Texte intégral
Q - Vous avez déclaré que le gouvernement était en train de remettre en cause les principes généraux du système de protection sociale français. Sur quoi vous fondez-vous pour émettre un tel pronostic ?
Sur un ensemble de faits convergents, il y a tout d'abord l'instauration de la contribution sociale généralisée (la CSG), sur laquelle je reviendrai. Il y a aussi l'actuelle campagne contre les abus médicamenteux, de soins ou de prescriptions. Je ne suis pas favorable aux abus et je reconnais qu'il convient de faire des économies. Mais cela dépend de quelles économies il s'agit et au profit de qui elles sont réalisées.
Je n'arrive pas, par exemple, à faire la différence entre un « médicament de confort » et un médicament destiné à soulager la douleur. Je remarque que certains médicaments sont coûteux parce qu'ils sont récents et efficaces. S'ils sont moins remboursés qu'avant, ils ne sont plus à la portée des bourses moyennes. Leur moindre remboursement aggrave donc le système de la médecine à deux vitesses.
Je pense également que les progrès techniques permettent aujourd'hui aux médecins de disposer de moyens de prévention et de traitement précoce. Ces progrès coûtent cher mais, en même temps, ils réduisent la durée et le coût de nombreux traitements lourds. Au moment où on dispose de ces moyens d'investigation et de ces moyens de traitement, il ne faut pas en interdire l'accès par des barrières financières que seuls les plus aisés peuvent franchir.
Or, je note qu'à chaque fois qu'une campagne s'est développée concernant les abus de médicaments ou de soins, cela s'est terminé par une réduction des remboursements…
Simultanément, on assiste à la mise en place d'une réforme hospitalière qui n'a même pas encore été votée. Or, l'une des caractéristiques essentielles de cette réforme est de limiter les possibilités d'accueil et de soins de l'hôpital public. Et qui a été le premier à l'appliquer ? Le ministre de la santé, Claude Evin, dans son propre département. Les hôpitaux publics manquent de personnel. Les qualifications des agents hospitaliers sont mal reconnues et, de plus, ils ne sont pas bien payés. Et que fait-on ? On envisage de fermer des établissements de soins dans des localités moyennes…
Enfin, on annonce que l'ensemble du problème des retraites : âge et montant, va être reconsidéré.
Ces quatre éléments - CSG, réduction des remboursements, réforme hospitalière et retraite - me font dire que nous nous orientons de plus en plus vers une protection sociale et une couverture sanitaire à plusieurs vitesses.
Q - En ce qui concerne la CSG, n'est-il pas normal de faire payer le plus grand nombre possible de gens, d'imposer les capitaux et ainsi de réduire - c'est du moins ce qui est annoncé - la contribution des salariés les moins aisés ?
C'est effectivement ce que prétend le gouvernement mais il s'agit d'un appât, d'un rideau de fumée. Michel Rocard a déjà prévenu que le taux de la CSG (de 1,1 % la première année) pourrait être augmenté par la suite. Et comme il s'agit d'un impôt, rien ne l'empêchera de le faire. Que chacun calcule ce qui lui en coûtera si ce taux passe à 2 % ou 3 % l'année prochaine, puis continue à monter. Le gouvernement veut démarrer en douceur mais il faut savoir que si on ne réagit pas tout de suite, ce sera beaucoup plus difficile l'an prochain.
Q - Pour la première fois, cependant, les revenus du capital seront soumis à une contribution sociale. N'est-ce pas un progrès ?
Sur les trente-six milliards que doit rapporter la CSG, seuls deux ou trois viendront des revenus du capital. Il s'agit tout au plus d'une pichenette ou, là encore, d'un rideau de fumée. En revanche, on va continuer à frapper lourdement les salariés et on s'attaque, ce qui est nouveau, aux chômeurs et aux retraités.
