Déclaration de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, sur la ratification du traité d'Amsterdam, la notion de souveraineté nationale et le fédéralisme, le 3 mars 1999

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Mes chers collègues,

Le projet de ratification du traité d'Amsterdam, dont le débat s'ouvre aujourd'hui, paraît inacceptable pour deux raisons :

1. Tout d'abord, parce qu'au-delà de la multiplicité des dispositions techniques apparemment disparates, ce texte suit un fil conducteur unique : la construction d'un super État européen, qui implique la marginalisation des démocraties nationales, et donc des parlements nationaux.

Croyez-vous que ce soit là réellement le souhait des citoyens français ?

Croyez-vous vraiment qu'ils seront satisfaits d'apprendre demain, par exemple,
- que le Parlement français n'a plus rien à dire en matière d'immigration ;
- qu'il n'a plus le droit de décision ;
- qu'il n'a plus de droit de contrôle ;
- et qu'il n'a même plus le droit de proposition dans ce domaine essentiel de la souveraineté ?

Non, bien entendu, ce n'est pas du tout ce qu'attendent les français.

Certes, ils veulent une politique de l'immigration coordonnée au niveau européen, mais ils ne veulent pas pour autant perdre la maîtrise du territoire national.

Or c'est bien l'erreur fondamentale du traité d'Amsterdam : croire qu'on peut travailler avec efficacité au niveau européen que si chaque pays abandonne toute capacité de décision autonome.

Cette méthode est mauvaise.

Nous ne l'approuvons pas. Et les français ne l'approuveront pas non plus, le jour où ils découvriront vraiment que qui a été décidé en leur nom.

2. Car c'est précisément la seconde raison pour laquelle cette ratification me paraît inacceptable :

- Contrairement à l'esprit de nos institutions, les français n'ont pas été consultés directement par référendum, sur un projet qui va amputer gravement la souveraineté nationale ;

- Ils n'auront pas été consultés sur la révision constitutionnelle, alors que l'article 89 de la Constitution semblait l'imposer ;

- Ils n'auront pas été consultés non plus sur la ratification elle-même, alors qu'en 1992, pour le traité de Maastricht, cette procédure avait paru incontournable au président de la République de l'époque.

Même après avoir laissé passer ces deux coches, on aurait pu imaginer encore une sorte de « session de rattrapage » :

- si la ratification d'Amsterdam avait été reportée après les élections européennes de juin prochain ;
- et si la campagne électorale avait fourni l'occasion d'ouvrir enfin le débat jusqu'ici différé.

Mais apparemment, les plus hautes autorités de l'État ne le souhaite pas. J'ai même entendu un ancien président de cette assemblée déclarer que « ce n'est pas à l'occasion d'une élection au Parlement européen... que l'on exprime un choix sur les grandes orientations de l'Europe »

En effet, pour certains responsables, ce n'est jamais le bon moment pour parler franchement de l'Europe aux citoyens. Et pour ce qui concerne le processus d'Amsterdam, il aura été trouvé, à chaque étape, tellement de bonnes raisons pour ne pas en parler, que finalement, les français auront abandonné des pouvoirs vitaux sans même s'en être rendu compte.

C'est pourquoi il me semblerai plus honnête :

-  de suspendre le débat parlementaire de ratification ;
- et de reporter à une autre date postérieure aux élections européennes ;
- afin que la campagne électorale et ses résultats puissent nous fournir au moins une indication sur  l'état d'esprit des français.

A ces raisons de politique et d'opportunité générales, j'ajouterai, pour étayer ma question préalable, des raisons juridiques plus précises. Elles porteront successivement sur :

- l'article ;
- et sur l'amendement gouvernemental soumis à notre examen.

I. Sur l'article de ratification, je soutiens qu'il n'y a pas lieu à délibérer, car ce texte est toujours contraire à la Constitution , et contraire aux intérêts de la France.

1) Il est toujours contraire à la Constitution.

Le traité d'Amsterdam contredit frontalement la Constitution française, puisqu'il contredit l'idée de souveraineté nationale, fondement de nos institutions.

En effet, par définition, le peuple français ne prendra plus ses décisions de manière autonome, s'il devient prisonnier de procédures de décision à la majorité qualifiée au Conseil des ministres européens.

On pourra déployer toutes les acrobaties verbales que l'on voudra sur le thème de la « souveraineté partagée », rien ne pourra faire disparaître cette évidence qu'avec Amsterdam, nous ne prendrons plus nos décision en pleine indépendance juridique.

