Texte intégral
RTL : lundi 21 juillet 1997
RTL : L’ampleur du déficit a-t-elle été pour vous une mauvaise surprise ?
C. Sautter : Le déficit, tel que les deux évaluateurs l’ont révélé, est donc entre 3,5 et 3,7 % du PIB, c’est-à-dire un dérapage de l’ordre de 35 à 50 milliards de francs. C’est à peu près ce qui était attendu. Ce n’est pas vraiment une mauvaise surprise parce que le Premier ministre sortant l’avait annoncé, mais c’est un chiffre assez dégradé par rapport aux objectifs que l’on doit s’assigner pour être dans les clous du rendez-vous de l’euro.
RTL : Vous appelez les grandes entreprises à la rescousse. Est-ce qu’avec la hausse de l’impôt sur les sociétés et la taxation des plus-values, vous ne risquez pas de décourager l’investissement et de rendre ces entreprises moins compétitives ?
C. Sautter : Vous parlez des grandes entreprises ; cela signifie a contrario que les PME – celles qui ont moins de 50 millions de francs de chiffres d’affaires, soit 82 % des entreprises –, sont exonérées de la surtaxe demandée. En ce qui concerne les grandes entreprises, tous les chiffres montrent que leur situation financière est prospère, que, pour l’ensemble des entreprises, l’épargne dépasse de 134 milliards de francs les investissements qu’elles font. Ces grandes entreprises ont donc de la marge, et il faut espérer que la volonté d’entrer dans l’euro, la relance de la consommation qui est faite par ailleurs, les convaincra d’investir.
RTL : Mais est-ce une bonne méthode d’alourdir les impôts pour espérer une augmentation des recettes fiscales ? Ne vaut-il pas mieux essayer de dynamiser les secteurs, la demande ?
C. Sautter : Pour dynamiser la demande, le problème est qu’il faut compenser un déficit imprévu, en tout cas imprévu il y a six mois. L’État fait des économies, à hauteur de dix milliards de francs. Il demande un effort par une seule mesure sur un seul impôt, donc c’est simple, c’est temporaire : 22 milliards de francs qui sont demandés aux entreprises.
RTL : Justement, trouvez-vous normal de demander 22 milliards de francs aux entreprises et seulement dix à l’État ?
C. Sautter : Faire dix milliards de francs du côté de l’État alors qu’on est en milieu d’année, c’est difficile car comme les deux auditeurs l’ont écrit dans leur rapport, 90 % des dépenses de l’État sont rigides. Sauf si on change la loi et on ne peut pas la changer complètement. Les entreprises ont une épargne financière qui est très importante – 134 milliards de francs –, c’est un prélèvement pour l’Europe, dont il faut espérer qu’elles en comprendront la motivation.
RTL : Je reviens aux dix milliards de francs d’économies pour l’État : vous en trouverez deux dans les dépenses militaires. Et les huit autres ?
C. Sautter : Ils viendront, d’une part, d’une surveillance très active de toutes les dépenses civiles de l’État, d’ici la fin de l’année. On regardera chacune des dépenses avec soin. Et, d’autre part, on profitera de ce qu’un certain nombre d’organismes ont des trésoreries peut-être un peu trop copieuses. Et cet argent qui est passif va être activé dans la relance de l’économie.
RTL : Est-ce qu’entre le budget, au travers des critères de Maastricht bien sûr, et l’emploi, vous n’avez pas choisi le budget ?
C. Sautter : Non, pas du tout. Ce que nous avons cherché à faire, c’est à rétablir le dérapage qui était amorcé pendant les six premiers mois de l’année, sans compromettre la croissance qui s’esquisse en France, et sans compromettre l’emploi. Sur l’emploi, vous savez que les contrats jeunes ont été dotés, juste avant le 14 juillet, de financements importants. Ces contrats jeunes vont pouvoir démarrer. Et, si la reprise économique se consolide, on va revoir dans les entreprises – petites, moyennes, les grandes aussi je l’espère – des créations d’emplois.
RTL : Ne craignez-vous pas de trop demander aux entreprises à la fois : renflouer les déficits, réduire le temps de travail, augmenter les salaires, embaucher ? Ça fait beaucoup...
