Déclaration de M. Georges Hage, député communiste, sur la CSG et le financement de la protection sociale, à l'Assemblée nationale le 19 novembre 1990.

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Circonstance : Débat sur la motion de censure contre la CSG (contribution sociale généralisée) à l'Assemblée nationale le 19 novembre 1990

Texte intégral

M. le président. Nous allons passer au groupe communiste.
La parole est à M. Georges Hage. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Hollande. Applaudissez, messieurs de la droite !

M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie. Que le calme se rétablisse !
M. Georges Hage a la parole, et lui seul !

M. Georges Hage. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres…

Un député du groupe socialiste. Chers amis de la droite…

M. Georges Hage. … mesdames, messieurs les députés…

M. Henri Emmanuelli. Pour l'instant, ça va ! (Sourires.)

M. Georges Hage. … les députés communistes ont dit de longue date que, pour repousser la contribution sociale généralisée, ils étaient prêts à prendre toutes leurs responsabilités parlementaires, sans en exclure aucune.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Comme la droite.

M. Georges Hage. C'est la seconde fois, au cours de cette législature, qu'une telle situation se présente et qu'une telle détermination les anime.
La première fois, c'était pour marquer leur refus de toute amnistie pour les auteurs de fausses factures. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Seul le groupe communiste vota contre cette loi.

M. Jean Ueberschlag, M. Pierre Mazeaud et plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. C'est faux !

M. Georges Hage. La complaisance de la droite avait alors écarté le débat de censure.

M. Jean Ueberschlag. C'est faux !

M. Georges Hage. Les prolongements actuels de ce mauvais roman-feuilleton disent assez que, dans l'intérêt de la démocratie, le Gouvernement aurait mieux fait de nous entendre.
Aujourd'hui, ce qui motive les députés communistes, c'est la nocivité intrinsèque du projet de contribution sociale généralisée et la censure sans ambiguïté qu'exprime à son encontre le mouvement social.

M. Alain Vivien. Non !

M. Georges Hage. La France est un pays riche, civilisé, développé. Elle a les moyens d'aller de l'avant dans la voie d'une modernité réelle, libérant toutes les capacités créatrices qui sont les siennes. Améliorer et moderniser la sécurité sociale, et son financement, tous les salariés le demandent.
Pour le capital, il n'est point de modernité concevable si demeure en l'état la société française avec ses acquis démocratiques et sociaux. D'où son programme : provoquer un éclatement de cette société en la réorganisant de fond en comble, isoler et diviser ses victimes, fût-ce au prix d'une recomposition du paysage politique, et, au nom de l'intégration européenne, sacrifier les droits sociaux sur l'autel de la précarité et de la déréglementation.
Pour planter les jalons du progrès, n'est-il, monsieur le Premier ministre, que d'aider à perdurer – et sévir davantage – une société soumise à la loi du profit et que de célébrer l'ouverture du capitalisme tempéré.
D'un gouvernement à l'autre les inégalités se sont aggravées. Est-il tolérable pour le plus grand nombre de nos concitoyens d'entendre les grands de la finance annoncer des records absolus de profits, le Gouvernement leur accorder de nouveaux privilèges et débloquer pour le Golfe des milliards que l'on refuse aux salariés, aux jeunes, aux assurés sociaux ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gérard Gouzes. C'est pour cela qu'il faut voter avec le R.P.R. ?

M. Georges Hage. D'un côté, c'est l'euphorie du profit, de l'autre, une France de bas salaires, de petits boulots, de formation sans avenir, avec des difficultés accrues pour la protection sociale des Français.
Vous n'avez pas convaincu nos concitoyens, et vous ne nous avez pas convaincus, que la C.S.G., nouvel impôt, n'entraînerait pas demain une injustice sociale aggravée.

M. François Hollande. La droite vous a convaincus, c'est l'essentiel !

M. Georges Hage. Nous n'avons garde d'oublier les responsabilités de la droite. (« Ah oui ? » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Vivien. Vous allez voter avec !

Plusieurs députés du groupe socialiste. Avec Mme Stirbois !

