Interviews de M. Nicolas Sarkozy, porte-parole du RPR, à RTL, le 20 août 1997, et dans "Le Figaro" du 21, sur les mesures pour l'emploi des jeunes de Martine Aubry, notamment la professionnalisation des jeunes en contrat pour 5 ans, et la création de 350 000 emplois dans le privé.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission L'Invité de RTL - Le Figaro - RTL

Texte intégral

RTL : Mercredi 20 août 1997

J.-M. Lefèbvre : Comme le Président Chirac, approuvez-vous l’inspiration de ce projet de loi de M. Aubry, même si pour le chef de l’État, il y a un risque de la création de nouveaux emplois publics en grand nombre ?

N. Sarkozy : Qui pourrait être contre le principe à vouloir s’occuper en priorité du problème de l’emploi des jeunes ? Personne. A l’évidence c’est une préoccupation nécessaire. J’aurai simplement deux réserves. La première, c’est qu’il ne faudrait pas que s’occuper de l’emploi des jeunes consiste à négliger le problème du chômage des autres. Car si être au chômage à 25 ans c’est intolérable, je voudrais dire que pour un chef de famille, quel qu’il soit, à 50 ans, à 40 ans à 45 ans ou à 30 ans, cela l’est tout autant lorsqu’on a en charge une famille, une famille à nourrir. Je voudrais faire une seconde remarque. J’ai écouté M. Aubry – je respecte ses convictions, bien sûr, sa personne – et il y a une différence entre nous. Qu’est-ce qu’elle a dit ? Elle a dit : j’ai la conviction que l’avenir pour l’emploi des jeunes c’est dans l’administration et dans les emplois publics. Eh bien, moi j’ai une conviction systématiquement inverse. Je crois que l’avenir pour les jeunes, leur carrière professionnelle pour ces jeunes c’est dans l’entreprise et dans le privé. Car finalement, qu’est-ce qu’on propose ? C’est très simple, on fait croire aux jeunes que, demain, il y aura des emplois pour eux dans l’administration. Or, tout le monde est d’accord là-dessus : de tous les pays développés, la France est celui qui a déjà le plus d’emplois publics. De tous les pays développés, la France est celui qui connaît les dépenses publiques les plus importantes. Si nous augmentons encore les dépenses publiques, qu’est-ce qui va se passer ? On va augmenter les impôts et les charges, il y aura moins d’emplois dans l’entreprise pour les jeunes. Nous faisons le contraire de ce que font les autres.

J.-M. Lefèbvre : Lorsque vous étiez au pouvoir, pour favoriser l’embauche des jeunes, vous avez multiplié les baisses des charges pour les entreprises. On ne peut pas dire que cela ait donné des résultats mirifiques.

N. Sarkozy : Permettez-moi de vous dire que je ne suis pas tout à fait de cet avis, puisque, là encore, sur les quatre dernières années, il s’est passé un phénomène extrêmement intéressant : la croissance française est, de nouveau, créatrice d’emplois. On s’aperçoit qu’avec une croissance de 2 % – ce qui est une croissance faible – on arrive à créer de nouveaux des emplois. Moi, j’ai été aux responsabilités du Gouvernement en 1994, je vous rappelle qu’il y a eu 250 000 créations d’emplois. Alors là, on nous dit autre chose, on nous dit : attention, ce ne sont pas des emplois publics. Je me demande ce que c’est ?

J.-M. Lefèbvre : Ce n’est pas une nouvelle fonction publique, disait C. Trautmann tout à l’heure.

N. Sarkozy : Très bien. Eh bien, moi, j’ai une question à poser à M. Trautmann : dans cinq ans, qu’est-ce qu’on fera de ces jeunes ? Est-ce qu’on les met tous dehors ? C’est socialement inacceptable. Ou est-ce qu’on les titularise tous dans la fonction publique ? Dans ce cas-là, c’est économiquement inacceptable.

J.-M. Lefèbvre : Il y a une volonté de M. Aubry de professionnaliser et de tenter de transformer en long terme.

N. Sarkozy : Je pense que l’idée est bonne. Professionnaliser les jeunes et leur donner des emplois à long terme c’est une bonne idée. Mais encore une fois : pourquoi faisons-nous le contraire des autres ? Qu’est-ce qu’on fait les autres ? Cela mérite qu’on s’y arrête deux minutes. Les Allemands ont cinq fois moins de jeunes que nous. Qu’est-ce qu’ils ont fait ? Ils ont tout misé sur la formation des jeunes. Pourquoi ? Parce qu’avec une bonne formation, on a un métier dans les mains et les entreprises vous proposent des emplois. C’est ce qu’ont fait les Allemands. Qu’est-ce qu’ont fait les Anglais, il y a quelques semaines ? T. Blair – socialiste – a décidé la création d’une prime pour les entreprises qui embauchent des jeunes. Parce que le socialisme anglais croit que l’avenir pour l’emploi des jeunes c’est l’entreprise. Quel est le seul pays au monde qui voudrait faire croire que l’avenir de l’emploi des jeunes, ce sont des emplois publics ? C’est la France. Eh bien, je pense que si l’idée de s’occuper de l’emploi des jeunes est une très bonne idée, je pense que la réalisation est une mauvaise idée et qu’on ne prend pas une bonne direction.

