Interviews de M. Charles Pasqua, président du groupe RPR au Sénat, dans "Le Quotidien de Paris" le 16 mai, à TF1 le 1er juin, dans "Le Figaro" le 2 et à FR3 le 2 juin 1992, sur le débat parlementaire sur la révision constitutionnelle et son opposition au droit de vote des européens aux élections locales.

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Média : LE QUOTIDIEN DE PARIS - TF1 - Le Figaro - FR3

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Le Quotidien de Paris : 18 mai 1992

Le Quotidien : Quelle appréciation portez-vous sur le débat sur la révision constitutionnelle à l'Assemblée nationale ?

Charles Pasqua : Je me dis que j'ai bien de la chance d'être sénateur… Le débat de fond a eu lieu au Palais-Bourbon. Il a été naturellement passionné, mais il ne pouvait pas en être autrement. Je regrette un peu que la passion l'ait emporté, parce que, en ce qui me concerne, je crois que la construction européenne est la grande affaire du XXIe siècle. Et je souhaite que la France prenne dans ce domaine certaines initiatives.

Le Quotidien : Cela signifie-t-il que vous vous rangez dans le camp des partisans de Maastricht ?

Charles Pasqua : Il y a des choses qui me hérissent dans le traité de Maastricht, et c'est moins ce qui s'y trouve que ce qui y manque. L'Europe de Maastricht aurait pu se faire il y a dix ans quand Brejnev et Honecker étaient au pouvoir. Maastricht, c'est la ratification surannée d'une époque qui s'achève et non pas l'acte fondateur de celle qui vient.

Le Quotidien : N'est-ce pas une manière de taper en touche en renvoyant les avancées de la construction européenne aux calendes grecques ?

Charles Pasqua : Non, parce que si nous revenons au pouvoir l'année prochaine, nous prendrons nos responsabilités. Les arguments qui ont été avancés selon lesquels on ne pouvait pas élargir avant d'approfondir peuvent tous être retournés. Est-ce que la Grèce, l'Espagne et le Portugal étaient au même niveau de progrès économique que les autres pays de la CEE lorsqu'ils y sont entrés ? Quand on nous dit que l'on ne peut pas faire entrer dans la Communauté tous les pays de l'Est qui se sont libérés, c'est vrai. Il faudra du temps ; mais je crois à la nécessité totale de conclure un nouveau traité pour associer politiquement les anciennes démocraties populaires et les États nés du démembrement de l'URSS. L'Europe qui se construit sous nos yeux n'est pas celle de l'an 2000, mais celle d'avant 1914, avec des États qui ressuscitent et des nationalismes qui se réveillent. Si on n'est pas en mesure de leur dire, « nous appartenons à la même histoire, à la même civilisation, rejoignez-vous dans une organisation politique commune », alors ces peuples vont être désespérés.

Donc je regrette d'abord que le Président de la République ait laissé passer une chance historique.

Le Quotidien : Vous semblez regretter le caractère passionné du débat à l'Assemblée, pourquoi ?

Charles Pasqua : Non, je trouve normal qu'on se passionne ; mais je regrette que le débat prenne parfois l'allure d'une guerre de religion. On sait depuis longtemps que deux conceptions s'affrontent. Il y a d'un côté les tenants d'une Europe fédérale et de l'autre ceux qui croient à une Europe des États. Mais je constate que si on veut avoir une chance de faire l'Europe, on ne pourra la faire avec les États.

Le Quotidien : Et si on veut avoir une chance de faire l'union de l'opposition, c'est comme cela qu'il fallait s'y prendre.

Charles Pasqua : L'union de l'opposition, c'est un moyen. Ce n'est pas une fin en soi. Il est un peu dommage que nous n'ayons pas débattu entre nous de cette affaire auparavant. D'autant plus qu'on savait que c'était un piège qu'allait nous tendre Mitterrand. Nous avons adopté en 1989 une position commune sur l'Europe. Mais il y a eu deux innovations depuis : la transformation de la situation politique du continent européen et l'initiative prise par François Mitterrand avec le traité de Maastricht.