M. Georges Hage. « Séguino-Eviniste », la contribution sociale généralisée est un détestable rejeton issu de paternités multiples. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste.)
La réalité, c'est que tous les salariés, près de deux retraités sur trois et un chômeur sur dix y seraient assujettis dès la première année, alors que la contribution réclamée au patronat serait bien légère. Et comment douter que les années suivantes, avec un taux de prélèvement grimpant à 2, 3, 4 p. 100 sur le revenu brut, la ponction de cet impôt sans progressivité ne serait pas plus sévère sur le pouvoir d'achat salarial ? Comment douter que le nombre d'assujettis n'irait pas croissant ?

M. Gérard Gouzes. Procès d'intention !

M. Georges Hage. De quelle solidarité peut-il s'agir quand, sur 36 milliards de recettes, 3 seulement seraient demandés aux revenus du capital…

M. Jean-Christophe Cambadélis. C'est jésuite, ça !

M. Georges Hage. … le produit de la spéculation boursière restant taxé douze points de moins que le salaire du smicard ?
Alors que, au nom de l'Europe, les revenus du capital sont de plus en plus exonérés, les travailleurs risqueraient de supporter trois impôts sur le revenu, d'abord l'impôt classique, que le Gouvernement voudrait prélever à la source, les hauts revenus bénéficiant régulièrement de la réduction des hautes tranches, la contribution sociale généralisée qui, demain, avec un taux de 4 p. 100, représenterait plus du tiers de l'impôt sur le revenu, et enfin, si nous n'y prenons garde, la part départementale sur la taxe d'habitation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Visiblement, monsieur le Premier ministre, la C.S.G. s'inscrit ici dans un projet de refonte de tout le système fiscal français. Elle annonce en tout cas le prélèvement de l'impôt à la source, ce qui défavoriserait une fois de plus les salariés, qui seraient les seuls à payer l'impôt au comptant.
Les revenus du capital cotiseraient sur une base étroite pour 1,1 p. 100, les salariés à 13,6 plus 1,1 p. 100 sur la totalité de leur revenu brut. C'est plus qu'abusif de parler ici de l'élargissement de l'assiette à l'ensemble des revenus.

M. Didier Chouat. Ce n'est pas l'assiette, c'est la gamelle !

M. Georges Hage. Dans quel recoin secret pourrait se nicher la solidarité quand le rendement de l'impôt sur les sociétés doit baisser de 2 p. 100 en 1991 et celui de l'impôt sur les revenus augmenter de 12 p. 100 ?

M. Jean-Claude Lefort. Très bien !

M. Georges Hage. Vous faites valoir, monsieur le Premier ministre, à qui touche un salaire inférieur au plafond de la « sécu », qu'il gagnerait 42 francs par mois, d'ailleurs sans garantie qu'il les retrouve l'année suivante, les taux de cotisation demeurant fixes par décret.
Ce salarié serait-il inconscient au point de vouloir perdre « sa » sécu, conquise à la Libération par ses aînés, pour un plat de lentilles ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Tous comprennent, les explications syndicales aidant, que les dispositions prises aujourd'hui visent à rendre plus présentable un bouleversement complet de mode de financement et du système de protection sociale.
La C.S.G. met ainsi en cause le système de protection sociale issu de la Libération pour remplacer les cotisations patronales par un impôt supporté essentiellement par le monde du travail.

M. Jean Anciant. C'est faux !

M. Yves Dollo. Vous dites n'importe quoi, monsieur Hage.

M. Georges Hage. L'objectif qu'Ambroise Croizat assignait à la sécurité sociale était « la réalisation d'un plan couvrant l'ensemble de la population du pays contre l'ensemble des facteurs d'inégalités ». Cet objectif, vous ne pouvez le nier, est plus que jamais d'actualité. Mais vous parliez jeudi dernier, ici même, de le réformer. Pas moins !
Après le gouvernement de la droite, et dans sa continuité, vous vous attaquez à ces acquis de la Libération. Pour le bonheur de qui ? Pourquoi ? Sinon pour les livrer aux appétits des compagnies d'assurances et des banques (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) …

