Interviews de M. Pierre Méhaignerie, président d'honneur de Force Démocrate, dans "L'Evènement du jeudi" du 19 juin 1997 et à RTL le 10 juillet 1997, sur sa mise en examen dans l'enquête sur le financement illégal du CDS et sur la réforme "raisonnable" de la justice.

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Média : Emission L'Invité de RTL - L'évènement du jeudi - RTL

Texte intégral

L’Événement du jeudi - 19 juin 1997

EDJ : Qu’est-ce que ça change pour vous d’être mis en examen ?

Pierre Méhaignerie : Je répondrai sur le fond une fois que j’aurai vu le juge. Mais, si la mise en examen a été décidée, c’est parce qu’il n’y avait pas d’autre voie juridique praticable. J’aurais préféré être un témoin assisté, ce qui aurait été plus juste, mais ce n’est pas possible.

EDJ : Regrettez-vous d’avoir, comme ministre de la Justice, laissé s’ouvrir cette information judiciaire ?

Pierre Méhaignerie : Absolument pas. J’ai mis mes actes en conformité avec mes discours. Tous les magistrats le reconnaissent. Et tous ceux qui me connaissent. Même si certains pensent que je suis de nature un peu trop idéaliste.

EDJ : Estimez-vous qu’il y a une forme d’acharnement judiciaire à votre encontre ?

Pierre Méhaignerie : Je suis décidé à jouer la logique de la transparence. Mais je ne qualifierai pas ma situation. Il est normal que je donne la priorité au magistrat instructeur.

EDJ : Que pensez-vous des positions du nouveau garde des sceaux, Madame Élisabeth Guigou ?

Pierre Méhaignerie : Elle a fait part d’orientations qui sont aussi les miennes. Notamment sur le rôle du Conseil supérieur de la magistrature dans la nomination des membres du parquet. Mais, dans ce domaine en particulier, il y a les discours et il y a les actes. Je jugerai aux actes.


RTL - jeudi 10 juillet 1997

RTL : Quel est votre sentiment général sur le rapport Truche ?

Pierre Méhaignerie : Si ce n’est pas une réforme flamboyante, qui bouleverse, et je dis tant mieux d’ailleurs, la justice, car la justice ne se prête pas aux grands chambardements, ça m’apparaît une réforme raisonnable, assez équilibrée, et pragmatique. Donc je pense qu’elle peut servir comme point de départ à un vrai débat sérieux dans le pays et au Parlement.

RTL : Certains estiment qu’elle est trop timide, et notamment quant au maintien du lien entre les procureurs et la Chancellerie, et l’ambiguïté : « plus d’instruction mais dialogue. »

Pierre Méhaignerie : Je comprends qu’il y ait de l’ambiguïté autour de ce mot dialogue. Personnellement, j’aurais une préférence pour une autre solution : elle consisterait comme, je l’avais mis en application…

RTL : La loi du 24 août 1993.

Pierre Méhaignerie : Voilà. Que les instructions soient écrites, versées au dossier, car à ce moment-là, elles sont transparentes. Ce qui est toujours regrettable dans la justice, c’est le soupçon et le soupçon vient de l’opacité. Donc j’ai une préférence pour les instructions écrites, versées au dossier, et portées à la connaissance des différents interlocuteurs. Alors on me disait : oui, mais ça n’empêche pas le téléphone, et la pression… L’autre partie de la réforme, qui est la nomination des magistrats du Parquet par le Conseil supérieur de la magistrature, dont le rôle est renforcé, me semble être, avec les instructions écrites, deux éléments renforçant sérieusement l’indépendance du Parquet. Et je ferais même une autre proposition, j’irais plus loin : le pouvoir de nomination, le pouvoir de proposition est fait par la chancellerie. On pourrait très bien imaginer aussi, pour éviter que certains magistrats se trouvent injustement sanctionnés, qu’il y ait aussi pour les magistrats du Parquet, une proposition, des propositions, des suggestions qui soient faites à la Chancellerie par les membres du CSM, de façon que le dialogue soit là au moment de la nomination des magistrats du parquet.

RTL : Sur l’autre volet, la protection des droits individuels : la garde-à-vue avec l’avocat dès la première heure et la mise en détention qui ne serait pas décidée par le juge qui avait mis en examen, et donc qui serait en charge du dossier ?

Pierre Méhaignerie : Ce serait une réforme difficile. Je pense qu’il faut s’y orienter. Elle va rendre plus difficile le rôle de la police. Et je pense personnellement qu’elle doit se faire par étape. D’abord, parce qu’elle nécessite beaucoup de moyens financiers. Et ensuite, par catégorie de délits. Car la justice a aussi obligation de lutter contre la criminalité. Et il est certain qu’en commençant à la première heure par catégorie de délit, on évite, et on en avait débattu, que certaines organisations – le banditisme, la drogue –, qui sont parfaitement organisées, puissent avoir les moyens de cacher les preuves, de faire disparaître un certain nombre d’éléments. Il y a donc là une prudence nécessaire. Et c’est la raison pour laquelle, si l’orientation me semble bonne, il faut procéder par étape, et par catégorie de délit, pour que progressivement nous ayons les moyens d’application de cette mesure.

RTL : Et les restrictions suggérées sur le rôle de la presse ?

Pierre Méhaignerie : Je ne crois pas que ce soit des restrictions parce qu’il y a une ouverture en même temps de ce qu’on appelle les fenêtres, ce que nous avions proposé. Je pense que le secret de l’instruction, ce qui est proposé, ne me semble pas très réaliste. Mais pour éviter aussi la commercialisation facile de certains titres – il faut bien dire qu’il y a eu quelques excès –, il n’est pas anormal de faire en sorte que par l’article 9-1, c’est-à-dire par le code civil, ceux qui prennent des responsabilités de diffuser sur la place publique, les assument. Et au moins quand il y a non-lieu. Mettant autant d’importance à annoncer le non-lieu qu’à annoncer des titres pour faire vendre. Je crois qu’il y a un sérieux de part et d’autre, et ce qui est proposé me semble être une ouverture au dialogue parlementaire.

RTL : Claude Allègre disait ce matin dans Le Figaro : « Il faudrait que les centristes aient le courage de soutenir le Gouvernement sur des sujets essentiels comme l’éducation ou l’Europe. »

Pierre Méhaignerie : À condition d’être d’accord. J’écoute les propositions de Monsieur Allègre et il est certain qu’il fait preuve d’énergie aujourd’hui. Mais il y a les mots et il y a les actes. Si vraiment il veut débureaucratiser, gérer mieux avec la même enveloppe financière, il aura notre soutien. Mais encore faut-il passer aux actes.