Texte intégral
Le Figaro : 14 août 1997
Le Figaro : Comptez-vous apporter des modifications à la loi sur l’air telle qu’elle a été définie par le précédent Gouvernement ?
Dominique Voynet : C’est une loi récente. Il s’agit aujourd’hui de la mettre en œuvre au plan financier, administratif et réglementaire. Il faut par exemple faire appliquer les plans de développement urbains qu’elle prévoit : la principale cause de la pollution de l’air est la priorité systématique qui a été accordée à l’automobile en ville. S’attaquer à la pollution implique de rééquilibrage de la part de l’ensemble des moyens de transport. Pour ce faire, toutes les agglomérations de plus de 100 000 habitants devront se doter de ces plans d’ici à la fin de l’année prochaine. La première orientation de ceux-ci est la diminution de la circulation automobile au profit des transports en commun et des modes de transport les moins polluants tels que le vélo ou la marche.
Je serai attentive à ce que ces plans soient élaborés, à ce qu’ils respectent les orientations prévues, et à ce que les municipalités qui mettent en place des programmes ambitieux en faveur des transports en commun soient soutenues.
Un autre axe important d’action concerne les caractéristiques des moteurs et des carburants. Les normes en vigueur ne sont pas suffisantes. C’est pourquoi j’ai insisté dès ma prise de fonctions pour que, lors du Conseil des ministres européens de l’Environnement, le 19 juin dernier, une position commune puisse être adoptée. Ce fut le cas à l’unanimité, pour que des normes plus sévères soient mises en œuvre dès l’an 2000, et qu’elles deviennent plus respectueuses encore de l’environnement en 2005.
Le Figaro : Les niveaux d’alerte actuels à la pollution de l’air en ville vous paraissent-ils satisfaisants, ou sous-évaluent-ils l’ampleur des risques ?
Dominique Voynet : Le caractère spectaculaire des pics de pollution a tendance à masquer le véritable problème de la qualité de l’air. Ces pics ne constituent en effet qu’un phénomène ponctuel, sur un ou plusieurs jours, mais qui sont révélateurs d’une pollution de l’air de fond, continue, tous les jours. Ils sont en quelque sorte la partie émergée de l’Iceberg. Seule une politique de long terme, s’attaquant à la place des différents moyens de transport – automobile, transports en commun, vélo, mais aussi transport des marchandises -, permettra de faire face à la pollution.
Mais pour autant, il y a des pics et il faut bien y faire face. La situation qui prévalait voici quelques années – ne pas informer la population, ou dire aux asthmatiques et aux enfants de rester chez eux pendant que les voitures continuaient à circuler, n’était pas admissible. Il est clair que face à un grave problème de santé publique, notamment lorsque la pollution atteint ou menace d’atteindre le niveau d’alerte 3, des dispositifs contraignants de limitation de la circulation, devront impérativement être mis en place. Mais j’insiste sur le fait qu’il s’agit d’un « pis-aller », d’une opération chirurgicale rendue nécessaire parce que la politique préventive n’a pas été mis en place.
Pour ce qui est des niveaux d’alerte, convenons que les différences peuvent paraître un peu artificielles. La question peut par exemple se poser de savoir si un pic de niveau 2 pendant plusieurs jours n’est pas plus dangereux pour la santé qu’un pic de niveau 3 pendant quelques heures. Les niveaux actuels correspondent à des normes fixées par l’Union européenne.
Le Figaro : Allez-vous davantage favoriser le développement des carburants « propres », tels en particulier que le GPL ?
Dominique Voynet : Un troisième axe important de l’action à mener concerne la fiscalité des carburants. On sait que certains sont peu polluants, comme le GPL ou le GNV, alors que d’autres sont très polluants, comme le diesel. Les taxes sur les carburants ne reflètent absolument pas cette situation. C’est illogique si on souhaite inciter les automobilistes à choisir les moins polluants. Il faut donc faire évoluer la fiscalité de manière à la rendre plus écologique. Je souhaite que la France se dote d’une « écotaxe » sur l’énergie et le gaz carbonique pour favoriser les comportements les plus respectueux de l’environnement et de la santé. Il ne s’agirait pas d’une taxe supplémentaire, mais d’une taxe pouvant progressivement remplacer une partie de la fiscalité qui pèse trop lourdement sur le travail. Le premier ministre a mis en place un groupe de travail sur cette question.
RTL : mardi 19 août 1997
Olivier Mazerolle : On vous a connue très active et conquérante porte-parole des Verts et puis maintenant que les pics de pollution se succèdent sur toutes les grandes villes de France, vous vous êtes contentée d’une circulaire adressée aux préfets. Vous êtes désarmée devant cette pollution ?
Dominique Voynet : Je n’ai pas changé d’avis. Porte-parole des Verts, j’avais montré les limites d’une loi qui se contentait de mesurer la pollution et qui proposait un mode opératoire finalement assez dérisoire en période de pics de pollution, sans traiter le problème au fond, en prévenant l’apparition de ces pics. Il faut savoir que la situation est, en effet, très largement due aux choix qui ont été faits en matière d’aménagement du territoire et d’aménagement urbain depuis 30 ans. La priorité donnée à l’automobile sur les transports en commun est largement la cause des situations difficiles dans lesquelles on se trouve aujourd’hui.
