Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la relation entre le contrôle de constitutionnalité et le droit communautaire dérivé, Paris le 25 septembre 1997.

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Circonstance : Conférence des Cours ayant compétence constitutionnelle des Etats membres de l'Union européenne, Paris, septembre 1997

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Juges,
Mesdames et Messieurs,

C’est un grand plaisir et un honneur pour moi que de pouvoir vous recevoir ici, à mi-parcours des travaux qui vous réunissent à Paris sur un thème particulièrement délicat et important, celui de la relation entre le contrôle de constitutionnalité et le droit communautaire dérivé.

Je tiens à féliciter le Conseil constitutionnel, et tout particulièrement son président, pour cette initiative très utile et tout à fait inédite consistant à réunir les présidents des cours ayant, dans les quinze États de l’Union, une compétence constitutionnelle et le président de la Cour de justice des Communautés européennes. Je suis sensible à cette démarche très européenne, à la veille de la signature du traité d’Amsterdam et je suis certain que vos travaux contribueront à une meilleure compréhension réciproque et constitueront une étape vers davantage d’unité dans l’application du droit, au bénéfice des citoyens européens.

Les nombreuses rencontres que vous aurez durant ces deux jours tant avec des membres du gouvernement qu’avec le président de l’Assemblée nationale attestent l’intérêt que les autorités publiques françaises accordent à cette initiative et je m’en réjouis.

Je n’aurai certes pas la prétention de vous tenir un discours de spécialiste de droit, qualité qui est la vôtre au plus haut titre. Je souhaite simplement vous indiquer en quelques mots en quoi votre rencontre et son objet sont, à mes yeux, significatifs.

Vous êtes, chacun, les représentants de cultures juridiques très différentes, nourries d’histoires et de traditions qui vous séparent souvent. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si vos premiers travaux aujourd’hui ont porté sur les spécificités nationales. Et ces caractéristiques nationales sont d’autant moins réductibles qu’elles concernent des valeurs d’ordre constitutionnel, placées au cœur de la souveraineté des États. Cette reconnaissance de ce qui vous distingue est essentielle car elle permet un enrichissement mutuel : c’est aussi par une démarche de cette nature que l’Europe du droit se fortifie.

Par ailleurs, et j’en viens précisément au sujet de réflexion et d’échange qui vous réunit à Paris aujourd’hui et demain, il ne me semble pas qu’il y ait eu jamais véritablement d’opposition entre le droit constitutionnel et le droit communautaire. La reconnaissance par les quinze États membres de la spécificité du droit communautaire a permis aux cours constitutionnelles d’exercer pleinement leur rôle. Elles ont eu la sagesse d’éviter le conflit en préférant que s’instaure progressivement une coopération au service du droit.

Pour leur part, les constitutions nationales ont traduit le consentement de la Nation aux transferts de compétence induits par les traités. Ce fut, par exemple, le cas de la France en 1992 avec la révision de notre Constitution.

Par ailleurs, des mécanismes de contrôle parlementaire existent dans l’ensemble des États européens, qui permettent d’identifier les risques de la non-conformité d’un acte communautaire de droit dérivé à l’ordre constitutionnel, et ce en amont du processus de décision communautaire, ce qui facilite, le cas échéant, les ajustements nécessaires.

Enfin, concernant le respect des droits fondamentaux, le mouvement progressif vers davantage d’unité des positions a connu une étape significative lors de la Conférence intergouvernementale : le nouveau traité sur l’Union européenne, qui sera signé dans quelques jours à Amsterdam, exprime bien cette évolution positive en confirmant l’existence au niveau communautaire de certains principes fondamentaux et en soumettant le respect par les institutions communautaires à la Cour de justice des Communautés européennes. Or ces droits fondamentaux reprennent le plus souvent des valeurs et des traditions constitutionnelles partagées par les États membres.

Cette harmonie résultant du respect par le droit communautaire des droits fondamentaux consacrés par les constitutions et de la reconnaissance par les États membres du plein effet du droit communautaire est essentielle au rapprochement des citoyens de la construction européenne.

Pour assurer un sentiment d’appartenance et de confiance de l’opinion au projet européen, si nécessaire aujourd’hui, le droit doit pleinement jouer son rôle unificateur.

Ainsi, en apprenant à mieux connaître vos différentes traditions juridiques et en développant cette « coopération » constitutionnelle, vous contribuez à ce mouvement porteur d’avenir et d’espoir qu’est la construction de l’Europe. Je vous en félicite vivement et vous souhaite tous mes vœux pour la poursuite de vos travaux.