Interviews de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, à RTL le 2 mai 1997, RMC les 5 et 28, France 2 les 8, 22 et 30, Europe 1 le 15, et France-Inter les 21, 22 et 26 mai, sur l'éventualité de la victoire de la gauche aux élections législatives, les conditions de la participation des communistes au gouvernement, les propositions du PCF, et sur les résultats du premier tour.

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Circonstance : Elections législatives des 25 mai et 1er juin 1997

Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - France Inter - RMC - RTL

Texte intégral

RTL – Vendredi 2 mai 1997

O. Mazerolle : Est-ce que la victoire de Tony Blair en Grande-Bretagne constitue un résultat encourageant pour la gauche ?

R. Hue : En tous les cas, c’est un résultat satisfaisant pour tous ceux qui se battent contre l’ultralibéralisme et notamment là-bas. Ce pays a connu une purge sociale affreuse avec une politique menée depuis des années et des années. Aujourd’hui, il a choisi de tourner la page. Je ne suis pas sûr que Tony Blair apporte de grands changements dans toute une série de domaines de la politique économique et sociale conduite en Angleterre. Mais il reste que, c’est vrai, mettre un terme au thatchérisme es une chose importante.

M. Cotta : Quand vous parlez de gauche fadasse, est-ce que c’est une gauche type Tony Blair avec ses concessions à la modernité, à la flexibilité, à la loi du marché ?

R. Hue : Je ne pense pas que Tony Blair se réclame systématiquement de gauche. Il se réclame davantage du centre que de gauche. Moi, ce que je pense, c’est qu’il ne s’agit pas d’aménager la société capitaliste aujourd’hui, il s’agit de la dépasser à bien des égards et il faut une gauche bien à gauche. Et en France, je m’inscris dans cette démarche de l’apport communiste à la gauche pour qu’elle soit porteuse de vrais réformes, de vrais changements à gauche.

O. Mazerolle : Est-ce que vous pouvez nous dire en quoi l’idée communiste est moderne ?

R. Hue : Je pense que l’idée communiste est moderne parce que, quand elle est désormais complètement dégagée de la caricature de ce qu’a été le communisme dans d’autres périodes, à l’Est notamment, elle est une idée de partage. Elle est une idée où l’homme est au cœur du mouvement, de la société. D’ailleurs je conçois volontiers que des hommes, des femmes mettent derrière des valeurs un autre mot que le mot communisme pour appeler à une société aussi humaniste que celle que j’essaie de faire avancer. Mais il est évident que le communisme, oui, c’est une idée moderne et une idée bien française.

O. Mazerolle : Lorsque vous avez préparé la déclaration commune avec le Parti socialiste, Lionel Jospin n’est pas venu avec vous la présenter devant la presse. Il semble parfois considérer que vous êtes un allié encombrant. Vous avez la sensation de gêner ?

R. Hue : Pas vraiment. J’ai le sentiment que le Parti communiste, dans cette situation, a joué un rôle tout à fait nouveau. Il a été très utile à ce que la gauche puisse arriver à cette déclaration commune entre le Parti socialiste et le Parti communiste. Et quand on regarde cette déclaration, on voit que, notamment sur l’Europe et sur un certain nombre de questions – des idées que défendait depuis bien longtemps le Parti communiste pour que les changements proposés en France soient des changements bien à gauche…

O. Mazerolle : Vous n’avez pas la sensation de plomber – pardon de l’expression – les chances du Parti socialiste de reprendre le pouvoir ?

R. Hue : Je pense que, pour le Parti socialiste, un Parti communiste qui serait plus fort dans cette société française est un élément essentiel de la mise en œuvre…

O. Mazerolle : Et cela sert à quelque chose de voter communiste ?

R. Hue : Bien sûr. Peut-on imaginer – les observateurs que vous êtes peuvent le noter – une majorité de gauche en France sans le Parti communiste ? C’est impossible aujourd’hui. Il n’y aura pas de majorité à gauche, dans quelques semaines, sans le Parti communiste, sans un renforcement du Parti communiste. Et le Parti communiste apporte ce souffle de gauche nécessaire. Il me semble qu’il donne du punch au Parti socialiste aussi quelquefois. J’ai dit à Lille, il y quelques semaines : il faut que la gauche se bouge. Je crois que la gauche est en train de se bouger.

M. Cotta : Est-ce que vous ne craignez pas que votre volonté d’appartenir, de vous présenter comme appartenant aux partis de gouvernement, à la « bande des quatre », comme dirait monsieur Le Pen, peut ramener les sceptiques, les mécontents de prendre votre parti dans le giron de monsieur Le Pen ?

R. Hue : Au contraire, dans cette élection, le vote communiste est porteur, certes, de solutions constructives – j’ai des propositions importantes au plan économique et social – mais il porte aussi la colère, la révolte. Il y a, dans le vote communiste, incontestablement le vote – même si nous n’en avons pas le monopole – de ceux qui veulent se faire entendre, se faire respecter. Il faut voir que cette société souffre actuellement. Il y a des gens qui sont atteints dans leur dignité dans le monde du travail. Il faut que ce monde du travail se sente en situation d’être représenté dans le pouvoir, dans la situation nouvelle. Et le Parti communiste peut être l’un des représentants de ce monde du travail. Chacun sait bien, nous avons nos qualités, nos défauts mais nous sommes porteurs, bien souvent, de cette démarche des salariés et des citoyens qui veulent se faire entendre.

O. Mazerolle : Cette démarche que vous venez de définir a provoqué, dans les rangs même du Parti communiste, une vive controverse sur la possibilité de rentrer au gouvernement. Y a-t-il maintenant, unanimité, au Parti communiste, de participer à un gouvernement de la gauche ?

R. Hue : Écoutez, il y a une question de principe et une question conjoncturelle. La question de principe – on en a discuté au congrès du Parti communiste – nous pensons qu’il ne peut pas y avoir une vraie politique de gauche, des vrais changements à gauche conduits dans ce pays sans la participation des communistes. Ce qu’il y a, c’est qu’il convient qu’il y ait une majorité de gauche avant d’imaginer ce que pourrait être un gouvernement avec des communistes et c’est une question qui n’est pas aujourd’hui à l’ordre du jour. Elle sera peut-être à l’ordre du jour dans trois semaines mais pour le moment, elle n’est pas à l’ordre du jour.

O. Mazerolle : Vous avez dit qu’il y aurait de toutes manières une consultation des communistes avant de décider s’il y aura participation ou pas ou gouvernement en cas de victoire de la gauche. De quelle manière se déroulera cette consultation et quand se déroulera-t-elle ?

R. Hue : Je pense que, dès le lendemain du second tour, s’il s’avère que – et très positivement – la gauche est majoritaire, eh bien, il y aura immédiatement une consultation des communistes. Ce n’est pas la première fois.

O. Mazerolle : De quelle manière ? un congrès ?

R. Hue : Un congrès, non. Les délais ne le permettent pas. Mais il est évident qu’il y a un mode de consultation des communistes à travers leurs organisations, que nous avons déjà utilisé dans d’autres périodes et que nous utiliserons. Entre les deux tours de l’élection présidentielle, le choix que nous avons fait a été discuté par les communistes.

O. Mazerolle : Et la réponse sera donnée en combien de temps ?

R. Hue : Très rapidement. Vous savez, les communistes sont très mobilisés dans cette campagne électorale. En quelques heures, dans une situation, dans une conjoncture bien singulière et positive que serait celle d’une victoire de la gauche, la consultation pourrait se faire rapidement.

M. Cotta : Mais quels rôles reviendraient à vos ministres, vous proposeriez quoi à cette consultation ? Est-ce que le Parti communiste accepterait n’importe quels postes ou plutôt les ministères sociaux ?

R. Hue : Je vois tout l’intérêt de votre question mais j’avoue qu’on n’en est pas là. La question qui est posée aujourd’hui, c’est : est-ce que, par le vote communiste, un vote renforcé du Parti communiste, utile du Parti communiste, la gauche va gagner ? Parce que, pour le moment ce qu’il faut, c’est que la gauche gagne, on ne va pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué en quelque sorte. Il faut donc que la gauche se mobilise et, dans cette gauche, on voit que la mobilisation du Parti communiste est essentielle. Par exemple, vous dites : le rôle des ministres communistes, le rôle des communistes ? Le rôle des communistes, cela va être de donner du souffle à la gauche.

M. Cotta : Vous croyez que sans vous, il n’y en a pas ?

R. Hue : Je pense à qu’il y en a peut-être mais il y en a un peu plus quand les communistes sont plus forts. Et l’histoire vient de le montrer. Ces quinze dernières années, l’absence d’un Parti communiste suffisamment fort, suffisamment influent a empêché que…

O. Mazerolle : Il y a quelque chose qui n’est pas claire dans notre esprit. Au XXIXe congrès, vous avez dit que vous conceviez l’action des élus et des ministres communistes éventuels comme autant de « relais citoyens ». Cela veut dire quoi ? Qu’ils seront porteurs de revendications sociales et qu’ils seront eux-mêmes revendicatifs au sein du gouvernement ou bien seront-ils des gestionnaires du pays ?

R. Hue : Je pense qu’il faut modifier la conception du pouvoir, de la pratique gouvernementale. Et les communistes, où qu’ils soient, de l’assemblée territoriale locale jusqu’au gouvernement, entendent effectivement porter la parole citoyenne, l’expression des citoyens.

O. Mazerolle : Concrètement ?

R. Hue : Concrètement, je pense que s’il y a un mouvement social, s’il y a des engagements sur des grandes réformes sociales, le ministre communiste devrait être celui qui stimulera pour que ces mesures sociales soient bien mises en œuvre et que l’on tienne les engagements.

O. Mazerolle : En contradiction éventuellement avec la politique définie par le Premier ministre ?

R. Hue : L’essentiel est de ne pas être en contradiction avec le peuple.

M. Cotta : Justement, sur l’Europe, est-ce que cela a été un point d’achoppement avec le Parti socialiste ? Est-ce que l’organisation d’un référendum est une condition pour l’entrée des communistes au gouvernement ?

R. Hue : D’abord sur l’Europe : vous avez noté, dans la déclaration commune du Parti communiste et du Parti socialiste, des évolutions importantes. Je crois que personne ne peut négliger ce qui s’est passé, notamment du côté du Parti socialiste, avec la prise en compte par Lionel Jospin qu’aujourd’hui, si la mise en œuvre des critères de Maastricht conduisait à davantage d’austérité, elle ne pouvait pas être retenue comme essentielle. Donc, aujourd’hui, il y a une situation nouvelle.

M. Cotta : Ce n’est pas une prise en compte électorale ?

R. Hue : Je ne pense pas. Je pense qu’il y a effectivement, dans l’opinion publique, une telle prise de position par rapport à l’Europe ultralibérale que le Parti socialiste doit en tenir en compte et je m’en félicite. Et qui ne voit pas que, dans la prise de position du Parti socialiste, il y a le poids du Parti communiste ? Nous avons récupéré 700 000 signatures en quelques mois.

O. Mazerolle : La question de M. Cotta était très précise : est-ce que vous faites de l’organisation du référendum sur la monnaie unique une condition de l’entrée des communistes au gouvernement ?

R. Hue : Je pense qu’il faut, le moment venu, consulter les Français par voie de référendum. Mais vous voulez m’enfermer dans une situation dont nous pourrons parler, monsieur Mazerolle, si la gauche est majoritaire au lendemain du deuxième tour ! Pour le moment, elle n’est pas majoritaire. Il faut qu’elle gagne les élections. Je vous promets que, sur ces questions, il y aura un accord de gouvernement si c’est nécessaire. Pour le moment, on n’est pas dans cet accord de gouvernement. Pour répondre précisément à votre question, je reste complètement engagé sur l’idée qu’il faut effectivement consulter les Français par voie de référendum, que l’Europe maastrichtienne ultralibérale est mauvaise pour la France, que l’on ne peut pas prendre une décision aussi sérieuse et grave politiquement que l’euro sans une consultation des Français. Et je pense que la voie du référendum est la meilleure.

M. Cotta : Alain Juppé a parlé de ce qu’il ferait dans les quarante premiers jours. Quel est votre programme dans les quarante premiers jours ? Par quelle réforme commenceriez-vous ? Par la hausse du Smic ? Par la réduction du temps de travail ?

R. Hue : Je pense qu’il faut donner un coup de fouet immédiat à l’économie par une relance nette, forte et par la consommation. Cela veut dire que je pense que, dès juillet, il faut augmenter le Smic de 1 000 francs, avec une répercussion aussi sur la grille des salaires. Cela coûte 39 milliards. Nous avons fait des comptes et cela ne fait que 10 % des dividendes versés par les entreprises aux actionnaires de leur société. Donc, tout cela est tout à fait crédible. Relance donc de l’économie par le Smic. Il y a une petite différence, je la souligne, avec le Parti socialiste : nous pensons qu’il faut également améliorer sensiblement, dès le départ, les retraites et les pensions. Là-dessus, il y a une différence. Deuxième idée très importante, me semble-t-il : dès le début de la législature, il faut réduire la durée du temps de travail hebdomadaire à 35 heures et sans diminution de salaire.

O. Mazerolle : Et applicable immédiatement ?

R. Hue : Oui, parce qu’une demie mesure n’aurait pas d’incidence suffisante sur l’économie et l’emploi et serait mangée par la productivité. On sait qu’en 1981, les 39 heures ne se sont pas traduites par une amélioration.

O. Mazerolle : Dominique Strauss-Kahn parle, ce matin dans « La Tribune », de l’application de cette mesure en trois ans.