Olivier Mazerolle : Est-ce qu’il n’y a pas d’un côté le long terme et puis aussi l’urgence ?
Dominique Voynet : Je crois qu’il faut qu’on le dise clairement aux Français : aujourd’hui, il n’y a pas une solution magique, facile qu’on pourrait adopter quand il y a un pic de pollution. Toutes les propositions qui ont été faites sont difficiles à mettre en œuvre : la circulation alternée, par exemple, qui demande beaucoup de volontarisme de la part des pouvoirs publics. Nous y sommes prêts si le niveau trois devait être déclenché.
Olivier Mazerolle : Vous n’excluez pas cette mesure ?
Dominique Voynet : Nous ne l’excluons pas. Et d’ailleurs, la loi le prévoit, nous y oblige si le niveau trois de pollution est atteint. Cela dit, cette circulation alternée est d’une efficacité très aléatoire et d’une mise en œuvre très difficile. Alors, on va le faire, bien sûr, puisque la loi nous y oblige si la pollution s’aggrave mais on assistera à un gigantesque cafouillage probablement, qui ne s’accompagnera pas forcément d’une baisse du niveau ambiant de la pollution, ce qui sera une façon de démontrer qu’il faut des solutions de fond, des solutions de long terme auxquelles nous travaillons, J.-C. Gayssot et moi-même puisqu’il a en charge les transports.
Olivier Mazerolle : Mais les Verts, dans l’opposition, demandaient que cette circulation alternée puisse être instaurée même en cas de pollution du niveau deux.
Dominique Voynet : Je ne crois pas. Je crois que si vous reprenez ce qu’a été la position des Verts au moment de la discussion de la loi sur l’air, nous avions beaucoup insisté sur le fait que, finalement, le traitement des pics de pollution est une façon de reconnaître l’échec d’une politique de la ville. Nous souhaitons évidemment que des mesures soient prises pour garantir une meilleure santé à la population en période de pics de pollution. Simplement, on ne peut pas se contenter de conseiller aux gens de ne pas prendre leur véhicule et d’utiliser les transports en commun alors que ceux-ci sont d’un accès assez mal commode et qu’ils ne sont pas conçus pour faire face à un afflux massif de nouveaux usagers.
Olivier Mazerolle : Tout de même, hier, les Verts de l’Île-de-France, c’est-à-dire les membres de votre parti, ont publié un communiqué en disant on ne peut pas se contenter d’attendre des mesures de long terme. Donc, ils attendent quelque chose dans l’immédiat.
Dominique Voynet : Ils ont raison.
Olivier Mazerolle : Alors, qu’est-ce qu’on fait ?
Dominique Voynet : On est dans une situation très difficile puisque dans ce pays on ne traite que les pics, on ne réagit à la pollution que quand les indicateurs sont dépassés. Moi, ce que je souhaite, c’est qu’on soit capable à la fois de prendre des mesures symboliques, des mesures pédagogiques en période de pics mais qu’on ne se désintéresse pas du problème dès que le pic est passé et qu’on revient finalement à son petit train-train habituel : bagnole, boulot, cinéma, dodo.
Olivier Mazerolle : Donc, dans l’immédiat si on atteint le niveau trois : circulation alternée, cela est sûr ?
Dominique Voynet : Cela est sûr parce qu’on va respecter la loi.
Olivier Mazerolle : Dans toute la France ou uniquement sur Paris et Marseille ?
Dominique Voynet : Dans les agglomérations qui sont concernées et ce sera aux préfets de prendre cette responsabilité. Nous les y avons encouragés. Avant cela, je crois qu’il y a des mesures évidentes qu’il faudrait adopter avec responsabilité et civisme dès aujourd’hui. Tous ceux qui le peuvent doivent se passer de prendre leur voiture et doivent utiliser les transports collectifs. Tous ceux qui ne peuvent pas se passer de leur voiture doivent avoir le souci de rouler moins vite, d’emmener avec eux leur voisin, leur ami, leur collègue. Le co-voiturage est une excellente façon de diminuer le nombre de voitures en ville et d’améliorer l’efficacité du système. Je crois que ce sont des mesures évidemment tout à fait élémentaires que chacun doit adopter aujourd’hui.
Olivier Mazerolle : Vous croyez que l’automobiliste peut abandonner sa vache sacrée ?
Dominique Voynet : C’est cela, le vrai problème. Le Français a malheureusement un attachement immodéré à l’égard de sa voiture. Nous en sommes conscients et c’est pourquoi nous travaillons aussi en direction d’une piste qui est celle de la réduction des nuisances de chacun des véhicules. C’est d’ailleurs une des choses que j’ai faites dès mon arrivée au ministère de l’Environnement. J’ai eu le souci qu’un accord puisse avoir lieu au conseil des ministres au niveau européen en faveur de l’accord Auto-Oïl. C’est un accord qui prévoyait une diminution de la pollution à la fois par les moteurs et par les carburants des véhicules. Cet accord a pu être trouvé grâce à la position courageuse et progressiste du Gouvernement français dès le début du mois de juin. C’est une des façons très efficace de limiter la pollution.
Olivier Mazerolle : Pour que le long terme ne se produise pas à la Saint-glinglin, qu’est-ce que vous allez faire ?
