Interviews de M. François Bayrou, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale et président de Force démocrate, à RTL le 15 juin 1997 (extraits) et à Europe 1 le 19 juin, sur le gouvernement Jospin, la recomposition de la droite et du centre, la lutte contre l'idéologie du Front national.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Le Grand Jury RTL Le Monde - Europe 1 - RTL

Texte intégral

Date : Dimanche 15 juin 1997
Source : Grand Jury RTL LE MONDE

(…) Si j’ai indiqué hier qu’à nos yeux ce sommet était très important, c’est parce que nous n’avons pas le droit de manquer ce rendez-vous. Il y a des rendez-vous politiques ; les rendez-vous politiques se rattrapent toujours. Puis il y a des rendez-vous historiques. Ce qui se passe cette année, et singulièrement ce qui va se passer cette semaine et les semaines suivantes, est un rendez-vous historique. (…) C’est aujourd’hui que ça se joue. (…) Ça se joue sur une idée fondamentale qui a accompagné toute la construction européenne : c’était que l’idéal européen s’accompagnait en même temps d’une pratique de bonne gestion, que l’idéal européen – cet horizon formidable que nous avons devant nous, le seul que nous puissions offrir aux jeunes Français – s’accompagnait en même temps d’une pratique de raison en matière de gestion, qu’il n’y avait pas de rêve sans raison, qu’il n’y avait pas de rêve sans sagesse. C’est sur cette idée-là que gouvernement de Gauche et gouvernement de Droite ont ensemble, depuis 50 ans, construit l’idéal européen. (…) Ça se joue sur une idée selon laquelle il va falloir, dans les temps dans lesquels nous entrons, essayer de réduire les déficits colossaux que nous accumulons depuis des années.

Question : Cela doit-il se faire à n’importe quel prix ? La France doit-elle plier une nouvelle fois l’échine devant l’Allemagne ?

La France ne plie pas l’échine en quoi que ce soit. (…) Je considère qu’il n’y a aucun avenir pour la Nation française, (…) si elle n’est pas capable d’être un des piliers d’un grand ensemble.

Question : S’il y avait un échec à Amsterdam qui en porterait la responsabilité ?

(…) J’espère de toutes mes forces – et je sais que le Président de la République y contribuera de toutes ses forces – que l’on va trouver un accord demain ou après-demain. Si ce n’était pas le cas, ce serait très grave pour la France. (…)

Volet social : leurre et réalité.

La France a intérêt à trouver un accord, avec, bien entendu, un volet social. Tout le monde est favorable au volet social. (…)

Question : Ce volet social peut-il comporter de nouvelles dépenses publiques ?

(…) Croire qu’il existe une voie qu’un gouvernement puisse dépenser plus encore, puisse faire plus de déficits, puisse faire plus encore de dettes sans qu’il soit immédiatement sanctionné par l’ensemble de ceux qui forment la communauté économique et financière dans le monde, c’est un leurre. (…) Entre les leurres et la réalité, c’est la réalité qui doit l’importer.

Question : Ce volet social créera-t-il des emplois en Europe ?

J’ai la conviction formelle que s’imaginer que c’est par des impôts et par la dette que l’on va construite des emplois, c’est se tromper sur toute ligne, c’est préparer des lendemains qui déchanteront. (…) Quant à moi, je ne participerai pas à cette escroquerie. (…)

Question : Faut-il, comme le propose Lionel Jospin un Gouvernement économique face à la Banque centrale ?

Ce n’est pas Lionel Jospin qui le propose, c’est dans le Traité. Il faut donc appliquer le Traité sur ce point. (…)

Que doit faire le Président de la République.

J’attends comme tous les Français que, conformément à sa mission, il sauvegarde l’essentiel. (…) L’essentiel, c’est ce qui relève des grands engagements de la France à l’extérieur et à l’intérieur. (…)

L’état de grâce de M. Jospin.

Nous sommes dans les semaines de l’état de grâce. (…) Je trouve que M. Jospin a réussi ses premiers jours et je n’ai pas envie de le critiquer sur ce point. Je le critiquerai sur le fond lors du discours de politique générale de jeudi prochain.

Ministre et/ou Maire.

J’ai déjà dit que c’était la pensée unique, que c’était un leurre. Que signifie le fait de faire semblant de déposer son écharpe de maire lorsque l’on met à sa place un premier adjoint et que l’on prend pour soi-même une délégation générale ? Cela veut dire que l’on choisit de rester le patron, donc que l’on trompe les électeurs. (…) Ou bien les maires s’en vont et ils laissent la place – c’est un choix, et je ne partagerai pas ce choix. Mais faire semblant de s’en aller tout en restant (…), c’est une manière de faire semblant de s’en aller tout en restant (…), c’est une manière de faire semblant et je n’apprécie pas la politique du faire-semblant.