R. Hue : Dominique Strauss-Kahn défend le programme du Parti socialiste pour le moment. Le programme qui sera mis en œuvre par un gouvernement de gauche, sera ou serait déterminé en commun au lendemain du deuxième tour des élections. Il faut savoir que cette gauche est pluraliste. Il faut qu’on se le dise et les Français le savent bien. À la différence de la droite, nous jouons cartes sur table avec les Français. Nous montrons nos convergences, qui sont nombreuses, mais nous n’allons pas cacher nos différences. Nous allons à la bataille avec nos programmes et, aujourd’hui, on ne peut pas identifier la politique de gauche qui serait mise en œuvre à celle du seul Parti socialiste.

M. Cotta : Vous ne pensez pas que les 35 heures puissent être mises en vigueur en trois semaines ou en trois mois ?

R. Hue : Je ne dis pas cela. Je dis que, dès le début de la législature, cette mesure devra s’engager sinon on ira à des déceptions. On ne pourra pas tenir les engagements pris.

O. Mazerolle : Autre mesure spectaculaire que propose le Parti communiste : donner aux comités d’entreprise et aux salariés un pouvoir de suspension des mesures de licenciement dans les entreprises. Est-ce que vous ne craignez pas, si cette mesure était instaurée, qu’il y ait tout simplement une grève de création d’entreprises en France ?

R. Hue : Je ne crois pas. Je pense que déjà, cela serait très salutaire pour l’emploi. Vous savez, 35 000 à 40 000 licenciements sont annoncés dans les différents plans sociaux qui sont en préparation aujourd’hui. Je pense donc que si les salariés avaient un droit suspensif en la matière, ce serait très efficace parce qu’on pourrait imaginer, et c’est cela l’idée, de faire des contre-propositions en matière de plan social. Vous savez, on a toujours unilatéralement la thèse patronale dans les plans sociaux, il faut aussi que les salariés puissent donner leur sentiment. Regardez dans les grandes luttes qui ont eu lieu dans les banques ou autre : on a vu, dans les mouvements sociaux, apparaître des propositions concrètes venant des salariés. L’apport du Parti communiste, c’est, comme je disais tout à l’heure, l’émergence du monde du travail dans un gouvernement de gauche. Nous voulons porter ces droits nouveaux nécessaires des salariés. Par exemple, on imagine parfois qu’il peut y avoir – je crois que le Parti socialiste retient cette idée – le rétablissement de l’autorisation administrative de licenciement. Donc, nous disons : on voit bien qu’à 80 %, cette autorisation administrative de licenciement n’est pas très efficace dans la situation aujourd’hui. Donc il faut penser à compléter et à imaginer des dispositions nouvelles. Et ce droit des salariés d’intervention suspensif sur les plans sociaux me semble participer de ce droit.

M. Cotta : Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer aujourd’hui que le gouvernement se prépare à un plan de rigueur et d’austérité ?

R. Hue : Mais je crois que, tout simplement, la mise en œuvre des critères de Maastricht tels que le gouvernement s’est engagé à les respecter, ces critères ultra-libéraux vont se traduire – et d’ailleurs Alain Juppé le dit – par le fait qu’il faudra encore faire baisser la dépense sociale et les déficits publics – comme il dit – dans un sens économique…

M. Cotta : Les impôts aussi, dit-il ?

R. Hue : Oui, mais écoutez les impôts que nous propose de baisser Alain Juppé ! Je voudrais bien qu’il soit davantage tourné vers ceux qui aujourd’hui sont épargnés, c’est-à-dire les puissances financières, les gens qui, dans ce pays, participent des revenus financiers les plus importants et qui ne sont pas imposés. Ce n’est pas dans le réforme de Juppé. Par contre, moi je propose immédiatement, avec le Parti communiste, que l’on baisse de deux points la TVA et que l’on supprime la TVA sur les produits de première nécessité que les gens voient comme un élément de restriction, bien souvent, à leur possibilité de consommation. Il y a là des choix à faire. J’entends Juppé parler de société de participation. Mais c’est la participation, en fait, du budget de l’État à la fuite en avant spéculative. Ce sont des milliards que l’on donne du budget de l’État aux puissants. C’est une participation des plus modestes à l’enrichissement des plus riches !

O. Mazerolle : Vous croyez que dans le monde d’aujourd’hui, l’État peut s’impliquer davantage dans la conduite de l’économie, des affaires et des entreprises ?

R. Hue : Je crois que l’État a un rôle à jouer qui ne soit pas un rôle centralisateur mais un rôle à jouer comme stimulant de la solidarité dans un pays comme la France. Moi, je suis pour passer d’une France précaire, comme aujourd’hui, à une France solidaire. Ça veut dire que l’État a un rôle à jouer en la matière. Ça ne doit pas être le tout État, je suis pour une participation décentralisée au maximum mais, en tout état de cause, oui l’État doit remplir sa fonction d’élément de solidarité.

O. Mazerolle : Ce matin, aujourd’hui à trois semaines du premier tour, vous avez la foi, vous croyez vraiment que la gauche va gagner ?

R. Hue : Je pense que ça se traduit dans mes propos. Mais je pense que la gauche peut gagner. Elle a commencé à bouger. Si le Parti communiste arrive avec d’autres, pas seul, mais si le Parti communiste arrive à être suffisamment influent pour pouvoir faire passer ce souffle de gauche nécessaire, la gauche peut gagner.


RMC – Lundi 5 mai 1997

P. Lapousterle : La campagne officielle a commencé il y a quelques heures. L’écart droite-gauche semble se resserrer. Est-ce que vous pensez, les yeux dans les yeux, comme dit l’autre, que la gauche peut l’emporter en France dans quelques semaines ?

R. Hue : Oui, je pense que la gauche peut l’emporter. Ce qu’il y a, c’est qu’il reste vingt jours de campagne qui peuvent changer beaucoup de choses, mais incontestablement, je sens, notamment depuis quelques jours, une certaine dynamique qui s’engage, là, sur le terrain. Les responsables politiques sont sur le terrain, dans les circonscriptions et c’est très bon d’ailleurs. Il y a là quelque chose qui se passe. Il reste beaucoup d’indécision, et de scepticisme, pourquoi ne pas le dire ? Mais, c’était valable il y a huit jours. Je sens une petite chose qui bouge là. En tous les cas, je crois, pour ce qui concerne la gauche, l’accord sur les grandes orientations entre le Parti socialiste et le Parti communiste, que beaucoup de gens – je pense à l’électorat communiste que je rencontre davantage – ont senti l’utilité du Parti communiste dans cette campagne. Une utilité un peu nouvelle, un peu inédite où on sent que, là, le Parti communiste peut contribuer à la réussite de la gauche, et il entend le faire. Tout cela fait bouger un peu. Effectivement, cela se sent dans les sondages, vous le disiez. Les intentions de vote pour le Parti communiste s’améliorent sensiblement.

P. Lapousterle : Est-ce que cela vous inquiète qu’un gros tiers des Français ne sont pas encore intéressés par la campagne, ou mieux encore, ils le disent souvent, n’ont envie de voter ni pour un camp ni pour l’autre ?

R. Hue : Oui, ce n’est pas bon qu’il y ait cette indécision. Alors, tient-elle effectivement aux conditions de l’élection, les conditions dans lesquelles cette dissolution a été engagée – les Français, après tout, ne s’y attendaient pas – ou n’y a-t-il pas, là, l’expression de quelque chose de bien plus grave dans les rapports entre la politique et les citoyens eux-mêmes, c’est-à-dire qu’on avait senti une exacerbation de la crise de la politique où les Français veulent que les engagements soient tenus ? Ils ont été déçus dans les années 1981 par la gauche et le Parti socialiste, ils ont été déçus par Jacques Chirac après 1995. Il y a là un scepticisme.

P. Lapousterle : Est-ce raisonnable, fondé ?

R. Hue : Oui, à bien des égards, on comprend. D’ailleurs, les gens qui sont sceptiques aujourd’hui, qui s’interrogent encore, ne sont pas des gens qui sont dans le contingent des abstentionnistes habituels, c’est-à-dire des gens qui s’écartent des élections en général. Là, il y a des gens qui votent traditionnellement et qui disent : il faut que ce soit utile. Et donc, je crois que cela ouvre un champ. Nous sommes à 20 jours et le champ est ouvert. De ce point de vue, en ce qui concerne le Parti communiste, je me faisais la réflexion hier : regardez tous ces gens qui ont été dans le mouvement social en 1995, dans les luttes. J’entendais les chauffeurs routiers, ce matin, qui sont très mécontents que l’on ne tienne pas les engagements pris. Tout ce mécontentement, cette émergence sociale, comment va-t-elle s’exprimer ? Je dis qu’elle peut s’exprimer avec le bulletin de vote communiste, naturellement, mais on n’a pas le monopole. Il reste qu’il faut que cette colère, cette révolte puisse être entendue quelque part. Il y a, dans le scepticisme, non pas une sorte de repli nonchalant mais il y a parfois une certaine révolte.

P. Lapousterle : On dit que le président de la République pourrait intervenir plus vite que prévu, dès cette semaine. Est-ce que vous êtes impatient de l’entendre ?

R. Hue : Impatient, non, mais on voit bien que le président de la République se sent obligé d’intervenir dans cette campagne, à nouveau. C’est la deuxième fois qu’il intervient. La première, cela a été une décision très politique de sa part, et unilatérale : celle de dissoudre l’Assemblée. Là, il interviendra à nouveau, cela ne peut pas être simplement être pour un discours général au-dessus du débat électoral. Il va donc s’impliquer pour défendre la majorité sortante. Il va certainement devoir s’engager davantage.

P. Lapousterle : Est-ce qu’il y a des risques pour lui ?

R. Hue : Je pense qu’il a autant de risques dans cette accentuation de son intervention qu’il y en a eu, dès le départ, dans la dissolution. Il est évident que les Français doivent, aujourd’hui, réfléchir – et ils le savent d’ailleurs – aux raisons qui ont conduit à la dissolution. Pourquoi il y a eu cette dissolution ? Parce que le président de la République – il le cache aujourd’hui – se prépare à un plan d’austérité terrible dans ce pays pour mettre en œuvre les critères de Maastricht et à partir de là, les Français doivent sanctionner cette politique-là. Alors, je pense que cette intervention ne sera pas sans donner à la campagne des éléments nouveaux, une dimension nouvelle, une radicalité nouvelle.

P. Lapousterle : Dans la déclaration commune, on lit qu’il y aura 700 000 emplois pour des jeunes, 35 heures payées 39 et un Smic augmenté de 1 000 francs avec une relance du pouvoir d’achat. Si on vous dit que les Français ne vous croient pas quand on leur promet tout cela, précisément à cause de ce que vous disiez tout à l’heure. Ils en ont tellement entendu. Cela leur paraît trop beau pour être vrai.

R. Hue : Absolument. Paradoxalement, je vais vous dire oui, parce que si on se contente de dresser cette liste et c’est un débat que nous avons avec le Parti socialiste… Ce sont des propositions qui sont tout à fait essentielles avec l’idée – je le dis pour le Parti communiste – que je souhaite que les propositions de la gauche soient beaucoup plus concrètes encore, parce qu’il ne suffit pas d’évoquer une relance de la consommation. Moi, je dis clairement qu’il faut augmenter le Smic, en juillet, de 1 000 francs avec répercussion sur les salaires et je dis où on prend l’argent. Parce que si on ne dit pas où on prend l’argent, si on ne dit pas avec quels moyens… Par exemple, pour le Smic, je sais que cela coûte 39 milliards mais je dis : voilà, il y a eu l’an dernier 166 milliards d’exonération sur les revenus du capital, 70 % des revenus du capital ne sont pas imposés dans ce pays, si on s’en prend un peu à ces revenus, on aura de quoi financer. Mais il faut le dire. C’est ce que je dis, moi. Le parti communiste, avec sa façon de faire, avec ce souffle à gauche, avec sa volonté de bien ancrer à gauche les propositions de la gauche, contribue, je crois, à clarifier les choses dans ce pays.

P. Lapousterle : Oui, mais quand on dit 35 heures payées 39, tout le monde sait que cela n’est pas possible. Vous aussi.

R. Hue : Ce n’est pas possible, si à côté, on ne dégage pas des moyens dans une redistribution du budget, tel qu’il existe, y compris aujourd’hui. Bien sûr que cela coûte, cette initiative.

P. Lapousterle : Il y a huit entreprises sur dix qui ont le cou dans un licol en ce moment.

R. Hue : Il y a plusieurs types d’entreprises. Moi, je rencontre des PME-PMI qui me disent : monsieur Hue, les 1 000 francs moi, je ne pourrai pas faire.

P. Lapousterle : Alors qu’est-ce qu’on fait ?

R. Hue : Je réponds : il faut effectivement modifier les aides aux entreprises. On ne peut pas continuer de donner des milliards aux grandes sociétés qui les mettent à la spéculation, qui ne vont pas à l’emploi, qui vont à financer des plans sociaux, alors que par ailleurs, il y a des PME-PMI qui crèvent. Il faut aider davantage les PME-PMI à faire face précisément, parce que ce sont elles qui seront aussi, dans le tissu, un élan fort de la relance. Ce sont elles qui créent des emplois – c’est pour cela d’ailleurs que je propose qu’il y ait une modification de la taxe professionnelle par exemple, qui permette effectivement aux entreprises qui créent des emplois, d’être moins pénalisées et qu’elles soient traitées sur leurs actifs au moins.