Le Quotidien : Vous parlez du piège Mitterrand, pourquoi avoir foncé dedans tête baissée ?

Charles Pasqua : Précisément, parce que l'on n'a pas débattu préalablement du problème. Nous l'avons mésestimé.

Le Quotidien : Comment faire maintenant pour recoller les morceaux ?

Charles Pasqua : L'opposition a donné un mauvais spectacle. Mais concernant les relations à l'intérieur de l'opposition, les dégâts sont minimes. Et il appartient maintenant à la majorité sénatoriale, plus solide et plus réelle au Sénat qu'à l'Assemblée (peut-être parce que nous avons plus de recul ici qu'au Palais-Bourbon), de déjouer le piège Mitterrand. Nous devons montrer que nous sommes une opposition sérieuse mais en même temps raisonnable.

L'idée de Mitterrand, c'est d'obtenir au Sénat un vote conforme à celui de l'Assemblée. Et c'est la raison pour laquelle le gouvernement a accepté des concessions de dernière minute.

Le Quotidien : Et vous êtes décidés à bloquer le processus ?

Charles Pasqua : La décision prise par la concertation de la majorité sénatoriale, mercredi dernier, a été de dire : « Nous amenderons le texte. Nous le ferons sans obstruction. » Mais il n'est pas question que dans une affaire de cette importance le Sénat se défausse et abandonne son droit d'amendement.

Je crois que pour les républicains indépendants, pour nous, une partie des sénateurs centristes, et probablement bien d'autres, il n'est pas question d'accorder le droit de vote aux étrangers autant la chose n'est pas déraisonnable en ce qui concerne le vote aux élections européennes, autant le droit de vote aux élections locales est inacceptable pour nous.

Je vous rappelle que la commission Marceau Long, constituée par notre gouvernement pour examiner la réforme du code de la nationalité, avait estimé à l'unanimité que, dans un pays comme le nôtre, compte tenu de notre histoire et de notre tradition, on ne peut pas accéder à la citoyenneté que par le biais de la nationalité.

Le Quotidien : N'est-ce pas un prétexte pour refuser, en fait, Maastricht sans le dire ?

Charles Pasqua : Non, la question est grave. Comme d'habitude, les socialistes tentent de résoudre un problème qui ne se pose pas et, ce faisant, ils en créent un qui n'existait pas.

Si l'on donne le droit de vote aux élections locales aux ressortissants de la Communauté, ce sera une ouverture dans laquelle d'autres s'engouffreront inévitablement. Les 3,5 millions de Maghrébins et d'Africains qui n'ont pas le droit de vote le demanderont. L'épicier marocain dont les enfants sont déjà en partie intégrés, réclamera ce que l'on accorderait par hypothèse à son voisin portugais. Et si on devait alors leur refuser ce droit, ils en déduiront que nous avons pris une mesure discriminatoire. Et donc, à terme, nous aurions un problème de conflit interethnique sur les bras.

Le Quotidien : Vous ne voterez donc pas cette disposition du texte ?

Charles Pasqua : Je crois que la commission des lois du Sénat amendera très probablement cet aspect du projet. Et que l'on ne vienne pas nous dire, comme Mitterrand, qu'aucun amendement au traité de Maastricht n'est acceptable. Les traités sont toujours renégociables et la France peut faire jouer une clause dérogatoire.

Le Quotidien : Si le gouvernement n'accepter pas cet amendement, y aura-t-il blocage du processus de ratification de Maastricht ?

Charles Pasqua : À ce moment, les choses seront claires. De deux choses l'une : ou bien M. Mitterrand considère qu'il s'agit d'une étape importante, et le traité peut être voté sans la clause sur le droit de vote. Ou bien il est seulement motivé par des raisons de politique intérieure, et il refusera d'utiliser le droit à la dérogation. Les Français sauront alors à quoi s'en tenir.

Ce n'est pas nous qui bloquerons le processus de ratification, mais la balle sera renvoyée dans son camp.

