Texte intégral
* Interview au « Quotidien de Paris » le 10 septembre 1990
Le Quotidien : Comment expliquez-vous la difficulté de l'opposition à « faire entendre sa différence » au gouvernement ?
Alain Juppé : La confusion est entretenue dans l'opinion par le gouvernement lui-même. Ça l'arrange de faire croire qu'il n'y a guère de différence entre Pierre Bérégovoy et Edouard Balladur.
Le Quotidien : Ça lui vaut aussi des critiques de la part du PS…
Alain Juppé : Oui, c'est d'ailleurs toute la difficulté pour lui puisqu'il est obligé alternativement de rassurer l'opinion puis le Parti socialiste. L'opposition a aussi sa part de responsabilité dans cette confusion. Il y a eu des hésitations, y compris au RPR, surtout à l'UDF, et singulièrement au CDS, qui ont parfois adopté des attitudes ambiguës vis-à-vis du gouvernement. « S'opposer différemment », je ne sais pas ce que cela veut dire…
Mais tout cela va s'arranger avec l'Union pour la France.
Le Quotidien : Les courants du RPR vont-ils être représentés dans les instances de l'UPF, comme le demande notamment Michel Noir ?
Alain Juppé : Le bureau politique de l'UPF comptera quinze RPR et quinze UPF. La composition de chacune des délégations est du ressort exclusif de chacune de ces deux formations. Toutes les sensibilités du RPR seront représentées au sein de l'UPF, tout simplement parce que nous aurons le souci de faire appel à toutes les personnalités qui comptent dans notre mouvement. Mais l'UPF, qui a vocation à fonder l'union de l'opposition tant au niveau national que départemental, dans la perspective des primaires, ne me semble pas devoir être le lieu privilégié de l'expression des courants. Je me réjouis d'ailleurs que chacun veuille en être, y compris Michel Noir pourtant animateur de la Force unie. C'est signe que l'UPF incarne l'avenir.
Le Quotidien : Le CDS et le PR envisagent de demander leur adhésion directe à l'UPF pour échapper à la tutelle de l'UDF. Quelle est votre position dans cette affaire ?
Alain Juppé : C'est à l'UDF de régler ses problèmes, mais je suis très réservé sur ces adhésions directes. Nous sommes pour la cohésion de l'opposition, donc du RPR, donc de l'UPF.
Le Quotidien : Y compris la constitution, au sein de l'UPF, d'une nouvelle structure qui regrouperait les rénovateurs en transcendant les clivages partisans, comme paraissent l'envisager Pierre Méhaignerie et François Léotard ?
Alain Juppé : C'est une vieille idée et, à mon avis, plutôt un facteur de trouble et de division que de renouvellement.
Le Quotidien : Pour parer aux conséquences de la crise du Golfe, Michel Rocard envisage des mesures de rigueur. Allez-vous, une nouvelle fois, en être réduits à accuser le gouvernement de « copier » votre politique ?
Alain Juppé : Michel Rocard ne nous a pas copiés ! L'action gouvernementale a rompu depuis deux ans avec la politique menée entre 1986 et 1988, et nous comptons le dire avec force dès demain, à propos du budget. D'après ce que nous en savons, il présente des insuffisances majeures ; la dépense publique est toujours en augmentation excessive, l'absence totale de réforme fiscale d'ensemble est une preuve d'imprévoyance grave et le budget de la défense doit être reconsidéré.
Le Quotidien : François Mitterrand a annoncé une réduction de 10 à 12 milliards des dépenses publiques…
Alain Juppé : C'est dérisoire : il n'y a guère que le PS pour s'émouvoir d'une telle perspective ! Le projet de budget initial prévoyait une hausse des dépenses publiques de plus de 5 %, c'est-à-dire deux fois l'inflation. Avec Edouard Balladur, nous avions commencé un programme d'allégements fiscaux de l'ordre de 140 milliards de francs, étalé sur 3 ans, et nous avions aussi un programme de privatisations. En rompant avec cette politique, le gouvernement a commis une erreur très grave. Partout dans le monde, la libre entreprise triomphe. On privatise, on met en concurrence. Notre secteur public reste un des plus lourds en France. Il n'y a qu'une explication à ce retard : l'incompréhension de l'économie dont fait preuve, avec constance, François Mitterrand.
