Interviews de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à RTL et dans "Libération" (intitulé "Passage aux 35 heures : Strauss-Kahn n'exclut rien") le 26 septembre 1997, sur les mesures fiscales prévues au budget 1998, la préparation de la conférence nationale sur l'emploi et les propositions gouvernementales sur la réduction du temps de travail.

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Média : Emission Forum RMC Libération - Emission Journal de 8h - Emission L'Invité de RTL - Libération - RTL

Texte intégral

Date : vendredi 26 septembre 1997
Source : RTL / Édition du matin

O. Mazerolle : Pour votre budget, vous pariez sur un taux de croissance de 3 % l’année prochaine. Pour cela, il faut de la consommation, celle des ménages et des entreprises. Vous croyez que les chefs d’entreprise vont réinvestir, avec la hausse des impôts et la loi-cadre possible sur les 35 heures dont ils disent qu’ils ne veulent pas. D. Pineau-Valencienne disait hier soir sur TF 1 que le patronat boycotterait la conférence du 10 octobre, si c’était le cas.

D. Strauss-Kahn : La prévision de croissance pour l’économie française, que tout le monde fait – tous les économistes à peu près et les organismes internationaux – est en effet de 3 %. Ce sera mieux que cette année. Cette année, c’était 2,3 % et 3 %, c’est mieux. C’est parce que nous sommes au début d’un redémarrage du cycle. Oui, la consommation est au rendez-vous. Vous avez vu les chiffres pour juillet et août. Juillet et août réunis, cela fait plus de 3 %. Je crois que nous serons assez rapidement, avant même l’année prochaine, d’ici la fin de l’année, sur le rythme de consommation qui permet d’avoir 3 % de croissance.

O. Mazerolle : Et l’investissement des entreprises ?

D. Strauss-Kahn : Vous avez raison, c’est le point important parce que cela vient derrière ; c’est d’abord la consommation qui démarre et puis l’investissement qui est après – c’est l’investissement qui est la clef de tout. Des mesures ont été prises sur l’impôt sur les sociétés, à la suite de l’audit. Vous vous rappelez, lorsqu’au mois de juillet, on a découvert que le déficit laissé par l’équipe précédente était de l’ordre de 3,6 % du PIB, ces mesures ont été annoncées comme temporaires et elles sont en train d’être votées comme temporaires, c’est-à-dire qu’on dit 1997, 1998, 1999 et cela disparaît après. Le patronat l’a bien compris – on sait d’ailleurs qu’à l’époque, il a eu des réactions très modestes –, il a bien compris que cela ne dégrade pas la rentabilité de nos entreprises à long terme. Si bien qu’il y a de la demande, il y a des moyens financiers aujourd’hui dans les entreprises. Je pense, en effet, que l’investissement va repartir. La prévision sur laquelle nous sommes, c’est qu’il y aurait 4 % de croissance de l’investissement l’année prochaine contre seulement 1,8 %, cette année.

O. Mazerolle : Il reste le point noir, la loi-cadre sur les 35 heures. Le patronat n’en veut vraiment pas.

D. Strauss-Kahn : D’abord, pour le moment, je n’ai entendu s’exprimer que quelques grands patrons, cela ne représente pas l’ensemble du patronat français. Mais de toute façon, nous allons voir dans le débat. Ce que moi, j’ai voulu faire dans ce budget, c’est que les impôts, contrairement à la polémique un peu ridicule qui a été déclenchée puisque l’opposition donne dix taux et son contraire…

O. Mazerolle : On va en parler mais les 35 heures, puisque vous en parlez dans Libération, ce matin.

D. Strauss-Kahn : J’y viens, j’y viens. Ce que j’ai voulu faire dans ce budget, c’est que toute cette croissance économique dont on vient de parler – de 3 %, qui va faire 2,3 % d’augmentation du pouvoir d’achat – ne soit pas prise par l’État. Et c’est pour cela que nous avons fait une croissance des dépenses à zéro. De façon à ce que, n’étant pas pris par l’État, ce soit à la disposition des partenaires sociaux pour la conférence. Autrement dit, le budget n’avait qu’un seul objectif, c’est faire en sorte qu’au bout du compte, les partenaires sociaux, syndicats, patronat et puis avec l’aide de l’État, aient l’ensemble du pouvoir d’achat disponible sur la table pour discuter de l’emploi et de la réduction du temps de travail.

