Texte intégral
Monsieur le président du Sénat,
Monsieur le président Vallin,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames et messieurs,
Je voudrais tout d’abord, vous féliciter pour la superbe réussite de cette deuxième édition des rencontres nationales de l’économie mixte. Le nombre de participants et la qualité des intervenants montrent clairement que cette journée répond à un besoin d’échanges et d’informations pour les professionnels de l’économie mixte.
Je voudrais aussi vous remercier d’avoir bien voulu me solliciter pour clore cette journée de travaux. J’ai accepté très volontiers l’invitation du président Vallin. En effet, le thème de l’intervention économique des collectivités locales fait partie de mes préoccupations.
Dès ma prise de fonction, j’ai souhaité rencontrer toutes les associations d’élus. Parmi les thèmes récurrents abordés au cours de ces réunions, revenait la nécessité de clarifier et d’adapter les principes posés par les lois de décentralisation de 1982 et 1988.
Le régime des interventions économiques est, en effet, complexe, parfois inadapté aux besoins des entreprises et aux aspirations des collectivités locales, qui interviennent, parfois, en marge de la légalité.
À cet égard, un récent rapport de la Cour des comptes met en évidence l’écart qui s’est creusé entre le cadre législatif actuel de l’action économique des collectivités territoriales et les pratiques qu’elles mettent en œuvre.
Il faut dire que le régime en vigueur comporte différentes zones d’ombre que la jurisprudence n’a qu’imparfaitement clarifiées. Il en est ainsi de la distinction, inadaptée, chacun en convient, entre les aides directes et les aides indirectes.
À ces zones d’ombre, s’ajoute le fait que certaines dispositions sont aujourd’hui obsolètes ou en contradiction avec des dispositions intervenues postérieurement aux lois de 1982. On trouve ici le problème de zonages aujourd’hui dépassés.
Et puis, il nous faut nous mettre en conformité avec le droit communautaire. Il interdit, sauf exception, les aides faussant la concurrence et soumet les nouvelles aides à une procédure de notification. Or, aujourd’hui, toutes les aides n’ont pas été notifiées. De plus, pour obtenir un cofinancement des fonds structurels européens, les collectivités locales sont souvent amenées à mettre en place des aides directes fréquemment illégales.
Il faut rappeler que cela fait courir un double risque à la France :
- le premier risque est d’être condamné par la commission européenne pour aides illégales, car non notifiées ;
- le second serait de se priver des cofinancements communautaires du fait de l’impossibilité de mettre en place ou de valoriser des aides nationales. Or ces cofinancements sont, pour la France, une priorité.
Si l’on s’en tient au droit interne, la Cour des comptes a noté la multiplication des aides illégales, le non-respect des montants réglementaires et des ratios prudentiels, etc… Et cela, le plus souvent, du fait du caractère obscur des textes qui rend, de plus, difficile le contrôle de la légalité. En outre, ces interventions font courir un risque financier aux collectivités.
Dès lors, il me paraît pas utile de multiplier les arguments pour vous convaincre de la nécessité de revoir ce régime. Le gouvernement y travaille comme le Premier ministre l’a récemment confirmé. Un texte devrait être présenté au parlement le printemps prochain.
Mon objectif est de faire en sorte que les deniers publics dépensés dans le cadre des aides aux entreprises le soient de manière plus pertinente, pour le plus grand bénéfice de l’économie et donc de l’emploi.
Pour ce faire mon souhait est de simplifier le système, de le rendre plus lisible pour permettre aux élus d’intervenir sans crainte de franchir, sans le savoir, la ligne jaune.
Cette évolution permettra également de mieux définir le contrôle de la légalité. Les collectivités locales et l’État, je le sais, ont les mêmes préoccupations en la matière.
Pour y parvenir, il faut, me semble-t-il, supprimer les notions d’aides directes et d’aides indirectes et s’inscrire dans une double limite : celle des encadrements communautaires et une limite fixée par rapport aux capacités financières de la collectivité.
La deuxième piste de réforme consisterait à orienter les collectivités locales vers les interventions dite « inter médiées », c’est-à-dire par le biais de sociétés de capital-risque ou de sociétés de garantie. D’aucuns objecteront que cela est déjà permis, mais force est de constater que le succès de ces formules est très mitigé. Quelques mesures techniques permettraient de les rendre plus attractives et aboutiraient à des interventions globalement plus pertinentes.
Mais aborder le sujet des interventions économiques conduit immanquablement à s’intéresser aux sociétés d’économie mixte locales.
Les SEM représentent un instrument d’intervention économique privilégié pour les collectivités territoriales. Elles apportent, dans le respect du principe de liberté du commerce et de l’industrie, une contribution importante au développement local, en autorisant d’utiles synergies entre les projets et les moyens des collectivités locales et des entreprises privées.
Le régime juridique défini par la loi du 7 juillet 1983, aligné pour une part essentielle sur le droit des sociétés commerciales, et l’intervention croissante des collectivités dans le domaine économique, ont été à l’origine d’un véritable essor de l’économie mixte locale.
Les 1 400 sociétés et 55 000 emplois créés témoignent du succès incontestable de cette formule.
Ce succès ne peut cependant faire oublier que le recours à une SEM peut parfois faire courir des risques importants aux finances locales. Quelques expériences douloureuses nous le rappellent.
La gestion de ce type de risque suppose une responsabilisation de tous les acteurs de l’économie mixte. Elle exige aussi, et c’est bien le moins, la définition d’un cadre juridique précis de nature à permettre à tous les acteurs de l’économie mixte une claire appréhension des responsabilités de chacun. Or, il faut bien reconnaître que, sur différents points, le droit de l’économie mixte, tel qu’il résulte de la loi de 1983, présente certaines insuffisances auxquelles la jurisprudence, disons-le, parfois contradictoire, n’a pas pu porter remède.