Le Conseil constitutionnel, à mon sens, n'a pas vu l'ensemble de ce problème 

Mais il a tout de même soulevé, dans sa décision du 3 décembre 1997, un point très important de non-conformité du traité, concernant la circulation des personnes

C'est pour réduire cette divergence qu'est intervenue la révision du 18 janvier dernier

Or je soutiens que cette révision est insuffisante pour répondre à l'objection du Conseil, et qu'aujourd'hui le travail reste à faire.

En effet, dès lors que le Conseil constitutionnel avait estimé que les basculement des décisions européennes à la majorité, sur les questions de circulation des personnes « pouvait conduire à ce que se trouvent affectées les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale », trois possibilités s'offraient au Président de la République et au Premier ministre :

- abandonner la ratification et renégocier le traité,
- admettre clairement dans la Constitution qu'avec le traité d'Amsterdam, on abandonnait une part de la souveraineté française,
- Conserver l'intégralité de la souveraineté nationale dans la Constitution,
- et trouver les moyens d'éviter que le traité d'Amsterdam ne puisse affecter son exercice.

La première solution, celle de la renégociation, qui me paraissait la plus clair, fut écarté d'emblée.
La seconde solution impliquait un abandon formel de la souveraineté nationale, et d'une certaine manière, elle aurait eu le mérite de faire coïncider franchement la Constitution avec la réalité du traité d'Amsterdam.

Mais, par pudeur, ou pour ne pas effrayer les citoyens, on n'a pas retenu cette solution.

En effet,

- L'article 3 de la Constitution, qui proclame que « la souveraineté nationale appartient au peuple », est demeuré inchangé à l'issue de la révision du 18 janvier

- Devant cette assemblé, le 24 novembre dernier, madame La Garde des sceaux a même déclaré : « je rejette toute analyse présentant ces transferts comme des abandons de souveraineté. La souveraineté de la France est inaliénable, imprescriptible, incessible et indivisible... »

- Admettons un instant que madame la Garde des sceaux ait eu raison.

3. Dans ce cas, il fallait rechercher la solution dans une troisième direction :

La conciliation de la souveraineté nationale maintenue et de l'abolition des contrôles de personnes aux frontières inférieures de l'Union.

Or la révision du 18 janvier ne va absolument pas dans ce sens : elle se borne à juxtaposer trois concepts de signe contraire :

- la souveraineté nationale ;
- l'abolition des contrôles des personnes ;
- sans établir la moindre passerelle susceptible de les rendre compatibles.

En quoi aurait pu consister cette passerelle ?

- La jurisprudence du Conseil constitutionnel nous en donne une première approche.
Dans sa décision du 25 juillet 1991 relative aux accords de Schengen, il avait attaché de l'importance à la présence d'une clause de sauvegarde d'usage national et discrétionnaire, qui était ainsi rédigée :

« Toutefois... si l'ordre public ou la sécurité nationale exigent une action immédiate, la partie contractante concernée prend les mesures nécessaires et informe le plus rapidement possible les autres parties contractantes ».

Le Conseil constitutionnel estimait alors que cette clause permettait de concilier la souveraineté avec la suspension de certains contrôle aux frontières.

De même, lors de la révision constitutionnelle du 25 novembre 1993, qui autorisait la conclusion d'accords européens pour le traitement des demandes d'asile, il avait été jugé indispensable d'ajouter une clause de sauvegarde, qui figure aujourd'hui à l'article 53-1 de la Constitution. Je vous rappelle également la rédaction :

« Toutefois, même si la demande n'entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté, ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ».

Une clause de ce type manque aujourd'hui à l'article 88-2, tel qu'il a été modifié par la révision du 18 janvier.

Il y manque aussi, d'ailleurs, un rappel du compromis de Luxembourg.

C'est pourquoi nous estimons que cette révision n'est pas susceptible de lever les objections émises par le Conseil constitutionnel.

Le traité d'Amsterdam est contraire aux intérêts de la France

Conforme ou pas à la Constitution, le traité d'Amsterdam est en tout cas contraire aux intérêts de notre pays.

D'une part qu'il apparaît vital pour la défense de notre identité que nous gardions, en tous points, le dernier mot :

- sur les questions de circulation des personnes à l'intérieur de notre territoire ;
- comme sur les question de franchissement de nos frontières ;
- alors que le traité d'Amsterdam nous enlève ce pouvoir.

D'autre part, parce qu'il y a, dans ce traité, trois autres éléments tout à fait inacceptables.