Quelle opposition.

(…) Tout ce qui me paraîtra bien, je le soutiendrai, au prix même du risque. Tout ce qui me paraîtra mauvais, je le combattrai.

La régularisation des « sans-papiers ».

Je trouve que la décision annoncée à grand son de trompes – avec d’ailleurs cacophonie dans le chœur des trompes – de régulariser plusieurs dizaines de milliers d’immigrés en situation illégale est une mauvaise décision. (…) C’est une décision qui ne peut pas manquer de se retourner sur les immigrés, parce que fatalement elle va provoquer de nouvelles vagues d’immigration clandestine. (…) C’est une extraordinaire incitation, un extraordinaire appel de nouvelles vagues d’immigration clandestine. C’est un mauvais service à rendre à la France et un mauvais service à rendre aux immigrés en France.

Pour une réforme des institutions.

(…) Il me paraît dangereux de continuer à avoir des règles institutionnelles qu’entraînent des alternances brutales à chaque élection. (…) Je défendrai l’idée – je ne suis qu’une voix parmi d’autres – de la simultanéité des élections présidentielles et législatives. (…) Ou bien les Français mettent en place pour 5 ans une unité de pouvoir ou bien ils mettent en place pour 5 ans la différence des pouvoirs législatif et présidentiel. (…) En tout cas, les choses seront claires et nous ne serons pas en cohabitation, c’est-à-dire en conflit de légitimité.

L’arrêt de certains projets d’infrastructures.

(…) Je trouve que l’interruption brutal d’un certain nombre de grands chantiers qui étaient très importants pour l’aménagement de la France, et quelques fois à l’aménagement écologiques de la France, mérite que l’on s’inquiète.

France télécom.

Si la décision de ne pas privatiser France Télécom (…) est une décision à long terme, c’est une gravissime erreur. L’enjeu, (…) c’est un immense marché de milliards de milliards. France Télécom a soi tout seul n’a pas la dimension d’y prendre sa place. Il faut nouer des alliances, et il n’y aura pas d’alliances nouées entre un opérateur nationalisé et un opérateur privé. (…) Ça nuira à France Télécom comme cela a nui à Renault. (…) Si c’est une décision à long terme, c’est une très mauvaise décision, mais j’ai bon espoir que la raison va, là aussi, assez vite l’emporter.

Quelle indépendance pour le Parquet ?

Si l’indépendance du Parquet veut dire que les procureurs de la République en France sont libres ce qu’ils veulent, je suis contre. (…) Il est légitime qu’il n’y ait qu’une politique de la justice en France, et qu’elle soit la même à Pau et à Strasbourg. (…) Si l’indépendance du Parquet c’est, en revanche, l’interdiction pour le Gouvernement d’aider des cas individuels ou des personnalités au détriment de la justice, je suis absolument pour. Si c’est l’interdiction pour le Gouvernement de privilégier en matière de carrière certains juges par rapport à d’autres parce qu’ils sont supposés amicaux, ou supposés fidèles, ou supposés féaux, je suis absolument pour. Au demeurant, on a vu dans l’histoire (…) que ceux qui bénéficient d’avantages et de prébendes ne sont pas plus fidèles que les autres.

« Le Gouvernement est élu sur un malentendu »

(…) Je crois que le Gouvernement a été élu (…) sur un malentendu. Il a été élu sur l’idée que la dépense publique pouvait suffire à résoudre les problèmes des Français. (…) Je crois que cette élection a été la dernière des élections à promesses, que la déception qui risque de suivre les promesses sera une déception lourde. On verra que ce n’était pas la bonne méthode pour 700 000 emplois. On verra que les 35 heures payées 39 avec une augmentation de salaire, ça n’ira pas de soi. On verra que faire des promesses tout azimut, ça n’est pas réalisable. Je crois qu’il y a un risque de très grande déception, et cette déception changera fondamentalement la donne et pour longtemps. (…) Les prochaines élections ne seront pas des élections à promesses.

Le Président de la République après la défaite électorale.

(…) Il n’est pas le chef de l’opposition. (…) Le Président de la République n’appartient pas à un parti, sa démarche n’est pas partisane. (…)

Qui est le chef de l’opposition ?
Il n’y a pas de chef. (…) Il y aura une entente, une coordination de ceux qui ont la responsabilité. (…) Au moment des élections, on se met en ordre de bataille, on trouve une organisation. (…) Mais essayer d’organiser les choses en une structure unique et caporalisée, c’est se tromper.

