Texte intégral
RTL - jeudi 23 mai 1996
RTL : Aujourd’hui, on vous retrouve aux côtés de la CFDT, plus de FO ?
L. Viannet : C’est surtout l’absence de FO qui est remarqué car la manifestation d’aujourd’hui a été précisément l’occasion de faire faire un nouveau pas en avant sur l’unité d’action autour d’un problème qui est très sérieux puisque la réduction de la durée du travail devient aujourd’hui une question clé si l’on veut débloquer la situation notamment en matière de création d’emploi.
RTL : Vous êtes partisan du maintien des salaires et d’une loi cadre pour les 35 voire 32 heures. Est-ce que c’est réaliste de vouloir une réduction du temps de travail sans réduction de salaire ?
L. Viannet : C’est tout à fait réaliste. Moi, je prends en compte deux choses. La première, c’est l’ampleur de l’augmentation de la productivité depuis cinq ou six ans et la deuxième, c’est la baisse progressive dans l’ensemble des coûts de production des coûts salariaux qui fait qu’il est possible aujourd’hui de réduire la durée du travail et d’une façon suffisamment significative pour ça permette des créations d’emplois. C’est la raison pour laquelle nous posons le problème de l’élaboration d’une loi cadre, mais je dois dire que la loi cadre telle que nous la concevons ne ressemble pas du tout à la loi cadre telle que semble la réfléchir le Gouvernement.
RTL : Le Gouvernement trouve qu’il faudrait que ça aille plus vite et voudrait éviter de légiférer.
L. Viannet : Oui, mais que ça aille plus vite où, comment, pour faire quoi et avec quel contenu ? Parce que, si c’est aller plus vite pour se retrouver avec l’accord, tel qu’il a été signé par le patronat de la métallurgie qui comporte essentiellement des mesures d’aménagements du temps de travail qui vont permettre aux employeurs de faire faire plus de travail avec moins de monde, on n’est pas sorti de l’auberge.
RTL : Le mot annualisation, vous ne voulez pas en entendre parler ?
L. Viannet : Non mais pour une raison très simple. Ce que je redoute, c’est que la formule « priorité à l’emploi » qui a été le socle à partir duquel J. Chirac a bâti sa campagne électorale fait partie maintenant des oubliettes. Si véritablement, on veut rester sur une politique donnant la priorité à l’emploi, alors, ça n’est pas l’aménagement du temps de travail qui permettre de créer des emplois. Ça donne plus de facilité aux employeurs pur une utilisation maxima de leur personnel et ça leur permet d’absorber des surplus de travail avec moins de monde.
RTL : Mais est-ce que le souhait du Gouvernement ou du patronat, évolution entreprise par entreprise n’est pas celle du bon sens ?
L. Viannet : Je crois que le bon sens, d’une part, le souci d’égalité et de justice d’autre part, veulent qu’on élabore une loi-cadre fixant précisément le seuil à partir duquel on va ouvrir des négociations dans les branches et dans les entreprises. C’est la raison pour laquelle nous disons : on bâti une loi-cadre, portant la durée du travail à 35 heures par semaine sans perte de salaire et sans augmentation de la charge de travail et ensuite, on négocie dans les différentes branches pour voir comment on va mettre en œuvre le contenu de cette loi cadre. Mais comment, je crois que ni le Gouvernement ni sa majorité ne sont dans cet état d’esprit.
RTL : On a l’impression de la CFDT met plus l’accent sur l’embauche et vous sur le maintien du salaire ?
L. Viannet : Nous mettons l’accent avec beaucoup de force sur les créations d’emploi et sur l’embauche mais je dirais que et la réduction de la durée du travail et le maintien des salaires pour ne pas dire l’augmentation des salaires dans un certain nombre de branches sont deux éléments absolument indispensables pour qu’il y ait création d’emploi. Nous n’opposons pas l’un à l’autre, nous considérons qu’aujourd’hui, la relance de la consommation à l’appui de laquelle on peut développer l’emploi, passe par une augmentation du pouvoir d’achat. Et vouloir monnayer temps de travail et salaire, c’est faire un marché de dupes par rapport à l’emploi.
RTL : A. Juppé s’est déclaré favorable à la proposition de loi de l’UDF : exonération de charges aux entreprises, en échange d’un accord sur la réduction du temps de travail et de l’embauche de salariés ?
L. Viannet : Il faut y regarder de près, s véritablement, il s’agit de réduction de la durée du travail assortie de création d’emplois, quand je regarde les sommes monstrueuses qui sont accordées aux entreprises sans qu’il y ait le moindre contrôle et sans que l’on puisse constater la moindre incidence sur des créations d’emplois. Si le Gouvernement : moi, cet argent, je veux maintenant l’utiliser autrement, on y regarde de plus près mais à condition de ne pas tricher, à condition de bien voir qu’il s’agit de réduction de la durée du travail, que ça ne porte pas atteinte aux salaires, ne ça ne conduit pas à l’augmentation de la charge de travail et que ça se traduit par des créations d’emploi. Si le Gouvernement se considère en mesure d’élaborer un projet de loi définissant les choses de cette façon, portant la durée du travail à 35 heures, et bien ma foi, on peut discuter. Mais là, c’est plus que des doutes que j’ai.