Le Quotidien : Des négociations salariales vont s'engager dans le secteur public, et, là encore, le gouvernement assure qu'il saura faire preuve de rigueur, ce qui d'ailleurs provoque une levée de bouclier au PS. Quelle va être l'attitude de l'opposition ?
Alain Juppé : Notre objectif, ce n'est pas la rigueur, c'est la compétitivité ! Dix mille emplois de fonctionnaires vont être créés : c'est non seulement une erreur, mais aussi une supercherie. Regardez ce qui se passe avec l'éducation nationale : on crée des postes que l'on ne réussit pas à pourvoir ! Où est la revalorisation promise de la fonction publique ? En matière fiscale aussi, c'est le règne du bricolage. Les socialistes disaient jadis pis que pendre de la TVA, impôt selon eux injuste. Où sont les allégements promis et que l'harmonisation européenne rend indispensables ? Et je ne parle pas de l'hypothétique réforme de la fiscalité locale, ni de la fiscalité du patrimoine. L'impôt sur les successions pénalisent très lourdement les petits héritages. Dans le domaine fiscal, la France a tout simplement abandonné l'objectif européen de 1993.
Le Quotidien : Vous voulez convaincre les Français que le budget Rocard est un budget socialiste. Ça risque d'exiger des trésors de pédagogie…
Alain Juppé : Il est évident que le ton patelin de Pierre Bérégovoy ne nous facilite pas la tâche. Mais nous devons faire comprendre à l'opinion que ce gouvernement n'est pas converti à la liberté économique. Le choix que nous devons faire n'est pas entre en rigueur et générosité. C'est plus que jamais le choix entre politique socialiste et politique de liberté.
Propos recueillis par Judith Waintraub
* Invité de P. Caloni, RTL – le 17 octobre 1990
Q. : Vous avez des informations à nous confier sur ce sujet ?
A.J. : Inutile de vous dire que nous avons découvert cette affaire, si affaire il y a, en lisant le « Canard enchaîné », qui n'est pas la Bible. Il faut vérifier, nous avons prescrit une enquête pour essayer de voir s'il y a quelque chose derrière. Ces faits seraient, s'ils étaient avérés, totalement inadmissibles bien sûr, et des sanctions immédiates seraient prises au plan administratif sens préjudice des poursuites pénales pourraient être faites. Nous sommes très soucieux de la protection des libertés individuelles. Je vous rappelle que J. Toubon, qui est un des députés les plus en vue de Paris et de notre groupe, a déposé une proposition de loi tout récemment, pour mettre enfin un terme, à ce qui est la grande pagaille des écoutes téléphoniques en France, depuis des années.
Q. : Alors ce budget, vous l'ancien ministre du budget, vous n'allez pas me dire que c'est un budget, mais un budget si j'ai bien compris, adaptable, et ce en raison des circonstances géopolitiques actuelles.
A.J. : Je ne dirais pas que c'est un bon budget car je ne le crois pas. Qu'il soit adaptable, c'est vrai, il faudra l'adapter. Car les hypothèses économiques sur lesquelles il repose sont très fragiles. Qu'il s'agisse de la croissance, de l'inflation, on le voit après ce qui s'est passé en septembre, ou encore du prix du baril. Mais je ne chicanerai pas là-dessus.
Q. : Comment peut-on adapter un budget ? On ne peut pas faire des correctifs budgétaires toutes les semaines…
A.J. : Oui ça s'adapte, en cours d'année, on peut décider de couper les dépenses, quand on dépense trop ou éventuellement, d'adapter les recettes. Mais c'est pas ça la principale faiblesse de ce budget, car ni vous ni mi, ne savons ce que vaudra le baril de pétrole en juin 91. Donc je ne peux pas reprocher au Gouvernement de ne pas le savoir. Ce qui est grave dans ce budget, c'est que sa philosophie même n'est pas bonne. Elle est dans la ligne de ce qui a été fait en 1988. Pourquoi ? Car l'Etat va trop dépenser en 91. Et il ne suffit pas de dépenser beaucoup pour dépenser bien. Exemple : celui de l'éducation nationale. On va y mettre beaucoup d'argent, c'est vrai, et ça n'est pas pour autant que les choses s'arrangent. Car ce dont a besoin l'EN, c'est d'une petite révolution de structure, c'est pas d'une manne budgétaire. L'Etat, par ailleurs, va continue à trop s'endetter. Il emprunte trop et après il faut rembourser avec les taux d'intérêt que vous savez, ce qu'on appelle la charge de la dette, à savoir les frais financiers de l'Etat augmentent beaucoup en 91. Le résultat de tout ça ? Vous et moi, tous les contribuables, nous allons passer à la casserole. Et il va y avoir plus d'impôts en 91, qu'il n'y en avait en 90, contrairement à ce qu'on nous dit.