« La droite est à la recherche d’un nouvel équilibre »

La droite est à la recherche d’un nouvel équilibre. On vient de subir une leçon. Les leçons sont toujours bienvenus. (…)
On a perdu les élections à droite et au centre. Une partie des électeurs de droite ne sont plus reconnus dans la majorité, une partie des électeurs du centre ne se sont plus reconnus dans la majorité. Et on a perdu les élections parce qu’une partie du peuple, dont je crois, comme Bernanos, qu’il n’est ni de droite ni de gauche, ne s’est pas reconnue dans la majorité. (…) Une opposition qui organise une expression de droite, une opposition qui organise une expression du centre, et une opposition qui se réconcilie avec le peuple, voilà, me semble-t-il, ce que sont les devoirs impérieux qui sont devant nous aujourd’hui. (…)

Il faut que nous nous entendions. Il y aura très vite des structures d’entente, de travail en commun, de coordination dans la majorité. (…) C’est la reconquête des esprits et des cœurs, pas seulement de la tête. (…)

La Droite et le Front national.

Je ne suis pas pour une alliance. (…) Un certain nombre de ceux qui ont voté pour lui (…) ne se retrouvaient pas dans la politique suivie, voulaient donner un avertissement, rêvaient d’une société ordonnée (…), considéraient que les grands discours, les discours d’en haut (…) tendaient à nier la réalité de leur vie. (…) Ceux-là ne sont pas mes ennemis. Ils méritent que l’on essaie de renouer les liens qui se sont rompus, distendus avec eux. Et puis, il y a une idéologie qui joue tout le temps avec le racisme et la xénophobie, qui ne respecte pas la personne humaine. Aussi quelqu’un qui a fait de la démocratie chrétienne l’engagement de sa vie ne peut pas accepter, ni de près ni de loin, cette idéologie-là. (…)

Il faut que nous soyons les avocats de ceux qui, dans leur vie de tous les jours, rencontrent des difficultés qu’ils ne peuvent pas exprimer autrement que par ce bulletin de vote-là. (…)

Je crois qu’il existe un peuple, et si vous me permettez, je m’en sens par toutes les fibres (…), j’y suis né. De gens qui n’ont pas de communication avec le pouvoir, qui ne se sentent pas du bon côté de la puissance, qui ont le sentiment de ne pas avoir dans la société la place qui devrait être la leur, que nous ne les entendons pas, que vous ne les entendez pas, que les médias, parisiens eux aussi, ne les entendent pas. (…) De toutes mes fibres, je sens que nous pouvons, que nous devons retrouver non seulement le dialogue mais la proximité, la capacité de représenter ceux qui se sentent éloignés de centres de pouvoir. (…)

J’étais sur la liste noire de M. Le Pen. Douste-Blazy y était, Alain Juppé y était. Je n’ai pas aperçu que M. Jospin y fut. (…) Que je sache, il y avait trois personnalités de gauche en tout sur cette liste noire. (…) M. Le Pen voulait une majorité de gauche. (…) Il l’a et je n’ai pas entendu les socialistes protester contre ce traitement inégalitaire dans le choix des condamnés de M. Le Pen. (…)

Ce que je condamne dans le Front national, c’est une idéologie qui ne respecte pas la personne humaine. Si demain, en son sein, il y a des gens combattent qui cette idéologie, qui la récusent, les choses n’auront pas le même visage mais je ne crois pas que nous en soyons à ce point-là. (…) Des alliances avec cette idéologie, je n’en ferais pas. (…)

Le Bac.

Je suis un défenseur du baccalauréat, je le considère comme indispensable à une certaine idée du lycée et je suis un défenseur du baccalauréat comme premier diplôme de l’enseignement supérieur. (…)

M. Bayrou et M. Allègre.

La première déclaration de mon successeur, M. Allègre, a été pour dire qu’il continuerait la réforme de l’Université que nous avons fait adopter il y a quelques mois. (…) Pour le reste, je jugerai sur pièces. Je n’ai pas de contentieux avec M. Allègre. (…)

Alain Juppé.

(…) J’ai saisi toutes les occasions de le voir parce que quand quelqu’un est dans la difficulté, c’est le moment de lui manifester de l’amitié. (…) Le jour viendra où l’on verra qu’Alain Juppé a été un homme courageux, responsable, que c’est quelqu’un de bien. Je le pensais hier et je le pense aujourd’hui. (…)


Europe 1 : Jeudi 19 juin 1997

J.P. Elkabbach : Je ne sais pas si vous vous souvenez, mais le 15 avril dernier, ici même, vous disiez votre hostilité à la dissolution et prédisiez un grand mouvement et un grand remaniement avec A. Juppé. Cet après-midi, c’est le Premier ministre, L. Jospin, qui présente pour une législature de cinq ans dans un hémicycle où vos amis sont en minorité. Cela doit faire un drôle de coup ?

