Interviews de M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, à France 2 le 22 mai 1996, à RTL le 13 juin et le 28 et à France-Inter le 27, sur la maîtrise des dépenses publiques (60 milliards d'économies), l'UEM et le sommet du G7 et la mondialisation.

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Média : France 2 - RTL - France Inter

Texte intégral

France 2 : mercredi 22 mai 1996

France 2 : On entre dans le vif du sujet pour la préparation du budget 97 avec un débat au Sénat à partir d'aujourd'hui et, dans quelques jours, l'envoi par le Premier ministre des directives aux ministres. Vous avez affiché des ambitions élevées, 60 milliards d'économies, on a quelques doutes, on est un peu perplexe quand on voit les premières réactions des ministres. Est-ce que vraiment vous comptez y arriver, et comment ?

J. Arthuis : On ne peut pas faire autrement. Vous savez, pour la première fois, nous avons au Parlement, dès le printemps, un débat d'orientation budgétaire. Jusque-là, on attendait le mois de septembre pour que le Conseil des ministres approuve le projet de loi de finances, puis commençait la discussion à l'Assemblée puis au Sénat et, en définitive, on ne changeait pas grand-chose. Ce que nous avons voulu, c'est présenter au Parlement et aux Français la situation des comptes de l'État des finances publiques. Et le premier constat que nous faisons, parce que nous avons présenté enfin globalement ce budget pour que chacun puisse le lire, comme on le ferait dans votre commune aux Trois-Moutiers. On distingue le fonctionnement et l'investissement et on s'aperçoit que, dans le fonctionnement, on a 109 milliards de déficits et pour financer ce déficit, on emprunte. Autrement dit, on emprunte pour payer les salaires, pour payer les charges sociales, pour payer les dépenses courantes. On ne peut pas continuer. Nous avons un impératif d'assainir nos finances publiques.

France 2 : Donc il faut effectivement faire environ 60 milliards d'économies, c'est ça le chiffre qu'il faut faire ?

J. Arthuis : Il faut faire au moins 60 milliards d'économies.

France 2 : Au moins, c'est-à-dire éventuellement un peu plus ?

J. Arthuis : La dépense publique finit par étouffer l'économie. Nous voulons baisser les prélèvements obligatoires. Mais au fil des années, on a cumulé les déficits publics et donc la dette publique. Et les intérêts sur cette dette de l'État vont représenter 245 milliards en 1997, c'est-à-dire plus de 20 % du produit des impôts que l'État mettra en recouvrement. Alors, il faut rompre avec celle pratique.

France 2 : Oui, mais où faire ces économies, est-ce que par exemple c'est, comme on l'a dit, dans les aides à l'emploi, au logement, il y a du grain à moudre, des économies à faire ?

J. Arthuis : Sur un peu plus de 1 500 milliards de dépenses, il faut des économies partout. Et je me garderais de dire, « il y aura une économie sur tel type de dépenses plutôt que celle-ci ». Non, il n'y a pas de dépense tabou et chaque ministre doit se préparer à faire un budget qui soit un bon budget. Et un bon budget ne sera pas forcément un budget dont le montant des dépenses progresse, bien au contraire. Un bon budget demain sera un budget plus économe. Un budget dont le montant des crédits sera inférieur à celui de l'année précédente. C'est l'intérêt de la nation.

France 2 : Les crédits de fonctionnement, ce sont les fonctionnaires. Est-ce que oui ou non on va réduire le nombre des fonctionnaires, vous aviez annoncé le chiffre de 10 000 ?

J. Arthuis : La question qu'il faut se poser est de savoir s'il n'y a pas ici et là des effectifs supérieurs aux besoins.

France 2 : C'est un peu votre idée, non ?

J. Arthuis : Je fais celle hypothèse. On a beaucoup informatisé depuis des années. Est-ce que, pour autant, on a réduit les effectifs ? Alors n'ayons pas là non plus une approche trop globale mais prenons le temps, service par service, de nous demander s'il n'y a pas un peu trop de monde ici et si on occupe bien son temps. Est-ce qu'il n'y a pas des potentialités, de productivité ? Les fonctionnaires sont des gens extrêmement dévoués, qui ont le sens de l'intérêt public, il faut sans doute revoir les effectifs de la fonction publique.