P. Lapousterle : À la lecture de votre programme, Jean-François Copé, qui est chargé de projet au RPR, a dit que c’était un projet titanique, qu’on allait tous sombrer avec le projet PS-PC.

R. Hue : Oui, pour le RPR ce projet est titanique parce que dès que l’on s’en prend à l’argent, il voit rouge. Moi, je dis naturellement : ce projet, et notamment les propositions du PC ne peuvent pas faire plaisir à la droite parce qu’on veut une politique radicalement différente, on s’en prend à l’argent dans ce pays, on ne veut plus qu’il y ait ce fric, ces mouvements spéculatifs qui écrasent tout dans la société et il est évident que je n’ai pas l’appui du CNPF. Je n’ai pas entendu le président du CNPF dire : Robert Hue a raison. Par contre, je l’ai entendu dire que la droite avait raison. Cela doit d’ailleurs alerter le monde du travail. Il y a deux logiques qui s’affrontent et, dans cette logique, le PC, avec son vote, donnera toute l’utilité à la gauche, ancrera bien à gauche ce programme. Si on n’ancre pas ce programme à gauche, il n’y aura pas le changement nécessaire. Or, les Français attendent un changement. Les Français ne veulent pas casser la baraque, ils ne veulent pas un bouleversement, ils veulent simplement que cela change réellement. Mais, il faut avoir le courage de s’en prendre à l’argent, il faut avoir le courage de distribuer les choses autrement, il faut avoir le courage de dire : il faut des droits nouveaux pour les salariés.


France 2 – Jeudi 8 mai 1997

D. Bilalian : Alain Juppé a posé une question à votre propos, à propos de la présence éventuelle dans un gouvernement, de ministres communistes. Monsieur Jospin lui-même déclarait, aujourd’hui, et je le cite pratiquement, mot à mot, qu’en cas de victoire, c’est le Parti socialiste qui fixera les orientations et qu’il n’a pas, lui, l’intention de recommencer en 1981 avec des ministres communistes quittant le gouvernement en pleine législature.

R. Hue : Personne n’a cette intention au Parti communiste non plus. Mais cela me confirme dans ma conviction qu’il faut se méfier des propos de campagne. Et puisque ce soir je suis sur votre antenne, je voudrais dire un certain nombre de choses qui me semblent importantes à ce sujet. Il faut que les choses soient claires, et je le dis dans un esprit unitaire et constructif. Personne ne peut sérieusement penser que le Parti socialiste – le dernier sondage que vous évoquez le montre bien – aura à lui seul, à l’Assemblée nationale, une majorité de gauche, une majorité en tous les cas. Il faut donc qu’il y ait une majorité de gauche, composée de l’ensemble des forces de gauche, dont le Parti communiste, naturellement. Donc il faudra discuter, certes en fonction de l’audience accordée à chacun par le suffrage universel, mais sans chercher à aligner tel ou tel, sur tel ou tel autre. Et je veux dire, ce soir solennellement, que c’est la condition pour que cette majorité de gauche soit possible. D’ailleurs, regardez : comment avons-nous fait pour élaborer la déclaration commune ? Chacun a pu voir les évolutions : on a tenu compte de l’opinion de chacun. Je crois qu’il y a un équilibre qui été trouvé. On a d’ailleurs chassé quelques vieux démons, ceux qui consistaient à la surenchère qui pouvait diviser, ou à l’hégémonie. Il faut continuer comme cela, je crois. Alors l’Europe ! parce que c’est une question qui a été posée aujourd’hui beaucoup. Lionel Jospin a posé cette question à propos de l’Europe. On ne peut pas déclarer ensemble, et je citer la déclaration commune PC-PS : non à l’Europe libérale, il faut dépasser Maastricht, et il faut proposer aux partenaires européens de discuter pour réorienter la construction européenne, et ensuite dire autre chose. Il faut voir, je crois, dans quelle situation sera un gouvernement de gauche, ou serait un gouvernement de gauche, en juin prochain, à propos de cette question. Sur la base de la déclaration commune, il devra dire : non à l’austérité qu’engendrerait l’application des critères de Maastricht. Il devra s’engager dans une politique de progrès social. J’entends bien ce que dit Lionel Jospin et les conditions que le Parti socialiste met à cette Europe, j’entends bien aussi ce qu’il dit quand il dit : pas d’austérité nouvelle donc, dans ces conditions pas d’application des critères s’il y a austérité. C’est ce qui me semble d’ailleurs majeur. Si cette condition était remplie, alors, quels que soient les mots employés, ce qu’il faudrait voire c’est qu’on ferait autre chose que le processus actuel engagé concernant l’Europe. S’il y a des discussions qui s’engagent avec nos partenaires, ce sera pour s’engager sur une déclaration, autrement que sur la construction actuelle. Je crois que, là, il y a, effectivement, les bases d’une évolution qui peuvent permettre une majorité durable. J’ai voulu, ce soir, vous pensez bien que c’est très important, répondre sur le fond à cette question.

D. Bilalian : Quelles conditions pose le Parti communiste pour le second tour, pour que l’union soit présente dès le second tour, avant même un gouvernement ? Ça veut dire renégociation de Maastricht, ça veut dire la présence de ministres communistes dans le gouvernement et pas à n’importe quel prix ? Vous n’avez pas l’intention de rentrer à n’importe que prix dans le gouvernement ?

R. Hue : Ça veut dire, avant le second tour, l’application de la déclaration commune sur laquelle nous sommes tombés d’accord. Il y a de grandes orientations. Ensuite, il s’agira de discuter – si la gauche est majoritaire – des conditions mises en œuvre d’un gouvernement. Et là, le problème communiste se posera. Mais ça sera naturellement lié à la politique que nous défendons, et pour cela je pense qu’il faut s’engager dans une politique audacieuse de relance de l’économie par la consommation, avec augmentation sensible des salaires.

D. Bilalian : Quand Lionel Jospin dit : ce sera aux conditions du Parti socialiste, et je ne veux pas revoir ce qui s’est passé en 1981, que répondez-vous ?

R. Hue : Je pense que ce n’est pas conforme à l’esprit qui anime nos rapports. Je l’ai d’ailleurs dit à Lionel Jospin. Il est clair qu’aujourd’hui la gauche est pluraliste. Il faut l’accepter. C’est précisément une condition hégémonique qui, dans les années 80, a fait qu’il y a eu ces difficultés. Parce qu’il y avait hégémonie, les promesses, les engagements n’ont pas été tenus. Aujourd’hui, si nous ne voulons pas renouveler – et je ne veux pas renouveler l’histoire du programme commun, des accords dans les conditions que l’on sait – il faut faire du neuf à gauche. Et vous voyez l’apport du Parti communiste pour faire du neuf à gauche ! C’est ça l’esprit qui m’anime. Vous voyez, c’est un esprit tout à fait constructif et unitaire, mais moi, je veux qu’en France on change avec une vraie politique de gauche. Il ne s’agit pas d’aménager en marge les choses mais, au contraire, il faut radicalement changer les choses.

J.-M. Carpentier : Imaginons qu’il y ait plus de députés de gauche que de droite dans un mois. Est-ce qu’il est possible que le Parti communiste refuse de faire une majorité au Parlement avec le Parti socialiste, si vous ne vous mettez pas d’accord sur les conditions que vous avez posées ce soir ?

R. Hue : Ce que je dis ce soir montre toute la volonté du Parti communiste d’aboutir. J’ai dit des choses importantes, y compris à propos de l’Europe. Mais en même temps, ce que je souhaite, c’est le respect des engagements pris. Je pense qu’il faut que s’affirme, dans ce pays, un pluralisme à gauche sans ambiguïté. Il n’est pas question d’imaginer un retour à une situation où il y aurait une politique qui se déciderait, qui serait contraire à l’intérêt général, et sur laquelle nous aurions pas à intervenir. Il ne faut pas compter sur les communistes pour cela. Moi, je veux que ça change.

D. Bilalian : Par exemple, lorsque certains leaders socialistes évoquent la possibilité de privatiser des entreprises nationalisées ou publiques qui sont en secteur concurrentiel, ça c’est un grave motif de divergence ?

R. Hue : J’entends bien ça, mais c’est pour ça que je vous dis : attention aux propos de campagne. Il y a une déclaration entre le Parti socialiste et le Parti communiste, qui dit précisément qu’il faudra stopper les privatisations de Thomson, d’Air France, dans toute une série de secteurs où s’est engagé. Il a donc des choses sur lesquelles il faut tenir ses engagements. On est dans un moment très important de la campagne électorale. Si les Français ont le sentiment qu’on leur aligne des programmes et qu’ensuite les engagements ne seront pas tenus, on se plante ! Et moi, je ne veux pas que la France se plante. Je veux que la gauche gagne. Je veux qu’elle gagne pour transformer ce pays pour que vraiment on réponde aux grandes exigences populaires. Donc voilà l’esprit qui m’anime. Il est à la fois dynamique, mais il est respectueux des engagements pris.

J.-M. Carpentier : Concrètement, est-ce que vous faites une condition de l’augmentation que vous demandez du Smic de 1 000 francs dès le premier juillet, de la mise en application immédiate des 35 heures sans réduction du salaire ?

R. Hue : Dans la déclaration commune, qui est une référence, il y a l’idée que l’on augmente sensiblement les salaires. Alors ce que dit le Parti communiste après cela, se discute. Je dis qu’il faut immédiatement augmenter le Smic de 1 000 francs, les pensions, les retraites pour relancer la machine et cela me semble essentiel. Cela permettra de créer les milliers d’emplois dont on parle. Par ailleurs, je pense, effectivement, aussi qu’il faut s’engager sur les 35 heures sans diminution de salaire et sans délai. Pourquoi je dis cela ? Ce n’est pas que je veux casser la machine, la baraque, mais on sait bien que les 39 heures, cela n’a pas marché en 1981 précisément parce que la productivité a rattrapé le gain en horaires. Donc, il faut, aujourd’hui, que vraiment ces 35 heures permettent du temps libre mais permettent surtout de créer des centaines de milliers d’emplois qu’attendent les Français, qu’attendent les jeunes. Voilà l’esprit qui m’anime.

D. Bilalian : Dernière chose avec le même enthousiasme : Lionel Jospin va faire une réponse à Jacques Chirac. Est-ce que le secrétaire général du PC va en faire une aussi ?

R. Hue : Il ne s’agit pas d’un deuxième tour de présidentielle. Nous sommes à un premier tour des législatives. Donc, je ferai moi, en tant que composante, en tant que formation importante de la gauche, une réponse où je montrerai, en gros, en substance, que le président de la République dit : tout va bien, il faut continuer. Eh bien, cela ne va pas ! La France souffre du chômage, il y a beaucoup de difficultés, la précarité, il y a les licenciements qu’on évoquait tout à l’heure. Tout cela nécessite une autre politique. Celle que j’évoquais, notamment, du progrès social comme élément moteur d’une autre politique, d’une autre logique. À la logique de la droite du président de la République, je proposerai l’alternative qui me semble juste, d’une logique de gauche s’inscrivant dans cette relance par la consommation, par les salaires, par les retraites, par l’emploi. Une relance vraiment forte. La France a besoin de beaucoup de mesures fortes. Il faut radicaliser les choses. Il ne faut pas faire ce qui s’est fait depuis 20 ans. Ils nous donnent des leçons. J’entendais monsieur Juppé qui, tout à l’heure, disait : les ministres communistes ! Mais il faut qu’il ait un peu plus de pudeur. Ils se sont plantés depuis 20 ans. Et pourquoi, les propositions que nous faisons là nous ne pourrions pas les mettre en œuvre ? Je les mets au défi : on peut changer les choses en France.


Europe 1 – Jeudi 15 mai 1997

J.-P. Elkabbach : Est-ce que vous savez que beaucoup de gens vous en veulent ?

R. Hue : C’est vrai ?

J.-P. Elkabbach : Oui, parce qu’il y avait un début de dynamique en faveur de la gauche, grâce au Parti socialiste et vous lui avez porté un mauvais coup.

R. Hue : Non. Non, je crois qu’il faut que la gauche gagne et je ne négligerai rien qui puisse lui permettre de gagner, parce qu’il me semble aujourd’hui qu’il faut changer vraiment la politique de ce pays. Et pour changer vraiment, il faut une vraie politique de gauche, il faut une gauche bien à gauche, il faut une gauche pluraliste. C’est ce que j’ai voulu dire et c’est ce qui a été compris.

J.-P. Elkabbach : Pour le PC, vous gagnez plus si vous perdez les élections ?

R. Hue : Certainement pas. Vous savez, le Parti communiste ne regarde pas les élections par rapport à lui-même, il les regarde par rapport au peuple français. Aujourd’hui, on veut gagner les élections parce qu’on veut que ça change dans ce pays. On en a assez de la politique de Chirac, de Juppé, il faut que ça change et nous voulons le mettre en œuvre mais vraiment le mettre en œuvre. C’est cela l’apport communiste.

J.-P. Elkabbach : Mais là, vous êtes sincère, parce que beaucoup de gens pensent que le PC a aussi sa stratégie du « ni-ni » : ni gagner ni gouverner ?

R. Hue : Non, ça ne tient pas la route. Aujourd’hui, ce serait suicidaire d’imaginer que, alors que des millions de Français ont vraiment la volonté de voir mettre en œuvre une autre politique pour l’emploi, pour mettre un terme à ce chômage, à cette précarité, il y ait le moindre obstacle de fait. Moi, je veux le dire ici : je veux que la gauche réussisse. Et donc, pour qu’elle réussisse, je sais qu’il faut que le Parti communiste ait un poids plus important dans ce pays et il est possible, à l’occasion des élections, que les Français le manifestent ainsi.