Dominique Voynet : D’une certaine façon, le pic actuel me permet d’être plus forte pour demander à mes collègues du Gouvernement de s’engager davantage dans la lutte de long terme contre la pollution.
Olivier Mazerolle : Par exemple.
Dominique Voynet : Je pense à mon collègue des Transports qui est très conscient de ce problème, je pense aussi à mon collègue de l’Économie et des Finances qui tient les cordons de la bourse et qui va devoir contribuer à l’effort commun parce que les transports en commun, cela coûte cher mais c’est absolument indispensable si on veut avoir une action très efficace à long terme.
Olivier Mazerolle : À long terme, c’est un effort de combien, un renouvellement des transports en commun pour les rendre efficaces ?
Dominique Voynet : Le groupement des autorités responsables des transports évalue à peu près à 85 milliards de francs l’effort nécessaire pour mettre à niveau l’offre de transports collectifs dans les grandes villes. Cela ne me paraît pas démesuré si on le compare aux investissements routiers qui sont faits année après année dans notre pays sans qu’on évalue les conséquences pour la santé.
Olivier Mazerolle : Vous êtes favorable à l’instauration d’une écotaxe, vous allez faire une communication au Gouvernement prochainement sur ce thème ?
Dominique Voynet : Je souhaite pouvoir faire avancer cette idée à l’occasion de ce pic de pollution. Le Gouvernement y semble résolu.
Olivier Mazerolle : Il y a un Conseil des ministres demain.
Dominique Voynet : Ce n’est pas à l’ordre du jour du Conseil des ministres de demain, mais c’est une réflexion qui doit être sérieusement menée et qui va demander plusieurs semaines. L’idée d’une taxe frappant le gaspillage qui pèse sur le travail et de financer les transports collectifs et des actions de dépollution me paraît une excellente idée. Nous y travaillons de façon très sérieuse. Je pense aussi à un rééquilibrage de la fiscalité des carburants en faveur des carburants les moins polluants, le gaz naturel véhicule et le gaz de pétrole liquide, par exemple.
Olivier Mazerolle : Pour l’efficacité, vous souhaiteriez que ces projets arrivent à terme quand ?
Dominique Voynet : Le plus tôt sera le mieux.
Olivier Mazerolle : Oui, mais enfin…
Dominique Voynet : C’est-à-dire dès le budget 1998.
Olivier Mazerolle : Autre sujet : l’abandon du canal Rhin-Rhône. Dernièrement M. Vauzelle, qui est député-maire socialiste d’Arles, disait : puisqu’il n’y a plus de canal Rhin-Rhône, qu’est-ce qu’on fait à la place pour permettre au Sud de rester en phase avec le reste de l’Europe ?
Dominique Voynet : C’est la seule vraie question. Le nombre de camions sur les routes n’a pas diminué. Il reste tout à fait urgent de proposer une alternative à la route pour le transport des marchandises. C’est d’ailleurs très efficace pour lutter contre la pollution. Nous proposons le ferroutage, c’est-à-dire le transport combiné par la route et par le rail des marchandises. La mise à niveau de l’offre ferroviaire coûtera d’ailleurs beaucoup moins cher que la réalisation du canal Rhin-Rhône à grand gabarit.
Olivier Mazerolle : Donc, vous voyez une ligne spécifique de chemin de fer Rhin-Rhône, à terme ?
Dominique Voynet : Tous les pays européens, l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche s’orientent vers le transport longue distance des marchandises par le rail et non pas par la route. La France doit faire aussi ce choix.
Olivier Mazerolle : Et sur le Rhin-Rhône, donc, vous êtes favorable à cela ?
Dominique Voynet : Je suis favorable sur l’axe nord-sud au transport des marchandises par le rail.
Olivier Mazerolle : Vous ne vouliez pas être ministre de l’Environnement et puis tout le monde vous tombe dessus à bras raccourcis, y compris les vôtres qui disent : elle n’en fait pas assez. Vous êtes quand même satisfaite à ce ministère ?
Dominique Voynet : Je me sens très bien dans ce Gouvernement où le dialogue est de qualité et où le respect des personnes est la règle. Je me sens aussi très bien dans mes relations avec mon parti. Je pense que je fais mon travail de ministre et que mes camarades font leur travail d’aiguillon politique. Les Verts ont un rôle de contre-pouvoir à jouer, c’est essentiel pour que la ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement fasse bien son travail.
Olivier Mazerolle : Cela fait du bien de se faire engueuler alors ?
Dominique Voynet : Oui et cela fait du bien aussi qu’un mouvement solide, vivant, existe et garantisse le respect des promesses qui ont été faites pendant la campagne électorale parce qu’il n’y a pas seulement des promesses à respecter en matière d’environnement mais aussi sur les 35 heures ; je compte sur la réforme de la fiscalité et sur ce rééquilibrage des transports en faveur des transports moins polluants qui a été promis pendant la campagne électorale et que nous devons aux Français.