France 2 : Et le chiffre de 10 000 est un ordre de grandeur qui... ?

J. Arthuis : Oh, je me garderais bien de fixer un chiffre. Ce qu'il faut, c'est qu'on aille vers une juste appréciation des besoins.

France 2 : Des économies d'un côté, est-ce que ça va se traduire par des baisses d'impôt dès 1997, comme l'a souhaité le chef de l'État ?

J. Arthuis : Notre préoccupation est bien sûr de baisser les prélèvements obligatoires et de baisser les impôts. Mais c'est aussi de baisser le déficit parce que le déficit est le montant de l'emprunt. Et à chaque fois qu'on emprunte - d'autant qu'en 1996, j'ai dit que nous allions emprunter pour financer des dépenses courantes -, sur ces recettes de fonctionnement, contrairement à votre commune, l'État n'est pas capable de générer de la ressource pour rembourser les emprunts contractés antérieurement et qui viennent à échéance. Ainsi, en 1996, on va emprunter 229 milliards, 109 milliards pour les dépenses courantes, les salaires, les intérêts, les dépenses qui reviennent tous les jours, 179 milliards pour financer les investissements, ce qui en soi est normal. Mais 241 milliards pour rembourser des emprunts contractés antérieurement et qui viennent à échéance. Alors, c'est cela qu'il faut régler.

France 2 : Est-ce qu'il n'y a pas un risque, quand même, que cette rigueur budgétaire freine encore un peu plus la croissance ? Déjà, le CNPF l'a révisé à la baisse, il n'y aurait plus que 1,2 % pour cette année ?

J. Arthuis : J'étais hier à l'OCDE, tous les ministres présents ont considéré que la baisse des dépenses publiques était un impératif qui ne nuisait en aucune façon à la croissance. La croissance est d'abord un facteur psychologique et moi, j'ai le sentiment que ce qui se perd aujourd'hui, c'est-à-dire un assainissement des finances publiques, doit être un facteur de confiance pour nos compatriotes. Ils sont bien conscients qu'on ne peut pas continuer comme ça, il en est d'une nation comme d'une famille. On ne peut pas vivre durablement à crédit, c'est le président de la République qui l'a dit au moment de la célébration de son anniversaire de septennal.

France 2 : La privatisation des AGF : est-ce que vous êtes satisfait des premières tendances et est-ce que ça vous donne éventuellement l'envie d'accélérer les privatisations cette année ?

J. Arthuis : La privatisation se présente bien, j'ai arrêté le prix à 128 francs.

France 2 : On dit que c'était très bas ?

J. Arthuis : Chacun reconnaît que c'est un prix équitable, attractif, tant mieux. J'ai tenu compte du prix du marché et j'ai pratiqué une décote de l'ordre de 5,5 %, ce qui est modeste, ce qui est inférieur pour des cotes pratiquées en 1993 et 1994. Donc je crois que c'est un bon prix qui devrait susciter l'intérêt des investisseurs. Je crois que c'est une opération qui va bien se dérouler.

France 2 : Vous aviez prévu 22 milliards pour les privatisations cette année. Vous les ferez, vous ferez un peu plus ?

J. Arthuis : Nous essaierons de faire plus. Parce qu'en 1995, nous n'avons pas atteint l'objectif que s'était fixé le gouvernement.

France 2 : Donc vous allez peut-être accélérer un peu le programme ?

J. Arthuis : Je vais tenir compte de l'état du marché. Mais pour l'instant, ça se présente bien.


RTL : jeudi 13 juin 1996

RTL : 125 milliards de dettes de la SNCF prises en charge par l'État ; dérapage des dépenses de maladie : 40 milliards au lieu de 16. Comment avec ces milliards imprévus tiendrez-vous le budget 1997 ?