M. François Hollande. Pourquoi la droite vote-t-elle contre ?
M. Georges Hage. … qui rêvent d'investir les marchés de la santé et de la retraite par capitalisation.
Pour le régime général, ce serait le chantage permanent entre l'augmentation du taux de la C.S.G. et la compression des dépenses pour la santé et la retraite. Pour la santé, la qualité des soins irait en régressant et la prévention sacrifiée générerait à terme des dépenses accrues.
Pour la retraite, le ministre du Plan a évoqué d'augmenter de trente-sept ans et demi à quarante ans le nombre d'années de cotisations pour une retraite complète. Autant proclamer comme la droite, qui avait voté en 1981 contre les ordonnances sociales, l'obligation pour les jeunes, qui, aujourd'hui, sortent plus tardivement du système scolaire et sont enchaînés aux petits boulots, de travailler jusqu'à 65 ans ou même plus !

Un député du groupe socialiste. Vous n'avez rien compris, là !

M. Georges Hage. Faire participer les retraités au financement des retraites sur le produit de leur cotisation, c'est la négation même du système de répartition et l'émergence d'une solidarité inversée : celles des inactifs pour les actifs.
Est-ce qu'à horizon de l'an 2000, le symbole de l'assurance vieillesse sera un cocotier ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gérard Gouzes. C'est l'amendement Toubon, ça !

M. Georges Hage. Les entreprises cotiseraient moins pour la branche famille. L'objectif recherché est de ne plus les faire cotiser du tout.
La contribution sociale généralisée poursuit ici l'intention de Philippe Séguin qui voulait affecter en totalité le produit de la contribution qu'il envisageait au financement des allocations familiales, afin de réduire à due concurrence la cotisation des entreprises.
Il est intéressant de rappeler que la contribution patronale en ce domaine existait avant-guerre, inspirée par une sorte de paternalisme soucieux du renouvellement de la main-d'oeuvre. La sécurité sociale avait à la Libération démocratisé et laïcisé cette mesure. C'est un aspect de notre culture que la contribution sociale généralisée projette de liquider.
Le temps me manque pour dénoncer le démantèlement qui s'ensuivrait de l'ensemble des régimes spéciaux dont bénéficient encore mineurs, cheminots, gaziers, électriciens, agents des hôpitaux et autres fonctionnaires.
Contrairement à ses détracteurs ou à ces prétendus réformateurs, ne faut-il pas prendre en considération qu'en dépit de tous les coups qui lui sont portés, en dépit des millions de chômeurs dont l'absence de cotisations amenuise ses recettes, le financement de la sécurité sociale conçu il y a 45 ans a fait la preuve historique de sa validité ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe communiste.) Qu'on songe seulement que le déficit prétendu – si seulement l'État payait ses dettes ! –, déficit sur lequel les gouvernements successifs ont culpabilisé les mères de famille et les personnes âgées, est régulièrement dix fois moins élevé que celui de l'État dont le montant est comparable et aujourd'hui deux fois et demie moindre que les ventes d'armes non remboursées de la France à l'Irak. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
Une sécurité sociale moderne et efficace est possible. Les députés communistes souhaitent en discuter. Ils refusent que ce qui doit relever des assurés eux-mêmes obéisse à une logique de fiscalisation. La contribution sociale généralisée est un impôt : impossible de finasser !

M. François Hollande. Vous êtes contre les impôts, maintenant ?

M. Georges Hage. L'impôt, c'est l'État. L'État, c'est la tutelle.

La protection sociale avec ses branches familles, santé, retraite relève d'une logique distincte.
La démocratie serait que le Parlement fixe les orientations de la protection sociale et que les responsables des caisses élus démocratiquement par les travailleurs décident nationalement et de concert du taux des cotisations patronales et salariales.