J.-P. Elkabbach : Alors, allons plus loin. Dans l’« Humanité dimanche » d’après-demain, vous dites qu’il y a du travail à faire pour définir une politique à gauche. Est-ce que ça veut dire que Chirac vous a pris de vitesse et que vous n’étiez pas prêts, c’est comme un aveu, ça ?

R. Hue : Non, aujourd’hui, nous avons de grandes orientations en commun avec le Parti socialiste. Il y a même des avancées certaines et importantes qui ont été notées dans cette déclaration commune, y compris sur des questions aussi difficiles que celles de l’Europe. Mais, incontestablement, la déclaration commune entre le Parti communiste et le Parti socialiste n’est pas un accord de gouvernement. Et donc, il faut construire cet accord de gouvernement si une majorité est donné à la gauche.

J.-P. Elkabbach : Quand ?

R. Hue : Dès le lendemain du second tour. Il y aura une majorité politique à constituer après qu’elle soit majorité arithmétique déjà. Et ensuite, il faudra bien regarder ce que doit être un gouvernement.

J.-P. Elkabbach : Un programme de gouvernement ?

R. Hue : Un programme de gouvernement et de façon plurielle.

J.-P. Elkabbach : Mais après toutes ces polémiques entre vous depuis huit jours, ne pensez-vous pas qu’il faut qu’il y ait un tête-à-tête entre vous et Lionel Jospin pour que les choses soient claires ?

R. Hue : On n’a pas de problèmes. Lionel Jospin et moi-même, à nous rencontrer, à nous téléphoner si no le juge nécessaire.

J.-P. Elkabbach : Mais vous ne le faites pas.

R. Hue : Le problème n’est pas là. Nous avons dit, chacun, que nous allions aux élections avec notre propre programme, avec notre propre identité. On est dans cette démarche aujourd’hui. Ne parlons pas de polémique ! Il s’agit pour nous de dire clairement, devant les Français, là où sont les convergences, là où il y a des différences. Mais dans la période du programme commun, pourquoi cela n’a pas fonctionné ? Parce que précisément, on gommait des différences réelles qui existaient. Il n’y avait pas ce rapport au citoyen. Aujourd’hui, nous mettons sur la table les convergences et les différences et nous voulons que les Français, les citoyens, apportent leur point de vue dans ce débat.

J.-P. Elkabbach : De toute façon, même si Lionel Jospin reconnaît que la gauche est pluraliste, son parti pèse trois fois plus que le vôtre. Est-ce que vous reconnaissez une logique majoritaire à gauche ? et deuxièmement, le « leadership » de Jospin pour gouverner ?

R. Hue : Je crois qu’il faut bien comprendre que s’il y a une majorité de gauche, elle sera composée en majorité de députés socialistes. C’est quelque chose qu’il faut prendre en compte. Mais ces députés socialistes n’auront été élus que parce qu’il aura eu le report de millions de voix communistes et inversement. Il y aura des communistes élus parce que des socialistes auront pratiqué le désistement républicain. Avec ce mode de scrutin, il y a effectivement une assemblée qui est élue dans des conditions qui ne sont pas celles de l’élection directe au scrutin proportionnel, comme je le souhaiterais.

J.-P. Elkabbach : Il y a une logique majoritaire ?

R. Hue : Il y a une logique majoritaire, incontestablement, avec ce mode de scrutin. Maintenant, cela ne signifie pas qu’on ne puisse pas prendre en compte précisément le pluralisme de cette gauche. Il n’y a pas de majorité de gauche, dans ce pays, sans le Parti communiste.

J.-P. Elkabbach : Même pour gouverner si, éventuellement, vous avez la majorité ?

R. Hue : Bien sûr.

J.-P. Elkabbach : Hier soir, monsieur Lang disait : « au PS, nous avons fixé la ligne : pour la politique étrangère, nous faisons passer avant tout les intérêts de la France dans l’Europe. » Si on comprend bien, cela veut dire : au PS la politique étrangère et européenne et pour le PC, c’est zone interdite.

R. Hue : C’est un mode de raisonnement assez ancien.

J.-P. Elkabbach : Le mien ?

R. Hue : Non, celui que j’ai entendu là, à l’instant, et que vous traduisez. Qui peut, un seul instant, penser que les communistes, dans un gouvernement de la France, n’auraient pas le sens de l’intérêt national ! Ils ont montré dans d’autres périodes bien plus difficiles pour notre peuple qu’ils avaient le sens de la nation, de la résistance et le sens de l’intérêt de notre pays. Il faut partir du principe que le pluralisme à gauche conduit à entendre ce qu’est la réalité du scrutin majoritaire telle que vous l’évoquiez tout à l’heure mais en même temps, il n’y a pas de zone réservée. Les compétences, dans un gouvernement, sont ouvertes à toutes les composantes.

J.-P. Elkabbach : Vous vous voyez, par exemple, au ministère des affaires étrangères ?

R. Hue : Moi, ce n’est pas le plus important.

J.-P. Elkabbach : Ou à l’Intérieur ou à la Défense ?

R. Hue : Voir un communiste défendre les intérêts de la France en Europe et dans le monde, je le vois parfaitement !

J.-P. Elkabbach : L’Assemblée défunte avait voté la baisse de l’impôt sur le revenu, 75 milliards sur cinq ans, maintenez-vous cela ?

R. Hue : Je pense qu’il faut baisser l’impôt sur le revenu mais pas dans la forme choisie précédemment par la majorité de droite. Il faut que l’impôt pèse davantage sur les tranches hautes. Je pense qu’il faut immédiatement des mesures contre les impôts indirects : faire baisser la TVA de deux points, la supprimer sur les produits de première nécessité. Je pense aussi aux grandes fortunes qui, aujourd’hui, ne sont pas suffisamment imposées.

J.-P. Elkabbach : Vous arrêtez les privatisations en cours, c’est évident mais, faut-il renationaliser des entreprises privatisées ?

R. Hue : C’est très important de stopper les privatisations, on a dit Air France, Thomson, France Télécom mais il y a – je n’ai pas le culte des nationalisations – incontestablement à renationaliser certains secteurs ou à les nationaliser, je pense notamment aux assurances, aux crédits. Il faut maîtriser les mouvements financiers, il faut avoir une politique de crédit qui soit incitative à l’emploi. Cela, ça doit se faire à mon avis, dans le cadre de pôles publics et il faut arrêter la privatisation et la prise de participation dans certaines entreprises, je pense à Renault notamment.

J.-P. Elkabbach : Le Smic : vous avez dit 1 000 francs de plus tout de suite et en même temps, ça se déclinerait avec des effets ou des retombées positives, dites-vous dans l’« Humanité dimanche », pour les salaires un peu plus élevés. Est-ce que c’est une des conditions de votre alliance de gouvernement avec le PS ?

R. Hue : C’est très important pour nous, très important, l’augmentation du Smic de 1 000 francs parce que ce n’est pas en soi l’augmentation du Smic – encore que 2,3 millions de personnes qui auraient 1 000 francs de plus pour vivre, ils n’iraient pas les placer sur des comptes en Suisse, ça serait pour la consommation, ça relancerait l’économie et l’emploi – mais, surtout, c’est une logique différente qu’on engage avec l’augmentation du Smic et la répercussion effectivement sur les salaires de moins de 15 000. J’entends bien qu’il faut aider les PME-PMI à faire face à cette dépense-là, il y a le crédit à imaginer pour elles de façon différente, il y a les aides actuellement accordées de l’État vers les entreprises qu’il faut modifier parce que, pour l’essentiel, ça va à la spéculation, à la finance – je ne parle pas là des PME-PMI. Donc, il faut modifier cela. Il y a donc les moyens de ce programme. Ce n’est pas un programme irréaliste, au contraire, il est très moderne et réaliste.

J.-P. Elkabbach : Il y a beaucoup de Français qui observent et reconnaissent vos efforts pour transformer le Parti communiste. Avec un peu plus de temps, est-ce que vous auriez pu achever l’aggiornamento du Parti communiste, est-ce que, par exemple, vous auriez pu changer le nom du PC, comme l’ont fait les Italiens ?

R. Hue : C’est vrai qu’il y a un grand mouvement qui s’opère dans le Parti communiste et autour de lui, beaucoup d’intellectuels reviennent. Mais je ne souhaite pas changer le temps du Parti communiste, je vais vous dire pourquoi : regardez les Italiens, ils ont changé de nom mais on continue de les appeler ex-communistes. Et, au fond, je ne suis pas pour la caricature stalinienne du communisme telle qu’elle a été décrite, je suis pour un communisme à la française, un communisme qui se traduit dans des luttes marquées du mouvement ouvrier français ces dernières décennies. Je suis pour ce que Jaurès disait du communisme non dogmatique à la fin du siècle dernier et au début de ce siècle. Je suis pour un communisme de communion, de fraternité. C’est ça, pour moi, le communisme.


France Inter : Mercredi 21 mai 1997

A. Ardisson : Le président de la République est intervenu, hier soir, avant de recevoir le chancelier Kohl : « La France tiendra ses engagements européens avec lucidité et pragmatisme – a-t-il dit –, elle ne pourra défendre ses intérêts que si elle est capable de parler d’une seule voix, d’une voix forte. » « Où est le problème ? », lui a répondu Lionel Jospin. Et vous, que répondez-vous ?

R. Hue : Après avoir entendu le président de la République, je réponds que les Français veulent pouvoir exercer librement leurs choix à l’occasion de ces élections, celui de dire : « Nous voulons une autre politique que celle qui conduit actuellement ou qui conduirait, en cas de victoire de la droite, à une nouvelle cure d’austérité, à des dizaines de milliers de suppressions d’emplois. » Je crois que nous sommes à un moment de la campagne où les citoyens majeurs ne se laisseront pas impressionner par ce chantage, cette pression du président de la République. Jacques Chirac confond visiblement l’intérêt de la France avec l’intérêt de la droite. Donc, il faut qu’il y ait l’expression du suffrage universel, l’expression qui permette aux citoyens de dire leur sentiment, y compris sur l’avenir de l’Europe.

A. Ardisson : Justement, est-ce que cette prise de position et la vôtre ne mettent pas en cause l’idée même de cohabitation, dès lors qu’il ne peut y avoir de majorité que si vous êtes unis avec le Parti socialiste et que, là où Lionel Jospin ne voit pas de problèmes, vous, vous en voyez ?

R. Hue : Non. Avec Lionel Jospin, nous avons signé une déclaration commune très précise qui montre ce que doit être l’Europe que nous souhaitons. Nous avons dit : « Nous ne voulons pas d’une Europe ultra-libérale, une Europe de l’argent-roi, une Europe des marchés financiers. » Tout cela est un texte signé et écrit qui montre l’esprit très positif dans lequel nous nous inscrivons. Je crois que cette Europe n’est pas celle des critères de convergence de Maastricht, n’est pas celle qui entraînerait une nouvelle cure d’austérité, ce que Lionel Jospin a dit aussi de son côté qu’il ne souhaitait pas. Donc, il faut que s’affirme une démarche visant à une nouvelle orientation de la politique européenne. La cohabitation, ça fonctionne : on a déjà vu fonctionner la cohabitation. Aujourd’hui, les Français vont pouvoir s’exprimer à l’occasion d’un scrutin important.

A. Ardisson : La cohabitation en matière politique européenne et de politique étrangère – Lionel Jospin l’a dit hier soir – est un système de double commande.

R. Hue : Bien sûr. Mais au nom de quoi le président de la République ne tiendrait-il pas compte de l’opinion des Français si elle s’exprime majoritairement pour des choix différents à l’occasion des législatives ? Il y a quand même un paradoxe : c’est le président de la République qui a voulu ces élections, il a décidé de la dissolution de l’Assemblée. Donc, aujourd’hui, il souhaite – je le pense – que les Français puissent s’exprimer et donnent leur point de vue sur les choix pour cinq ans pour la France. Ces choix vont s’exprimer le 25 mai et le 1er juin. Le président de la République – cela participe de la démarche des institutions de la France – devra tenir compte de ces choix. Je pense qu’il faut effectivement qu’il y ait une voix qui s’exprime au niveau européen, qu’il y ait une politique de gauche éventuellement qui soit dans une cohérence sur cette question et qui exprime la volonté de notre peuple de voir orienter différemment les choses.

A. Ardisson : Vous n’estimez pas qu’on en est à une phase rapprochement, en France, sur la façon de transiger sur cette Europe post-maastrichtienne ?

R. Hue : Je vois, en tous les cas à gauche, dans les forces progressistes, des rapprochements.

A. Ardisson : Je vous parle de la droite !

R. Hue : Oui, mais je vous parle de la gauche, pardonnez-moi ! La droite exprime des positions qui sont conformes, je crois, à celles qu’elle a justement tenues et qui sont fidèles aux critères de Maastricht. On voit bien qu’il y a un débat, dans ce pays, avec deux logiques qui s’affrontent en la matière, y compris sur cette question de l’Europe. Va-t-on donc poursuivre dans la politique qui est celle de l’argent qui coule à flots, dans cette Europe des marchés financiers, ou bien va-t-on s’orienter vers une Europe sociale, une Europe démocratique, une Europe différente ? Allons-nous aller vers une renégociation d’un certain nombre d’éléments essentiels d’une future politique européenne ? C’est ce que nous avons décidé, avec le Parti socialiste. J’y vois là beaucoup de convergences.