J. Arthuis : Nous assainissons les finances publiques. On vient de loin et je crois que nous sommes dans la bonne direction. S'agissant de la SNCF, il s'agit tout simplement de transférer les actifs, les infrastructures, c'est-à-dire les voies, les gares, les immeubles, dans une structure. Il y en a probablement pour 125 milliards et on reprend, de cette façon, 125 milliards de dettes. Autrement dit, on scinde les infrastructures et la SNCF comme exploitant d'un grand service de transport. S'agissant de la protection sociale, puis-je vous dire que dès le mois de mars nous avons rendu publiques les perspectives macro-économiques ; et qu'avons-nous dit ? Nous avons dit que le déficit de l'État, ce serait 3,5 % du PIB, et que l'ensemble des administrations de protection sociale, ce serait 0,5, 0,5 %, c'est 40 milliards : il n'y a pas matière à s'inquiéter particulièrement. Nous tenons la bonne direction pour 1996.

RTL : Sera-t-il possible malgré tout de faire les 45 à 60 milliards d'économies sur les dépenses publiques que vous souhaitez et que vous avez annoncées ?

J. Arthuis : Mais nous n'avons pas le choix. Parce que, depuis des années, nous nous sommes abandonnés à une dérive de la dépense publique et cette dépense publique a fini par asphyxier, étouffer notre économie.

RTL : Comme la dépense sociale est toujours en dérive, vous héritez d'une dérive permanente ?

J. Arthuis : Puis-je vous dire quand même que depuis le mois de novembre, depuis l'annonce par A. Juppé du projet de réforme pour la protection sociale, nous avons pris un certain nombre de décisions et que les instruments de maîtrise de la dépense se mettent en place. Il y a un instant, J.-Y. Hollinger annonçait l'offre d'emploi que J. Barrot a lancé pour recruter les directeurs des agences régionales. Il faut que tout se mette en place. Aujourd'hui, nous sommes pratiquement en train de contrôler la dépense. Il y a quelques déconvenues sur les recettes parce que la croissance revient un peu moins vite que ce qu'on avait prévu. Néanmoins, il y a quand même de très bons indices qui se manifestent. Au mois de janvier, nous avons eu une progression de consommation considérable : la croissance du premier trimestre. Voilà autant de facteurs positifs.

RTL : Au moment où l'on parle tout de même de la baisse de l'impôt sur le revenu, est-ce que les déconvenues dont vous parlez sur les recettes n'infléchiront pas le mouvement de baisse des impôts ?

J. Arthuis : Non, nous avons à engager simultanément le reflux, l'allégement des dépenses publiques ; et nous tiendrons le cap de l'objectif que nous nous sommes fixé. Et c'est dans ces conditions que nous allons pouvoir alléger le poids des prélèvements obligatoires, ce qu'a demandé le Premier ministre.

RTL : D'abord économie, après allégement ?

J. Arthuis : Ça n'est pas dès la première année, dès 1997, que l'on va pouvoir retrancher les sommes les plus significatives. Nous allons essayer dès 1997 d'opérer un mouvement, qui soit perceptible par les contribuables français.

RTL : Vous donnez les signes, comme vous avez dit, dès 1997 ?

J. Arthuis : C'est un jalon. C'est sur cinq ans que s'appréciera cette politique.

RTL : Pensez-vous que, autre conséquence évidemment des dérapages éventuels, le passage à la monnaie unique prévu donc dans 1 000 jours puisse se faire au temps et à l'heure précise et dans les conditions déterminées ?

J. Arthuis : Nous ne pouvons pas attendre. D'abord vous avez noté que la nécessité de réduire les dépenses publiques, ce n'est pas pour des raisons européennes. C'est qu'on ne peut pas faire autrement que de faire disparaître progressivement nos déficits.

RTL : À telle condition que la croissance revienne ?

J. Arthuis : Mais la croissance revient. Je vous l'ai dit : premier trimestre 1996, + 1,2 %. Et nous avons aujourd'hui un certain nombre d'indications, ne serait-ce que les crédits : crédits à la consommation, crédits sur les investissements qui commencent à bouger dans le bon sens. Voilà des signes qui sont prometteurs. S'agissant de la monnaie unique, c'est probablement l'élément dont ont besoin les chefs d'entreprise pour investir. Ce qui crée une hésitation, ce qui bien souvent amène tel chef d'entreprise à renoncer à un investissement, c'est l'instabilité et d'abord l'instabilité monétaire. Nous sommes dans un marché unique et nous avons une diversité de monnaie. Si vous êtes patron d'une petite entreprise et que votre concurrent est italien, que la lire italienne vient à dévaluer, vous risquez de perdre du jour au lendemain vos marchés. Voilà dans quel contexte de crainte et quelquefois d'angoisse nous évoluons.