Europe 1 : mardi 19 août 1997
Dominique Voynet : Aucune solution miracle n’existe. Ni la circulation alternée, ni la diminution de la vitesse des véhicules ne sont des solutions miracles. Seulement, chacun peut faire preuve de civisme en renonçant à utiliser sa voiture s’il peut s’en passer ; en offrant à son voisin ou à son collègue de travail de partager un véhicule, c’est ce qu’on appelle le co-voiturage ; ou bien en reportant un déplacement prévu. Mais le civisme cela n’est possible que si les pouvoirs publics font une offre satisfaisante de transports collectifs. Aujourd’hui, cela n’est pas toujours le cas. Quand on vit dans des banlieues éloignées, quand on a des horaires atypiques, on ne peut pas toujours se passer de sa voiture. Donc, c’est vrai que c’est un peu court de culpabiliser toujours l’usager. Simplement, notre travail à nous, au Gouvernement le travail des élus, c’est de proposer des transports en commun rapides, sûrs, non-polluants, efficaces qui permettent une réelle alternative.
Europe 1 : Quelles sont les solutions de fond sur le long terme auxquelles vous réfléchissez avec Jean-Claude Gayssot, le ministre des Transports ?
Dominique Voynet : Je crois qu’on est d’accord, l’un et l’autre, pour dire qu’il est temps de revoir la priorité qui a été accordée à l’automobile depuis 30 ans dans ce pays, à la fois pour le transport des personnes et pour le transport des marchandises.
Europe 1 : Concrètement, cela se traduit comment ?
Dominique Voynet : Concrètement cela veut dire qu’il faut rééquilibrer les choix financiers des collectivités en faveur des transports collectifs, cela veut dire aussi qu’il faut rééquilibrer la fiscalité au profit des carburants les moins polluants. Il va falloir, sans doute, penser à mettre en place ce qu’on appelle une écotaxe pour financer tout cela. Ce ne sera pas une taxer supplémentaire. Cela devrait permettre d’encourager les comportements les plus responsables d’un point de vue écologique, cela devrait permettre aussi de diminuer la fiscalité qui pèse sur le travail et d’alourdir, en revanche, la note pour ceux qui se comportent de façon irresponsable.
Europe 1 : C’est un grand chantier, celui des transports en commun ?
Dominique Voynet : C’est un grand chantier. Le groupement des autorités responsables de transports chiffre à peu près à 85 milliards les investissements à consentir dans ce secteur au cours des années à venir. Cela paraît beaucoup, cela ne l’est pas tant que cela, si on le compare aux sommes qui sont consacrées aux aménagements routiers, années après années, dans notre pays. L’ensemble des collectivités territoriales – communes, départements, régions, État – vont devoir renoncer à un certain nombre d’équipements routiers dont l’utilité sociale n’est pas prouvée pour réorienter les investissements publics vers les transports en commun.
Europe 1 : Est-ce qu’il ne faudrait pas, dans l’immédiat, pour prévenir et non pas réagir aux pics de pollution, mettre quand même en place cette circulation alternée avant que le niveau 2 d’alerte ne soit atteint ?
Dominique Voynet : Vous avez le mérite d’attirer l’attention sur un des aspects faibles de la loi sur l’air. Aujourd’hui, la loi ne permet pas d’empêcher les voitures de circuler au niveau 2. Moi, j’aimerais bien qu’on puisse avoir un niveau gradué. Je crois qu’une limitation de la circulation devrait être envisagée dès le niveau 2 en laissant circuler les véhicules prioritaires du point de vue de la sécurité, et puis les usagers qui choisiraient le co-voiturage. Que les choses soient claires : je n’ai pas l’intention de faire des cadeaux aux lobbies de l’automobile, par contre j’ai l’intention de faire peser les efforts là où c’est efficace, et pas seulement de m’agiter pour donner l’impression que je fais, si cela n’est pas efficace.
France 2 : mardi 19 août 1997
Bruno Masure : La pollution de l’air : certains ont le sentiment qu’il s’agit de mesurettes. Vos amis les Verts d’Île-de-France ont dénoncé aujourd’hui l’inefficacité des mesures préfectorales justement, précisément en matière de limitation de vitesse.
Dominique Voynet : Il faut bien le reconnaître, elles sont relativement peu efficaces, insuffisantes en tout cas pour résoudre le problème d’un simple revers de main. Je crois qu’on est dans une situation assez grave. La pollution est à un niveau relativement élevé toute l’année, et finalement ce qu’on appelle un pic de pollution n’est que le dépassement temporaire de ce niveau moyen élevé de pollution. Mais dans ce pays, les choses sont ainsi faites qu’on s’intéresse à la pollution quand on détecte un pic de pollution, on s’intéresse à l’état des forêts quand il y a un incendie de forêt, on s’intéresse à l’entretien des rivières quand il y a des inondations. Et on ne traite pas les problèmes tous les jours de l’année quand il faudrait le faire.
Bruno Masure : Est-ce qu’on ne fait pas un peu trop confiance au civisme des Français ? Vous avez envoyé une circulaire aux préfets, précisant : « … Il serait utile de conseiller de différer chaque fois que possible les activités entraînant des émissions d’hydrocarbures… » Vous savez bien que les Français, entre autres, ne vont pas renoncer comme ça à la sacro-sainte « bagnole » ?