O. Mazerolle : Alors, les 35 heures là-dedans ? Dans Libération, vous laissez entendre ce matin qu’il pourrait ne pas y avoir de loi-cadre.

D. Strauss-Kahn : Pas du tout, pas du tout. Je dis que la discussion est ouverte et que le Gouvernement donnera sa position à l’entrée de la mécanique. J’ai bien vu que le patronat faisait cette sorte de chantage sur la loi sur les 35 heures, je sais aussi quels sont nos engagements. Je crois que les 35 heures sont un objectif politique qui convient ; nous verrons comment ce débat se noue.

O. Mazerolle : La date butoir n’est pas nécessaire ?

D. Strauss-Kahn : Je crois qu’aucun partenaire aujourd’hui en France, que ce soit le patronat ou les autres, ne peut, vis-à-vis des Français, dire : « je refuse de discuter de l’emploi », alors que c’est le sujet principal d’inquiétude des Français.

O. Mazerolle : La date butoir est absolument obligatoire ?

D. Strauss-Kahn : Laquelle ?

O. Mazerolle : Pour l’instauration des 35 heures ?

D. Strauss-Kahn : Il y a bien un moment où la date existe ! Évidemment ! Vous ne pouvez pas dire : cela arrivera un jour ! La question est de savoir quels sont les mécanismes qui sont mis en place pour aider les entreprises et notamment celles qui vont plus vite que les autres. La question, c’est de créer des emplois. Tout ceci n’est pas pour faire plaisir aux uns et aux autres, c’est pour créer des emplois. Et en effet, la grande conférence qui va s’ouvrir le 10 octobre, pour laquelle le Gouvernement dira sa position au moment de l’entrée dans la conférence, cette grande conférence créera des emplois. Voilà l’objectif.

O. Mazerolle : Si le Gouvernement n’a pas encore dit sa position, cela veut dire que la loi-cadre n’est pas encore décidée.

D. Strauss-Kahn : Cela veut dire que le Gouvernement sait ce qu’il veut faire mais qu’il n’entend pas que la polémique ou le discours ou les approbations, peu importe, s’engagent avant que la conférence commence.

O. Mazerolle : Quand Lionel Jospin disait sur France 2, début juillet, que finalement il ne fallait pas tenir un constat notarial des engagements électoraux des socialistes mais qu’il fallait se demander si les mesures prises étaient bonnes pour le pays, ça peut laisser supposer un infléchissement ?

D. Strauss-Kahn : Non, il n’y a pas d’infléchissement dans notre proposition. Nous pensons qu’il faut organiser la réduction du temps de travail, j’en suis très convaincu. Dans un pays où il y a des gains de productivité, où chaque fois, pour produire la même chose, année après année, on a besoin de moins de travail, s’il n’y a pas réduction du temps de travail, malgré la croissance plus forte que l’on va avoir, il n’y aura pas de sortie.

O. Mazerolle : À Moscou, Jacques Chirac a dénoncé le ralentissement des privatisations et la lourdeur des impôts, à Troyes il avait suggéré que le plan emploi pour les jeunes est fallacieux. Le président de la République est entré dans l’opposition au Gouvernement ?

D. Strauss-Kahn : Non, je ne crois pas, le président de la République tient des discours, c’est normal…

O. Mazerolle : Il ne fait que ça, tenir des discours ?

D. Strauss-Kahn : Non, il préside le conseil des ministres. Le président de la République, lorsqu’il se plaint de la hausse des impôts, a raison : moins il y a d’impôts, mieux c’est. Il reste qu’en 1996 – qui est la première année pleine après son élection, chacun s’en souvient – les impôts en France ont augmenté de 116 milliards. Cela, les Français ne l’ont pas oublié. Et dans ces conditions, je pense qu’il convient de relativiser ses propos et de les mettre en regard de ce qui a pu se passer dans les années précédentes.

O. Mazerolle : Hier matin, A. Lamassoure, qui était assis à votre place, disait : finalement, les grands impôts augmentent, les impôts sur la société, les barèmes de l’impôt sur les revenus remontent alors que nous avions entrepris de les baisser, il y a la hausse des carburants et le prélèvement sur la CSG qui est plus important que la diminution des cotisations sociales. Alors, disait-il, où est la baisse des prélèvements obligatoires ?