RTL : Mais pour vous aujourd’hui, la méthode nouvelle à essayer c’est l’aménagement du temps de travail ?
L. Viannet : Non, c’est la réduction de la durée du travail et je vois bien avec quelle facilité joue sur l’ambiguïté des formules. Or si précisément aujourd’hui les salariés sont sur leurs gardes par rapport à cette question, c’est bien parce que dans les différentes entreprises ou dans les différentes branches où cette question est absorbée à partir des ambitions patronales, elle se présente sous la forme de projet d’aménagement du temps de travail, de l’organisation du travail qui très souvent se traduit par une aggravation des conditions de travail et par une remise en cause des acquis. Il ne faut pas s’étonner si actuellement des salariés ont les deux pieds au frein par rapport à cette présentation des choses. Mais je pense que la meilleure façon de dépasser cette difficulté, c’est précisément d’être à l’offensive. C’est la raison pour laquelle nous étions aujourd’hui à Paris et en province dans la rue.
L’Humanité Dimanche - 29 mai 1996
« Réduction du temps de travail : la nécessité d’une loi-cadre »
Réduire la durée du travail est aujourd’hui une nécessité nationale, tant en regarde de conditions de travail, sérieusement dégradées, qu’en regard de la situation de l’emploi.
Il est inacceptable que perdure une situation où plus de quatre millions de privés d’emploi cohabitent avec des millions de salariés écrasés par des conditions de travail déplorables et une durée de travail trop longue, auxquelles s’ajoutent souvent des temps de transport considérables.
Mais le chemin vers la réduction du temps de travail est jalonné de chausse-trappes, dont la plus pernicieuse es le développement des emplois à temps partiel imposé, qui ne sont rien d‘autre que du chômage partiel déguisé, institutionnalisé et non indemnisé. Cela devient aujourd’hui une arme redoutable aux mains du patronat pour barre la route à la réduction du temps de travail.
Nous constatons, à travers les négociations de branches, l’éclatante confirmation de l’acharnement patronal à s’opposer à une réelle réduction de la durée du travail. Ce que recherche le patronat, sous couvert d’aménagement du temps de travail, c’est plus de flexibilité, plus de souplesse dans l’utilisation des salariés au gré de ses besoins, plus de possibilités de moduler les heures à sa guise. De telles présentations hypothèquent lourdement les discussions en cours. Pour l’instant, les quelques rares signatures obtenues sont à l’image de celle donnée par le syndicat Force ouvrière de la métallurgie, c’est-à-dire une capitulation en rase campagne.
Cela dit, il faut bien reconnaître qu’à ce jour la pression des salariés en ce domaine n’est pas à un niveau susceptible d’impressionner le patronat, d’où notre volonté d’intensifier la mobilisation.
La CGT est bien décidée à faire grandir la pression pour exiger une loi-cadre, et le constat que je viens de faire en montre la nécessité. Je note, au passage, que toutes les mesures significatives, de portée générale, en matière de durée du travail, ont été prises par le législateur. De la journée de 8 heures à la semaine 40 heures, en passant par les congés payés, c’est la loi qui a permis de mettre tous les salariés, quelles que soient la branche, la région ou la taille de l’entreprise, à égalité de traitement, car les patrons, eux, se sont toujours opposés à la réduction de la durée du travail.
Cependant, la fixation du cadre par la loi n’exclut nullement des négociations par branche, pour une mise en œuvre prenant en compte la diversité des situations, surtout si nous avons en vue de favoriser les créations d’emplois.
Pour que les retombées soient significatives en termes d’emplois créées, c’est sur la durée hebdomadaire qu’il faut agir. Nous demandons 35 heures sans perte de salaire et sans augmentation de la charge de travail, car la mesure doit être à la hauteur de l’enjeu en matière d’emploi. Évidemment, si dans telle branche ou telle entreprise les salariés peuvent imposer 32 ou 30 heures dans les mêmes conditions, personne ne s’en plaindrait.
Mais, à l’évidence, tout va dépendre de la force avec laquelle les salariés vont investir le champ de cette revendication. Le patronat n’en veut pas. La majorité parlementaire actuelle est plus sensible aux sirènes de la pensée unique, qui imprègne l’action du gouvernement et le comportement des patrons. Les salariés ne peuvent compter que sur eux-mêmes. La CGT, en s’appuyant sur leur volonté, fera tout pour, favoriser des actions unitaires exigeant la réduction du temps de travail.