Interview de M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, dans "Libération" le 17 mars 1999, sur l'évolution des politiques de sécurité et de prévention de la délinquance.

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Circonstance : Ouverture des rencontres nationales sur les politiques de prévention et de sécurité à Montpellier le 17 mars 1999

Média : Emission Forum RMC Libération - Libération

Texte intégral

Olivier Bertrand
Les Rencontres nationales qui s'ouvrent aujourd'hui à Montpellier sont-elles un  colloque anti-Villepinte ?

Claude Bartolone
Non. Ces rencontres sont le complément indispensable de Villepinte. Nous aurions eu du mal à les organiser s'il n'avait pas eu Villepinte, qui a donné une définition claire d'une politique globale de sécurité, rendant nécessaire un renouveau des politiques de prévention. Depuis les années 80, nous n'avons cessé d'approfondir le triptyque prévention-sécurité-réinsertion. C'est ce qui fait toute notre force par rapport à ceux qui ont bloqué le compteur sur le tout sécuritaire, le syndrome Pasqua.

Olivier Bertrand
Sur les questions de sécurité et de prévention,vous sentez-vous sur la même ligne que le ministre de  l'intérieur ?

Claude Bartolone
Une fois que le Premier ministre a tranché, je me sens sur la même ligne. Pour être tout à fait honnête avec Jean-Pierre Chevènement, je trouve même qu'on lui a fait un procès sur des formules ou des phrases beaucoup plus que sur le fond de sa réflexion. Depuis le dernier Conseil de sécurité intérieure, tout est revenu à une situation plus calme. On a débarrassé ce dossier de toutes les scories qui relevaient des petites expressions et des effets d'annonce.

Olivier Bertrand
L'épisode des «sauvageons» ne vous a pas choqué?

Claude Bartolone
C'est une expression qui n'est pas dans mon discours, mais quand on connaît bien Jean-Pierre Chevènement, on voit la sensibilité qu'il a pu mettre dans ce mot en référence aux lacunes éducatives bien réelles chez certains jeunes. Malheureusement, elle n'a pas été ressentie comme telle au niveau de l'opinion publique parce que c'est le ministre de l'Intérieur.

Olivier Bertrand
Dans le sondage que avez fait réaliser, les Français placent le chômage en tête des causes de la délinquance.
Quelles mesures peuvent permettre de soutenir l'emploi et de lutter contre les discriminations à l'embauche?

Claude Bartolone
Les emplois jeunes, le programme Trace (1) constituent des outils pour répondre au besoin de travailler des jeunes. En terme d'égalité à l'embauche et à chaque preuve de discrimination, il faut réagir vigoureusement. Ce n'est pas le chômage en lui-même qui révolte certains de nos concitoyens. C'est davantage l'impression de ne pas subir le chômage dans les mêmes conditions que le reste de la population. Il ne faut pas que toute une partie de la population se sente stigmatisée, abandonnée parce qu'elle habite tel quartier ou par la couleur de sa peau. Le sentiment d'abandon, c'est aussi l'impression de ne pas être accueilli correctement, de subir trop de tracasseries à la préfecture, trop de contrôles d'identité. Mais la nécessaire évolution des services publics, pour être reconnue, doit associer les habitants. Il est bien fini le temps où, en guise de concertation, on faisait une réunion avec une belle maquette bien éclairer, des mots savants. Il faut favoriser de nouveaux modes d'expression, comités de quartier, fonds de participation des habitants, où des solidarités nouvelles apparaissent.

Olivier Bertrand
Comment vous situez-vous dans le débat sur le rôle des parents de jeunes délinquants ?

Claude Bartolone
La stigmatisation de ces parents est bien vaine. Il faut aider les parents à retrouver leur rôle. Pas par l'injonction mais par le soutien, par des lieux de parole  et d'échange. Ce sera certainement un des thèmes forts des rencontres de Montpellier. Dans la société d' hier, il y avait trois temps bien identifiés. Le temps de la fonction parentale, le temps de la fonction éducative à l'école et le temps de la fonction de socialisation. Aujourd'hui, ces temps sont plus complexes, entremêlés. Aujourd'hui, tout semble trop reposer sur les seuls enseignants.

Olivier Bertrand
Que vous inspirent les maires qui suspendent les allocations municipales pour les parents de mineurs délinquants ?

Claude Bartolone
Je pense qu'ils se trompent, mais je voudrais les convaincre par la pratique plutôt que par la condamnation médiatique. Un certain nombre d'entre eux ont voulu faire un coup politique. D'autres sont de vrais militants de la politique de la Ville, je pense notamment à Pierre Cardo (député-maire DL de Chanteloup-les-Vignes, dans les Yvelines). Mais il va dans la mauvaise direction. Ce n'est pas en aggravant les difficultés financières des familles que l'on arrivera à leur donner une plus grande conscience de ce que doit être leur rôle de parents.

Olivier Bertrand
Ne pensez-vous pas que la place des parents serait aujourd'hui renforcée, si le PS avait imposé fin des années 80 le droit de vote aux  élections municipales pour les populations immigrées?

Claude Bartolone
C'était très compliqué d'imposer le droit de vote. Oui, il aurait fallu le faire. Mais pour autant, je ne suis pas persuadé que nous pouvions le faire. Aujourd'hui, d'une certaine manière, le problème est derrière nous. Ce qu'il faut réussir, c'est démontrer à une grande majorité de jeunes Français dont les parents ont connu l'immigration qu'ils sont citoyens français à part entière.

Olivier Bertrand
On dit les acteurs de la prévention de la délinquance fatigués, parfois déboussolés. Quel signal souhaitez-vous leur transmettre à l'ouverture de ces rencontres ?

Claude Bartolone
Le premier : ils ne sont pas seuls. Ils sont nombreux sur le terrain. Ils doivent prendre conscience de la nécessité d'une culture commune, même si chacun conserve son rôle spécifique. Ensuite, ils doivent être convaincus que par leurs pratiques, ils obligent les institutions à se transformer, à mieux répondre aux demandes de nos concitoyens. Dans de nombreuses villes, ces militants de la République ont fait un travail remarquable, qui a amorti le  choc encaissé par notre pays pendant ces vingt années de crise urbaine et sociale. Ce travail doit être désormais davantage reconnu et valorisé.