M. Michel Coffineau. Ben voyons !

M. Georges Hage. Pour financer la sécurité sociale, les députés communistes proposent sept grandes mesures :
D'abord, baisser la cotisation des salariés, qui n'a cessé de croître ces dernières années ;

M. Alain Vivien. C'est ce qu'on fait !

M. Georges Hage. Deuxièmement, augmenter la contribution des entreprises. Cette hausse serait modulée de façon à être plus forte pour les entreprises écrasant la masse salariale, réduisant les emplois et où s'aggravent la précarité et accidents du travail. La hausse serait la moins forte pour celles qui développent les salaires et l'emploi ;
Troisièmement, une cotisation de 13,6 p. 100  sur tous les revenus financiers, qui à elle seule aurait rapporté 42 milliards en 1989 et même 53 milliards avec les revenus tirés des immeubles de rapport ;

Un député du groupe socialiste. Qui dit mieux ?

M. Georges Hage. Quatrièmement, le déplafonnement de toutes les cotisations sociales ;
Cinquièmement, la lutte contre les procédés permettant aujourd'hui d'échapper au financement de la sécu. Cela va de la multiplication des primes à la lutte sans concession contre les employeurs de main-d'oeuvre clandestine ;
Sixièmement, une taxe sur les bénéfices qu'assurances et banques tirent de leur intrusion sur le terrain de la protection sociale. Un seul exemple : elles vont collecter cette année plus d'argent avec l'assurance-vie et les P.E.P. que l'ensemble des caisses nationales de l'assurance vieillesse pour les retraites. Il ne faut pas que les aléas de la Bourse remplacent la solidarité des générations ; (« Très bien ! » sur les bancs du groupe communiste.)
Septièmement, enfin, pour financer la gratuité des soins pour les plus démunis et les chômeurs, nous proposons le versement à la sécurité sociale d'une partie de l'impôt sur les grandes fortunes.

M. François Hollande. C'est de la fiscalisation !

M. Georges Hage. Ces moyens ne s'opposent pas au développement économique du pays. Au contraire, en freinant les spéculations et les profits financiers stériles, en favorisant la consommation populaire, ils contribueraient aux créations d'emplois et aux augmentations des salaires qui sont les meilleurs moyens d'augmenter les ressources de la sécurité sociale.
C'est aussi pour faire avancer de telles propositions que nous restons prêts à discuter avec le Gouvernement…

M. François Hollande. Avec la droite !

M. Georges Hage. … et que nous combattons votre projet.

M. François Hollande. Avec la droite !

M. Georges Hage. Vous n'hésitez pas, monsieur le Premier ministre, à taxer de « conservatisme » notre groupe (« Oui ! », « C'est vrai ! », rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), notre groupe, mais aussi la C.G.T. (Même mouvement), Force ouvrière, la C.G.C. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), la C.F.T.C., des associations familiales comme l'Union nationale des associations familiales, la Confédération syndicale des familles, la Fédération des mutuelles de France…

Plusieurs députés du groupe socialiste. Et le C.N.P.F. !

M. Albert Facon. Et la droite !

M. Georges Hage. … la Confédération des syndicats de médecins de France (« Oui ! » et rires sur les bancs du groupe socialiste), les associations et organisations de retraités, de chômeurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste. – « Et le R.P.R., et l'U.D.F. ! » sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)

M. le président.  Mes chers collègues, un peu de calme !
Monsieur Hage, continuez votre propos.

M. Gabriel Kaspereit. Vos petits camarades sont bien agités, monsieur le président !

M. Georges Hage. Dans l'énumération que je viens de faire, on dénombre que 85 p. 100  de la masse des salariés. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.) Tous conservateurs ?
Je recevais, ce matin encore, une de leurs délégations, parisienne et porteuse de 30 000 pétitions. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Une opposition croissante des organisations syndicales, mutualistes et familiales réclame du Gouvernement qu'il renonce à son « impôt-sécu ». C'est ce mouvement qui nous interpelle, nous communistes, et lui seul. (Même mouvement.)

M. Roland Carraz. Tiens donc !

M. Georges Hage. Toutes ensemble, dans leur indépendance et leur diversité (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste), les organisations qui l'animent donnent à l'Assemblée nationale et au Gouvernement une leçon de démocratie (Rires sur les mêmes bancs) en disant que la politique, c'est la vie des gens, ce ne sont ni des querelles de chefs, ni l'affairisme politico-financier. (Exclamations sur les mêmes bancs.)
De leur côté, les jeunes refusent d'être une génération sacrifiée et engagent leur première lutte pour l'égalité, disant pacifiquement qu'une éducation de qualité contre l'exclusion et l'échec n'est pas seulement le droit de chacun mais le besoin de tous.
Les communistes se sentent parfaitement à l'aise (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste. – Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)…

M. Albert Facon. A l'aise avec le R.P.R. !

M. Jean Beaufils. A l'aise avec Mme Stirbois !

M. Georges Hage. … à l'égard d'un mouvement social qui n'est pas téléguidé et qui répugne à la récupération.
M. Albert Facon. Le poisson rouge dans la mare au diable !