Tout d'abord, le traité d'Amsterdam subordonne nos lois et notre Constitution elle-même au droit communautaire.

Or cette jurisprudence comporte plusieurs aspects contestables, et notamment le fait que :

- Le droit communautaire, même dérivé, serait supérieur à toute forme de droit nationale, même constitutionnel.

Cette subordination de la Constitution nationale au droit communautaire, qui, jusqu'ici, n'avait jamais été ratifiée par les peuples, constituerait la clé de voûte juridique d'un État fédéral européen.

Pourtant, les partisans de cette formule ne sont pas majoritaires dans cette assemblée.

Une fois de plus, on demande donc aux représentants de la nation d'approuver un texte contraire à leurs convictions.

- Second aspect contestable de cette jurisprudence : le droit communautaire, même dérivé, devrait l'emporter sur toute loi nationale, même postérieure.

Cette position de la Cour de justice, qui date de 1964, aboutit pratiquement à ligoter chaque peuple, en l'empêchant de retirer son approbation à un texte qu'il aurait accepté un jour, même s'il estime plus tard inadapté ou désuet.

Vous-même, mes chers collègues, avez rejeté cette idée d'un droit communautaire éternel et inamovible, lorsque vous avez adopté la loi du 3 juillet 1998 relative aux dates d'ouverture et de fermeture de la chasse.

- Quel était en effet le principe en cause ? Il s'agissait de savoir si une directive qui date de 1979 est aujourd'hui encore valable,
- même si la Cour de justice en a donné entre temps une interprétation que nous n'acceptons pas,
- et même si le peuple français a manifesté son opposition dans des formes solennelles.
- Vingt ans plus tard, une telle directive peut-elle s'imposer au peuple français.
- même si celui-ci n'en veut plus.
- et même si pour bien le montrer, il adopte une loi contraire ?

Non mes chers collègues :

Or, justement, le traité d'Amsterdam vous invite à ratifier de manière détournée cette jurisprudence que vous n'approuvez pas.

En second lieu, le traité d'Amsterdam remet en cause le principe traditionnel selon lequel la Communauté ne détient que des compétences d'attribution, limitativement énumérées.

C'est ainsi que :
- L'article 13 – dit « clause anti-discrimination » confie à la Communauté un blanc-seing pour lutter contre toutes sortes de « discriminations », ou supposées telles,
- sans que nul ne connaisse les limites de cette nouvelle mission

- de même, l'article 2 du protocole sur Schengen donne au Conseil l'écrasante mission de faire le tri entre :
- les dispositions de l'acquis de Schengen qui seront affectées au premier pilier,
- et celle qui seront affectées au troisième

Cela revient à donner au Conseil le droit de désigner discrétionnairement de nouvelles compétences communautaires.

- Enfin et surtout, l'article 7 met en place une procédure inédite permettant au Conseil de suspendre les droits d'un État membre, y compris ses droits de vote, lorsqu'il ne respecte pas certains principes vaguement définis.

Une telle clause peut pervertir l'esprit de tous les votes à l'unanimité prévus par le traité.

En même temps, elle enlève toute signification à la notion de compétence d'attribution.

Cette évolution montre bien qu'après Amsterdam, les rôles se trouvent inversés, ce ne seront plus les nations qui détermineront les compétences de l'Union, mais l'Union elle-même qui déterminera ses propres compétences, ainsi que leurs limites éventuelles, ne laissant aux nations que les compétences résiduelles.

En troisième lieu, le traité d'Amsterdam hypothéquerait gravement la liberté de choix du peuple français dans ses actions extérieures.

Le budget de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) serai soumis à la codécision du parlement européen,

Et le Conseil pourrait de son propre chef :

- conclure des accords internationaux de toute nature,
- sans que soit précisé le sort des ratifications habituelles par les Parlements nationaux.

Mais surtout, je voudrais ici appeler votre attention sur un aspect méconnu, et pourtant très dangereux, du traité d'Amsterdam : la communautarisation potentielle de certaines négociations commerciales internationales, jusqu'ici intergouvernementales.

En effet, l'article 133-5 du nouveau traité prévoit que « le conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut étendre l'application (de la politique commerciale commune) aux négociations et accords internationaux concernant les services et la propriété intellectuelle ».

Cette procédure est exactement  décalquée de l'article 67-2, portant sue les questions de circulation de personnes, celui-là même qui a été condamné par le conseil constitutionnel dans sa décision du 31 décembre 1997.