Dominique Voynet : Je suis assez démunie aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que la loi sur l’air, dont on a tellement parlé l’année dernière et l’année d’avant, ne prévoit finalement que bien peu de choses qui soient contraignantes. Au niveau de haute pollution, il n’est pas dans mes prérogatives de décider l’interdiction de la circulation. Je suis seulement obligée, et je le fais, d’inviter les préfets à informer les citoyens et à leur donner des conseils de civisme et de responsabilité. Au-delà, s’il y avait un risque de passage au niveau 3 ou s’il y avait un pic de niveau trop haut, évidemment nous serions amenés à mettre en œuvre les dispositions prévues par la loi qui, elles, sont contraignantes, mais seulement pour le niveau trop haut.
Bruno Masure : On le ferait maintenant, bien que le décret d’application n’est pas encore publié au JO ?
Dominique Voynet : Il n’y a pas besoin de décret d’application pour décider la mise en œuvre de la circulation alternée. Simplement, son efficacité n’est pas prouvée. Figurez-vous que j’ai l’intention de travailler, comme le Premier ministre – avec qui je me suis entretenue de ce problème aujourd’hui même – me l’a suggéré : en évitant les gesticulations médiatiques aussi spectaculaires qu’inefficaces. En évitant les effets d’annonce qui ne seraient pas suivis des faits. Moi je crois que, décider aujourd’hui une circulation alternée ce serait sans doute s’exposer à un méga-embouteillage, alors que des centaines de milliers de jeunes sont dans Paris. Ce qui est important, c’est de faire prendre conscience aux gens que la pollution ça se traite tous les jours de l’année, et qu’au-delà de mesures aussi courageuses que limitées dans leur impact, il faut absolument encourager les transports en commun, rééquilibrer la fiscalité au profit des carburants les moins polluants. Et développer enfin une politique de la ville qui remette la voiture à sa place.
Bruno Masure : Vous parlez d’encourager les transports en commun, mais parlons de Paris par exemple : je ne sais pas si vous avez déjà été coincée à un feu rouge derrière un bus de la RATP, mais c’est l’asphyxie totale ! Donc ça coûte très cher. Il faudrait prévoir des bus électriques. C’est un programme qui nécessite sur le long terme énormément d’investissements pour que ce soit vraiment efficace.
Dominique Voynet : « Je crois que le président de la RATP est très conscient de ce problème. Simplement il lui manque des moyens financiers pour renouveler plus rapidement son parc de bus. Les autorités responsables des transports, les collectivités locales pour être plus clair, ont chiffré le montant des investissements nécessaires à environ 85 milliards de francs pour mettre à niveau l’offre de transport en commun dans les grandes villes. Ce ne sont pas des sommes déraisonnables au regard des moyens importants de notre pays. Je pense en tout cas que la santé des Français justifierait des engagements de cet ordre.
Bruno Masure : Vous vous êtes prononcée pour une action à long terme. C’est vrai que ce n’est pas simple, il y a des lobbies à affronter. Mais comme disait quelqu’un : « À long terme nous serons tous morts » ?
Dominique Voynet : C’est vrai. C’est vrai, et c’est pourquoi je souhaite qu’au-delà, de ce pic de pollution, au-delà des mesures que nous sommes en mesure de conseiller aujourd’hui – éviter de prendre sa voiture, utiliser les transports en commun, associer ses voisins, ses collègues à ses déplacements, ce qu’on appelle le co-voiturage, pour qu’il y ait moins de voitures sur la route -, ce qui sera vraiment efficace, c’est une offre de transport un peu différente, qui fera qu’on pourra, tous les jours de l’année, moins utiliser la voiture individuelle pour ses déplacements quotidiens. C’est quelque chose qui est une réalité dans d’autres villes qui ont eu ce problème quelques années avant nous. Ça a été le cas de Los Angeles, où un programme très ambitieux de reconquête de la qualité de l’air a été mené. Ça a demandé des années, ça a demandé beaucoup d’argent et beaucoup de volonté politique, beaucoup d’efforts civiques. Ça a été le cas aussi, moins loin de nous, à Fribourg, où la ville a retrouvé une qualité très importante par la mise en place d’un réseau de voiries qui sont accessibles essentiellement aux usagers non-motorisés, et notamment aux vélos et aux piétons.
Le Parisien : 20 août 1997
Le Parisien : Hier matin, sur RTL, vous avez dit qu’il n’y avait pas de « solution magique » pour lutter contre les pics de pollution. N’y a-t-il rien à faire dans l’immédiat ?
Dominique Voynet : Il n’y a pas de « solution magique » si on ne s’occupe de la pollution que lorsqu’il y a des pics. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y a rien à faire dans l’immédiat. Même si la législation actuelle n’est pas satisfaisante, je la mets en œuvre sans hésitation. J’ai adressé une circulaire très claire aux préfets en ce sens. Comme le prévoit la loi, dans le cas où le niveau 3 de pollution serait atteint, ou même simplement prévisible pour le lendemain, les restrictions de circulation seront instaurées, notamment la circulation alternée.
Le Parisien : Vous avez toujours dit que plusieurs alertes de niveau 2 peuvent être aussi nocives qu’un niveau 3. Pourquoi ne pas tester la circulation alternée, en ce mois d’août où le trafic est faible à Paris ?