M. Georges Hage. Dans cette assemblée, ils sont sûrement les seuls à aimer la démocratie directe d'où qu'elle surgisse. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste. – Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Claude Bartolone. C'est un scoop !

M. Georges Hage. Majoritairement et sans ambiguïté, les Français refusent la contribution sociale généralisée. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Vivien. Non !

M. Georges Hage. Ils sont des millions qui vous disent : vous n'êtes pas au pouvoir pour complaire au grand patronat et prévenir ses exigences.

M. Alain Barrau. Mais le patronat est contre ! Le C.N.P.F. est avec vous, monsieur Hage !

M. Georges Hage. Les salariés ne sont pas les spectateurs d'un débat parlementaire, mais les acteurs de la démocratie directe et du progrès.
Vous avez déclaré ce projet impopulaire. La majorité des syndicats est contre. La majorité de l'opinion est contre.

Plusieurs députés socialistes. Non ! C'est faux !

M. Georges Hage. Quelle majorité douteuse obtiendrez-vous ce soir, si vous l'obtenez ? « Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.) FR 3, monsieur le Premier ministre, se demandait hier soir…

Plusieurs députés du groupe socialiste. Si FR3 l'a dit !

M. Georges Hage. … ce qui pouvait bien vous passer par la tête.

M. Gérard Gouzes. Et vous donc, Judas !

M. Georges Hage. Invoquant la sagesse antique, à l'interrogative, je dirai : Jupiter rend-il fous ceux qu'il veut perdre ? (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur les bancs des groupes Union pour la démocratie française, du Rassemblement pour la République et de l'Union du centre. – Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. La droite vous applaudit, monsieur Hage ! Debout, à droite !

M. Alain Barrau. Mme Stirbois elle-même a applaudi !

M. le président. Mes chers collègues, laissez monsieur Hage achever son propos !

M. Georges Hage. Le projet du gouvernement fait l'unanimité contre lui.

Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est faux !

M. Georges Hage. Il aurait donc été préférable de le retirer et de discuter de propositions nouvelles. Au contraire, vous le maintenez envers et contre tout, et alors que le Parlement devrait pouvoir, comme c'est son rôle, se prononcer sur le texte, vous voulez l'en empêcher, en annonçant d'emblée que vous allez recourir à l'article 49-3. Reconnaissez qu'il s'agit là d'une bien curieuse conception du débat démocratique !
Vous avez cru pouvoir stigmatiser les opposants à la C.S.G. par un lapidaire « Conservateurs de tous les partis, unissez-vous » (« Oui » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)…

M. Albert Facon. C'est fait !

M. Georges Hage. … petite phrase que vous avez prononcé avec jubilation (« C'est vrai ! » et rires sur les mêmes bancs), bien accueillie par les médias et, dans la forme, assez réussie, ma foi, encore qu'elle emprunte en la plagiant (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) une apostrophe célèbre dont la portée et la valeur morale sont toujours actuelles et qu'une psychanalyse rapide (« Ah ! Ah ! » sur les mêmes bancs) y diagnostiquerait peut-être la secrète nostalgie de vos convictions anciennes (Rires), la volonté d'exorciser Charléty (« Oui ! » et applaudissements sur les bancs des groupes Union pour la démocratie française, du Rassemblement pour la République et de l'Union du centre)…

De nombreux députés du groupe socialiste. Ils vous applaudissent encore, monsieur Hage !