RTL : Donc il faut une monnaie unique mais avec tout le monde ?

J. Arthuis : Il faut une monnaie unique avec le plus grand nombre de pays de l'Union européenne. Il faut que la lire italienne rejoigne le plus vite possible le système.

RTL : Donc qu'elle soit bien dans le système européen ?

J. Arthuis : Je crois que vraiment cette monnaie unique, c'est l'élément de stabilité dont on a besoin pour investir, pour retrouver la confiance, pour créer des emplois.

RTL : Est-ce que vous pensez qu'aujourd'hui, où les Allemands dépassent eux aussi les 3 % de déficit public, que les critères de Maastricht doivent être assouplis ? Pensez-vous qu'ils le seront ?

J. Arthuis : Les critères de Maastricht sont des critères de bonne gestion.

RTL : Si vous n'êtes pas dans les 3 % ?

J. Arthuis : Nous avons l'obligation, pour nos propres intérêts nationaux, de respecter ces critères. Vous savez, l'euro, ça va être la grande affaire. Aujourd'hui, je vais dans le Nord à Valenciennes, je vais rencontrer des lycéens qui ont préparé cette rencontre. Nous voulons aussi expliquer ce que va être le changement pour les citoyens à partir, non pas de 1999, mais de 2002, lorsque l'on distribuera des pièces et des billets libellés en euro pour se substituer à la monnaie nationale.

RTL : Ceci étant, le Sommet de Florence se tient les 21 et 22 juin, est-ce que vous pensez que la controverse sur la « vache folle » et le chantage exercé par les Britanniques sur la Commission européenne feront passer au second plan l'emploi et l'euro qui étaient les deux thèmes principaux de Florence ?

J. Arthuis : Je ne le crois pas. La France a joué un rôle moteur dans cette crise de la « vache folle ». C'est la France qui, la première, a décidé un embargo. C'est la France qui la première a suscité au plan européen des mesures de soutien pour les éleveurs. Il s'agit ici de mettre en sécurité les consommateurs, de veiller au respect des normes de santé publique. On ne va pas passer le Sommet de Florence là-dessus.

RTL : Mais on parlera quand même, et assez, de l'emploi et de l'euro ?

J. Arthuis : C'est une crise qu'il faut gérer, le conseil de Florence est là pour valider les grandes options que nous avons prises, pour assurer la réussite du passage à la monnaie unique, c'est-à-dire le respect d'un pacte de stabilité budgétaire, de stabilité monétaire. Nous sommes aujourd'hui dans la bonne direction. Il n'y a pas si longtemps, on se demandait pourquoi la monnaie unique ? Aujourd'hui, nous nous demandons comment la monnaie unique et nous prenons les moyens de parvenir à notre objectif.


France Inter : jeudi 27 juin 1996

France Inter : Le Sommet de Lyon va-t-il servir à quelque chose ?

J. Arthuis : On peut se demander, et sans doute se demande-t-on, à quoi servent les G7. En fait, la mondialisation est maintenant évoquée quotidiennement : les marchés financiers, les bouleversements des parités de change ; des phénomènes qui s'imposent aux différents États, comme si un ordre économique mondial était à l'oeuvre et mettait en difficulté les autorités nationales. Il s'agit de ne pas se soumettre à ces spéculations mondiales, à ce désordre monétaire qui pourraient mettre en difficulté les acteurs économiques, et notamment les entreprises.

France Inter : Vous voulez parler de cette masse financière qui n'obéit à aucun pouvoir politique ?

J. Arthuis : Il s'agit de mettre un peu d'ordre sur le plan mondial. Faute de quoi, certains de nos compatriotes pourraient considérer que la mondialisation est une sorte de danger, que la concurrence va s'exacerber. Ce que nous voulons démontrer, ce que veut démontrer le président Chirac avec ce G7, c'est que la mondialisation peut être une chance pour chacun. Une chance à l'intérieur de chacun de nos pays du G7 : il faut éviter que certains se sentent progressivement marginalisés parce qu'ils perdraient leur travail, parce qu'ils auraient le sentiment d'être en concurrence avec les salariés d'Asie ou d'ailleurs.