Le Quotidien : Y aura-t-il une majorité au Sénat pour nous suivre sur ce point ?

Charles Pasqua : J'imagine mal, compte tenu de la gravité de cette affaire, que des sénateurs, renouvelables en septembre, puissent se présenter devant le corps électoral en disant : « Nous avons pris la responsabilité de voter cette disposition », en sachant que les électeurs sénatoriaux sont majoritairement contre et que le corps électoral de droite y est également hostile ! On peut avoir le goût du suicide, mais seulement jusqu'à un certain point.

Le Quotidien : Cette réforme se fera-t-elle à votre rythme ou à celui du Président de la République ?

Charles Pasqua : Certainement à notre rythme. Mais à l'inverse de la situation de 1984, nous sommes décidés à ne pas faire d'obstruction.

Le Quotidien : Vous venez de parler de suicide. À ce sujet, comment avez-vous apprécié les figures récentes du RPR à l'Assemblée nationale ?

Charles Pasqua : Je les ai regrettées, mais je suis membre du RPR, et donc solidaire. Je souhaite un mouvement fort qui adopte des positions claires. Il serait trop facile de prendre le bon et de rejeter le mauvais. On est solidaire dans l'adversité comme dans les moments favorables.

Le Quotidien : Alors, que faire ?

Charles Pasqua : Il faut reprendre l'initiative et replacer le débat au niveau auquel il doit se situer. Il ne faut pas entrer dans la stratégie de M. Mitterrand. Nous devons dire, d'une part ce que nous, voulons faire, à l'avenir pour l'Europe – et pas seulement nous polariser sur cette affaire de Maastricht – et il s'agit, d'autre part de placer M. Mitterrand devant ses responsabilités. Le piège a été ouvert, il doit maintenant se reformer sur le Président de la République.

Quant au RPR, qui s'est bien fait plaisir, le moment est venu pour lui de prendre conscience de l'importance des problèmes et de ce que les Français attendent de l'opposition. Le RPR doit, par conséquent, se rassembler.

Le Quotidien : Pour cela, il faudrait que vous ayez une position claire sur Maastricht…

Charles Pasqua : Écoutez, Maastricht, ce n'est pas l'abomination de la désolation, et certainement pas non plus l'ouverture d'un nouveau paradis. J'observe d'ailleurs que si l'on a entendu un discours plein de verve et de haute tenue contre Maastricht, on n'a pas entendu de discours de même qualité de la part de partisans du traité…

Le Quotidien : Ne craignez-vous pas que la perspective de l'élection du président du Sénat en octobre prochain ne vienne influencer et perturber la discussion dans votre assemblée ?

Charles Pasqua : Je ne le crois pas. À propos de l'élection du président du Sénat, je rappelle qu'il s'agit d'un vote personnel, il est donc très difficile de dire à l'avance ce qui se passera. En tout cas, je considérerai comme tout à fait anormal qu'il y ait quelque campagne que ce soit avant le mois d'octobre prochain ; et, pour ma part, je ne m'y associerai pas. Le poste est pourvu, il est tenu. On n'a donc pas à se poser cette question. Par convenance et par courtoisie, il n'est pas bon d'ouvrir ce débat aujourd'hui.

Le Quotidien : Il est pourtant difficile de ne pas y penser dès maintenant. Comment allez-vous faire pour régler cette question ?

Charles Pasqua : Il serait souhaitable que, le moment venu, l'opposition imagine les procédures pour désigner en son sein le candidat le plus apte. Et il ne faut pas, en tout état de cause, que les socialistes soient en mesure de peser sur l'élection du président du Sénat.

Le Quotidien : Au plan de la politique intérieure, les dysfonctionnements de l'opposition semblent apporter de l'eau au moulin du gouvernement à un moment où le pouvoir paraît bénéficier d'une embellie. Est-ce bien raisonnable ?

Charles Pasqua : Il y a une embellie en termes d'image ; mais, sur le fond, les problèmes demeurent.

Le Quotidien : Vous ne redoutez pas Bérégovoy ?