D. Strauss-Kahn : M. Lamassoure viendra me voir, je lui expliquerai, s’il a besoin d’un commentaire. Mais il ne faut pas que les informations qu’il fournisse soient totalement erronées. On ne peut pas dire que la TVA augmente alors que la TVA baisse grâce aux mesures que nous avons prises, notamment en matière de travaux de rénovation. On ne peut pas dire que le barème de l’impôt sur le revenu augmente alors qu’il ne bouge pas. Il ne bouge pas. Ce qui bouge, dans l’impôt sur le revenu, c’est que nous avons supprimé des injustices qui étaient intolérables. Quand vous pensez que ce l’on appelle les quirats et qui permettaient à certains contribuables de mettre de l’argent dans la construction de bateau et de le déduire de leurs impôts, profitaient à 1 000 contribuables en France, mais pour un coût de 1,5 milliard ; quand vous pensez qu’il y avait des choses de cette nature, qu’on les a supprimées, évidemment, comme on le supprime, ça rapporte 1 milliard de plus à l’État. On va nous dire « les impôts augmentent », mais attendez, qui défend les gens qui parlent de ça ? M. Lamassoure défend qui ? Les 1 000 contribuables français qui se partageaient ce 1,5 milliard de baisse de leurs impôts au motif fallacieux que ça aidait à construire des bateaux en Corée ?

O. Mazerolle : Il y a ceux, tout de même, sur qui le tir est concentré, c’est-à-dire les familles peut-être plus aisées que d’autres mais qui ont des enfants, qui utilisaient des gardes d’enfant, des personnes qui travaillaient à domicile et qui vont payer plein pot ?

D. Strauss-Kahn : Nous avons souhaité diminuer cet avantage, celui des emplois à domicile de la même manière. Je prends l’exemple des emplois à domicile : le plafond était à 90 000 francs, il passe à 45 000. Donc ceux qui étaient en dessous de 45 000 ne sont pas touchés, c’est 95 % de ceux qui utilisaient la mesure. Ceux qui étaient au-dessus de 45 000 sont touchés, c’est 5 % de ceux qui utilisaient la mesure. Mais 5 % de ceux qui utilisaient la mesure, c’est seulement 0,25 % des contribuables. Et 0,25 % des contribuables : qu’on ne me dise pas que ce Gouvernement touche aux familles ! Comme vous le disiez d’ailleurs vous-même, ce ne sont pas les plus malheureux. 0,25 % des contribuables, c’est une toute petite fraction qui se partageait, là aussi, un avantage dont nous considérons qu’il était injuste. Il ne faut pas faire supprimer cette mesure. Beaucoup de gens qui emploient quelqu’un à domicile et qui bénéficient de la mesure ne sont absolument pas touchés, 95 % de ceux qui l’utilisent ne sont pas touchés. Mais n’exagérons pas quand même : lorsque l’on touche à des injustices, sauf à être le pays le plus conservateur de la terre, ça n’est pas augmenter les impôts, c’est arrêter des injustices fiscales.

O. Mazerolle : Plan emploi fallacieux, disait Jacques Chirac, socialisme = étatisation ?

D. Strauss-Kahn : Je crois que le débat sur les emplois pour les jeunes est maintenant derrière nous. Pendant la campagne électorale, les Français ont beaucoup approuvé.

O. Mazerolle : Étatisation ?

D. Strauss-Kahn : Non, il n’y a pas d’étatisation, ce sont des contrats qui sont en effet financés pour un temps par la puissance publique mais il y a beaucoup de choses qui fonctionnent comme ça dans notre pays. Et moi, je vous le dis clairement, parce qu’il faut passer au-delà de l’idéologie, il faut être concret et pragmatique : je préfère que les jeunes, dans les banlieues – dans la mienne à Sarcelles comme dans les autres –, trouvent un emploi financé à 80 % par l’État plutôt que restent dans la rue.

Date : 26 septembre 1997
Source : Libération

Libération : Le budget 1998 que vous avez présenté mercredi prévoit une compression des dépenses et une hausse des impôts. En clair, c’est un budget de rigueur. Pourquoi refusez-vous de prononcer le mot ?

