Interviews de M. Jean-Louis Debré, président du groupe parlementaire RPR à l'Assemblée nationale, à RTL le 28 septembre 1997 (extraits) et dans "Le Parisien" du 30 septembre, intitulé "Il faut renforcer le plan Vigipirate", sur les massacres en Algérie et sur l'attitude de l'opposition, notamment vis-à-vis du FN et des mesures gouvernementales (réforme de la fiscalité, du droit d'asile).

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Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Le Grand Jury RTL Le Monde - Le Parisien - RTL

Texte intégral

« Grand jury » – RTL – « Le Monde » : Dimanche 28 septembre 1997

* Les menaces du GIA

Jean-Louis Debré : Je crois qu’il faut prendre très au sérieux ce genre de menaces (…). La responsabilité du Gouvernement est de prendre toutes les mesures nécessaires pour essayer de prévenir tout acte de violence, notamment en réactivant sérieusement le plan Vigipirate que nous avons mis en application.
D’une façon générale, quelle doit être notre attitude vis-à-vis des terroristes qui sèment aujourd’hui la terreur en Algérie ? On ne peut pas ne pas être choqués, ulcérés, révoltés par ces actes de barbarie injustifiables. C’est d’abord aux autorités algériennes de tout mettre en œuvre pour identifier, et interpeller les terroristes, mais aussi pour protéger les populations civiles. (…) On ne dialogue pas avec des poseurs de bombes ; on ne dialogue pas avec des individus qui égorgent et tuent. Le pouvoir algérien légitime doit prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que celles et ceux qui commettent de tels actes soient interpellés.

Question : Les polices algérienne et française doivent-elles collaborer ?

Jean-Louis Debré : Notre responsabilité en France est d’interpeller et d’arrêter des terroristes sur le sol français, comme nous l’avons fait en 1997, où j’ai fait interpeller 67 islamistes, dont plus de 25 ont été emprisonnés. Ce n’est pas à la France d’intervenir sur le sol algérien. (…) Il doit exister une coopération très forte dans ce domaine entre les différentes polices européennes, notamment celles des pays limitrophes et situés au bord de la Méditerranée. Lorsque j’étais au ministère de l’intérieur, les services français avaient réalisé des opérations très importantes en Italie, notamment à Bologne, où existent des foyers islamistes importants. (…)

Question : N’est-ce pas là soutenir le gouvernement algérien ?

Jean-Louis Debré : Ce n’est pas à la France d’intervenir dans le processus politique en Algérie. L’Algérie est un pays indépendant et souverain (…). Naturellement, ce qui se passe en Algérie à des conséquences en France, compte tenu des liens de l’histoire et de la géographie. Par conséquent, notre responsabilité à nous, Européens de la Méditerranée, est de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter l’exportation du terrorisme. (...)

Question : L’islam en France vous inquiète ?

Jean-Louis Debré : C’est une préoccupation depuis longtemps, car les islamistes représentent en France quatre millions de personnes ; c’est la deuxième religion de France. Cette religion n’est pas organisée et elle a des finalités politiques. C’est une des grandes questions qui doit interpeller les responsables politiques, quels qu’ils soient.

*La droite et le Front national

Jean-Louis Debré : Je n’ai pas de leçon à recevoir de Monsieur Mégret et de Monsieur Le Pen. Si les socialistes sont aujourd’hui au pouvoir, c’est parce que, lors des dernières élections législatives, en maintenant ses candidats au second tour dans soixante-dix circonscriptions, Monsieur Le Pen a fait gagner le Parti socialiste. Je ne dialogue pas (…) avec ces politiciens retors. Ce n’est pas ainsi que se pose le problème. Défendons-nous aujourd’hui les mêmes valeurs que le Front national ? Personnellement, je ne le crois pas. Est-ce à dire que (…) tous ceux qui votent pour cette formation sont des racistes, des xénophobes, des antisémites ? Je ne le crois pas non plus. La politique ne consiste pas à dialoguer avec des adversaires, mais à essayer de convaincre les électeurs et les électrices que nous défendons un certain nombre de valeurs (…) qui peuvent recueillir leur adhésion. (…) Je ne suis pas pour une diabolisation de l’électorat. Tout électeur (…) doit être respecté par nous ; tout électeur est pour nous quelqu’un à convaincre. (…)

Question : Monsieur Mégret est-il plus fréquentable que Monsieur Le Pen ?

Jean-Louis Debré : (…) Ce qui m’importe, c’est de savoir si les personnes avec qui je discute partagent les mêmes valeurs que moi. Je n’ai pas le sentiment que celles et ceux qui, au niveau des états-majors parisiens, représentent le Front national, véhiculent les mêmes valeurs que les miennes. Je ne dialoguerai pas avec des gens qui n’incarnent pas une façon de faire de la politique et des idées qui ne sont pas les miennes (…). Dans leur reconquête du cœur des Français, le RPR et l’UDF ne doivent exclure personne, parce qu’en démocratie, il n’y a pas différentes catégories d’électeurs et d’électrices. (…)

* Le mode de scrutin des élections régionales

Jean-Louis Debré : (...) Les régions sont des entités très importantes qui gèrent des budgets importants, notamment celui des lycées. Cette gestion doit faire preuve d’unité, de sérieux et de continuité. Logiquement, je suis pour un mode de scrutin qui permette la constitution de majorités, mais je ne crois pas qu’à quelques mois des élections régionales, il soit politiquement opportun de réformer le mode de scrutin, car cela apparaîtrait comme une attaque contre certains, et on ne gagne jamais sur le dos de victimes.