M. Georges Hage. … ou encore quelle impuissance à nous combattre que vous compensez par l'intention de nous blesser.
Évidemment, les communistes, qui ont assuré l'élection du président de la République (« Oui ! » sur les bancs des groupes du Rassemblement pour la République, Union pour la démocratie française et de l'Union du centre) et de la plupart des députés socialistes (« Oui ! » sur les mêmes bancs)…

M. Bernard Carton. Et vice versa !

Plusieurs députés du groupe socialiste. Pas nous ! Pas nous !

M. Georges Hage. … et des maires socialistes de Lille à Conflans-Sainte-Honorine…

M. André Labarrère. En tout cas, pas à Pau !

M. Georges Hage. … ne se sentent pas visés.
Il est vain de brandir contre eux l'indignation, l'anathème et la menace, et de tenter en la circonstance de les discréditer.
J'userai, ici, de paraboles. Ce n'est pas la paille et le grain, mais le grain et la poutre. (Rires sur les bancs des groupes du Rassemblement pour la République, Union pour la démocratie française et de l'Union du centre.)
Qui mêle ses voix à la droite ? (« Vous ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Albert Facon. Vous, mais il est encore temps de changer !

M. Georges Hage. N'est-ce pas ce que la majorité gouvernementale a fait régulièrement depuis deux ans pour casser des acquis progressistes comme le statut de Renault ou des P.T.T., ce que la droite n'avait pas pu faire, ou pour renoncer à l'élection par les assurés des organismes de sécurité sociale ?

M. Noël Josèphe. Amalgame !

M. Georges Hage. Si la politique suivie était vraiment une politique de gauche, est-ce que le tiers du gouvernement aurait vécu de premières et belles amours dans des gouvernements et des majorités de droite ?

M. Robert-André Vivien. Ah ! Ah !

M. Henri Emmanuelli. Et 81 à 84, c'était quoi ?

M. Georges Hage. A qui se mêlent ces ministres socialistes en ce gouvernement que vous ciselez d'ailleurs au fil des mois ? La dernière retouche a intégré le concurrent malheureux de la liste d'union de la gauche conduite par Pierre Mauroy à la mairie de Lille ! (Rires et applaudissements sur plusieurs bancs des groupes de l'Union du centre, Union pour la démocratie française et du Rassemblement pour la République.)
Ont-ils eu, ces ministres de droite, à faire un seul pas vers le parti socialiste ? N'est-ce pas plutôt le parti socialiste qui a fait un grand écart pour venir vers eux ?

M. François Hollande. Vous, il n'y en a pas beaucoup qui vous rejoignent !

M. Georges Hage. Avec eux, vous gérez l'intolérable. Perpétuel « monsieur non » face aux revendications populaires…

M. Alain Vivien. C'est vous qui, par votre vote, allez leur dire non !

M. Georges Hage. … ne voyez-vous point que, loin de réduire l'influence de la droite et de l'extrême-droite, votre politique la renforce ?

M. François Hollande. Et vous, vous leur apportez vos voix !

M. Jean-Marie Cambacérès et M. Jean Proveux. Vous êtes leurs complices !

M. Georges Hage. Mesuré à l'applaudimètre de ses détracteurs, le parti communiste français tantôt agoniserait le regard tourné vers la Révolution d'octobre et le Palais d'hiver (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), tantôt, protéiforme et omniprésent, il inspirerait toutes les luttes des salariés contre la résignation ou celles des élèves qui tentent d'apprendre sous un plafond qui fuit ! (« Vous rêvez ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
La réalité est différente. Le parti communiste est né au congrès de Tours en 1920. Il n'a qu'un an de plus que moi : c'est dire assez qu'il est jeune ! (Sourires.)

M. Jeanny Lorgeoux. C'est triste, ce revirement ! Parce qu'on t'aime bien, Georges !

M. Georges Hage. Je vais d'ailleurs faire une confidence à l'Assemblée. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gérard Gouzes. Il est pris de remords !