Dominique Strauss-Kahn : C’est un budget d’économies et de redéploiements. Les dépenses ne progressent pas plus vite que l’inflation. C’est la première fois depuis vingt ans. C’était la seule manière de réaliser nos objectifs : réduire le déficit à 3 % du PIB, conformément à nos engagements européens, et casser la spirale de la dette, qui ronge petit à petit les marges de manœuvre budgétaire. Si on poursuit l’effort amorcé, je prends l’engagement que le taux d’endettement de l’État commencera à décroître en l’an 2000. Il fallait réduire le déficit et en même temps ne pas alourdir le taux des prélèvements obligatoires. Il baisse même légèrement, puisque les impôts augmentent moins vite que la richesse nationale. Et beaucoup moins vite qu’avec Alain Juppé. 5 milliards de francs de mesures nouvelles sur les ménages, essentiellement par la suppression de privilèges injustifiés contre… plus de 100 milliards de francs fin 1995. L’opposition a la mémoire plus courte que les Français.

Libération : À écouter les propos de la dernière campagne, on s’attendait plutôt à un budget expansionniste.

Dominique Strauss-Kahn : Ce n’est pas un budget de relance, mais d’accompagnement de la reprise. Le gouvernement laisse des marges de manœuvre du côté de la consommation. Il a fait le pari que, pour soutenir la croissance, il vaut mieux consacrer le surcroît de ressources à l’augmentation du pouvoir d’achat des ménages plutôt qu’à l’accroissement des dépenses. C’est notre choix stratégique : laisser les dividendes de la croissance au pouvoir d’achat, mais comprimer les dépenses pour tenir les 3 %. C’est un peu la mission que je m’étais assignée : le budget dégage le terrain pour la Conférence sur l’emploi du 10 octobre. On verra alors comment les 2,3 % de hausse du pouvoir d’achat des ménages (avant transfert des cotisations maladie vers la CSG) vont pouvoir être répartis par les partenaires sociaux, entre d’une part la réduction du temps de travail, et donc l’emploi, et d’autre part les salaires. Ils bénéficient de tout l’accroissement du gâteau : à eux de voir ensuite, avec l’aide de l’État, ce qu’ils en font, s’ils privilégient plutôt les salaires ou plutôt l’emploi.

Libération : Vous augmentez les prélèvements sur l’épargne populaire (plan d’épargne populaire, plan d’épargne logement, etc.), mais vous négligez des privilèges énormes, comme l’absence de droits de succession sur les sommes placées en assurance vie ou les abattements professionnels.

Dominique Strauss-Kahn : On touche au PEP et au PEL comme au reste, puisque la CSG pèse sur tout sauf sur les livrets défiscalisés. Sur l’assurance vie, il est tout de même appliqué la CSG plus un prélèvement libératoire de 7,5 %, assorti d’un abattement allant jusqu’à 60 000 francs. C’est moins que le prélèvement libératoire de droit commun (15 %), parce qu’il faut continuer à favoriser l’épargne longue. Il est vrai qu’on maintient l’exonération des droits de succession. Pour des raisons complexes qui tiennent à la transmission des PME : ces sommes placées en assurance vie servent souvent à dédommager celui des héritiers qui ne reçoit pas l’entreprise. On va voir comment on peut traiter ce problème puisqu’on va réformer la fiscalité du patrimoine l’an prochain.

Libération : Et les abattements professionnels : les 30 % des journalistes, pilotes, VRP ?

Dominique Strauss-Kahn : Il y a eu sur le sujet un débat assez long, parce que ces abattements sont injustifiés. Le gouvernement précédent envisageait de les supprimer en contrepartie d’une baisse du barème de l’impôt sur les revenus – qui est supprimée –, et après une concertation avec les professions concernées qui n’a pas avancé. Il faut donc reprendre et faire aboutir cette concertation.

Libération : Ces « classes moyennes »-là sont donc préservées ? C’est un calcul politique ?

Dominique Strauss-Kahn : C’est un problème purement technique. Sur cette histoire de classes moyennes prétendument « matraquées », j’aimerais au passage rappeler quelques chiffres : nous avons abaissé de moitié le plafond de réduction d’impôt pour les emplois à domicile. Cela concerne 5 % des gens qui profitaient de cette réduction d’impôt, soit seulement 0,25 % des ménages, ceux qui payent plus que 4 000 francs par mois d’emplois à domicile. Et la moitié de ces ménages ont un revenu déclaré supérieur à 700 000 francs.

Libération : Vous dites que votre budget dégage le terrain pour la Conférence sur l’emploi. Mais le patronat reste très réticent. Jugez-vous nécessaire de fixer d’entrée, autoritairement, une échéance pour les 35 heures légales ?