Charles Pasqua : Je n'ai jamais vendu la peau de l'ours avant qu'il soit tué. Mais on voit mal ce qui pourrait changer en mieux en ce qui concerne les points essentiels qui touchent à la vie des Français…

Le Quotidien : La solution du problème du chômage de longue durée, ce n'est pas rien…

Charles Pasqua : Je ne voudrais pas être désagréable avec M. Bérégovoy. Mais si je répondais brutalement, je dirais qu'il a menti aux personnes qui sont dans la situation la plus difficile, c'est-à-dire aux chômeurs de longue durée.

Le gouvernement va simplement faire pour ces chômeurs ce qu'il a fait pour les jeunes en créant des « stages parkings », uniquement destinés à les sortir des statistiques officielles.

Le Quotidien : Vous niez que le nouveau Premier ministre soit un homme sérieux ?

Charles Pasqua : M. Bérégovoy fait sérieux. Enfin, il rassure un peu. Alors que le sérieux n'était pas la caractéristique principale de Mme Cresson. Bien qu'il appartienne au courant Fabius, Bérégovoy a tiré les enseignements de la méthode Rocard. Cela consiste à mettre au placard tous les problèmes urgents. Un des principaux dirigeants socialistes m'a d'ailleurs dit récemment qu'il n'avait pas compris pourquoi quand nous étions au gouvernement, nous avions été saisis d'une telle frénésie de réforme : « Si vous vouliez l'emporter, m'a-t-il dit, il ne fallait rien faire… »

Le Quotidien : Ne risquez-vous pas d'être confronté aux mêmes problèmes qu'en 1986, si vous devez assumer une nouvelle cohabitation en 1993 ?

Charles Pasqua : En 1986, M. Mitterrand était à deux ans du renouvellement de son mandat. En 1993, il sera à deux ans de son départ, car personne n'imagine sérieusement qu'il pourra postuler pour un troisième mandat. Quant à nous, je suppose que si nous décidions de cohabiter, parce que nous y serions obligés, nous n'irions pas dans les mêmes conditions que la dernière fois.

Le Quotidien : Vous dites « si ». Cela dépend de quel paramètre ?

Charles Pasqua : Cela dépend à la fois du président et du résultat des élections. On a eu ce débat en 1986, et je vois mal comment on pourrait refuser de gouverner après avoir gagné les élections. Mais les choses seront différentes parce que, en 1986, la majorité était trop courte pour nous permettre de créer un grand élan. En 1993, tout dépendra de l'ampleur de notre victoire.

Le Quotidien : Comment jugez-vous le plan Quilès sur le renforcement de la sécurité publique ?

Charles Pasqua : Les socialistes prennent conscience, avec beaucoup de retard de la réalité du problème. Mais ils n'ont pas les moyens d'y faire face. Le vrai problème est celui de la petite délinquance et de la prédélinquance. Or, les moyens dont dispose le ministère de l'intérieur sont insuffisants. Et on ne peut pas continuer à recruter des policiers. C'est la raison pour laquelle je propose la création d'une garde nationale. La sécurité doit être l'affaire de tous. J'ajouterai que chacun sait qu'à partir du moment où l'on recruterait des gens qui sont dans une situation d'instabilité ou vivent dans des secteurs difficiles, et que l'on leur confierait des responsabilités dans le domaine de la sécurité, ils feraient probablement d'excellents auxiliaires du maintien de l'ordre.

Le Quotidien : Comme ancien ministre de l'intérieur, mais aussi en tant que Corse, quelles réflexions vous inspire la tragédie de Bastia ?

Charles Pasqua : Il ne faut sûrement pas, à l'occasion de l'affaire de Furiani, faire le procès du football, qui demeure le sport le plus apprécié des Français. Il ne faut pas non plus faire le procès de la Corse. C'est arrivé en Corse, cela aurait pu se produire ailleurs. À partir du moment où l'on quitte le cadre du sport pour entrer dans celui du spectacle. Il faut que, dans le même temps, on applique des règles très strictes en matière de sécurité. Or, la catastrophe de Furiani, résulte d'un enchaînement d'irresponsabilité.