France Inter : Expliquez ça aux salariés de Moulinex.

J. Arthuis : Ceci doit nous faire prendre conscience que nous avons à engager un, certain nombre de réformes structurelles dans notre pays. Ça fait dix ans, ça fait quinze ans, ça fait peut-être plus que nous n'avons pas engagé ces réformes. Puisque nous sommes dans une économie mondialisée, il faut d'abord contribuer à une plus grande stabilité, stabilité monétaire. Il faut prévenir les risques qui peuvent se produire sur les marchés ; souvenez-vous de la Barings. Donc nous allons faire des propositions pour prévenir ces risques. Il faut également lutter contre ce qu'on pourrait appeler une sorte de vagabondage fiscal. Tel acteur économique disposant de ressources importantes peut être tenté d'aller se faire imposer là où les conditions sont les plus favorables.

France Inter : Comment peut-on lutter quand la libre circulation des capitaux existe ?

J. Arthuis : Parce que les pays du G7 conviennent de respecter un certain nombre de principes de bonne conduite, une plus grande coopération pour que les parités monétaires soient plus stables, qu'elles soient plus équitables surtout. Des principes pour prévenir les bouleversements sur les marchés financiers, des principes pour éviter un dumping fiscal.

France Inter : Est-ce que les Américains sont d'accord ?

J. Arthuis : Si les Américains viennent, c'est pour parler. Tout l'intérêt de ces rendez-vous de G7, c'est de se fixer des échéances. Faute de quoi, que se passerait-il ? Il se passerait qu'on aurait vaguement à l'esprit qu'il conviendrait peut-être de lutter contre la concurrence fiscale, de lutter contre ce désordre. Mais il ne se passerait rien. Nous nous donnons des rendez-vous, chaque année. Il faut que, pour chacun de ces rendez-vous, nous ayons des propositions et que celles-ci puissent se mettre en oeuvre. Nous allons également faire des propositions. Quand je dis que la mondialisation doit être une chance pour chacun, c'est aussi pour les pays en voie de développement qui pourraient se trouver marginalisés du fait de la mondialisation.

France Inter : Je voudrais revenir sur les salariés de chez Moulinex car c'est un symbole. Êtes-vous choqué par cette décision de délocalisation ?

J. Arthuis : Je considère que les entreprises doivent assumer leurs responsabilités. Lorsqu'une entreprise a cessé d'être rentable, compétitive, si l'on bloque tout le processus d'ajustement, que risque-t-il de se passer ? On attend, on attend, un beau jour on dépose le bilan et on perd tout. Il faut laisser la possibilité de s'ajuster. Nous avons des lois sociales pour venir secourir ceux qui vont se trouver en difficulté. Ce qu'il faut, c'est faciliter la recréation d'entreprises, régénérer le tissu économique, que les Français aient envie d'entreprendre, qu'il y ait des chefs d'entreprise qui se manifestent sur le terrain et qui recréent des emplois.

France Inter : Est-il normal que l'État ou la région subventionne en Lorraine l'installation d'une usine coréenne qui fait les mêmes produits que Moulinex ?

J. Arthuis : Ceci est un vrai problème.

France Inter : C'est la mondialisation.

J. Arthuis : Est-ce qu'il n'y a pas, parfois, des contradictions dans le fait d'aider dans des proportions substantielles ceux qui viennent de l'extérieur. Ce sont les règles de concurrence qui peuvent être en cause. Il peut y avoir une concurrence déloyale si tel opérateur perçoit de la collectivité publique, qu'elle soit européenne, nationale ou locale, des subsides, des fonds publics qui mettent en difficulté un opérateur local qui, lui, n'a pas bénéficié des mêmes subsides. La voie de l'avenir, c'est beaucoup moins d'aides, beaucoup moins de subventions et surtout, beaucoup moins d'impôts. Et que les entreprises puissent assumer leurs responsabilités, et que les pouvoirs publics soient là pour se donner des moyens de compétitivité, que la France soit plus attractive, que nous soyons capables de générer plus de valeur ajoutée en France. Et qu'ainsi, nous puissions contribuer à l'investissement, à l'emploi et à la cohésion sociale.