Dominique Voynet : Je vous l’ai dit, la législation est inadaptée. Elle ne permet d’instaurer des limitations de circulation qu’à partir du niveau 3. Plutôt que de se contenter de recommandations et d’incitations en dessous et de passer alors à « l’arme atomique » qu’est le système de la circulation alternée, je pense que la législation devrait évoluer vers un dispositif de « riposte graduée », certaines mesures étant mises en place au niveau 2, et si elles se révèlent insuffisantes, complétées par des mesures plus contraignantes au niveau 3.
Le Parisien : Pourquoi pensez-vous que la circulation alternée est difficile à mettre en œuvre ?
Dominique Voynet : D’abord parce que son efficacité n’est pas garantie. Au lieu, comme le permettrait la pastille verte, d’éliminer les véhicules les plus polluants responsables de la pollution la plus importante, la circulation alternée « tire au hasard ». C’est beaucoup moins efficace. Surtout, il est clair que les transports parisiens déjà saturés auront du mal à absorber les passagers supplémentaires. Et les parkings à la périphérie de Paris sont très insuffisants pour accueillir les véhicules venant de banlieue et ne pouvant pénétrer en zone protégée.
Le Parisien : Pourquoi ne pas accélérer la procédure de mise en place de la pastille verte, sans attendre fin 1998 ?
Dominique Voynet : Le système le plus simple pour distribuer la pastille est de la couleur avec la vignette. Avec le retard pris – les décrets d’application de la loi sur l’air ont été bloqués par la dissolution – ce n’est plus possible pour la fin de cette année. Nous étudions d’autres modes de distribution. Mais c’est une opération compliquée.
Le Parisien : Vos opposants vous jugent timide face à la situation actuelle. Que leur répondez-vous ?
Dominique Voynet : Ils jouent leur rôle dans un débat démocratique. Ils ont eu l’habitude de ministres de l’Environnement se battant au sein de leur Gouvernement et obligés de multiplier les effets d’annonce pour obtenir des avancées. C’est spectaculaire, mais peu efficace. Je me situe au contraire dans un Gouvernement pluriel qui élabore non pas des annonces sans lendemain, mais des décisions concrètes. J’ai d’ailleurs évoqué ces questions avec le Premier ministre aujourd’hui même. Ceux qui me jugent timide parce que je n’ai pas fait en deux mois ce qu’ils n’ont pas fait en deux ans seront, je vous le promets, rassurés d’ici peu.
Europe 1 : mardi 26 août 1997
Jean-Pierre Elkabbach : La vitesse n’est plus limitée à Paris, toutes les folies sont donc à nouveau permises à partir d’aujourd’hui. La pollution de l’air n’est pratiquement pas dangereuse, pendant un moment. L’inquiétude et les polémiques vont retomber. Vous voici sauvée par le ciel et la pluie ?
Dominique Voynet : Sauvée par la météo, si l’on peut dire. Il est parfaitement exact que ce sont bien les changements des conditions atmosphériques qui sont responsables de l’amélioration constatée dans le ciel parisien. Les mesures de fond que nous avons l’intention de prendre pour lutter contre des niveaux de pollution atmosphérique élevés tout au long de l’année dans les grandes villes de France vont payer sur le long terme, pas en quelques jours.
Jean-Pierre Elkabbach : Le moment est venu de tirer les leçons de ce qui vient de se passer et peut-être de prévoir. Vous aviez annoncé la semaine dernière une batterie de mesures, lesquelles ont des chances de survivre ? La limitation de vitesse à 60 km/h n’a pas toujours été respectée, la proposez-vous toujours ? Et est-ce qu’il faudrait des sanctions ?
Dominique Voynet : Ce qui sera important, c’est de ne pas traiter seulement ce que l’opinion et les médias appellent des pics de pollution, même si le mot est assez impropre, en revanche-t-il nous faudra travailler sur la diminution du taux basal de pollution. Dans cet esprit, la diminution de la vitesse des voitures n’est qu’un des éléments d’une batterie très importante.
Jean-Pierre Elkabbach : Pour vous, on vit dans un état permanent de pollution ?
Dominique Voynet : C’est un état permanent de pollution qui présente sans doute des problèmes sanitaires plus importants qu’un niveau plus élevé de pollution un jour de l’été ou quelques jours au cours de l’été. Ce qu’il faut faire, pour reconquérir un air de qualité, c’est avant tout de rééquilibrer les choix publics en faveur des transports en commun pour permettre à un maximum d’usagers de ne pas être tentés de prendre leur voiture. Là, les choses sont claires pour moi. Je n’ai pas l’intention de mettre en place des mesures autoritaires qui brident la liberté individuelle. J’ai envie de montrer que les transports en commun, ça peut-être quelque chose de sûr, de pas cher, de moins polluant, de plus confortable et d’aussi efficace pour rejoindre son lieu de travail et aller au cinéma.
Jean-Pierre Elkabbach : Un tel projet nécessite un budget important. Et pour qu’il n’arrive pas à la saint-glinglin, est-ce que, dès le budget de 1998 vous aurez des crédits de la part du Gouvernement ?