A. Ardisson : L’échéance se rapproche ; les stratégies se dévoilent ; votre principal allié, le Parti socialiste, se veut pragmatique. Hier, dans « Le Monde », Lionel Jospin explique que tout ne pourra pas se faire en même temps : « La théorie des 100 jours pour moi est morte », déclare-t-il, « C’est une reprise édulcorée de la vieille culture révolutionnaire. » Je voudrais votre réaction sur ses propos.

R. Hue : Ce que je sais, c’est que les Français qui vont apporter leurs suffrages à la gauche et au Parti communiste dès le premier tour de scrutin souhaitent vraiment que ça change dans ce pays. Ils souhaitent que ça change, et vite. Je ne dis pas qu’il n’y a pas une série de dispositions qui nécessitent la durée, mais il y a des dispositions immédiates pour que la vie concrète des gens, dès le mois de juillet, se modifie. Je crois que d’emblée, il faut que des mesures significatives qui marquent le début de la législature.

A. Ardisson : Lesquelles ?

R. Hue : Je pense à une augmentation sensible des salaires. Le Parti communiste avance l’idée d’un Smic augmenté de 1 000 francs avec une répercussion sur la grille des salaires. Je pense notamment qu’il faut immédiatement faire baisser la fiscalité indirecte avec une baisse de 2 points de la TVA et la suppression de la TVA sur les produits de première nécessité. Je pense aussi que les dispositions visant à une loi-cadre pour les 35 heures sans limitation de salaire doivent tout de suite s’engager, et s’engager avec l’esprit de ne pas attendre et de ne pas y aller progressivement, car sinon, il n’y aura pas le bénéfice que nous souhaitons en matière de création de centaines de milliers d’emplois.

A. Ardisson : Vous n’êtes pas d’accord avec l’idée d’une conférence qui mettrait tout dans le shaker avant de secouer pour voir ce qu’on fait en priorité, ce qu’on repousse à partir du moment où, selon Lionel Jospin, on ne peut pas à la fois faire la diminution du temps de travail, les augmentations de salaire ?

R. Hue : Tout cela n’est pas incompatible. L’idée d’une conférence n’est pas incompatible avec des décisions rapides que pourrait prendre le nouveau gouvernement conformes à ce qu’attendent les Français. Ce que je souhaite, c’est que la gauche réussisse. Le Parti communiste place toute sa campagne dans cet esprit. À chaque fois que nous disons : « Il faut plus de suffrages communistes dès le premier tour du scrutin », c’est pour que la gauche réussisse, c’est pour que ce qui a été dans le mouvement social, ce qui est dans le mouvement progressiste, ce qui est dans le monde du travail, soit bien pris en compte. Je crois qu’il serait très dangereux qu’il n’y ait pas le sentiment, pour ces hommes et femmes qui vont voter à gauche que, dès les premiers jours de la nouvelle législature, on ait entendu leur message.

A. Ardisson : Dans une période où le monde politique a beaucoup de mal à imposer sa crédibilité, compte tenu des déceptions antérieures, n’est-il pas plus raisonnable de ne promettre que ce que l’on peut tenir ?

R. Hue : Oui, mais promettre ce que l’on peut tenir, ce n’est pas revenir en arrière sur ce qu’on a promis précisément. Je pense qu’il y a des dispositions importantes que nous avons énoncées ensemble – et de ce point de vue, c’est très positif – avec le Parti socialiste, visant à une augmentation sensible des salaires – ce n’est pas moi qui invente ce terme : il est dans notre déclaration commune. Nous avons dit qu’il y avait la nécessité de stopper les privatisations, France Télécom, Thomson, Air France : c’est un texte signé. En politique, la chose la plus importante, c’est de tenir ses engagements. Ces engagements existent. Ce sont des engagements pour une vraie politique de gauche. Il faut les tenir. Sinon, il y aurait effectivement de nouveau une déception. Il ne faut pas cette déception. Le Parti communiste place toute sa campagne au cœur de cette idée : plus de voix communistes pour bien ancrer à gauche les changements nécessaires. Dans ces conditions, nous pouvons gagner. Je crois que cette victoire est possible.


France 2 : Jeudi 22 mai 1997

B. Masure : Alain Juppé, hier soir, sur l’antenne de France 2 disait : « Sur l’Europe, entre le PC et le PS, ce n’est plus de la cacophonie, mais un véritable divorce. »
 
R. Hue : Je crois que Alain Juppé n’a aucune illusion à se faire, à essayer d’engoncer le coin de la division à gauche. Nous avons dit clairement qu’il y avait à gauche des différences sur l’Europe, mais il y a beaucoup de convergences. Et vous savez que le Parti communiste a contribué beaucoup à ce que des convergences s’affirment, notamment dans la déclaration commune entre socialistes et communistes. C’est ça l’engagement commun. Il ne faut pas d’une Europe libérale, une Europe de l’argent-roi, une Europe des marchés financiers ; il faut, au contraire, une Europe sociale, une Europe démocratique. Voilà ce qui fait que nous sommes ensemble sur cette question. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de différences, mais ces différences, à mon avis, peuvent être surmontées. En tous les cas, quand j’entends aujourd’hui les propos d’Alain Juppé, ça me fait doucement rire quant à la division de la gauche. S’il regarde du côté de la droite…

J.-M. Carpentier : … Cela dit, pendant toute la campagne, la majorité sortante a enfoncé le clou de vos divergences. Est-ce que, au fond, vous n’avez pas été un allié gênant pour le Parti socialiste, pendant cette campagne ?

R. Hue : Je ne crois pas. La gauche est pluraliste dans ce pays. Il y a aujourd’hui le Parti socialiste, avec l’influence qu’il a, et il y a le Parti communiste. Qu’est-ce qui se passe dans cette campagne électorale ? Peut-être que nous sommes, à deux jours du scrutin, dans une situation inédite. On voit bien les scores ; on voit bien que le Parti socialiste est donné à 25 %, 28 % – je n’ai pas les derniers chiffres. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu’il n’y a pas de majorité, en France, sans le Parti communiste. Et le vote communiste, pour la première fois peut-être aussi nettement, va être utile à ce qu’il y ait une majorité de gauche. Donc plus il y aura de votes communistes, meilleures seront les chances de la gauche, donc ce n’est pas gênant. Ça me semble très utile, au contraire.

J.-M. Carpentier : Oui, mais cela dit, Lionel Jospin, encore hier, mettait la barre pour le Parti socialiste à 30 %. D’abord vous, à combien vous mettez la barre pour le Parti communiste ? Et ensuite, est-ce que vous ne craignez pas dans les deux jours qui viennent un vote utile en faveur des socialistes à votre détriment, comme ça s’est fait en 1995 ?

R. Hue : Je ne le crois pas. Je ne le crois pas parce que précisément quand Lionel Jospin dit qu’il fait 30 % – c’est normal qu’il demande que son parti se renforce – il sait très bien que ces 30 %, en quelque sorte, seront stériles s’il n’y a pas, en même temps, un Parti communiste qui progresse. Le Parti communiste, il est donné autour de 10 % aujourd’hui et passer cette barre des 10 % ça me semble très important pour le Parti communiste mais surtout pour la France, pour la gauche. La chance de la gauche, c’est que le Parti communiste, cette fois, se renforce au point de bien ancrer à gauche cette majorité et de lui donner toutes ses chances. Je crois que le coup de pouce pour la gauche dans le pays, c’est précisément le renforcement du Parti communiste. Et vous savez, nous avons fait beaucoup d’efforts, les Français le savent. Ils ont fait beaucoup d’efforts pour en arriver à ces convergences qui ne signifient pas que nous avons…

J.-M. Carpentier : … Vous avez fait des concessions, vous, les communistes ?

R. Hue : Non, non, je ne crois pas. C’est beaucoup plus profond que cela. Nous avons discuté depuis un an dans des forums. Vous savez que nous avons organisé des forums et des débats avec le Parti socialiste, avec les autres forces de gauche et chacun a évolué, chacun a fait des efforts. Aujourd’hui, nous arrivons et nous démontrons que les convergences sont plus nombreuses que les divergences et qu’on peut donc construire quelque chose.

J.-M. Carpentier : Excusez-moi, c’est par exemple, en cas de victoire de la gauche, construire, fabriquer un gouvernement. Or, ce matin encore, dans « Le Parisien », Lionel Jospin parlait d’une seule orientation pour son gouvernement, je le cite : « La seule question, c’est la cohérence de la politique gouvernementale. » Il va bien falloir que vous fassiez des concessions aux socialistes.

R. Hue : Mais pourquoi parler de concessions. Je crois qu’il peut y avoir une cohérence. Je crois à la cohérence gouvernementale. Il faut une cohérence gouvernementale. Cela dit, elle doit se faire sur une politique que les Français qui votent à gauche souhaitent. Ils veulent que rapidement la gauche donne des signes par les salaires, par l’augmentation sensible des salaires, par la baisse des impôts et notamment de la TVA. Autant de mesures sur lesquelles il faut y aller très vite. Et naturellement, il a débat entre nous. J’entends bien. Lionel Jospin dit quelquefois il faut étendre un petit peu. Moi je pense – c’est mon rôle, je suis communiste, je dois défendre aussi les intérêts des gens du monde du travail, des gens modestes – et je pense que pour ces gens modestes qui hésitent encore pour certains, aujourd’hui, il est important qu’ils sachent qu’en juillet, il y aura des mesures significatives et que la gauche tiendra ses engagements. Le vote communiste, c’est un vote qui, en fait aujourd’hui, doit permettre à la gauche de tenir cette fois ces engagements.

J.-M. Carpentier : Disant cela, est-ce qu’au fond vous ne faites pas peur, vous, les communistes ?

R. Hue : J’entends le Premier ministre sortant, Alain Juppé, parler de la peur. Il agite l’épouvantail ! Regardez-moi bien ! Je n’ai pas l’allure de quelqu’un qui peut avoir un couteau entre les dents et qui va faire peur aux Français. Mais, cela c’est les apparences. La droite, elle n’y croit pas à la peur des communistes. Par contre, Alain Juppé craint le Parti communiste, c’est vrai, je le dis. Je défends cela, ce soir. Il craint le Parti communiste parce qu’il sait qu’avec le Parti communiste renforcé, avec le Parti communiste au gouvernement, eh bien, ce n’est pas du tout sa politique et la politique de la droite qui sera mise en œuvre. Et cela, il craint par-dessus tout la mise en œuvre d’une politique audacieuse, nouvelle, qui sera du côté des gens modestes, du monde du travail ! Évidemment, ce ne sera pas du côté des beaux quartiers, de la spéculation et des riches. Et moi, je défends cet intérêt-là. C’est cela le vote communiste. C’est cela qui peut se produire avec la présence des communistes dans un gouvernement.

J.-M. Carpentier : Est-ce que pour la campagne du deuxième tour, il y aura des meetings communs PC-PS au plus haut niveau ?

R. Hue : Je souhaite que le deuxième tour soit un tour de rassemblement très large des forces de gauche, des écologistes. Je suis pour.

J.-M. Carpentier : Vous êtes pour être avec Lionel Jospin à la même tribune ?

R. Hue : Pourquoi pas ?

J.-M. Carpentier : C’est prévu ?

R. Hue : Cela ne sera pas la première fois. Il y a quelques semaines encore, nous étions sur la même tribune pour dire que nous avions cette déclaration commune. Demain, il faudra rassembler toutes les forces de progrès et écologistes de gauche. Eh bien, il faudra ces rassemblements. Je suis prêt. On n’en a pas parlé très directement avec Lionel Jospin mais vous m’en donnez l’occasion. Je souhaite qu’il y ait ces meetings, ces rencontres. Il faut que la gauche gagne. Je veux que la gauche réussisse.


France Inter : Jeudi 22 mai 1997

J.-P. Elkabbach : Je voudrais que vous soyez clair sur une question à laquelle nous n’avez pas répondu jusqu’ici, à mon sens : est-ce que vous êtes favorable ou hostile à la cohabitation ?

R. Hue : Je suis favorable à la cohabitation. C’est une donnée institutionnelle. Cela dit, ce n’est pas à moi qu’il faut poser la question, c’est au président de la République, c’est à Juppé, qui aujourd’hui disent : on ne veut pas de la cohabitation, ça ne serait pas possible. C’est eux qui disent cela. Moi, je pense qu’elle est possible et je pense que la France peut parler d’une seule voix.

J.-P. Elkabbach : Dans une conférence internationale, s’il y a cohabitation, le président Chirac parlerait au nom de la France toute entière et aussi pour vous ?

R. Hue : Mais si, demain, la gauche l’emporte, ce que je pense possible, il est clair que le président de la République, qui a choisi ces élections – c’est lui qui a fait la dissolution – devra prendre en compte la majorité exprimée par les Français. C’est cette voix-là qu’il portera au niveau international avec le gouvernement de la France.

J.-P. Elkabbach : C’est-à-dire que Lionel Jospin pourrait cohabiter avec Jacques Chirac sur l’Europe mais il ne peut pas cohabiter sur l’Europe avec Robert Hue ?

R. Hue : Mais Lionel Jospin peut cohabiter avec Robert Hue sur l’Europe ! Nous avons une déclaration commune qui a déterminé un certain nombre de positions sur l’Europe. Je pense d’ailleurs que les obstacles qui existent encore peuvent être surmontés sur cette question et nous avons la possibilité effectivement d’avoir une voix, celle du refus de l’Europe ultra-libérale, de l’Europe de l’argent-roi, de l’Europe des marchés financiers et une voix commune, celle de l’Europe sociale démocratique. Moi je pense que là, il faut absolument dédramatiser ce que le président de la République essaie de faire avancer dans la campagne électorale. D’ailleurs, je voudrais dire quand même – la question que peuvent se poser des millions de Français : à quand la nouvelle intervention du président de la République pour la troisième fois, quatrième fois, cinquième fois peut-être dans cette campagne ?