Donc, la même procédure, qui consiste à faire décider par le Conseil, à l'unanimité, que des compétences importantes seront désormais traitées à la majorité, a été déclarée conforme dans le cas de l'article 133, et non conforme dans celui de l'article 67 !

Quelles qu'en soient les raisons – assez obscures à vrai dire – il paraît clair qu'il n'est pas dans l'intérêt de la France d'ouvrir la possibilité d'inclure les services et la propriété intellectuelle :

- dans le champ de la politique commerciale commune,
- impliquant à la fois décisions à la majorité au Conseil,
- et suppression des pouvoirs de ratification des Parlements nationaux.

Encore récemment, lorsque la négociation de l'accord Multilatéral sur l'investissement a été interrompue a l'initiative du gouvernement français, beaucoup de parlementaires ont à juste titre exprimé leur satisfaction et leur soulagement.

Mais la réaction française n'a été possible que parce que nous nous trouvions :

- dans le cadre d'une négociation intergouvernementale,
- où notre pays gardait les mains libres.

Comment donc pourrions-nous, après cette expérience, accepter aujourd'hui la possibilité de nous lier les mains dans les domaines vitaux des services et de la propriété intellectuelle ?

Cette proposition paraît plus qu'inopportune

- Surtout à l 'orée d'un nouveau cycle de négociation à l'Organisation Mondiale du Commerce.

Certes, quelques juristes diront peut-être qu'il faudra encore une décision à l'unanimité du Conseil des ministres pour opérer le basculement définitif.

Mais la procédure proposée n'en apparaît pas moins inacceptable, car elle pourrait être mise en oeuvre en catimini, comme l'a bien remarqué le Conseil constitutionnel dans sa condamnation de l'article 67-2.

Nous ne pouvons pas prendre un tel risque, alors que des négociations internationales très dures se profilent vers la fin de l'année. Notre Parlement national doit absolument :

- conserver la maîtrise totale du processus ;
- et ne laisser ouverte aucune brèche dans laquelle pourrait s'infiltrer le libre-échangisme de la Commission.

Il faut donc, pour cette raison, s'abstenir de ratifier le traité d'Amsterdam.

Sinon , il ne faudra pas s'étonner demain de retrouver la France en position de faiblesse.

II. La loi de ratification qui nous est présentée est assortie d'un complément sous forme d'amendement gouvernementale :

- qui paraît au premier abord vague et bien intentionné,
- puisqu'il se borne à réclamer « des progrès substantiels dans la voie de la réforme des institutions de l'Union européenne, afin de rendre le fonctionnement de l'Union plus efficace et plus démocratique, avant la conclusion des premières négociations d'adhésion ».

Effectivement, tout montre que l'élargissement de l'Union à l'Est va lui faire franchir une étape,
- non seulement quantitative,
- mais aussi qualitative,
- étape qui, peut-être, a déjà été amorcée avec les derniers élargissements nordiques.

L'Union va se trouver composée :

- de pays de plus en plus différents,
- même s'ils possèdent en commun un fonds culturel ancien.

Il faudrait donc adapter les institutions à la gestion d'un ensemble beaucoup plus hétérogène qu'hier. Si l'amendement gouvernemental se bornait à souhaiter une telle réforme en termes généraux, j'y souscrirais sans doute moi-même.

Mais ce n'est pas le cas.

En effet, cet amendement doit être interprété à la lumière de l'article qui autorise la ratification du traité d'Amsterdam.

Or le contenu de ce traité donne des précisions beaucoup plus importantes, et tout à fait contestables, sur la nature des réformes souhaitées avant l'élargissement.

*Tout d'abord, le protocole N° 11, qui est joint au traité, prévoit qu'à la date d'entrée en vigueur du prochain élargissement de l'Union :
- la commission devra être composée d'un national de chaque État membre.
- à condition que, parallèlement, la pondération des voix au Conseil ait été corrigée.

*Mais une déclaration annexée, signée par la France, la Belgique et l'Italie :
- va beaucoup plus loin,
- puisqu'elle appelle à un renforcement des institutions préalable à l'élargissement,
- non seulement par les réformes mentionnées au protocole N° 11,
- mais aussi par « une extension significative du recours au vote à la majorité qualifiée ».

Ainsi, l'amendement gouvernementale, lu dans le contexte du traité d'Amsterdam, revient-il à prendre en faveur d'une extension des votes à la majorité au Conseil.

Cette réforme nous paraît tout à fait néfaste dans tous les cas, et notamment dans le contexte de l'élargissement.