Q. : Quand vous dites plus d'impôts, vous voulez aussi parler de la CSG ?
A.J. : Cette affaire est très importante. Je dirais d'abord qu'il va falloir, c'est incontestable, mettre plus d'argent dans nos régimes de retraites, dans les 10 ou 15 qui viennent et ce serait démagogique de soutenir le contraire. Il manque 8 à 10 milliards de francs chaque année dans les caisses. Donc sur l'idée d'une contribution nouvelle, permettant de faire face aux régimes de retraites, sur le principe, je ne suis pas hostile. Mais ce que fait le Gouvernement dans ses modalités, n'est pas acceptable. Première raison : en réalité ce ne sera une opération blanche et que nous allons payer plus, contrairement à ce que nous dit M. Rocard. Un exemple : les cotisations sociales que l'on va supprimer étaient déductibles de l'impôt sur le revenu, on ne payait pas l'ISR sur ces cotisations. Avec la nouvelle cotisation, il n'y aura plus de déductibilité, donc on va payer l'impôt sur l'impôt. Donc tous ceux qui paient des impôts, vont en payer plus.
Q. : Mais comment trouver des sous, pour parer à ce vieillissement du pays ?
A.J. : Il faut sans doute créer un ressource nouvelle, mais il faut faire des économies par ailleurs. Et ce que j'ai proposé est clair : si on est obligé d'augmenter les cotisations vieillesse, il faut baisser les impôts et de façon claire et définitive. Et je fais une proposition très précise : baissons le taux normal de TVA, qui est à 18,60 % aujourd'hui. Il était à 17,60 % avant 81, et qu'il est à 14 % en Allemagne et à 15 % en Angleterre. Ca ce serait une mesure simple, populaire et sociale.
Q. : Ca suffirait ?
A.J. : Ca rapporte 20 milliards de francs de le baisser d'un point. Deuxième critique que nous faisons à cette CSG : enfin, il ne faut pas nous raconter d'histoire. Ca n'est pas une mesure sociale. On ne fera pas croire que c'est faire du social que de taxer 55 % des retraités ! Et ceci va s'accompagner en outre, d'un plan de réductions des dépenses de santé, qui va limiter les possibilités de soins et notamment la prescription des médecins, on l'a vu hier. Un décret vient de paraître qui soumet l'utilisation de certains médicaments à ce qu'on appelle l'entente préalable de la Sécurité sociale, à savoir qu'il va y avoir une dégradation des conditions de fonctionnement de notre système de santé.
Q. ; Vous allez faire de l'obstruction systématique au Parlement ?
A.J. : Non, on va faire de l'opposition. Nous sommes dans notre rôle et nous utiliserons tout ce qui est possible au Parlement, toutes les facilités, toutes les facultés du règlement, pour essayer de faire modifier très profondément cette réforme. Du reste nous ne sommes pas les seuls. J'ai cru observer que sur tous les bancs de l'AN il y avait de profondes réserves.
Q. : Vous êtes d'accord avec l'analyse du Président Mitterrand ?
A.J. : Globalement oui. Quels sont les objectifs pour nous au Liban ? Vous savez à quel point nous nous sentons en affinité avec ce peuple. Premièrement, obtenir la réconciliation de tous les Libanais. Ce qui m'a traumatisé dans cette affaire, c'est de voir les chrétiens eux-mêmes se déchirer entre eux. On ne peut pas sauver un peuple contre lui-même. Il faut donc d'abord faciliter la réconciliation et de ce point de vue à titre d'apaisement, il faut que la France obtienne l'asile de Aoun en France. Deuxième chose : obtenir le retrait de toutes les troupes étrangères du Liban, pour que ce pays retrouve son indépendance, son intégrité et sa souveraineté. Je crois que la France serait bien inspirée de saisir immédiatement le Conseil de sécurité pour obtenir ce retrait.