J.-P. Elkabbach : Il est dans son rôle, il a voulu la dissolution, il explique les orientations, les choix aux Français, non ?

R. Hue : Je vois bien qu’il est dans son rôle. Il a choisi de voler au secours de Juppé mais ses interventions partisanes prennent de plus en plus l’allure, telles qu’il les présente, d’une véritable mise sous tutelle du vote des Français. En gros, hors du choix de Jacques Chirac et de ce qu’il veut poursuivre – c’est-à-dire cette politique désastreuse actuellement en œuvre dans notre pays –, il voudrait absolument que l’on n’ait pas d’autre solution à imaginer. Ce n’est absolument pas tolérable.

J.-P. Elkabbach : Vous lui tapez dessus et vous voulez cohabiter après ?

R. Hue : Il est le représentant de la droite. Il a choisi son camp. Il choisit de mener campagne. On peut même dire que c’est lui le chef d’orchestre de la campagne. Alain Juppé étant en difficulté, c’est lui qui mène la campagne. Eh bien, puisqu’il représente la droite, il faut bien que les forces qui ne participent pas de cette démarche, c’est-à-dire la gauche et le PC en particulier, disent leur point de vue. Je crois d’ailleurs que le vote communiste, à l’occasion du premier tour, va être un vote montrant bien qu’il y a une logique différente qui doit s’imposer dans ce pays, que celle de la droite, des marchés financiers, de la poursuite du chômage, de la précarité.

J.-P. Elkabbach : A. Juppé n’a pas tort quand il dit que la voix unique de monsieur Jospin, si on l’entend, sera couverte par discordante, de monsieur Hue ?

R. Hue : Non, la voix de Robert Hue sera conforme à ce qui sera exprimé à l’occasion du vote du premier et du second tour de l’élection. Les Français savent que le choix d’une politique bien à gauche est essentiellement aujourd’hui lié au score que fera le PC. On n’a plus le droit de parler des enquêtes d’opinion, mais on voit bien aujourd’hui que désormais la gauche peut l’emporter si le PC progresse. Eh bien, je dis aux Françaises et aux Français, aujourd’hui : donnez plus de poids au PC, ça va permettre à la gauche de gagner et on aura une voix, celle qui sera démocratiquement exprimée dans les urnes à l’occasion de ces tours.

J.-P. Elkabbach : Les socialistes ont beaucoup plus bougé que vous pendant la campagne sur l’Europe, l’économie, les privatisations par exemple ?

R. Hue : Oui, mais il y a une déclaration commune entre le PS et le PC.

J.-P. Elkabbach : Mais depuis, il y a beaucoup de changements.

R. Hue : Non. On avait bien décidé en commun, socialistes et communistes, de dire : nous menons la campagne avec notre propre programme, notre propre identité. J’entends bien effectivement des positions du PS qui ne sont pas les miennes. De même que lui doit entendre des positions visant à défendre le monde du travail, à accélérer un certain nombre de propositions à mettre en œuvre rapidement à gauche. Eh bien, on n’a pas là-dessus des choix qui sont complètement identiques, heureusement, sinon on serait dans le même parti.

J.-P. Elkabbach : Il reste trois jours. À partir de lundi, il n’y a plus qu’un chef de file à gauche, c’est Jospin ?

R. Hue : Je crois que la gauche est plurielle ou elle n’est pas. Il faut être clair là-dessus. Personne ne nie que le parti qui a plus d’influence à gauche a un rôle particulier mais cela ne gomme pas, au contraire, le poids de toutes les formations qui composent la gauche. Quand on fait le calcul et le total des suffrages des uns et des autres, il ne peut y avoir de victoire aujourd’hui sans le Parti communiste et nous entendons bien contribuer à cette victoire.

J.-P. Elkabbach : Vous vous rencontrez quand ? À partir de lundi ?

R. Hue : De toute façon, à partir de lundi, c’est un deuxième tour qu’il faut préparer. Je vois bien que nous ferons beaucoup de choses ensemble.

J.-P. Elkabbach : Par exemple ?

R. Hue : Je souhaite qu’il y ait par exemple des initiatives communes, des meetings communs, si cela est nécessaire pour que la gauche l’emporte et nous y mettrons le meilleur de nous-mêmes. C’est évident.

J.-P. Elkabbach : Mais pendant la semaine, vous préparez une politique d’un gouvernement commun ou pas ?

R. Hue : Mais déjà, sur la base des déclarations communes, il y a des convergences qui peuvent permettre cette mise au point d’un accord de gouvernement – au lendemain du deuxième tour, pas avant que les Français se soient définitivement exprimés.

J.-P. Elkabbach : C’est-à-dire que les Français votent et s’ils donnent une majorité à gauche, ils ne savent pas sur quel programme de gouvernement.

R. Hue : Si, ils savent que, dans la déclaration commune que nous avons signée ensemble, il y a les grandes options que vous retrouvez dans les programmes respectifs de nos formations. Ils savent, par exemple, que nous demandons une augmentation sensible des salaires – c’est dans la déclaration commune. Et donc, effectivement, je pense que la proposition que je fais d’une augmentation du Smic de 1 000 francs doit être prise en compte.

J.-P. Elkabbach : Monsieur Jospin dit, ce matin dans « Le Parisien » : nous proposons une politique sur cinq ans. Je ne veux pas de flambée pour ensuite être contraint à des plans de rigueur. C’est-à-dire pas tout, tout de suite. Et là, il est raisonnable, il n’a pas tort ?

R. Hue : Pas tout, tout de suite, mais beaucoup tout de suite, quand même, pour qu’il y ait vraiment un changement de politique. Si on ne donne pas du pouvoir d’achat supplémentaire en matière de salaire, de pension, de retraite, si on ne s’engage pas vite dans les 35 heures sans diminution de salaire, il est bien évident qu’on n’aura pas été conformes aux engagements que nous avons pris. Nous, nous voulons être conformes aux engagements que nous avons pris et le vote communiste sera un élément essentiel pour que la gauche tienne ses engagements.

J.-P. Elkabbach : C’est cela, le vote utile ?

R. Hue : Oui, c’est le vote utile. Peut-être que le vote communiste n’a jamais été aussi utile qu’il ne l’est cette fois.

J.-P. Elkabbach : Si la droite reste majoritaire, est-ce que vous lui laisserez une sorte de période d’état de grâce pour qu’elle applique ses idées et ses réformes ?

R. Hue : La droite nous promet une politique désastreuse : des milliers et des milliers de suppressions d’emplois. Vous pensez que l’on va baisser les bras ? Mais il faudra avoir justement des députés communistes qui se battent et nous voulons, nous, tout de suite, prendre les initiatives nécessaires, avec le mouvement social si c’est nécessaire. Mais je ne m’inscris pas dans cette hypothèse, je crois que la gauche peut gagner.

J.-P. Elkabbach : Vous pouvez être optimiste.


France Inter : Lundi 26 mai 1997

J.-L. Hees : Divine surprise avec ce retour en force de la gauche, ou bien une divine surprise un peu teintée de frustration pour le Parti communiste qui finalement fait autour de 10 % de suffrages ?

R. Hue : On avait dit que si le Parti communiste atteint ces 10 %, ou en tout cas est autour de 10 %, ce sera pour lui une barre importante de franchie. Ce matin, les derniers chiffres, qui sont un peu différents des estimations d’hier soir, donnent le Parti communiste… le ministère de l’Intérieur à 3 heures du matin en était à 9,98 %-9,99 %. D’après mes renseignements, on est à 10 % de suffrages.

P. Le Marc : C’est une progression de 1 point seulement.

R. Hue : Oui. C’est une progression. Cela consolide la position du Parti communiste. Pour la gauche dans son ensemble, il y a un progrès, mais rien n’est joué. Je crois qu’il faut se garder ce matin de tout triomphalisme. En même temps, il ne faut pas être trop réservé sur une possible victoire. Tout est ouvert. Je crois que les résultats d’hier soir sont encourageants pour ceux qui ont voulu sanctionner le président de la République. Le Parti communiste s’inscrit là, dès maintenant, dans une dynamique de large rassemblement pour que la gauche gagne.

J.-L. Hees : On a remarqué l’extrême prudence de Lionel Jospin hier soir, qui appelle à une campagne positive. C’est un message qui s’adresse au Parti communiste ? Que va-t-il se passer dans les heures qui viennent ?

R. Hue : Vous entendez mon propos : il est extrêmement positif. Il faut bien regarder ce qu’est le rapport de forces réel. Il y a un taux d’abstention important, cela veut dire qu’il y a des réserves à droite. Je crois qu’il faut à la fois manier avec prudence ces résultats de la gauche au premier tour et, en même temps, il ne faut pas freiner une certaine satisfaction de voir ce qui se passe par rapport à la politique de droite. Refaisons très rapidement, en quelques secondes, l’analyse ders choses : le président de la République a choisi son terrain ; c’est lui qui a choisi cette dissolution à ce moment précis, dans la perspective d’une majorité lui permettant de se livrer à un véritable tour de vis d’austérité. Tout cela est en échec. L’échec est cinglant. C’est une très sérieuse sanction. Il faut que les Français confirment cette sanction et donnent à la gauche une majorité lui permettant de faire une autre politique, une véritable autre politique.

P. Le Marc : Avez-vous eu un contact hier soir avec Lionel Jospin ? Êtes-vous d’accord avec sa lecture du contrat PS-PC, à savoir « c’est le suffrage universel qui décide » ? Le PS a obtenu 27,5 % des voix, vous 10 %. C’est donc le projet socialiste qui l’emporte.

R. Hue : Le rapport de forces à gauche est, par rapport aux estimations, sans surprise. Le Parti socialiste, effectivement, à ce résultat. Il est le parti le plus influent de la gauche. Mais il reste qu’en tout état de cause, mais plus que jamais, dans la situation du rapport des forces issues des urnes hier, il n’a pas de majorité pour une seule formation à gauche dans ce pays. Il faut un rassemblement. Il faut un Parti communiste autour de 10 %. Il ne faut quand même pas faire la fine bouche devant ce résultat. Je regardais le détail des chiffres donnés par le ministère de l’Intérieur à 3 heures du matin : le RPR est à 15 %. Ça resitue ce qu’est la situation de la France aujourd’hui : une droite qui est assez partagée, et la gauche qui est forte avec toutes ses composantes.

P. Le Marc : Faut-il une négociation, et sur quoi ?

R. Hue : Nous avons une déclaration commune qui a été réalisée à la fois pour le premier tour et jusqu’au soir du second tour.

P. Le Marc : Un peu vague !

R. Hue : Non. Elle précise un certain nombre de convergences importantes qui permettent une véritable politique de changement en France. Il y a des différences, mais je crois que les Français ont apprécié – maintenant, ce matin, on en a la certitude – qu’à la différence de la droite, la gauche ne dissimule pas qu’elle avait des différences et qu’elle les mettait sur la table, qu’on en discutait ouvertement.

J.-L. Hees : Quelque chose a changé depuis hier : il y a une poussée de la gauche. Sur l’Europe, on a vu qu’il y avait de la bonne volonté pendant la campagne, mais maintenant, on passe aux choses sérieuses.

R. Hue : Les Français, hier, ont à la fois sanctionné avec force la droite, le président de la République, Alain Juppé. Deuxièmement, ils indiquent qu’ils veulent changer et changer vraiment. Cela implique que des mesures qu’une gauche majoritaire devrait prendre dans le cadre d’un accord de gouvernement doivent être à la fois rapides, significatives et de nature effectivement à répondre à l’attente des Français. Parce qu’en même temps, on voit ce score inquiétant du Front national. La gauche n’a pas gagné ; il faut qu’elle se mobilise. Il y a des réserves partout, donc il faut bien regarder les choses. Mais en même temps, on voit le danger que représenterait une gauche qui ne s’affirmerait pas suffisamment à gauche avec un Front national qui, sur ce terrain de crise liée à la politique de la droite et aux difficultés sociétales, peut marquer encore des points. Là, il y a un devoir d’ancrage à gauche. Plus que jamais le Parti communiste est en situation de contribuer à cet ancrage. Il veut contribuer positivement à cet ancrage en étant une force de rassemblement de la gauche au deuxième tour, des écologistes, des forces de progrès.

A. Ardisson : Est-ce que finalement votre accord avec le Parti socialiste n’est pas un accord d’opposition mal ficelé ou pas assez bien ficelé pour se transformer en accord de majorité ?

R. Hue : Je ne crois pas parce qu’il y a l’accord que nous avons signé, il y a la décision que nous avons prise d’aller au premier tour des élections et au deuxième tour avec nos programmes singuliers, respectifs, notre identité. Et dans ces programmes, il y a là de quoi mener une bonne politique pour changer les choses. Nous allons pouvoir en discuter si une majorité se dégage et si on peut transformer cette majorité arithmétique en majorité politique puis ensuite éventuellement en accord de gouvernement. Mais dans les propositions pour faire reculer les inégalités sociales proposées par le Parti communiste dans ces élections, avec les augmentations sensibles de salaire, le Smic, la nécessité de baisser très vite la TVA, les 35 heures, s’engager sans délai, ce sont autant d’éléments qui, à mon avis, s’ils sont mis en œuvre, peuvent constituer une bonne politique de gauche.