France Inter : Vous parliez du Tiers-Monde. Est-ce que les pays les moins avancés ne sont pas les premières victimes de cette mondialisation, de même que les plus pauvres à l'intérieur des pays riches ?

J. Arthuis : Dans une économie mondiale qui ne se donnerait pas de règles, dans une économie qui ne remettrait pas l'homme au coeur du projet politique, dans un monde qui ne mettrait pas la finance et l'économie au service de l'homme, en effet, les plus faibles pourraient se trouver marginalisés. C'est pour prévenir cette éventualité que précisément, des propositions vont être faites, vont être constatées. Il y a tout un travail de préparation pour un G7. Les ministres des Finances, à la demande des chefs d'État, ont préparé un mémorandum sur la stabilité monétaire, sur les aides qu'il convient d'apporter dans un cadre de reconnaissance de ces pays en voie de développement. C'est vraiment l'occasion de démontrer que la mondialisation peut être une chance, mais une chance pour tout le monde, pour les pays riches comme pour les pays pauvres ; à l'intérieur de nos pays, pour ceux qui ont un bon poste et ceux qui redoutent d'être marginalisés.

France Inter : Quand on est sept pays les plus riches et les plus industrialisés, comment fait-on pour inciter la finance à s'humaniser ?

J. Arthuis : La finance serait bien imprudente de considérer qu'elle pourra prospérer dans un champ de ruines sociales. La finance doit être au service de l'homme. C'est la mission des autorités politiques et il faut se réjouir qu'au plan mondial, se constitue un réseau de volontés, de règles de bonne conduite pour que ce soit bien l'homme qui reste la finalité suprême.

France Inter : C'est-à-dire que vous allez envoyer un prêtre aux traders pour les menacer de l'enfer ?

J. Arthuis : Ceux qui voudraient imposer leur force au monde seraient bien imprudents.

France Inter : Vous avez lancé hier deux pièces de monnaie à l'effigie de Clovis et d'Hercule. Clovis sera peut-être contesté.

J. Arthuis : Pourtant, il symbolise les racines de la France, les Francs d'abord, la Gaule et puis la France. Je crois que ces pièces sont l'occasion de retrouver nos racines. C'est vrai pour la pièce portant l'effigie de Clovis ; c'est vrai aussi pour la pièce du bicentenaire du franc décimal. Nous retrouvons nos racines. C'est bien connu, ceux qui négligent leur passé raccourcissent leur avenir.


RTL : vendredi 28 juin 1996

RTL : Êtes-vous convaincu au fond de vous même que les garde fous sont efficaces et suffisants pour nous protéger des risques inhérents à la mondialisation ?

J. Arthuis : Nous nous donnons les moyens de mettre de l'ordre dans l'économie mondiale. La mondialisation est là, elle s'impose à nous de façon irréversible. Elle a des conséquences positives. Vous l'avez dit, un Français sur quatre participe à l'exportation, donc un emploi sur quatre est lié à l'exportation. C'est lié à la mondialisation. Si nos compatriotes peuvent consommer à des niveaux de prix avantageux, c'est parce que sur le marché français viennent des produits manufacturés d'ailleurs. Mais la mondialisation a aussi des effets qui peuvent nous mettre en difficulté, qui font courir le risque d'une marginalisation de certains de nos compatriotes. Alors ce qu'il faut, c'est que cette mondialisation soit une réussite pour tous au sein des pays du G7. Mais également pour tous les pays du monde et également les pays les plus pauvres.

RTL : N'est-ce pas un peu paradoxal d'être ainsi optimiste le jour même où l'on apprend que le chômage a repris sa progression en France avec + 1 % ?