J.-M. Lefèbvre : Mais L. Jospin à la sortie du Conseil des ministres évoquait le rôle des grandes entreprises, et la préparation de la Conférence nationale sur l’emploi devrait également amener à la création de 350 000 emplois dans le privé ?

N. Sarkozy : Vous avez raison. Mais je jugerai à ce moment-là, quand on les connaîtra. Mais admettez, avec moi, que c’est extrêmement symptomatique de voir qu’on raisonne en matière d’emploi en commençant d’abord par la création d’emplois en commençant d’abord par la création d’emplois publics. Je ne veux pas ennuyer nos auditeurs avec des chiffres. Mais les chiffres parlent parfois : en France, 25 % de l’emploi total sont des emplois publics. En Allemagne, 16 %, en Italie 15 %, en Grande-Bretagne 14 %. Il y a une corrélation parfaite entre le montant de dépenses publiques et le montant du nombre des chômeurs. 40 % du budget de la nation c’est la masse salariale de la fonction publique. Expliquez-moi comment on va maîtriser les dépenses publiques en créant massivement des emplois publics ? Et si on ne maîtrise pas les dépenses publiques, comment va-t-on pouvoir arriver à baisse les impôts et les charges ? Or, on sait que le poids des impôts et des charges empêche le développement de la croissance. S’il n’y a pas de croissance, il n’y a pas d’emplois dans le privé. Vous voyez, c’est une différence, mais elle est normale. Il y a des socialistes, et puis il y a ceux qui ne le sont pas. J’avoue, bien volontiers, que je fais partie de ceux qui ne le sont pas.

J.-M. Lefèbvre : Dans une longue interview accordée à Paris-Match, qui paraîtra demain, vous affirmez que J. Chirac vit une cohabitation plus difficile qu’on le pense.

N. Sarkozy : Je pense que la cohabitation avec L. Jospin, sous des dehors extrêmement courtois, est une cohabitation qui est sur le fond du côté de L. Jospin, idéologiquement, assez dure. Je ne lui reproche pas. L. Jospin est totalement socialiste, et donc veut mettre en œuvre une politique complètement socialiste. Voyez-vous, je suis un peu triste parce qu’en 1981 les Français ont fait le choix de F. Mitterrand alors que tous les autres pays faisaient un choix inverse pour ne parler que de M. Thatcher ou de R. Reagan. Je ne voudrais pas que la France prenne cinq ans de socialisme alors que, partout dans le monde, le chômage recule parce qu’on met en œuvre d’autres idées qui sont des idées de liberté, de diminution des dépenses publiques, de diminution des impôts et qui produisent des résultats. Je ne suis pas, moi, un fanatique ni du modèle libéral, ni du modèle anglo-saxon. Mais je dis simplement que de temps à autre en France, on pourrait s’inspirer de ce qui marche ailleurs pour l’essayer chez nous, car je ne me résous pas à la montée inexorable du chômage. J’ai beaucoup de respect pour les fonctionnaires, et considère qu’ils font un travail bien difficile, et je considère que le poids de la fonction publique est aujourd’hui trop élevé.

J.-M. Lefèbvre : Êtes-vous toujours contre la fusion RPR-UDF ?

N. Sarkozy : Je ne voudrais pas que ce problème de fusion devienne un sujet de discorde. Je souhaite qu’il reste d’abord un sujet de débat. Je veux dire simplement ma conviction que les problèmes de structures ne sont pas les problèmes principaux, que ce qui compte est de savoir quelle est la politique que nous voulons proposer aux Français. Si nous sommes d’accord sur la politique à proposer aux Français, que nous habitions dans la même maison tant mieux. Mais commencer par la structure c’est un peu comme si on commençait par construire une maison par le toit ! Moi, j’aime plutôt commencer par les fondations et les fondations, c’est le programme, c’est le fond du discours, c’est la refondation de chacune de nos maisons. Démocratisons le RPR et l’UDF, rénovons nos méthodes, refondons notre discours. À partir de ce moment-là, on verra s’il convient d’aller plus loin. J’ajoute juste d’un mot qu’en 1993 le RPR et l’UDF existaient, et que cela ne nous a pas empêchés de gagner ; qu’en 1995 il y avait E. Balladur et J. Chirac qui étaient candidats et cela n’a pas empêché l’ex-majorité de l’emporter ; et qu’en 1997, nous avions un programme unique derrière un leader unique de la majorité qui la conduisait, et cela ne nous a pas empêchés de perdre. Vous le voyez les problèmes de structures sont, me semble-t-il, accessoires par rapport au seul problème qui compte quand on fait de la politique, à savoir : quelles sont les convictions pour lesquelles on veut se battre ? Quelles sont les idées que l’on veut défendre. C’est cela qui doit être la priorité de l’opposition dans un climat d’union qui est, aujourd’hui, excellent.