A. Ardisson : Vous allez vous rencontrer entre les deux tours ?

R. Hue : Il y a des contacts naturellement qui sont pris et très rapidement, nous aurons un échange qui nous permettra de voir dans quelles conditions, déjà, on va à ce deuxième tour, sur la base des analyses respectives de chacun. Vous regarderez à la fois, permettez-moi de le dire, la déclaration de Lionel Jospin et la mienne, vous verrez qu’au nom du Parti communiste, nous analysons les choses d’une façon assez proche du point de vue de l’état du rapport de forces, de la nécessité de largement rassembler au deuxième tour pour battre la droite qui n’est pas battue définitivement, je crois. Il faut bien voir qu’il y a des réserves.

J.-L. Hees : Mais le contrat n’est pas signé ?

R. Hue : Oui, mais on savait qu’il n’y a pas de contrat à signer avant qu’une majorité se dégage de l’Assemblée. Mais il n’y a rien de nouveau ce matin qui n’était pas prévisible. J’ai été, il y a quelques jours, avec vous ici dans ce studio et je disais : la gauche peut gagner mais de toute façon, ça sera au soir du deuxième tour que nous regarderons dans quelles conditions une majorité politique peut se dégager et, éventuellement, un accord de gouvernement. Mais on n’en est pas là, je crois qu’il ne faut pas vendre la peau de l’ours. Là, aujourd’hui, les Françaises et les Français qui nous entendent doivent savoir qu’il y a une gauche qui est en situation de gagner, qu’elle peut gagner, qu’il peut y avoir de nombreux députés communistes, une trentaine…

J.-L. Hees : Moins nombreux qu’en 1993 ou plus nombreux ?

R. Hue : Plus nombreux qu’en 1993. Là, ce matin, je n’ai pas tout dans le détail, mais il y a 25 à 30 sièges possibles pour le Parti communiste, compte tenu des résultats que nous avons.

J.-L. Hees : Je voudrais qu’on revienne à un sujet qui a été un peu escamoté à la veille de ce premier tour des législatives, c’est l’Europe. J’écoutais la revue de presse d’A. Taylor : le Parti communiste français passe toujours pour europhobe, ce n’est pas le cas du Parti socialiste. Comment est-ce vécu à l’intérieur même de votre organisation, c’est-à-dire la bonne volonté que vous avez manifestée ?

R. Hue : Je trouve que la formule employée par A. Taylor ne correspond pas, le Parti communiste n’est pas europhobe…

J.-L. Hees : C’est celle de la presse, pas d’A. Taylor bien sûr.

R. Hue : Oui, pardonnez-moi, le Parti communiste est profondément pour une autre Europe. Il ne veut pas de cette Europe ultra-libérale, cette Europe qui se traduit par l’austérité en France, des milliers et des milliers de licenciements. Donc, nous voulons une autre Europe. Et nous avons dit dans cette campagne à la fois qu’il y avait des convergences possibles pour essayer de construire une Europe qui n’engendrerait pas une nouvelle austérité – d’ailleurs j’ai entendu Lionel Jospin prononcer des propos assez proches de cela – et en même temps, je crois que si la gauche devient majoritaire, il y a une discussion qui peut s’engager avec ses partenaires européens. Je pense que la France peut discuter avec ses partenaires européens pour une réorientation de l’Europe. Je crois qu’il n’y a rien de fermé dans la matière. D’ailleurs, on voie bien que, dans toute une série de pays d’Europe, cette question reste tout à fait ouverte. Je crois que la gauche peut très bien dégager les axes cohérents d’une politique européenne nouvelle qui ne soit pas cette politique ultra-libérale. Et donc, le Parti communiste s’inscrit au positif dans une Europe qui ne serai pas l’Europe de Maastricht, naturellement.

J.-L. Hees : Et à l’égard de Jacques Chirac ? Parce que tout cela suppose, bien sûr, une cohabitation.

R. Hue : Le président de la République devra, quand même, regarder de très près ce que vient de se passer, dans la façon dont son échec est cuisant et ressenti comme tel. J’entendais ce matin, y compris sur votre antenne, des représentants de la majorité qui s’en rendent compte. Ils parlent d’avertissement, c’est un doux euphémisme, c’est un revers terrible. Je crois que le président devra tenir compte de ce que pensent les Français. Dans ce que pensent les Français, il y a la nécessité de changer de politique et, au plan européen, il y a la nécessité de ne pas poursuivre dans une Europe qui soit cette Europe ultra-libérale.

P. Le Marc : Un Front national à 15 %, cela vous inspire quel commentaire ?

R. Hue : Un commentaire inquiétant. Je trouve que c’est très inquiétant ! Ce Front national continue de gagner des voix sur une situation de crise, de pourrissement, de délitement. Là non plus, ce n’est pas au lendemain de l’élection qu’il faut changer de ligne, il faut s’attaquer de front à toutes les questions de société qui font que le Front national peut se développer. Il faut aussi offrir une véritable alternative. Quand j’évoquais tout à l’heure la nécessité d’une gauche qui change vraiment les choses, c’est à cela que je pense. Une partie des gens qui ont voté Front national, pour certains d’entre eux, il y a aussi un certain désespoir, un rejet des forces politiques qui n’apparaissent pas comme alternatives pour beaucoup d’entre elles. Donc, il faut être très attentif à la nature des changements que l’on peut proposer. Cela peut être effectivement encore, et l’élection le montre, une possibilité pour le Front national de se développer.

J.-L. Hees : Justement, il y a une sanction, manifestement, à l’égard de la majorité mais il y a aussi un message très fort des Français à l’égard de la vie politique et de la morale politique, comme par exemple, savoir tenir ses promesses, ne pas parler pour ne rien dire.

R. Hue : Vous avez vraiment raison. C’est très, très important. C’est une des remarques les plus importantes qu’il faut prendre en compte. Par rapport à la crise de la politique, c’est un avertissement à tous ceux qui sont en charge.

J.-L. Hees : Et cet avertissement, vous l’entendez bien sûr ?

R. Hue : Mais si on est sourd à ces avertissements, c’est fou ! Les Français sont prêts à renouer avec la politique, à condition que la politique ne les déçoive pas. À condition qu’il y ait d’abord cet affrontement nécessaire entre deux logiques, il ne faut pas essayer de créer le flou ! Il y a deux logiques dans ce pays qui s’affrontent et je crois qu’il faut que le débat soit très clair entre la gauche et la droite. Il faut que les Français aient le sentiment vraiment d’être entendus. Il y a des cris dans tout cela. Il y a beaucoup d’appels dans tout cela. Il faut qu’ils soient entendus. C’est peut-être l’un des messages les plus puissants de cette élection. Les Français ne veulent pas être méprisés par les politiques, ils veulent être entendus et il faut leur faire des propositions qui correspondent à ce qu’ils attendent. Ils attendent un changement, un vrai changement, un changement qui leur permette de mieux vivre, une amélioration sensible de leur vie quotidienne, de l’avenir de leurs enfants. Tout cela, il faut l’entendre ! Et je crois qu’une partie du deuxième tour va se jouer sur ces grandes questions. Est-ce que l’on va, oui ou non, entendre les Français ? Je ne m’intéresse pas à ce que va dire la droite mais je pense en revanche à la gauche. Il faut que la gauche dise qu’elle a entendu, qu’elle veut ce vrai changement. Et ce changement passe par des mesures dont il faut avoir le courage de prendre l’initiative. Ce sont des mesures d’orientation nouvelle de l’argent, des mesures permettant une réelle politique de gauche bien ancrée à gauche.

A. Ardisson : Historiquement, il est arrivé à plusieurs reprises à la gauche d’avoir la victoire en ligne de mire à l’issue du premier tour et au deuxième tour, grosse déception. Qu’est-ce que vous rappelle ce scrutin ? L’élection de 1978 ? De 1986 ? Une autre ?

R. Hue : Ce scrutin me rappelle effectivement des scrutins très serrés mais je crois qu’il représente un caractère plus inédit qu’on ne le dit. Il y a, je le répète, une situation où la droite garde des réserves. Je ne veux pas, ce matin, avoir un discours triomphaliste car ce serait dramatique.

A. Ardisson : C’est plutôt le contraire, quand on vous écoute !

R. Hue : Il est très réaliste, mon discours. C’est cela la réalité, ce matin. Il y a là un résultat qui est important pour la gauche mais la gauche n’est pas encore majoritaire à l’Assemblée. Il faut qu’elle gagne, donc mobilisons. Il est évident qu’un discours différent conduirait peut-être un certain nombre d’hommes et de femmes de gauche à dire qu’après tout, c’est gagné. Non, non, ce n’est pas gagné et le Parti communiste va mettre le meilleur de lui-même pour largement rassembler.


RMC – Mercredi 28 mai 1997

P. Lapousterle : On se doute, monsieur Hue, que vous n’applaudissiez pas, hier, l’allocution du président de la République, mais peut-être conviendrez-vous, ce matin, qu’elle n’a pas été provocante. « J’ai bien reçu votre message », a dit le président de la République, qui s’est gardé de toute attaque vraiment frontale contre l’actuelle opposition.

R. Hue : Oui, mais précisément, vous avez raison de citer cette phrase : « J’ai bien reçu votre message. » Mais en fait, ce que j’ai entendu, moi, dans son allocution, c’est qu’il persiste et signe dans une certaine indifférence à ce qu’ont exprimé les Français. Qu’ont dit les Français dimanche ? Ils ont été clairs, y compris dans les rangs de son électorat : votre politique ne va pas, à gauche même ils ont dit qu’elle est mauvaise, ça suffit, il faut en changer. Qu’est-ce qu’a dit, hier, le président de la République, d’un ton calme ? il dit – ce que je ne lui reproche pas : « Nous recueillons les fruits de nos efforts. » Mais c’est très provocant pour les Français. Les fruits de leurs efforts ! Mais c’est le chômage qui continue, c’est la précarité, c’est les difficultés, c’est les privatisations. Ces fruits-là, ils n’en veulent plus les Français ! Il faut une autre politique. Or il ne répond pas à cela, et pour cause, c’est que la politique qu’il préconise est la continuité, pour le moins, mais je pense, moi, l’aggravation de la politique mise en œuvre. Donc il me semble que ce discours ne répond pas à l’attente des Français, et ce qui répond à l’attente des Français, c’est ce qu’on peut avancer comme véritable politique de changement.

P. Lapousterle : Pourtant monsieur Hue, « plus de liberté d’entreprendre et plus de garanties économiques pour tous », comme promis hier soir, c’est pas un si mauvais programme ?

R. Hue : Mais ça, c’est des mots ! Vous savez, c’est la troisième fois qu’il repart dans un discours… Trois discours en un mois, pour dire des mots, certes. Mais les Français sont maintenant en situation d’être, comme dirais-je, par rapport au président de la République, il y a un problème de crédibilité. Il s’est engagé à… Il a fait tellement de promesses qu’il n’a pas tenues ! Hier, il n’est pas allé à un nouveau coup de type « fracture sociale », mais quand même ! Il dit : « J’ai entendu. » Mais, en plus, je répète, dans son message il y a l’idée que lui il veut continuer, qu’il faut… Non, ça ne correspond pas du tout. C’est à mille lieues de la réalité, de ce que pensent les Français. Je crois que, désormais, il faut que la dynamique qui s’est engagée à la fois au premier tour et au soir du premier tour, pour beaucoup de Français qui ont découvert que la gauche pouvait gagner, cette dynamique doit s’amplifier. »

P. Lapousterle : Vous pensez que la victoire est à portée de la main, ce matin, pour votre camp ?

R. Hue : Je pense qu’il ne faut jamais vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Mais je pense effectivement, aujourd’hui, qu’il est possible que la gauche gagne. Mais en même temps, ça la met dans une situation de responsabilité immense. Le PC est sensible à cette situation, il veut prendre ses responsabilités. Parce que cette gauche se trouve dans une situation peut-être d’être conduite aux affaires, mais avec des mesures à prendre qui me semblent étroitement liées à une situation singulière, une exigence forte des Français, légitime. On voit un Front national qui a grandi dans cette élection, c’est dramatique. Mais en même temps, ça veut dire que, s’il n’y a pas des mesures immédiates prises par une majorité de gauche, un éventuel gouvernement de gauche, qui donnent des signaux suffisamment forts, c’est dangereux une situation comme celle-là.

P. Lapousterle : Justement, à ce propos monsieur Hue, vous dites avant-hier : « Les propositions d’un gouvernement de gauche dans les premiers jours, doivent être audacieuses. » Les premiers jours, si vous êtes élus dimanche, c’est donc dans les semaines à venir. Quelles mesures estimez-vous indispensables de prendre rapidement – donc « audacieuses » pour reprendre votre terme –, dans les jours qui suivent la venue au pouvoir de la gauche ?