J. Arthuis : Ce sont des chiffres, bien sûr, qui nous préoccupent et qui nous font mal. Mais nous devons être conscients que nous avons entrepris de remettre de l'ordre dans la maison, d'assainir les finances publiques. Peut-on croire que par la dépense publique et le déficit public, on crée de l'emploi ? S'il avait suffi de faire des déficits publics, il n'y aurait plus de chômeurs en France. À l'occasion de ce G7, nous avons évoqué la situation dans un pays comme les États-Unis. Les États-Unis ont réduit leur déficit public et les États-Unis ont créé de l'emploi. Je crois qu'il faut rester confiant. Nous avons pris un cap, le président de la République nous a donné un cap pour notre politique économique et financière, pour la mettre au service de l'homme. C'est ce qui s'accomplit. Nous avons des réformes qui sont en cours de réalisation. C'est cela qui doit nous inspirer confiance. Il y a des moments difficiles à franchir mais moi, je reste confiant. J'affirme que l'économie française a repris une tendance de croissance. Bien sûr le deuxième trimestre est décevant parce qu'il y a - 0,3 % de croissance mais le premier trimestre s'était soldé par une progression de 1,2 % que personne n'attendait. Il faut bien voir que dans ce deuxième trimestre, il y a eu le mois de mai et que cette année le 1er mai, le 8 mai sont tombés un mercredi et que ceci a des conséquences très lourdes en terme de croissance. S'il n'y avait pas eu cette multiplication de jours de congé en milieu de semaine, la croissance eut progressé de 0,2 % pendant le deuxième trimestre. Moi, je garde à l'esprit que nous sommes sur une tendance de progression de + 2,5 % à + 3 %. C'est ceci qu'il faut avoir à l'esprit.

RTL : Globalement, vous estimez que le bilan de ce G7 économique est plutôt positif ? Il n y a pas eu d'affrontements comme il y avait eu certaines années entre Français et Américains ou Européens et Américains ?

J. Arthuis : Nous y travaillerons depuis six mois. Les ministres des Finances avaient reçu des chefs d'État et de gouvernement un mandat très clair et depuis six mois nous avons travaillé à la préparation d'un mémorandum qui a été approuvé, qui est diffusé, qui est rendu public depuis cette après-midi. Il insiste bien sur la nécessite de contribuer à la stabilité. Qu'est-ce qui fait que les chefs d'entreprise hésitent à investir ? C'est l'instabilité. Ils ont besoin de lisibilité, ils ont besoin de stabilité monétaire. Nous nous sommes convenus de principes d'intensification de la coopération. Nous nous sommes convenus également de la nécessité de procédures pour surveiller, pour contrôler les marchés financiers sinon des affaires comme la Barings ou comme Sumitomo qui vient de se solder par un désastre pourraient se multiplier. Donc nous voulons mettre de la sécurité sur les marchés financiers.

RTL : Vous auriez souhaité qu'il y ait un message assez explicite allant dans le sens d'une remontée du dollar, non ?

J. Arthuis : Écoutez, il y a un peu plus d'un an à Halifax, une stratégie a été définie pour un renversement ordonné. Cela voulait dire que le dollar devait s'apprécier par rapport aux autre monnaies et notamment par rapport aux monnaies européennes. Depuis lors, il s'est apprécié. Il y a quelques semaines à Washington, à l'issue du G7 du mois d'avril, j'ai dit que le dollar avait des marges d'appréciation. J'ai redit que le dollar avait des marges d'appréciation par rapport aux monnaies européennes. Il faut bien voir qu'en 1995, du fait de ces parités, l'Europe a sans doute perdu un quart de point de croissance.

RTL : Donc vous pensez que le dollar devrait encore remonter ?

J. Arthuis : Nous avons besoin de parité qui soit des parités équitables et de parités qui soient stables pour que les acteurs économiques trouvent les éléments pour investir, pour susciter de la valeur ajoutée, pour créer des emplois et faire de la cohésion sociale. Du fait de la mondialisation, nous devons les uns et les autres rendre nos pays plus attractifs. C'est ce qui s'accomplit en France. Il faut que la France soit capable d'enraciner sur son sol, dans entreprises qui font de la valeur ajoutée. Nous avons, dans ces travaux du G7, insisté sur une nouvelle approche des problèmes d'emplois, sur la nécessité de mettre la recherche, le développement au service des petites et moyennes entreprises, de développer une culture d'entreprise pour susciter des vocations d'entrepreneur. C'est dans ces conditions que l'on va créer des emplois.