiquement ; vous avez une obligation de résultat et une obligation de moyens ». Ce sont des députés qui veulent que cela réussisse mais qui sont extrêmement vigilants.
RTL : De son côté, L. Jospin a recommandé aux membres du Gouvernement discrétion et confidentialité sur le travail gouvernemental. Est-ce que vous ne craignez pas que cela empêche les députés d’exercer leur droit de contrôle ?
Laurent Fabius : Non, je ne crois pas du tout. De la même façon, L. Jospin a insisté, et il a eu raison, sur la liaison nécessaire à établir avec les parlementaires. Et il nous l’a répété encore en venant devant notre groupe, il y a deux jours. Donc, il faut de la modestie, il faut de la discrétion. Cela vaut non seulement pour les membres du Gouvernement mais pour tous les responsables politiques, y compris les députés. Il faut en même temps, une bonne symbiose avec les parlementaires.
RTL : Vous regrettez qu’il n’engage pas la responsabilité de son gouvernement après son discours de politique générale du 19 juin prochain ?
Laurent Fabius : Je crois qu’il le fera.
RTL : On nous a laissé entendre qu’il ne le ferait pas.
Laurent Fabius : Vous avez certainement des informations de bonne source. Moi, je n’ai pas eu d’échange directs avec lui sur ce sujet. De toutes les manières, la décision lui appartient.
RTL : Dans son projet préparé au printemps 1996, il y a un an, le Parti socialiste avait intitulé son texte « parlementariser le régime ». Cela peut aller jusqu’où, cela ?
Laurent Fabius : Il faut bien que l’on sache – ce que l’on a un peu oublié – que la France est à la fois une république semi-présidentielle et semi-parlementaire. Cela veut dire que les débats principaux doivent avoir lieu à l’Assemblée nationale.
RTL : Plutôt que dans la rue ?
Laurent Fabius : J’ai dit hier à l’Assemblée : plus et mieux nous débattrons ici, moins on s’affrontera au dehors. Et il faut donc essayer de recentrer le débat sur l’Assemblée. Cela a une autre conséquence. Vous savez que l’on multiplie la création commissions de ceci, de commissions de cela où, systématiquement, on exclut les élus. Je crois qu’il ne faut pas tomber dans ce travers. Les élus doivent pouvoir se saisir de tous les sujets. Les élus ne doivent pas s’occuper simplement de sujets politiciens. Ils doivent s’occuper de tous les sujets importants pour les citoyens.
RTL : Recentrer les débats sur l’Assemblée nationale, cela veut donc dire que vous comptez aussi sur l’opposition ?
Laurent Fabius : Bien sûr et là, il va y avoir aussi une novation. Quand vous regardez la composition de l’Assemblée, les principaux leaders vont se trouver soit au Gouvernement soit à la tête des différents groupes. Le Parlement, c’est la parole originellement – ce n’est pas seulement la parole, c’est l’action mais c’est la parole – et donc, je crois que tout le monde gagnerait à ce que le débat sur les sujets qui intéressent les Français ait lieu d’abord à l’Assemblée, avec bien sûr un relais des médias, mais l’Assemblée c’est le cœur de la démocratie.
RTL : Dans son projet de l’année dernière, le Parti socialiste proposait également qu’un certain nombre de députés soient élus de manière complémentaire sur une liste nationale proportionnelle. Est-ce un projet que vous entendez pousser ?
Laurent Fabius : C’est la question d’une réforme éventuelle du mode de scrutin. Je pense que ce n’est pas la première chose que le Gouvernement va prendre comme disposition. Mais c’est vrai que la position du Parti socialiste est qu’il faut un scrutin majoritaire car il faut bien qu’il y ait une majorité pour soutenir le Gouvernement mais il faudrait aussi que les diversités et les tendances soient représentées. Donc, pourquoi pas un complément proportionnel. Mais je ne pense pas qu’on fera cela dans les dix jours.
RTL : Le 19 juin prochain, L. Jospin va faire sa déclaration de politique générale qu’en attendez-vous ? Des détails ? Des annonces ? Une grande orientation ?
Laurent Fabius : D’abord, un mot sur la façon dont le Gouvernement a débuté son travail. Je pense que le Gouvernement de L. Jospin a pris un bon départ. Deuxièmement, ce qui me frappe aussi, en ayant des contacts avec différents milieux, des gens qui ont voté pour nous ou pas voté pour nous d’ailleurs, c’est que les gens, cette fois-ci, souhaitent que cela marche. Il y a beaucoup d’alternance, de changements, beaucoup de tournis et les gens se disent qu’ils ont un nouveau gouvernement, une nouvelle équipe, une nouvelle majorité et ils pensent que ce serait bon pour la France que cela réussisse. Ce sont les éléments qui me frappent. Le discours de politique générale, c’est toujours un moment très important. Je crois qu’on attend à la fois que le cap soit fixé, parce qu’il y a la question de quel est le projet pour la France ? Qu’est-ce que va devenir la France à moyen terme ou à long terme ? Et puis, quelles sont les mesures qui peuvent être prises ? Quel calendrier ? Quel style ? On voit déjà le style que L. Jospin voudra imprimer à son gouvernement et je crois qu’il doit être étendu à toute la vie politique, à savoir transparence, modestie, humilité et, en même temps, agir puisqu’on on a été élu pour cela.
RTL : À la fin des années 80, vous aviez mis l’accent sur la défense des droits de l’homme à travers le monde. C’était l’époque qui voulait cela, alors cette fois-ci ?
Laurent Fabius : Pas seulement à l’époque. C’est une constante. Je pense personnellement, et parce que c’est la vocation de la France, qu’il faut continuer à mettre l’accent sur la défense des droits de l’homme. Je voudrais aussi que l’Assemblée devienne une vitrine active des nouvelles technologies en France et dans le monde parce que là est la clef du futur.
RTL : L’utilisation du multimédia ?
Laurent Fabius : Multimédia et toutes les nouvelles technologies parce que la clef est là.