Europe 1 – 21 août 1997

N. Sarkozy : D’abord, s’occuper du problème du chômage des jeunes, c’est une nécessité. Et je dirais même c’est une obligation absolue. Je voudrais simplement poser deux conditions. La première est que ce n’est pas parce qu’on s’occupe du chômage des jeunes qu’il faudra négliger le chômage des autres. Être au chômage est toujours un drame, y compris ou parfois surtout lorsqu’on est plus jeune. Je voudrais faire une deuxième remarque, il faut dire la vérité aux jeunes. L’avenir professionnel, pour eux, ne se trouve pas dans l’administration, ne se trouve pas dans la fonction publique mais dans les entreprises. La France est en train de faire le contraire de ce que font tous les autres. Regardez ce qui se passe en Allemagne. On met le paquet pour améliorer la formation des jeunes afin qu’ils aient un métier dans les mains et que les entreprises les embauchent. Regardez même ce qui se passe en Angleterre où T. Blair vient de faire un plan pour l’emploi des jeunes à base d’une prime à l’embauche des jeunes en entreprise. Nous nous faisons tout à fait l’inverse : on crée des emplois dans l’administration pour les jeunes. Pour financer ces emplois, on augmentera les dépenses publiques. Pour financer cette augmentation des dépenses publiques, on augmentera les impôts et cette augmentation des impôts détruira des emplois dans le privé.


LE FIGARO : 21 août 1997

Le Figaro : Au sein de l’opposition, certains critiquent violemment les mesures Aubry, d’autres – comme Puech et Raffarin – sont plus mesurés. Dans quelle catégorie vous rangez-vous ?

N. Sarkozy : Il ne s’agit pas de critiquer violemment, il s’agit de réfléchir afin de savoir si la France va dans la bonne direction ou pas. S’occuper de l’emploi des jeunes est une nécessité, et même une obligation. Mais un certain nombre conditions préalables doivent être posées. Premièrement, cela ne doit pas se faire au détriment d’autres générations, elles aussi touchées par le chômage. Être au chômage à 25 ans est inacceptable ; l’être à 50 ans, lorsque l’on a une famille à élever, c’est un drame.

Deuxièmement, on doit la vérité aux jeunes : leur avenir ne passe pas par des emplois dans l’administration. De tous les pays développés, nous sommes celui où la part de l’emploi public est la plus importante dans l’emploi total : 25 %, contre 16 % en Allemagne. Or le gouvernement vient de décider une création massive d’emplois publics. C’est le contraire de ce que font nos voisins. Les Allemands ont préféré miser sur la formation ; ils ont cinq fois moins de jeunes chômeurs que nous.

Quant aux Anglais, ils viennent de créer une prime à l’embauche des jeunes dans l’entreprise. C’est donc bien que M. Blair a compris que l’avenir professionnel des jeunes passe par l’entreprise. De plus, qu’adviendra t-il de ces emplois dans cinq ans ? Soit on mettra dehors tous ceux à qui on fait miroiter une carrière, ce qui est moralement inacceptable. Soit on les intégrera dans la fonction publique, ce qui est financièrement inacceptable.

Le Figaro : Comme J. Chirac vous craignez que tout cela ne se traduise par « une création massive d’emplois permanents »…

N. Sarkozy : Le président de la République a eu raison d’en appeler à la vigilance des Français. Dans le budget de la France, la masse salariale représente 40 % du budget. De 1981 à 1993, nous sommes le pays du monde qui a créé le plus d’emplois publics et le moins d’emplois privés. La création massive de ces emplois publics aboutira inévitablement à une augmentation de la dépense publique, donc des impôts, augmentation qui pénalisera les entreprises et la consommation ; et qui conduira à une diminution du nombre d’emplois privés et marchands proposés aux jeunes. Voilà la spirale infernale dans laquelle nous sommes engagés.

Le Figaro : Est-ce qu’il y a néanmoins des aspects positifs ?

N. Sarkozy : Disons que si l’intention est bonne, la direction est mauvaise.

Le Figaro : Pour vous, ce sont des petits boulots ou de vrais boulots ?

N. Sarkozy : La question qui se pose est celle du boulot tout court. Où un jeune peut-il réaliser professionnellement ? Comment peut-il créer une famille ? Comment peut-il assurer la promotion sociale de cette famille ? En entrant dans une filière professionnelle qui lui assurera un avenir, et non pas en empruntant cette voie sans issue à laquelle mènent ces emplois pour cinq ans dans l’administration.