* La limitation du cumul des mandats

Jean-Louis Debré : (…) C’est une bonne intention. Contrairement à ce qu’on voudrait faire croire, ce n’est pas Monsieur Jospin qui, tout d’un coup, s’en est préoccupé. On a commencé à s’y intéresser en 1958. (…) Mais il faut éviter l’écueil de la constitution d’une technocratie politique déconnectée des réalités. (…) Imaginons que l’Assemblée nationale soit appelée à examiner un projet de loi sur le plan d’occupation des sols (…). Ferait-on voter ce texte par des élus n’ayant aucune pratique de ces questions ? Le fait d’être maire et député n’apporte-t-il pas un élément important dans la réflexion ? (…) Des lois mieux faites sont faites par des praticiens et non par des techniciens. (…) Il faudrait surtout réfléchir à l’accumulation de structures administratives : communes, communautés de communes, cantons, départements, régions. Il faudrait aussi réfléchir (…) à la modernisation du travail parlementaire.

* « On parle trop du Front national »

Jean-Louis Debré : Je trouve qu’on donne trop d’importance au Front national (…). Nous serions bien inspirés de suivre la pratique qui a cours en Allemagne où, confrontés au problème de l’extrême droite, tous les dirigeants arrêtent de lui donner une tribune.

Question : Et le fait de débaptiser des rues, comme à Vitrolles ?

Jean-Louis Debré : C’est absurde.

* Monsieur Jospin - « la médaille d’or du reniement »

Jean-Louis Debré : Je voudrais que Monsieur Jospin nous dise vraiment s’il y a un pilote dans l’avion. (…) J’attends de Monsieur Jospin qu’il justifie l’injustifiable (…). Je souhaite surtout qu’après cent jours de gouvernement, Monsieur Jospin nous dise où il va accrocher sur sa veste la médaille d’or du reniement. Après avoir dit que Vilvorde ne fermerait jamais, Monsieur Jospin a immédiatement accepté la fermeture de Vilvorde ! Lors de la campagne électorale, Monsieur Jospin a expliqué qu’il n’y aurait pas d’impôt supplémentaire et son premier budget prévoit 100 millions d’impôts supplémentaires ! Pendant la campagne électorale, Monsieur Jospin a affirmé qu’il fallait réduire les prélèvements obligatoires ; or, avec ce budget, nous atteignons le record historique des prélèvements obligatoires en France ! (…) En l’espace de cent jours, Monsieur Jospin a engagé une politique contraire à celle qu’il avait promise. (…) Ce sont de grands communicateurs et de grands manipulateurs (…). Ils sont bien meilleurs que nous dans l’art de vendre du vent.

* Les projets fiscaux du Gouvernement

Jean-Louis Debré : La France compte dix millions de détenteurs de contrats d’assurance-vie. Avez-vous le sentiment qu’il y a en France dix millions de privilégiés, de nantis, de riches ? Peut-on considérer qu’un ménage qui, chaque mois, avec beaucoup de difficultés, épargne 300, 500 francs en les plaçant sur un contrat d’assurance-vie (…) est riche ? Il y a douze millions de détenteurs de plans d’épargne-logement (…) qui, chaque mois, mettent de côté 200, 300, 400 francs pour pouvoir, au bout d’un certain nombre d’années, acheter une maison ou un appartement. S’agit-il de privilégiés, de nantis ? (…) Avez-vous le sentiment qu’un couple de cadres moyens, d’agents de maîtrise, de professeurs de lycée ou de collège avec deux enfants, qui va voir son allocation de garde d’enfants divisée par deux, et qui perdra environ 10 % de son revenu par an, fait partie des nantis ou des privilégiés ? (…) La droite ne défend pas les privilégiés, elle défend celles et ceux qui sont frappés de plein fouet par la politique socialiste (…), c’est-à-dire la grande majorité des Français.

* « Être policier, ce n’est pas un petit boulot »

Jean-Louis Debré : Être policier, ce n’est pas un petit boulot, c’est avoir une formation et pouvoir assumer dans des conditions extrêmement difficiles un certain nombre de risques. Je suis très inquiet de voir qu’aujourd’hui on assimile la police à un petit boulot qu’on donne à des jeunes sans formation.