Dominique Strauss-Kahn : Le fond du débat, c’est de savoir si l’on est capable de s’entendre sur la meilleure façon de partager les gains de productivité liés à la croissance : si ces gains doivent être distribués sous forme de salaires, ou bien si on les utilise pour réduire le temps de travail et embaucher. En bref, si on donne dans les faits priorité à l’emploi. Je m’étonne que les déclarations du Premier ministre aient créé la surprise. Nous n’avons jamais dit : « 35 heures payées 39 ». Ce serait détruire des emplois à coup sûr, tout le monde le sait. Nous avons dit : « pas de baisse des salaires » ; ce n’est pas la même chose. Au moment où nous nous apprêtons à entrer dans l’euro, il n’est pas question de faire des fantaisies avec les coûts des entreprises, car la flexibilité des changes ne sera plus là pour corriger les erreurs. En tout cas, dans cette affaire, le gouvernement aura en tête les intérêts de l’économie dans son ensemble, et tout particulièrement ceux des chômeurs. Quant à la technique pour arriver à un accord, on peut imaginer diverses formules.

Libération : Pas forcément une loi-cadre fixant les 35 heures légales à telle ou telle date ?

Dominique Strauss-Kahn : Je n’exclus rien, dans aucun sens. J’essaye d’avoir sur ce dossier une approche d’économiste plus qu’une approche de politique. Nous aurons fait un pas important avec cette conférence si elle permet des orientations sur le partage des gains de productivité dans les années qui viennent. Après, le problème de savoir s’il faut passer par une loi-cadre, ou par une loi « balai » au bout d’un certain temps, ou par des mécanismes incitatifs… L’analyse et la position du gouvernement seront connues le 10 octobre, à l’ouverture de la conférence.

Libération : Quel type d’incitation l’État mettra-t-il en place pour faciliter la discussion sur la baisse du temps de travail ?

Dominique Strauss-Kahn : La mécanique importe peu. Tout peut être imaginé. Michel Rocard en a inventé une qui n’est pas la moins intéressante : il propose une diminution des charges sociales en deçà des 32 heures et une augmentation massive au-delà. La loi Robien, qui prévoyait des baisses de charges pour les entreprises diminuant la durée du travail, était une autre forme d’incitation, moins efficace. Ce qui me semble important, c’est que l’incitation soit d’autant plus forte que l’effort est grand. Il faut qu’elle corresponde véritablement à des embauches. L’action par le biais d’une tarification progressive des heures supplémentaires peut être également une piste intéressante.

Libération : Le 19 mai 1997, vous déclariez sur RTL : « Parce qu’il y a mission de service public, les socialistes souhaitent que France Télécom reste avec un capital à 100 % public. » Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis en cinq mois ?

Dominique Strauss-Kahn : Il faut que France Télécom reste une entreprise publique parce qu’elle a des missions de service public à assurer. Mais il faut aussi que France Télécom, dans un monde très concurrentiel, soit capable de tisser des alliances. Ce qui compte pour le service public des télécoms, ce n’est pas seulement qu’il y ait le même prix à Sarcelles ou à Brive, c’est aussi que les enfants de Sarcelles ou de Brive aient un accès équivalent au réseau de télécoms, à l’Internet et aux innovations à venir. De ce point de vue, il est important d’avoir un opérateur qui continue de remplir ses missions. C’est pourquoi on a voulu que deux tiers du capital restent publics.

Libération : L’État sera-t-il un jour minoritaire dans Air France ?

Dominique Strauss-Kahn : On a fait beaucoup de bruit pour pas grand-chose. Même ceux qui souhaitent la privatisation devraient savoir que l’entreprise n’est pas dans un état financier qui fasse qu’elle soit privatisable.

Libération : Christian Blanc ne l’a pas bien gérée ?

Dominique Strauss-Kahn : Si, mais il a ramené les comptes à zéro : on est encore loin d’une entreprise fortement bénéficiaire. La privatisation n’est donc pas à l’ordre du jour. L’ouverture du capital en revanche est nécessaire pour nouer des alliances internationales. Il n’y a rien d’idéologique là-dedans.

Libération : La prochaine privatisation ?

Dominique Strauss-Kahn : Je vous rappelle que France Télécom n’est pas une privatisation. La première privatisation, donc, ce sera le GAN et le CIC. On s’achemine vers une privatisation séparée du GAN et du CIC, de gré à gré, et sans doute en commençant par la banque. Je compte recueillir l’avis de tous les partenaires, y compris les élus locaux et les syndicats, pour aboutir à une solution efficace d’ici au début novembre.