Le Quotidien : Vous qui avez été le patron des préfets, croyez-vous qu'un préfet peut dire à deux ministre : « Non, on ne peut pas jouer ce match ? »

Charles Pasqua : Ce n'est pas facile. Et je ne suis pas sûr que le préfet ait eu en sa possession tous les éléments d'information nécessaires. En ce qui me concerne, je n'ai pas pour habitude de jeter la pierre aux représentants du corps préfectoral, surtout quand ils se trouvent dans une situation difficile. J'ai beaucoup de respect pour ce corps, que j'ai demandé, et dont je connais le dévouement et la compétence.

Ce que je crois, c'est que le préfet a pu imaginer ce qui se serait passé dans les rues de Bastia, si d'aventure, il avait refusé l'organisation des matches en invoquant des raisons de sécurité. Dans un climat passionnel, il aurait certainement eu à faire face à des troubles. C'est ce qui peut expliquer son comportement. Pas l'excuser, car quand on représente l'État, on doit assumer ses responsabilités. On fait payer les lampistes.

Le Quotidien : La sanction vous paraît-elle trop sévère ?

Charles Pasqua : Les sanctions qui s'abattent me remettent en mémoire ce qui s'est passé dans l'affaire Habache… Je crois qu'il faut aller plus loin et mettre en cause toutes les responsabilités, y compris celles des officiels du football français. Parce qu'accepter de laisser se dérouler une demi-finale de la Coupe de France dans un stade dont on savait qu'il était inadapté, c'était également coupable.

Et le prix à payer – je pense aux morts, mais aussi à ceux qui en subiront les conséquences dans leur chair pour le respect de leurs jours – devrait nous inciter tous à réfléchir aux conditions dans lesquelles se déroule un certain nombre de manifestations sportives ou autres. Il faudra éduquer, moraliser, responsabiliser joueurs, dirigeants, spectateurs… Voilà une des leçons à tirer.

TF1 : 1er juin 1992

P. Poivre d'Arvor : Cette fois-ci les communistes sont avec vous.

C. Pasqua : Les communistes grâce auxquels le pouvoir socialiste est à l'état de survie. Puisqu'ils ont souvent menacé et sont rarement passés aux actes. Les communistes indiquent qu'ils vont voter la motion de censure, nous verrons bien. Ce qui est plus important encore que cela, c'est de voir enfin quels sont les gens qui sont dans l'opposition, et quels sont ceux qui n'en sont pas. Ceux qui ne voteraient pas la motion devraient être considérés comme n'étant plus dans l'opposition. Et dans ce cas, ils devraient s'attendre à avoir contre eux des candidats contre l'opposition.

P. Poivre d'Arvor : Pour la CSG, des centristes avaient fait défection.

C. Pasqua : On verra ce soir, les choses seront intéressantes à plus d'un titre.

P. Poivre d'Arvor : Maastricht. Vous êtes contre le droit de vote des communautaires, aux élections municipales.

C. Pasqua : Pour les élections nationales, il est normal que seuls les Français puissent voter.

P. Poivre d'Arvor : C'est une position que vous défendrez jusqu'au bout ?

C. Pasqua : Absolument, et pour des raisons à la fois liées à la constitution et pour d'autres. La nation française est basée sur un principe simple, la souveraineté nationale appartient au peuple, au singulier. Le Conseil constitutionnel a clairement indiqué qu'à partir du moment où des étrangers voteraient à des élections locales, ils participeraient à la formation de l'expression de la souveraineté nationale. J'ai une autre crainte, de ministre de l'intérieur, c'est qu'à partir du moment où nous aurons accordé le droit de vote aux ressortissants de la communauté, quelques soient les précautions qui seraient prises, il est bien évident que la communauté étrangère installée sur notre sol, et celle qui est la plus proche de nous : les africains et les maghrébins d'expression francophones demanderont le droit de vote. Et nous serons soumis à une pression qu'il sera très difficile de contenir. Les socialistes sont dans leur logique : ils souhaitent que tous les étrangers puissent voter. C'est donc normal que F. MITTERRAND ait fait inscrire cette disposition dans le traité de Maastricht, où elle ne figurait pas, et c'est normal que les socialistes soutiennent cette composition. Ce qui est plus étonnant, c'est de voir un certain nombre de responsables de l'opposition soutenir cette disposition, contraire à la constitution, et à l'intérêt national.