* Drogues douces et drogues dures

Jean-Louis Debré : (...) Un ministre ne parle pas pour soi, mais pour l’ensemble de la communauté nationale. Avoir une attitude laxiste à l’égard de la drogue est une erreur. (…) C’est à Monsieur le Premier ministre de dire s’il veut garder des ministres qui fument ou qui ont fumé des pétards. (…) Madame Guigou, qui est ministre de la justice et qui donne au procureur de la République la conduite à tenir pour l’application de la loi, devrait être la première à appliquer cette loi. Or, rien dans notre législation aujourd’hui (…) n’incite à dire que l’on fait des distinctions entre les drogues douces et les drogues dures. (…) Je voudrais que les unes et les autres pensent aux familles qui sont confrontées au problème de la drogue. (…) Tout laxisme ou toute capitulation est un mauvais service que l’on rend à notre jeunesse et à notre pays. (…) Luttons contre toutes les formes de dépendance à l’égard d’une drogue quelle qu’elle soit !

* Des lois Pasqua-Debré aux projets Guigou-Chevènement

Jean-Louis Debré : Le projet concernant le droit d’asile (…) est absurde et doit être condamné. (…)

À l’égard du droit de la nationalité, les projets du Gouvernement sont détestables et doivent être condamnés. (…)

Le projet Chevènement concerne l’entrée et le séjour des étrangers. (…) Je voulais donner le contrôle des certificats d’hébergement aux maires. (…) Dans un souci d’apaisement, j’avais accepté un amendement qui donnait le contrôle de ces certificats aux préfets. Eh bien ! Ils veulent les redonner aux maires. Ils ont abusé les Français en les faisant manifester dans la rue. Deuxième exemple où j’étais montré comme un tortionnaire : la rétention. (…) La législation prévoyait sept jours, j’ai fait passer ce délai de sept à dix jours. Et Monsieur Fabius, Monsieur Badinter, Monsieur Rocard m’ont injurié. (…) Ils veulent passer de dix à quatorze jours ! Troisième élément (…) : comme ministre de l’intérieur, j’avais organisé 45 charters (…) pour les étrangers condamnés par la justice française. (…) Eux, ils veulent systématiquement organiser ces départs ! Autrement dit, les socialistes se renient complètement. (…)

Est-ce que je vais voter ce texte ? Je ne sais pas encore car cela dépendra des amendements qu’acceptera ou que n’acceptera pas le Gouvernement. Mais je suis sidéré de voir la tromperie qui a été celle des socialistes. (…) Je suis scandalisé de voir qu’aujourd’hui on va encore plus foin ! (…)

* Jacques Chirac et le RPR

Jean-Louis Debré : Jacques Chirac (…) est en charge de l’intérêt général, il est responsable de l’unité, de la solidarité de la Nation qu’il représente dans sa globalité et sa diversité. Par conséquent, il ne doit pas intervenir dans la vie des partis politiques. (…) Mais le président de la République, comme tous ses prédécesseurs, ne peut pas ne pas s’intéresser à l’organisation de ceux et de celles qui soutiennent son action. (…)

Notre rôle est de faire en sorte qu’il intervienne pour l’essentiel et non pas dans l’organisation des partis. Nous avons comme rôle de le protéger et d’éviter qu’il y ait une confusion. (…)

Je souhaite que nos amis de l’UDF soutiennent l’action et les aspirations du président de la République. (…)

Je n’ai pas pensé une seconde que Philippe Séguin pouvait se présenter contre Jacques Chirac. (…)


Le Parisien : 30 septembre 1997

Le Parisien : Comment réagissez-vous aux nouveaux massacres en Algérie ?

Jean-Louis Debré : J’éprouve un sentiment d’horreur et d’indignation face à ces massacres de femmes, d’enfants et de civils. Ceux-ci sont injustifiables, et doivent être dénoncés par tous. Les autorités algériennes ont la responsabilité, en Algérie, de tout mettre en œuvre pour traquer et arrêter les terroristes. Elles ont aussi la responsabilité de protéger efficacement les populations civiles.

Le Parisien : Que peut faire la France ?

Jean-Louis Debré : La France ne doit pas se substituer aux autorités algériennes et n’a pas à intervenir en Algérie. Pour ce qui concerne la menace en France, naturellement, il convient de la prendre très au sérieux. Les liens historiques entre nos deux pays, la présence sur notre sol d’une nombreuse population originaire d’Algérie nous exposent peut-être plus que d’autres pays. La menace existe donc, et ne la sous-estimons pas. Un passé récent montre, à l’évidence, que les islamistes peuvent frapper la France. Je fais toute confiance à la police nationale pour mettre en œuvre les moyens nécessaires pour prévenir au mieux cette menace. Le plan Vigipirate, que j’avais appliqué, doit être renforcé, et continuellement adapté. De même, sans les alarmer, nos concitoyens doivent être sensibilisés à cette menace et doivent prendre conscience que la vigilance de tous est indispensable pour renforcer l’efficacité des services de police.

Le Parisien : Qu’attendez-vous du Gouvernement ?

Jean-Louis Debré : Il doit être intransigeant à l’égard de ceux qui, par leurs comportements, porteraient atteinte à la sécurité de la France. Face aux terroristes, la détermination et la fermeté sont les seules attitudes possibles. On ne discute pas avec les poseurs de bombes. On ne dialogue pas avec les individus qui tuent. On ne transige pas avec ceux qui leur apportent aide ou assistance. La fermeté doit être la ligne de conduite du Gouvernement.