R. Hue : Très vite et très concrètement, je pense qu’il faut relancer la machine économique, donc une augmentation sensible des salaires. Moi, j’ai évoqué une augmentation du Smic, j’ai dit ce qu’était la proposition du PC – de 1 000 francs, avec une répercussion sur les…

P. Lapousterle : Mais j’imagine que vous n’espérez pas que dans la première semaine de juin…

R. Hue : Vous voyez, c’est ça la question : est-ce qu’on entendra bien le signal, sinon la situation sera difficile. Il ne s’agit pas d’avoir des propositions irresponsables, qui seraient démagogiques, ce n’est pas du tout ça l’esprit. Je pense que c’est réaliste, mais il faut le faire. Il faut que les gens qui vont conduire la gauche au pouvoir aient le sentiment que, cette fois, les choses sont bien entendues. Sur les privatisations, il ne faut pas tergiverser ; il faut stopper les privatisations qui ont été annoncées. D’ailleurs, dans l’accord, dans la déclaration du PC et du PS, nous disons : stopper les privatisations de Thomson, Air France, France Télécom. C’est sans ambiguïté. Et redonner, promouvoir, le secteur public. Sinon, il n’y aura pas…

P. Lapousterle : Et du point de vue du pouvoir d’achat des Français, du point de vue de ce qui changera dans leur vie ? Je vais vous poser une question très franche, ce matin : pensez-vous qu’avec l’argent disponible – dont tout le monde sait qu’il est rare –, pensez-vous qu’avec les contraintes financières et internationales qui sont incontournables pour notre pays, et dans la situation de cohabitation qui sera la vôtre, est-ce que vous pensez que la gauche – parce que c’est ça le problème pour tous les Français – sera en mesure, lundi prochain, si elle est élue dimanche, de proposer une politique en rupture – je dis bien en rupture – avec celle qui a été menée par Alain Juppé ?

R. Hue : Oui, franchement, si la gauche s’ancre bien à gauche, elle doit avoir le courage de prendre des mesures qui touchent à des questions de fond, c’est-à-dire à la réorientation de l’argent. Vous me dites « les contraintes », j’entends bien et je vois bien les marges. Mais les marges sont plus larges qu’on le dit ; à condition de s’attaquer vraiment, et de mener une politique de gauche. Si on ménage la chèvre et le chou, il n’y aura pas les marges suffisantes pour les mesures sociales que j’indique là. Mais il faut donc qu’il y ait une réorientation sensible au plan fiscal, au plan des revenus financiers. Je ne dis pas qu’il faut renverser la barque, mais quand même ! Une taxation des revenus financiers au moins à la hauteur de la contribution des salaires aujourd’hui, ça me semble une mesure de nature à rapporter et donc à répartir différemment, à relancer un certain nombre de choses. Sinon, il faut bien vois qu’il y a de la déception, et qu’il y aura de la déception. Il y a là un mouvement social qu’il faut bien prendre en compte. Ce mouvement social, il peut accompagner la gauche, ils l’attendent de la gauche, c’est de s’y retrouver dans les urnes dimanche, je pense, en partie. Mais il faut qu’ils soient plus encore dans les urnes, là, au second tour. Mais ce mouvement social, il faudra en tenir compte. Il faudra faire le choix de ceux qui ont voulu cette gauche aux affaires. Voyez, je ne tiens pas un discours qui vise à être excessif. Tout ça c’est très réaliste, mais en même temps, la situation créée, implique de donner ces signaux nécessaires, sans lesquels la gauche courrait des risques.

P. Lapousterle : Vous avez dit, pendant tout le long de la première partie de la campagne, qu’il était sain – à vous yeux – que les différences – sans parler des divergences – entre le programme du PC et du PS, aient été apparentes, visibles pour tout le monde. Comment va se résoudre, si vous êtes au pouvoir ensemble, lundi prochain, si vous êtes élus dimanche, le compromis entre vos propositions et celles du PS, dont le PS n’a pas caché qu’elles seraient majoritaires et donc qu’elles devaient l’emporter le plus souvent ?

R. Hue : Il y a une déclaration commune PC-PS – que « L’Humanité », d’ailleurs, a rééditée aujourd’hui, ce n’est pas un hasard –, qui a été signée il y a un mois, et qui définit à mon avis une grande convergence d’une politique possible. C’était possible il y a un mois, on ne dissimule pas des différences mais je pense, au regard qu’on peut porter sur cette déclaration, que les convergences sont beaucoup plus fortes, qu’il y a les moyens de vrais changements, d’une vraie politique de gauche. Ça peut se faire très vite, tout ça. D’ailleurs, nous avons décidé ensemble d’aller aux élections, aux deux tours, avec nos programmes respectifs. Je vois bien ce qui sort des urnes. Il y a un PS qui a une forte représentation potentielle, le PC – ce n’est quand même pas la surprise – atteint en gros les 10 % qu’il avait mis comme objectif, qui étaient importants pour lui. Mais ce qui est nouveau, en ce deuxième tour, c’est qu’il est maintenant probable que le PC aura 25, 30 députés, peut-être un petit peu plus. Il y a là un groupe très fort, beaucoup plus fort.

P. Lapousterle : Essentiel en tout cas à la majorité…

R. Hue : Essentiel, alors c’est clair. Il n’y a pas de majorité possible, mais pas du tout de majorité possible, mais pas du tout de majorité possible, sans ce groupe. Donc tout ça doit être pris en compte et sera pris en compte.

P. Lapousterle : Quand les Français ont entendu « 35 heures payées 39 heures » – ce qui les intéresse, j’imagine, et peut-être une des raisons pour lesquelles ils votent à gauche : dans combien de temps on pourra faire ça ? Eux croient que ça va être tout de suite.

R. Hue : Il faut aller vite dans ce domaine, sinon ça ne sera pas efficace. Parce que, qu’est-ce qu’il y a derrière la mesure des 35 heures sans diminution de salaire ? Il y a l’idée que c’est fortement créateur d’emploi. N’oublions pas que la question numéro un, en France, aujourd’hui, c’est l’emploi, c’est la priorité à l’emploi. Et on ne pourra pas créer des centaines de milliers d’emplois nécessaires, qui seront aussi là le signal fort de la gauche, si nous ne prenons pas ces mesures très vite.

P. Lapousterle : Il n’y a pas un discours de l’actuelle majorité sans qu’on dise aux Français que si les socialistes arrivent au pouvoir il y aura des communistes avec eux. Pourquoi faites-vous encore peur, monsieur Hue, à votre avis ?

R. Hue : Je crois qu’on ne fait plus peur aux Français. Les Français voient bien que le PC, moi-même, dans l’image que je donne, nous n’effrayons pas. Mais je pense que la droite a peur, ça c’est vrai. La droite a peur, parce qu’elle sait que si nous sommes aux affaires avec les différentes composantes de la gauche, nous porterons très fort notre exigence légitime – mais c’est pas une pression du tout –, mais que des mesures fortes soient prises, ancrant bien à gauche ce gouvernement. La droite a très peur parce que c’est pas du tout sa politique.


France 2 – Vendredi 30 mai 1997

G. Leclerc : Philippe Séguin, Premier ministre, Alain Madelin un grand ministère. Est-ce que ce n’est pas la bonne idée, le ticket gagnant qui peut renverser la tendance et faire gagner la droite ?

R. Hue : Écoutez, je crois que ça traduit en tous les cas un certain affolement de la droite et du président de la République au vu des résultats du premier tour qui sont un désaveu terrible, une sanction lourde. Et je ne pense pas que la mise en place de cette sorte de plan Orsec de la droite, soit de nature à convaincre les Français qui ont sanctionné et qui veulent le changement. On voit bien : en trois jours Philippe Séguin a rogné tout ce qui faisait un peu son identité républicaine par rapport à d’autres. Depuis, il s’allie avec monsieur Madelin, qui est quelqu’un dont on connaît non seulement l’ultra-libéralisme mais les origines venant de la droite extrême. Donc, tout ça me semble des dispositions mises en place très vite, dans l’improvisation et qui ne sont pas de nature, me semble-t-il, à inverser ce qui s’est traduit à ce premier tour, une certaine dynamique de la gauche, et je m’en félicite.

G. Leclerc : Oui, mais il n’en reste pas moins que Philippe Séguin est populaire et que là, il s’engage personnellement à « un pacte de confiance avec les Français, dit-il, sur l’Europe, l’emploi et la croissance ». C’est des thèmes qui devraient vous-même vous satisfaire ?

R. Hue : Oui, mais quand on voit ce qu’il dit sur l’Europe par exemple aujourd’hui, c’est tellement différent de ce qu’il disait il y a quelques jours seulement – huit, dix jours –, tout ça semble vraiment s’inscrire dans une sorte de plan de sauvetage rapide mais ne convaincra pas, je le pense, les Français. En tous les cas, moi c’est l’inverse que je ressens. Je ne le ressens pas dans la campagne. Je suis sur le terrain, je me bats avec mes amis, on peut gagner un grand nombre de sièges, plus de 30 sièges possibles pour le PC et je crois qu’une gauche peut être majoritaire à l’issue de ce scrutin. Ce que je ressens sur le terrain ce n’est pas une mobilisation nouvelle à droite. Par contre, je sens une dynamique à gauche, incontestable.

G. Leclerc : « Dynamique à gauche » mais pourtant, est-ce qu’il n’y a pas une contradiction forte à gauche : c’est-à-dire que, d’un côté, vous tenez des meetings communs – cet après-midi vous serez avec Lionel Jospin – et, en même temps, on vous entend vous et Alain Bocquet dire que « les communistes se prononceront seulement lundi sur une éventuelle participation au gouvernement s’il y a une victoire de la gauche ». Ce n’est pas un signe de défiance ?

R. Hue : Non, ça a toujours été notre choix. Lors de notre congrès, nous avons dit – alors bien sûr nous n’imaginions pas les élections anticipées, donc les conditions de la consultation des communistes sont beaucoup plus rapides, mais nous avons dit : nous consulterons les adhérents du PC à l’issue du deuxième tour de l’élection législative pour donner notre point de vue sur la participation des communistes au gouvernement de la France. Non, je crois qu’il reste que nous avons, avec le PS, élaboré une déclaration commune qui, à mon avis, présente beaucoup de convergences qu’il faut regarder de près, avec des mesures qui sont au fond des propositions significatives, montrant en même temps nos différences. Nous avons choisi de ne pas tricher avec les Français, de dire : voilà, nous avons beaucoup d’accords mais il y a aussi des différences importantes et nous voulons les développer. Cela a été dans la campagne.

G. Leclerc : Est-ce que, quelque part, cela ne ressemble pas un peu à du chantage ça ? Sur quels critères allez-vous… ?

R. Hue : Pas du tout ! Lundi, si la gauche est majoritaire, nous devrons déterminer très vite, et ça peut se faire très vite, un certain nombre de dispositions qui traduiront ces engagements qui sont dans la déclaration commune. Je crois qu’il faut bien mesurer la responsabilité à laquelle est confrontée la gauche aujourd’hui et qu’elle doit prendre pleinement en compte. Il est impossible d’imaginer une gauche qui ne s’engagerait pas suffisamment vite sur des propositions et des choix concrets permettant au peuple de gauche, mais pas seulement, à cette France qui a choisi davantage la gauche, de se retrouver dès le mois de juin, dès le mois de juillet, comme ayant été entendue. Et donc, je pense qu’il y a des mesures importantes sur lesquelles je me suis prononcé dans la campagne des élections législatives, concernant l’augmentation sensible des salaires, concernant des dispositions fiscales à prendre, de prélèvements sur les revenus financiers, mesures immédiates sans lesquelles on n’aura pas les moyens d’une politique. Or, une gauche qui ne tiendrait pas ses engagements conduirait à une déception qui serait non seulement majeure mais qu’il faudrait regarder en fonction de ce qu’a été la progression du Front national.

G. Leclerc : Oui, mais dans le même temps, Lionel Jospin dit « qu’il faut agir dans la durée et qu’il ne faut pas flamber, avec ensuite des désillusions. »

R. Hue : Écoutez, sur cette question, j’ai vu aussi ce qu’a écrit dans la presse, hier, Lionel Jospin. Je pense que ça nécessite qu’on discute. Parce que, moi personnellement, je pense aussi qu’il faut une orientation gouvernementale, une cohérence gouvernementale et nous voulons y contribuer, mais la durée ne peut gommer ce qu’il est nécessaire de faire d’emblée, tout de suite, pour que les Françaises et les Français sentent bien que la gauche, c’est bien la gauche.

G. Leclerc : Donc, on peut très bien avoir un soutien sans participation, sans ministre communiste ?

R. Hue : Les communistes en décideront. Est-ce que la discussion que nous aurons avec le PS, l’issue du scrutin… Vous me posiez tout à l’heure des questions concernant la mobilisation qui pourrait se faire à droite. Il ne faut pas que la gauche vende la peau de l’ours. Il faut jusqu’au bout travailler d’abord à sa majorité.

G. Leclerc : La victoire n’est pas assurée.

R. Hue : La victoire est à mon avis plus probable que jamais mais elle n’est pas assurée. Il faut encore travailler. Donc, je crois que, à l’issue de ces résultats, nous verrons dans quelles conditions justement peut s’engager une contribution des communistes à un gouvernement.

G. Leclerc : Jean-Marie Le Pen vous a mis sur la liste des candidats qu’il fallait battre absolument. Comment vous le prenez ?

R. Hue : Écoutez, c’est l’hommage du vice à la vertu. Mais vous savez, Le Pen ne digère pas l’échec cuisant qu’on lui a fait supporter à Gardanne. Et qu’est-ce que voit Le Pen ? Il voit que, dans de nombreux endroits en France, il va y avoir de nouveaux Gardanne. Et cela, il ne le supporte pas. C’est tout un honneur pour moi, effectivement, qu’il m’attaque comme ça, qu’il mette ma tête avec celle de madame Trautmann en public.

G. Leclerc : Les sondages sont interdits. « Le Parisien » ce matin brave la loi, les publie au nom, dit-il, de la liberté de la presse.

R. Hue : Les Français ont certainement le sentiment qu’il y a une sorte de caste privilégiée qui connaît ces sondages. Donc, je pense qu’il faut qu’on connaisse ces sondages, ça me semble évident, sans que les sondages puissent exercer une pression sur le suffrage universel, naturellement.