Dominique Voynet : Ce n’est pas à l’État de financer la plupart de ces infrastructures mais aux collectivités locales. Les régions, les départements, les communes sont, pour ce qui les concerne, responsables de cette offre de transport. Simplement, l’État a à donner un rôle d’impulsion et il le fera dans le cadre des contrats de plan entre l’État et les régions, qui commencent à être discutés en ce moment et qui devraient se mettre en place au cours des années 1998 et 1999.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous voulez empêcher les voitures qui polluent de rouler. Les bonnes et les saines auront une pastille verte en 1998. Maintenez-vous cette idée et pourquoi pas plus tôt ?
Dominique Voynet : Maintenir cette idée, la loi me le demande puisque la loi sur l’air prévoit explicitement la mise en place de cette pastille verte. Simplement, nous serons très vigilants, d’une part à faire en sorte qu’aucun véhicule très polluant n’ait cette pastille verte, d’autre part à ce que cette pastille verte ne soit pas un outil antisocial qui empêcherait les personnes modestes qui n’ont pas pu renouveler leur véhicule, d’aller à leur travail.
Jean-Pierre Elkabbach : Comment ça serait attribué, qui attribuerait les pastilles vertes ?
Dominique Voynet : Nous sommes en train d’y travailler. Le décret d’application n’est pas encore prêt et je peux d’ores et déjà vous dire que la mise en œuvre de la mesure est très lourde puisqu’il s’agit effectivement d’attribuer à chaque véhicule un signe distinctif particulier. Idéalement, ça devrait se faire avec la mise en place de la vignette 1999.
Jean-Pierre Elkabbach : En réalité, ça ne se fera pas ?
Dominique Voynet : Si. Je pense que ça se fera mais ça prend du temps et ça coûte cher, donc il faut bien réfléchir à la mise en œuvre.
Jean-Pierre Elkabbach : Le 9 septembre, La Rochelle sera un jour sans voiture. Est-ce que vous encouragez l’initiative du maire, M. Crépeau ? Est-ce que vous pensez qu’on pourrait l’expérimentez dans d’autres villes qui seraient volontaires ?
Dominique Voynet : Tout dépend de l’organisation des centres urbains. Moi, je plaide pour qu’un réseau vert soit mis en place dans les grandes villes, permettant aux usagers non motorisés de se déplacer d’est en ouest et du nord au sud à travers un réseau conçu pour, et d’où on élimine les véhicules à moteur. Ce serait idéal aussi pour permettre aux transports en commun de rouler à nouveau en site propre et donc d’avoir une vitesse commerciale plus rapide. Ce qui les rendrait très attirants par rapport à la voiture et aux embouteillages.
Jean-Pierre Elkabbach : Il y a un exemple ?
Dominique Voynet : Il y a des exemples et des expérimentations qui se sont mises en place dans d’autres grandes villes européennes, en Suisse ou en Allemagne par exemple. En France, c’est à Paris que les choses sont peut-être les plus avancées puisqu’un projet très complet a été monté par les associations et a été examiné par la municipalité.
Jean-Pierre Elkabbach : Sans résultat encore !
Dominique Voynet : Je crois que le moment est venu pour les édiles parisiens de prendre conscience de l’ampleur de l’attente de la population. Je pense que la mise en place de ce réseau vert serait vraiment très intéressante pour améliorer la vie quotidienne et la qualité de la vie, pas seulement la qualité de l’air.
Jean-Pierre Elkabbach : M. Crépeau, maire de La Rochelle, se dit convaincu que d’ici dix ans, les voitures seront interdites dans le centre des villes. Ce n’est pas la première fois qu’on le dit. Vous seriez d’accord avec cela ?
Dominique Voynet : Je pense qu’il est très intelligent de prévoir des parkings de dissuasion en périphérie des villes. Les gens qui viennent d’une périphérie de ville pourraient laisser leurs voitures au moment où ils monteraient dans le bus ou dans le tramway, ce qui permettrait de désengorger le centre-ville, mais ce qui compte, c’est qu’on ait des plans de déplacements cohérents à l’échelle des agglomérations. On ne peut plus raisonner commune par commune.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous voulez dire que ce n’est plus l’État, ce sont les maires…
Dominique Voynet : La région parisienne, la région strasbourgeoise, le district urbain de Lyon sont des collectivités qui doivent penser des plans de déplacement cohérents. C’est d’ailleurs prévu par la loi sur l’air.
Jean-Pierre Elkabbach : Dans combien de temps, à votre avis, l’air sera-t-il moins pollué ? C’est-à-dire dans combien de temps ces mesures seront-elles entrées en application et peut-être efficaces ? Combien d’années faut-il ?
Dominique Voynet : Dans les grandes villes américaines polluées par l’ozone, il a fallu des années avant de reconquérir un air de qualité et pourtant, on a mis en place des mesures que les Français n’accepteraient peut-être pas tant elles étaient tatillonnes et exigeantes. Je pense par exemple à l’interdiction de tondre sa pelouse dans certaines grandes villes américaines. Il est vraiment important, maintenant que la prise de conscience a eu lieu, que l’intérêt ne faiblisse pas et que cela permette de prendre des décisions courageuses. Je plaide pour ma part – mais la décision n’est pas prise encore – pour un rééquilibrage de la fiscalité des carburants au profit des carburants les moins polluants. Je pense que le gaz naturel est un excellent moyen de propulsion et que le GPL en est un aussi et qu’il faut les encourager d’un point de vue fiscal.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous supprimeriez l’avantage du diesel ?