P. Poivre d'Arvor : Et vos convictions européennes ?

C. Pasqua : On ne peut pas les remettre en cause. Ce qu'on peut regretter dans Maastricht, c'est certaines choses qui y sont. Mais ce n'est ni l'abomination de la désolation ni le nouveau paradis. On peut regretter surtout ce qui n'y est pas. Parce que Maastricht, c'est un traité qui a été rédigé en ne tenant aucun compte des événements qui sont survenus depuis, et ne laissant passer une très grande chance. On aurait pu faire la grande Europe, on a choisi la petite. On aurait pu faire l'Europe de la générosité, de l'ouverture, on a choisi l'Europe de la frilosité, de l'égoïsme.

P. Poivre d'Arvor : Vous ne craignez pas, en disant cela, de diviser l'opposition.

C. Pasqua : Mon problème, c'est de dire ce que je pense.

P. Poivre d'Arvor : Vous pensez que vous allez attirer derrière vous une majorité de sénateurs ?

C. Pasqua : Je vais essayer d'être aussi convainquant que possible.

P. Poivre d'Arvor : Et en tous cas d'empêcher la majorité nécessaire au gouvernement ?

C. Pasqua : Ce n'est pas tellement mon problème. Ce qu'il faut, c'est que mes collègues sénateurs se rendent compte que comme cela arrive quelquefois nous siégeons en tant que constituants, et chacun doit donc se déterminer en son âme et conscience. Ce n'est pas un problème de majorité ou d'opposition, c'est un problème d'intérêt national. Que ceux qui le comprennent agissent en conséquence.


Le Figaro : 2 juin 1992

Le Figaro : Maintenez-vous votre amendement de suppression du droit de vote des ressortissants de la CEE aux élections municipales ?

Charles Pasqua : Le gouvernement a négocié un traité qui, par certaines de ses dispositions, est contraire à la Constitution. Le Président de la République a consulté le Conseil constitutionnel, qui a confirmé qu'en l'état le traité ne pouvait pas être soumis à ratification. Je note au passage que le Président de la République et le gouvernement auraient pu avoir une autre démarche négocier le traité, et avant de le signer, demander la modification de la Constitution par la voie parlementaire ou référendaire. Ils ne l'ont pas fait et sont donc aujourd'hui conduits à nous demander de modifier la Constitution pour que le traité de Maastricht puisse être ratifié.

La voie parlementaire ayant été choisie – ce dont le Sénat ne peut que se réjouir –, il convient de bien analyser les modifications proposées et voir leurs conséquences dans l'immédiat et à terme. La modification de l'article 3 de la Constitution, au travers du droit de vote, concerne directement la souveraineté nationale.

La question à laquelle se trouve confronté le Sénat ne consiste pas à savoir quels sont ceux qui sont pour ou contre l'Europe Nous sommes tous pour la poursuite de la construction européenne. Mais, dans l'exercice de son rôle de constituant, le Sénat dort définir, rappeler et préciser ce qui est conforme aux grands principes de la République.

Au groupe RPR, nous sommes favorables à l'exercice du droit de vote et à l'éligibilité des ressortissants européens aux électrons européennes Mais nous sommes défavorables à l'exercice de ce droit pour les élections municipales en France : cela constituerait une atteinte à l'article 3 de la Constitution, mais aussi à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, fondement de la République.

Nous serons donc amenés à déposer un amendement accordant le droit de vote aux ressortissants européens pour les élections européennes, mais pas pour les élections municipales.