M. Henri Emmanuelli. Ne te trompe pas de ligne, Georges !

M. Georges Hage. Quelque chose dans l'air du temps confirme au militant de longue date que je suis, chaque jour, que l'annonce de notre mort était fortement exagérée. (Rires sur divers bancs. – Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)
Ce qui est sûr, c'est que quand le parti communiste est fort, l'union avance et les travailleurs obtiennent d'importantes réformes sociales et démocratiques…

M. Gérard Gouzes. C'est pour cela que vous votez avec le R.P.R. !

M. Georges Hage. … et que quand il s'affaiblit, l'injustice et les atteintes aux libertés s'aggravent. Un principe appliqué avec une constance sans éclipse durant toute l'histoire de notre parti, ce sont les liens déterminants entre le mouvement social et notre expression parlementaire.

M. Henri Emmanuelli. Parlons-en, de votre histoire !

M. Georges Hage. Si, aujourd'hui, le choix entre la droite et la gauche ne s'identifie pas pour ou contre le Gouvernement, les communistes le regrettent, et pas seulement du bout des lèvres, mais ce n'est pas leur fait. Nous n'avons pas voté les motions de censure de la droite, elle aurait fait pire. Si, aujourd'hui, nous sommes prêts à le faire, ce n'est pas que la droite ait changé… (« C'est vous ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Roland Carraz. C'est le P.C. qui a changé !

M. Georges Hage. … c'est que le mouvement social existe et que le mouvement social, même si la droite essaye de le récupérer, se mobilise sur des objectifs progressistes qui ne sont pas ceux de la droite.
Il est superflu de préciser que nous n'entretenons aucune illusion sur les objectifs réels de la droite. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Cette motion qu'elle dépose contre la contribution sociale généralisée qu'elle a conçue et qu'elle projetait d'instituer obéit à un objectif politicien, nombre de ses difficultés tenant au fait…

M. Gérard Gouzes. Quelle corvée, ce discours, mon pauvre Hage !

M. Georges Hage. … que votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, lui a volé la clé de sa boîte à idées et y puise sans vergogne.

M. Gérard Gouzes. Quel chemin de croix !

M. Georges Hage. Le peuple de gauche existe. Nombre des malheurs du pays sont venus de sa division. Ce peuple de gauche, aussi meurtri, aussi désabusé qu'il ait été au cours de la dernière décennie, n'en reste pas moins l'espoir de la France. Ce que le parti communiste propose, c'est l'union pour faire une politique de gauche.

M. Albert Facon et M. Jean Beaufils. L'union avec la droite !

M. Georges Hage. Nous sommes prêts à nous engager dans cette voie, sans exclusive aucune relative aux personnes.

M. René Drouin et M. Louis Mexandeau. Avec Mme Stirbois !

M. Georges Hage. C'est la conviction qui nous anime. Dans l'intérêt du pays, il n'est pas d'autre issue politique envisageable qu'un gouvernement et une majorité d'union des forces de gauche.
L'expérience a suffisamment prouvé que le choix qui a été fait, associant ministres socialistes et ministres de droite, n'a pas été le bon.
Les députés communistes n'ont pas le pouvoir de déposer une motion de censure. Ce n'est pas de gaieté de coeur qu'ils voteront, contraints et forcés (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)…

M. Jeanny Lorgeoux. Retenez-vous !

M. Gérard Gouzes. Vous allez nous faire pleurer !

M. le président. Mes chers collègues, voulez-vous faire silence ?
Et vous, monsieur Hage, je vous prie de conclure. Vous avez déjà dépassé votre temps.

M. Georges Hage. … qu'ils voteront, contraints et forcés, par cotre obstination, monsieur le Premier ministre, la motion déposée par la droite.
Ils sont prêts à ne pas la voter. Le Gouvernement peut encore retirer son projet. Il est encore temps ! La grande majorité attend qu'il le fasse.
Je me tourne, pour terminer, vers les députés socialistes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

De nombreux députés du groupe socialiste. Tournez-vous plutôt vers la droite !

M. Georges Hage. Certains d'entre eux m'honorant de leur confiance, et peut-être de leur amitié, ont discuté avec moi de ce projet.
Je me tourne donc vers les députés socialistes et, au-delà, vers tous ceux qui leur font confiance. Le capitalisme tempéré ne saurait être qu'inconscience ou connivence ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Il faut tendre la rose aux travailleurs, et au capital le poing ! Et non le contraire, mes chers camarades ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. – Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe communiste.)