Q - Aux retraités, c'est exact, mais à partir d'un certain niveau de revenus…
Vous en connaissez beaucoup de retraites qui soient très, très confortables ? On nous dit que 55 % des retraités vont être soumis à la CSG. Or, comme la plupart des retraites sont inférieurs à 6 000 F par mois, cela veut dire qu'on va descendre la barre assez bas pour que 55 % des retraités soient concernés.
La barre sera sans doute choisie, la première année, là encore de façon à ne pas effrayer les gens. Mais qu'en sera-t-il ensuite ?
Q - La CSG sera un nouvel impôt, à peu près tout le monde le reconnaît. Cela peut aboutir, à terme, à une fiscalisation des prélèvements sociaux. Lesquels pourraient ainsi devenir plus justes qu'ils ne le sont actuellement. Que pensez-vous de cette évolution ?
Actuellement, l'impôt sur le revenu est prélevé sur le revenu imposable, c'est à dire qu'un certain nombre d'éléments de la rémunération n'entrent pas en ligne de compte. La CSG sera calculée sur le salaire brut, sans abattement, sans frais professionnels. Ce ne sera donc pas le même tarif qu'un prélèvement de 1 % sur le revenu imposable; Et il en sera de même pour chaque point supplémentaire.
Ensuite et surtout, il faut noter, que l'impôt sur le revenu est découpé en tranches progressives : plus le revenu est élevé, plus le taux d'imposition l'est également. En revanche, pour la CSG, il n'y a pas de tranches donc pas de progressivité. Donc, quand on nous parle de justice… Est-il juste, par ailleurs, que 85 % de ceux qui vont payer la CSG soient des salariés et de petites gens ?
Il s'agit donc d'un impôt inégalitaire puisqu'il sera moins lourd pour les riches. Par contre, en ce qui concerne les salariés, tous payeront et ce sont ceux qui représentent le travail le plus qualifié qui seront le plus particulièrement visés.
On peut penser que le gouvernement n'en restera pas là et qu'en substituant l'impôt à l'actuel système de cotisations sociales - avec, je le rappelle, la part salariale et la part patronale - on ne vise à réduire les fameuses charges sociales des entreprises.
Il s'agit donc d'une vaste opération qui vise à modifier l'ensemble du système fiscal et qui est dirigée contre la protection sociale. C'est ce que pense la grande majorité des syndicats des impôts, et pas seulement ceux de la CGT. Or, ils connaissent les mécanismes et savent de quoi ils parlent.
Q - Quelles sont donc les propositions de la CGT pour améliorer le fonctionnement et le financement de la sécurité sociale ?
Il y en a principalement deux. La première concerne les contributions patronales à la sécurité sociale. Les entreprises qui emploient beaucoup de main d'oeuvre, et donc contribuent à la création d'emplois, sont actuellement pénalisées par rapport à celles qui, remplaçant les hommes par des machines, contribuent à fabriquer des chômeurs. Il y a là quelque chose de socialement injuste et d'économiquement nuisible.
Il faut donc réduire ce que paient les entreprises utilisatrices de main d'oeuvre en taxant plus lourdement celles qui réalisent beaucoup de profits tout en créant du chômage et donc bénéficient égoïstement d'un progrès technique utilisé sauvagement.
Deuxième proposition : que les revenus du capital paient une cotisation sociale au moins égale à celle des revenus du travail. En gros, chaque salarié paie 13,5 % de cotisation de sécurité sociale, sur le revenu de son travail. La justice voudrait donc que 13,5 % du revenu du capital soient versés sous forme de cotisations sociales, ce qui rapporterait environ 40 milliards de francs.
Les grands revenus du capital sont essentiellement spéculatifs et dépassent très souvent le milliard de centimes. Or, savez-vous combien de temps un salarié gagnant 6 000 F devra travailler pour gagner ce milliard de centimes ? Il ne le pourra pas car il faut quatre générations successives, à raison de 6 000 F par mois, pour atteindre ce milliard de centimes.
Quand on taxera les revenus du capital autant que les revenus du travail, alors on pourra, peut-être, commencer à parler de justice.