En effet, il ne faut pas oublier que la France,
- qui pesait près de 25 % des voix au conseil des ministres européens en 1958,
- n'en représente plus que 11,5 % aujourd'hui ,
- et se trouvera réduite à environ 8 %, selon les règles actuelles, dans une Europe à 26 membres.

Pouvons-nous accepter de voir notre influence réduite à ce point, au moment même où le traité d'Amsterdam veut transférer à l'Union des compétences de souveraineté aussi essentielles que, par exemple, la maîtrise de notre territoire ?

Certes, on me dira peut-être que le protocole N° 11 envisage aussi une repondération des voix au Conseil, dans le but avoué de donner une compensation aux grands États qui perdraient en même temps leur deuxième poste de commissaire.

Mais cette « repondération », dont on a beaucoup parlé lors des négociations de la Conférence Intergouvernementale, est une véritable illusion, pour trois
 raisons :

1) elle ne pourrait nous faire gagner que quelques points de droits de vote, ce qui ne modifierait pas radicalement la tendance générale à la réduction de notre poids dans l'Union, et lèverait donc pas nos objections à l'extension du vote à la majorité ;

2) elle aboutirait probablement à conférer à l'Allemagne un bonus supérieur au nôtre, quoiqu'en disent les diplomates qui ont eu cette idée. En effet, l'Allemagne dispose aujourd'hui de 10 voix au Conseil, comme la France, alors qu'elle compte 80 millions d'habitants. Croit-on que l'égalité des droits de vote entre les deux pays pourra être maintenue longtemps, une fois que l'on aura ouvert la boite de pandore ?

3) on oublie de dire que l'extension des votes à la majorité accorde en contrepartie un pouvoir accru au pays, ou au bloc de pays, qui dispose de la minorité de blocage. Aujourd'hui, cette minorité de blocage représente 26 voix sur 87. Dans une Europe à 26, si l'on extrapole, elle devrait représenter 39 voix sur 132.

Y aura-t-il demain, après l'élargissement, un bloc d'États qui disposera automatiquement de ce total de 39 voix ?

N'allons-nous pas donner le branle à une machine qui, demain, nous laminera ?

Questions redoutables, auxquelles j'aurais aimé que nos diplomates et nos gouvernements successifs réfléchissent un peu mieux, avant de présenter le traité d'Amsterdam à notre ratification.

Pour beaucoup d'entre nous, l'extension des votes à la majorité, auquel appelle indirectement l'amendement gouvernementale, ne résoudrait certains problèmes de l'élargissement que pour nous faire tomber dans d'autres écueils, bien plus dangereux.

C'est pourquoi j'estime qu'avant tout, il faut établir dans le traité :

- un principe de sauvegarde de chaque État, pour le cas où une majorité adverse voudrait contrarier ses intérêts vitaux.

- ce principe de sauvegarde, que le Général de Gaulle avait déjà défini, mais que la France a oublié dans les négociations d'Amsterdam, c'est le compromis de Luxembourg.

Il est impératif de :

- l'introduire en tête du traité, afin de rééquilibrer l'ensemble,
- et de préserver à terme notre souveraineté dans une Union en voie d'élargissement.

Mes chers collègues, le traité d'Amsterdam est un mauvais traité.

- Non pas pour la raison invoquée par les fédéralistes, selon lesquels il ne renforcerait pas suffisamment les institutions en vue de l'élargissement.

 Mais pour la raison inverse : il poursuit sur la lancée de la construction d'un super-État européen monolithique, qui est radicalement inadapté à la perspective de l'élargissement.

Si nous voulons réussir l'ouverture à l'Est, il faut au contraire modifier la conception ancienne de l'Europe, et passer à une conception :

- plus ouverte,
- plus différenciée,
- plus respectueuse des identités comme des libertés de choix des peuples. C'est pourquoi, le traité
d'Amsterdam est hors sujet.

Et dans ces conditions, je vous demande de bien vouloir décider qu'il n'y a pas lieu de délibérer, car avec le traité d'Amsterdam,

- nous changeons de régime,
- nous entrons dans la VIe République, la République :
 des commissaires de Bruxelles,
 des banquiers de Francfort,
 et des juges de Luxembourg.

Les historiens jugerons sévèrement cette folle tentative d'expérience post-nationale et post-démocratique.

Il sera dit qu'une minorité lucide n'a pas accepté de donner les pleins pouvoirs à :

- des commissaires,
- des juges,
- des banquiers.

- une minorité réfractaire au conformisme du moment.

- une minorité de représentants du peuple français qui n'acceptera jamais la liquidation et la dissolution de la France.