Le Figaro : En commission des lois, les sénateurs RPR n'ont à aucun moment réclamé la suppression du droit de vote des Européens aux élections locales…

Charles Pasqua : Conformément à la mission qui leur avait été confiée, ils ont participé à l'étude de l'amendement proposé par le rapporteur sur le sujet. Ils n'ont pas voté contre les propositions du rapporteur par courtoisie, l'abstention nous permettant d'arrêter notre position pour la séance publique. Ce vote d'abstention ne saurait en aucun cas être interprète comme un accord ou une caution donnée aux résultats des travaux de la commission, dont j'ajouterai qu'ils ne peuvent pas satisfaire le rapporteur lui-même.

Le Figaro : Votre opposition au droit de vote des Européens aux municipales a-t-elle aussi un fondement politique ?

Charles Pasqua : Absolument. Quelles que soient les précautions prises dans la Constitution, cela ne saurait empêcher que désormais confrontés à ce droit accordé aux ressortissants européens en France, les Africains francophones résidant sur notre territoire ne viennent à exprimer la même revendication. Il est vrai que cela ne saurait gêner en rien les socialistes et le gouvernement, favorables au droit de vote accordé à tous les étrangers. Mais cela devrait plus sérieusement interpeller les parlementaires de l'opposition.

Le droit de vote ne figurait pas dans le projet de traité. Il a été ajouté à la demande expresse du gouvernement français. Il s'agit donc bien d'une opération de politique intérieure.

Le Figaro : Ne craignez-vous pas de diviser la majorité sénatoriale ?

Charles Pasqua : Elle ne peut pas se diviser, puisque tous nos groupes ont reconnu la liberté de vote à leurs membres. Chacun d'entre nous doit apprécier les conséquences et les risques de cette disposition en fonction de sa conscience et de ses convictions. Si certains ont les mêmes convictions que les socialistes, qu'ils votent avec eux !

Je n'ai pas choisi la voie de la facilité, ni celle de la tranquillité. Si l'on croit à un certain nombre de valeurs et d'idées, il faut être prêt, quelles qu'en soient les conséquences, à se battre pour elles. Pour moi, la politique ne saurait être l'art du compromis ou la compromission érigée en principe. Quant à être isolé, attendons de voir les résultats ! J'ai déjà précisé que j'étais favorable à la ratification du traité de Maastricht, mais pas en acceptant n'importe quoi.

En fait, le choix est entre deux altitudes, il y a ceux qui veulent plier notre Constitution pour la faire entrer dans les accords de Maastricht, et ceux qui veulent que ces accords deviennent conformes aux principes de notre Constitution, même si pour cela, il faut modifier telle ou telle disposition de ces accords. Le Parlement étant souverain dans ce débat, s'il vote une disposition qui ne convient pas au gouvernement, il appartiendra au gouvernement de s'y soumettre.

Le Figaro : Que ferez-vous si votre amendement est repoussé par vote ?

Charles Pasqua : Nous réunirons notre groupe et nous arrêterons la position à adopter dans la suite du débat.

Le Figaro : Que répondez-vous à ceux qui affirment que l'on ne peut pas être contre le droit de vote et pour la ratification ?

Charles Pasqua : Que c'est faux. Notre ambition n'est pas d'empêcher la révision constitutionnelle qui doit, en bonne logique, conduire à la ratification du traité de Maastricht. Notre ambition est de la rendre compatible avec les grands principes qui ont fondé la République. Je le répète, je suis contre le droit de vote des ressortissants européens aux élections municipales en France, car il est contraire à l'article 3 de la Constitution. Ceux qui sont pour le droit de vote des ressortissants européens devraient s'interroger, car cette décision est grave.


FR3 : 2 juin 1992

P. Amar : Pourquoi la consigne de vote n'a pas été suivie par tout le monde ?

C. Pasqua : Peut-être pour des raisons personnelles. Mais ce qu'il y a de certain c'est que quelles que soient les raisons pour lesquelles un certain nombre de nos amis, qu'ils soient RPR ou UDF, ne suivent pas les consignes de leur groupe, c'est difficilement acceptable. Il faut mettre un terme à l'équivoque.