F. Bayrou : Oui, mais c’est le passé. Quand on a des intuitions et qu’elles sont justes, de toute façon, ça ne change pas la réalité.

J.P. Elkabbach : Le Premier ministre Jospin pourra-t-il tenir les engagements du candidat Jospin ? L. Jospin répète qu’il ne doit pas se précipiter parce qu’il a la durée.

F. Bayrou : Il a la durée, c’est vrai. Cela dit, je ne crois pas qu’il puisse longtemps reporter à demain les décisions qu’il doit prendre. Bien entendu, cette élection a traduit de grandes attentes. Ces attentes ont été nourries par des promesses électorales précises que les Français ont entendues, auxquelles ils ont fait confiance, j’allais dire une fois de plus. Il me semble qu’il y aurait de très grandes déceptions si ces promesses étaient reportées aux calendes grecques.

J.P. Elkabbach : Vous lui conseilleriez de mettre en application son programme le plus vite possible ?

F. Bayrou : Je crois que les Français attendent qu’il agisse. Cela dit, je suis de ceux qui croient que ce programme ne peut pas réussir. Donc, pour la France, je suis prudent. Simplement, je ne pense pas qu’il puisse constamment reporter à plus tard ce que les Français attendent qu’il fasse.

J.P. Elkabbach : Quel opposant serez-vous ?

F. Bayrou : Responsable. Je le dirais cet après-midi pendant le débat de politique générale. Si ce qui est fait, s’il advenait que ce qui est fait est bien, je le soutiendrai, comme mes amis et mon groupe, parce que c’est l’intérêt de la France qui compte. Comme il est plus probable que notre jugement soit critique, nous serons des opposants déterminés et en même temps constructifs parce que, derrière l’opposition de l’instant il faut aussi toujours avoir à l’esprit que nous sommes en reconquête et qu’il faut que nous présentions un espoir crédible à l’opinion si jamais les déceptions arrivaient.

J.P. Elkabbach : Vous pourriez voter tel ou tel projet du Gouvernement ?

F. Bayrou : Oui, si les orientations sont positives pour la France, nous ne serons pas une opposition systématique et destructrice.

J.P. Elkabbach : La modernisation de la vie publique, le non-cumul des mandats, la place des femmes, l’indépendance de la justice ?

F. Bayrou : S’il y a des choses justes, nous les soutiendrons. L’indépendance de la justice, par exemple, oui, c’est une orientation que nous avons proposée et dans le sens de laquelle nous pouvons aller, à condition que les décisions prises soient justes.

J.P. Elkabbach : Sur les Sommets de Poitiers et d’Amsterdam, quel est votre avis ?

F. Bayrou : Il y avait deux obstacles à sauter : on a sauté l’un tant bien que mal et on a complètement manqué l’autre. Celui qu’on a sauté tant bien que mal, c’est le pacte de stabilité : il était décidé, il a été adopté sans changement malgré les déclarations antérieures qui avaient été faites en France. Disons que, pour la France. Disons que, pour la France, c’est bien. Pour ceux qui pensent qu’il faut aire la monnaie de l’Europe pour que l’Europe soit forte, c’est bien.

J.P. Elkabbach : Mais il y a aussi le chapitre social que l’on doit à L. Jospin.

F. Bayrou : Non, J. Delors était allé dans ce sens, J. Chirac était allé dans ce sens. Disons que le contenu de ce chapitre n’est pas à la hauteur des espérances qui avaient été présentées. Ce sont des mots un peu vagues, il n’y a pas de moyens. Mais disons que, c’est bien et que cela va dans le bon sens. Simplement, il reste, derrière, le deuxième obstacle que je signalais, c’était un obstacle majeur, c’était la réforme des institutions de l’Europe pour que l’Europe marche mieux, pour que l’Europe puisse décider, qu’elle puisse trancher, qu’elle puisse agir. Et là, malheureusement, on a complètement échoué. C’est un grave ennui et je n’en fais pas porter la responsabilité uniquement au gouvernement de M. Jospin.

J.P. Elkabbach : Cela pourrait être, de votre part, une autocritique ? Parce que depuis un an, la Conférence devait être préparée par l’équipe d’A. Juppé ?