Dominique Voynet : On peut le faire comme cela. Je crois que la France est un cas tout à fait original d’encouragement au carburant le plus polluant.
Jean-Pierre Elkabbach : Mais il y a des résistances. En France, il y a toujours l’industrie automobile qui crie au chômage et les routiers qui menacent de bloquer les routes et qui savent faire.
Dominique Voynet : Je pense que personne n’a ici l’intention d’empêcher les chauffeurs routiers de faire leur travail. Je vais les recevoir prochainement pour examiner avec eux les problèmes posés par une augmentation éventuelle de la fiscalité du diesel. Encore une fois, la décision n’est pas prise. Simplement, je crois que c’est à la population de maintenir une pression pour manifester son intérêt.
Jean-Pierre Elkabbach : Et une pression aussi sur le Gouvernement. Par exemple, Dominique Strauss-Kahn ne croit pas à la taxe écologique que vous suggérez.
Dominique Voynet : Quand on parle de taxe écologique, on est mal compris ! L’idée est d’avoir une approche subtile et nuancée de la fiscalité pour permettre d’encourager les comportements les plus vertueux et de décourager les comportements les plus irresponsables d’un point de vue écologique.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous y tenez ?
Dominique Voynet : Je ne suis pas la seule à y tenir. Ce projet a failli être adopté au niveau européen il y a quelques années. Certains pays européens l’expérimentent et, d’une certaine façon, on le fait tout le temps. »
Jean-Pierre Elkabbach : Donc, il ne faut pas le faire au niveau national mais au niveau européen ?
Dominique Voynet : Je crois qu’il a raison d’insister sur le fait que l’efficacité de ce genre de mesures serait maximale au niveau européen.
Jean-Pierre Elkabbach : Libération publie l’avant-projet de loi du Gouvernement qui réforme sans les abroger les lois Pasqua et Debré sur l’immigration. Est-ce qu’il a le soutien politique des Verts ?
Dominique Voynet : Je pense qu’il aurait été très clair pour l’opinion qu’on puisse abroger les lois Pasqua-Debré. Est-ce que cela aurait été le plus efficace ? Encore aujourd’hui, je n’en suis pas complètement convaincue, au-delà du symbole. Je pense que le projet qui s’appuie sur le rapport de P. Weil est un projet relativement équilibré et qu’il est extrêmement intéressant dans le sens où il restitue le droit du sol et où il précise l’attachement de la France au droit d’asile.
Jean-Pierre Elkabbach : C’est-à-dire que si le projet de Jean-Pierre Chevènement ne va pas aussi loin que vous le voulez, vous l’appuyez quand même ?
Dominique Voynet : J’appuie l’équilibre général du texte et je communiquerai à Jean-Pierre Chevènement et Elizabeth Guigou une proposition d’amélioration à ce texte pour permettre peut-être d’en limiter certaines zones d’ombre qui pourraient inquiéter les associations.
Jean-Pierre Elkabbach : Superphénix. Il y a un calendrier de l’arrêt du nucléaire ?
Dominique Voynet : De l’arrêt du nucléaire, non. De cette centrale ? Le calendrier est en train d’être mis en place. C’est au 15 septembre qu’une mission interministérielle devrait rendre des premiers résultats sur les modalités de l’arrêt.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous avez bloqué le projet de parc naturel, Vulcania, que Valéry Giscard d’Estaing veut créer en Auvergne. Tout le monde avait dit oui et il paraît que vous dites non. Est-ce que vous maintenez votre non ?
Dominique Voynet : Valéry Giscard d’Estaing propose une installation assez lourde de promotion du volcanisme dans le parc naturel régional des volcans d’Auvergne. J’ai posé des questions complémentaires concernant l’hydrologie du site et l’équilibre financier du projet. Cela me paraît normal alors que l’État s’apprête…
Jean-Pierre Elkabbach : Mais vous y êtes toujours hostile, aujourd’hui ?
Dominique Voynet : Non. J’étudie cette question très sérieusement. L’État s’apprête à contribuer financièrement à ce projet. Il faut qu’il soit viable d’un point de vue économique.
Jean-Pierre Elkabbach : Et il ne l’est pas pour le moment ?
Dominique Voynet : Sa viabilité n’est pas complètement assurée.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous êtes coincée entre les priorités de certains, les intérêts et les contraintes des clans, des lobbies, des corps ? Est-ce que cela veut dire qu’en France, pour un ministre de l’Environnement, il n’y a rien d’autre à faire que se taire et capituler ?
Dominique Voynet : Le ministre de l’Environnement, traditionnellement, gêne tous les lobbies et intérêts privés. Donc, il doit s’habituer à être batailleur au sein du Gouvernement. Je ne suis pas là pour servir de caution à des politiques destructrices pour l’environnement mais pour réorienter des choix publics. Jusqu’à aujourd’hui, je pense pouvoir dire que je le fais.
Jean-Pierre Elkabbach : Mais c’est plus dur que ce que vous croyiez avant ?
Dominique Voynet : C’est très difficile mais avec le soutien du Premier ministre et du Gouvernement, je pense que cela peut se faire dans la bonne humeur. Je me sens bien dans ce Gouvernement.