C. Sautter : Je pense que les grandes entreprises ont beaucoup bénéficié entre 1993 et 1997 de largesses de l’État. Elles ont la chance, et il faut s’en réjouir, d’avoir maintenant un dollar, une lire italienne, à des niveaux meilleurs du point de vue des entreprises françaises. La baisse des taux d’intérêt qui profite à l’État a beaucoup profité aux grandes entreprises aussi. Donc la situation des grandes entreprises françaises est, en moyenne, bonne. Et le pari, c’est que cette ponction qui est faite pour être au rendez-vous de l’euro – dont les grandes entreprises seront parmi les principales bénéficiaires – ne va pas les décourager.
France 3 : lundi 21 juillet 1997
France 3 : On « tape » d’abord sur les entreprises, c’est un symbole politique ou c’est autre chose ?
C. Sautter : Ce n’est pas un symbole politique, nous sommes très attachés à l’euro, il faut donc faire ce qu’il faut pour être dans les critères, et nous voulons développer en même temps la croissance et l’emploi. Ce n’est pas notre faute si un audit incontestable montre que les finances publiques sont en déficit, nettement plus que les 3 % nécessaires.
France 3 : Vous n’allez pas pénaliser cette croissance des entreprises ; en les pénalisant ainsi, en leur demandant des impôts supplémentaires – je pense notamment à l’investissement, à la politique salariale –, est-ce que vous n’allez pas donner des obstacles à cette croissance ?
C. Sautter : Comme votre journal l’a dit, les entreprises qui ont moins de 50 millions de chiffre d’affaires sont exonérées de cette majoration, et cela représente 82 % des entreprises, et ces entreprises font 32 % des profits. Donc seules les grandes entreprises devront payer, et nous voyons, c’est un fait aussi, que les entreprises ont une épargne financière, c’est-à-dire une épargne non investie dans des capacités de production et des créations d’emplois de 154 milliards de francs. Donc, 22 milliards de francs sur 134 milliards de francs, je ne pense pas que nous cassions la croissance, loin de là.
France 3 : Alors c’est valable pour deux ans, 1997-1998. Là, apparemment, les entreprises n’étaient pas tout à fait préparées à cette nouvelle imposition, mais pour 1998, vous ne craignez pas, éventuellement, une fuite de capitaux, que les entreprises contournent un peu cette loi, ce plancher de chiffre d’affaires ?
C. Sautter : Si la reprise qui s’esquisse se confirme, je pense que les entreprises auront à cœur d’investir en France, de créer des emplois, ainsi elles auront plus d’amortissements, elles auront donc plus de possibilités de réduire leurs bénéfices imposables. Moi, j’ai confiance dans les entreprises françaises.
France 3 : Pour revenir au déficit, vous n’avez pas défini d’objectifs pour 1997, les Allemands le font, pourquoi vous ne l’avez pas fait ?
C. Sautter : Les Allemands sont passés le 11 juillet de 2,5 à 3 %. Nous, nous descendons de 3,5, 3,7 % de façon très significative.
France 3 : Est-ce que l’on ne va pas aux 3 % ?
C. Sautter : Je pense que, vous le verrez, lorsqu’on sera au moment important, c’est-à-dire, au mois d’avril 1998, où on mettra les cinq critères de Maastricht sur la table, la France fera très bonne figure par rapport à ses partenaires.
France 3 : Les ménages ont été épargnés pour éponger ce déficit, est-ce que ça veut dire que pour 1998, ce sera un petit peu de la même façon dont vous allez procéder, ou est-ce que là, les ménages peuvent s’attendre à une imposition nouvelle ?
C. Sautter : Ce que nous avons fait aujourd’hui, c’est corriger un dérapage 1997. Ensuite, le Gouvernement, appuyé par sa majorité, dans le budget 1998, dans la loi sur le financement de la Sécurité sociale de 1998 – deux textes qui viendront à l’automne – engagera des réformes, des prélèvements obligatoires, mais sans accroître le montant total des impôts et des cotisations sociales.