P. Amar : R. Barre est toujours dans l'opposition ?

C. Pasqua : Demandez-lui. Mais je crois qu'il est beaucoup plus proche d'une entente avec F. Mitterrand que d'autre chose. Il faut que les choses soient claires aux yeux des Français. Je crois d'ailleurs que F. Mitterrand disait « l'opposition doit être totale ou elle n'est pas.

P. Amar : Vous êtes déçu de ne pas être suivi par toute l'opposition ?

C. Pasqua : L'important ça n'est pas d'être suivi ou pas. L'important c'est de dire ce que l'on croit et de faire ce que l'on pense. Un certain nombre de nos amis de l'opposition ne se rendent pas tout à fait compte de ce qui nous attend. Ce qui nous attend, c'est un abandon des principes fondamentaux de la République qui sont ceux qui ont permis la constitution de cette nation depuis deux siècles. Et, d'autre part, il est bien évident qu'à partir du moment où on aura ouvert cette brèche, quelles que soient les garanties supposées qu'on se donnerait, on aurait deux conséquences. La première : on s'en remettrait à la Cour de justice européenne pour des différends éventuels. Ce n'est pas le Conseil Constitutionnel qui jugerait. S'il y a un différend entre ressortissants de la communauté qui se trouveraient brimés par certaines dispositions de notre droit, c'est la Cour de justice européenne qui serait amenée à juger. Ce sont les fondements même de la République qui sont en cause. Sur ces fondements, on ne peut pas transiger. En ce qui me concerne, je ne transigerai pas. Mon groupe non plus.

P. Amar : Vous seriez prêt à abandonner la présidence du groupe RPR ?

C. Pasqua : Je ne suis pas du tout décidé à abandonner la présidence du groupe RPR pour le moment. J'ai dit à mes collègues qu'à la rentrée, il faudra me trouver un successeur à la présidence du groupe RPR du Sénat. Il y aura bientôt dix ans que j'occupe ce poste, il est normal de donner la place à un autre. Ça ne veut pas dire pour autant que j'ai l'intention de déserter le combat politique. D'autre part, il faut être conscient : on ne peut pas vouloir une chose et son contraire. Je suis un peu excédé par ceux qui disent « C. PASQUA veut être candidat à la présidence du Sénat, il veut être candidat à ceci, à cela. » Je ne roule pas pour moi. Je défends les idées auxquelles je crois. Je verrais bien le moment venu ce que je ferai. Je suis attaché au mouvement auquel j'appartiens. Je souhaite qu'il soit aussi fort que possible, qu'il s'exprime clairement et que nous perdions le moins de temps possible en discussions avec nos partenaires.

P. Amar : On défend mieux ses idées quand on est à la tête et pas dans le rang.

C. Pasqua : Je ne serais jamais dans le rang. Quel que soit le poste que j'occuperai, beaucoup de gens écouteront ce que je dis.

P. Amar : Vous allez vous présenter aux primaires de l'opposition ?

C. Pasqua : Je me présenterais aux primaires de l'opposition si les idées auxquelles je crois n'étaient pas représentées par quelqu'un.

P. Amar : Ce que vous faites sonne un peu comme un reproche à l'égard de J. Chirac.

C. Pasqua : Je ne fais de reproche à personne. Quand le moment du combat arrive, il faut sonner la charge pour que les gens se réveillent. En 85, c'est ce que j'ai fait. C'était à la veille de 86. Nous sommes en 92. En 93, il y a des élections législatives.

P. Amar : Votre livre de 85 était aussi une autocritique ?

C. Pasqua : Je ne me contente pas de critiquer les autres. Je me sens moi-même responsable. Je me sens donc, dans une certaine mesure, coupable. J'essaye de dire à mes collègues « réveillons-nous, parlons de l'essentiel, répondons à notre peuple sur les problèmes qui le concerne. » Que devons-nous faire pour la sécurité, l'éducation, pour lutter contre le chômage ? Je donne quelques idées et je crois que si on écoutait davantage notre peuple, il est plein de bon sens, on se porterait mieux.