F. Bayrou : Encore une fois, je n’en fais pas porter la responsabilité à M. Jospin. Encore qu’on pourrait discuter sur le fait qu’il a un peu changé de pied dans les derniers jours en concentrant sur le social ce qui devait être concentré sur les institutions, mais cela n’est pas l’important. L’important, malheureusement, c’est que l’Europe s’est mise en situation de ne pas avoir les instruments nécessaires pour décider et c’est un grave risque pour notre avenir. A ce titre, je trouve qu’Amsterdam a manqué une partie essentielle de ses objectifs.

J.P. Elkabbach : Mais il y avait quatorze partenaires. Le traité d’Amsterdam cela n’est pas seulement le traité de Maastricht. Quand il sera signé, est-ce que le voteriez s’il venait devant le Parlement ?

F. Bayrou : Je le voterais parce qu’i y a des petites choses positives. Par exemple, le fait qu’on puisse avancer à quelques-uns si les autres ne veulent pas avancer, ou des petites avancées en matière de défense et de politique étrangère. Je le voterais avec le regret immense que j’ai dit, c’est-à-dire qui lui manquera son chapitre essentiel qui est celui de la réforme des institutions.

J.P. Elkabbach : Si un jour, je dis bien un jour, les communistes faisaient défaut à L. Jospin, Est-ce que les centristes pourraient s’allier à cette majorité et entrer dans un gouvernement Jospin ?

F. Bayrou : Il faut que vous vous habituiez à quelque chose : les centristes ne sont pas une roue de secours. Le centre, c’est un moteur et un volant. C’est-à-dire que le centre a la responsabilité de proposer une politique et de la conduire. Nous ferons face, s’il y a des moments cruciaux de crise pour la France, nous ferons face à nos responsabilités mais nous ne sommes pas des supplétifs et une roue de secours.

J.P. Elkabbach : Cela veut dire que, si vous êtes le moteur, le châssis ou la carrosserie, c’est le RPR ?

F. Bayrou : Avec nous. Voilà, nous formons, ensemble, un organisme, une construction capable, en effet, je crois, de répondre aux problèmes de la France. Mais encore une fois, l’important c’est la définition de l’avenir. Et le centre a pour vocation de répondre à cette définition.

J.P. Elkabbach : Mais, collés au RPR, est-ce que vous ne vous privez pas d’une existence plus autonome ?

F. Bayrou : Comme vous l’avez senti, l’opposition est en reconstruction. Cette reconstruction s’exprime dans chacune des familles politiques. Elle s’exprime chez nous avec cette idée simple : les années précédentes ont montré que notre organisation de l’opposition, notre manière de vivre ensemble nous privait de deux atouts essentiels : l’opposition a manqué de droite et elle a manqué de centre. Il faut, à la fois sur sa droite et sur son centre, qu’elle se reconstruise de manière crédible et forte. Et naturellement, pour nous, c’est notre loi, c’est ce que nous allons faire. Et nous le ferons avec l’idée qu’il faut se ressourcer, c’est-à-dire replonger dans notre vocation politique et porter la parole de ces millions et millions de Français qui ont envie de voir autre chose.

J.P. Elkabbach : Sans aucune discussion avec le Front national, comme le demande C. Millon, sans aucune concession avec le Front national ?

F. Bayrou : Oui, bien entendu, parce que cela n’est pas nos objectifs, cela n’est pas notre manière de voir le monde et c’est, sur bien des points, porter atteinte à l’essentiel de ce que nous croyons. Mais il y a des millions de gens qui ont voté pour le Front national dont je crois qu’ils ne sont ni racistes, ni xénophobes et auxquels un peu d’espoir suffirait, un grand espoir suffirait pour qu’ils changent leur vote.

J.P. Elkabbach : Un mot sur la cohabitation.

F. Bayrou : Elle est institutionnelle, elle est fixée par les institutions. Chacun remplit son rôle, c’est normal.

J.P. Elkabbach : C’est très gentil mais quand le Président Chirac dit, par exemple, à Amsterdam : l’occasion de changer de Gouvernement a été sans aucun doute une bonne occasion.

F. Bayrou : Dans ce que j’ai dit, vous aurez entendu que je ne souhaite tout de même pas que la cohabitation aille jusqu’aux effusions.

J.P. Elkabbach : Vous voulez dire que les chants de l’été sont plus doux que ne le seront ceux de l’hiver ?

F. Bayrou : Oui, on verra ça.

J.P. Elkabbach : Vous saurez être patient, vous ?

F. Bayrou : Oui, c’est nécessaire. Vous savez, on ne reconstruit rien dans la hâte.