Ce problème n’a pas échappé à votre fédération qui, dès le mois de septembre 1995, attirait l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de faire évoluer la loi de 1983.
Je vous annonce, sans plus tarder, que je suis favorable à un toilettage de cette loi. Et je pense qu’il est souhaitable de le faire dans le cadre du projet de loi sur les interventions économiques des collectivités locales que j’évoquais précédemment.
Que souhaitons-nous faire en la matière ?
Deux axes caractérisent actuellement ma réflexion qui s’enrichira de consultations complémentaires :
- il s’agit tout d’abord, de consacrer la place des SEM dans le développement local, en dotant les collectivités et ces sociétés de moyens nouveaux de nature à favoriser leur adaptation ;
- il s’agit, ensuite, de déterminer, dans un souci de protection des finances locales, condition de la pérennité de l’outil SEM, un régime de relations clarifiées et maîtrisées entre les collectivités et ces sociétés.
Là encore, nous retrouvons la volonté d’une meilleure lisibilité des textes afin de conforter, voire de rassurer, les élus, d’assurer le développement sain d’un secteur important de l’économie et de permettre un contrôle adapté et efficace.
Parmi les moyens nouveaux auxquels nous réfléchissons, se trouve l’autorisation, dans un cadre adapté à définir, des avances en comptes courants d’associés. Ces avances, libres pour tout actionnaire ordinaire, destinées à pourvoir aux besoins de trésorerie momentanés de toute société, sans procéder à une augmentation du capital, n’étaient pas permises par la loi de 1983.
Il ne faudrait cependant pas que cette faculté nouvelle permette de remettre en cause le principe du plafond de 80 % d’engagement maximum des collectivités locales. Sinon, on ne pourrait plus parler d’économie mixte !
L’encadrement devra donc concilier, d’une part, la logique de l’économie mixte et, d’autre part, la logique du financement des sociétés commerciales en distinguant les avances, des besoins en fonds propres.
En contrepartie des moyens d’intervention nouveaux, il apparaît indispensable de clarifier le régime juridique applicable aux relations contractuelles et financières entre les collectivités territoriales et les SEM.
Ces relations organisées par la loi de 1983, sont, par ailleurs, régies par d’autres textes, plus récents, et de portée générale, concernant l’administration contractante. On pense, bien sûr, à la loi Sapin.
Il n’est évidemment pas question de remettre en cause le bienfondé de cette loi. Il nous faudra cependant être attentif à ce que les dispositions que nous prenons soient bien compatibles avec ladite loi.
Là aussi, le travail de clarification s’impose. Nul doute que cela permettra de diminuer le nombre d’incidents mettant en cause la probité et l’honorabilité des décideurs, élus ou fonctionnaires, qui nuisent à la confiance du public dans ses représentants.
Compte tenu du caractère très technique du sujet, je ne sais si tout pourra être achevé d’ici le printemps prochain. Il faut, en tout état de cause, ouvrir la réflexion et commencer à donner des réponses.
Un autre volet important des relations contractuelles entre les collectivités et les SEM est celui des concessions d’aménagement passées sur le fondement du code de l’urbanisme.
Dans ce domaine, les collectivités concédantes sont amenées à supporter des risques financiers mal évalués. C’est incontestablement un danger pour les finances locales, même si ces opérateurs d’aménagement sont un moteur du développement local.
Il importe donc de définir un nouveau cadre juridique qui, permettrait une participation financière de la collectivité concédante, et la subordonnerait à une délibération de ladite collectivité. Cette délibération fixerait le montant total de l’apport ainsi que celui des tranches annuelles, sur la base d’un programme prévisionnel sincère et réaliste. Il faut aussi prévoir la possibilité, pour la collectivité, de réviser le montant de sa participation financière, selon une procédure assurant une réelle transparence.
La transparence doit aussi être le souci permanent dans la gestion des SEM. Ce n’est pas vous faire offense que de rappeler ici ce principe. Le législateur, en 1983, souhaitait que les élus disposent d’instruments pour contrôler la qualité du service rendu et surveiller la gestion des SEM.
Cela doit être réaffirmé. En ce sens, la proposition de la fédération nationale des SEM, relative à l’approbation formelle des comptes rendus financiers établis par la SEM, dans le cadre d’opérations d’aménagement ou immobilières, par l’assemblée délibérante de la collectivité contractante, pourrait être retenue.
Cette responsabilisation serait accompagnée de dispositions, en cours d’instruction avec le ministère de la justice, sur les fonctions et la rémunération des mandataires des collectivités dans les SEM. Leur statut doit être clarifié.
Il importe, à cet égard, de préciser les conditions d’exercice de la fonction de mandataire et de circonscrire les risques, au regard du code électoral, avec la sanction d’inéligibilité qu’il prévoit. Il faudra faire de même pour l’article 432-12 du code pénal qui réprime le délit de prise illégale d’intérêts.
Enfin, avant de conclure, je voudrais revenir sur le thème de votre table ronde : « SEM et/ou établissement local ». Constatant l’existence d’un écart trop important entre la régie et la SEM et compte tenu de la disparition de l’option association, les députés ont pris l’initiative d’une proposition de loi sur les établissements publics locaux. Le texte, voté par l’Assemblée nationale, a été transmis au Sénat.
Ma position sur le sujet est tout à fait ouverte. En tout état de cause, et pour reprendre le thème de votre table ronde, on doit s’orienter vers des SEM et des établissements publics locaux. Les deux notions ne s’opposent pas. Les deux instruments doivent répondre à des besoins différents et il n’est pas question de développer les uns au détriment des autres.
Ces établissements publics locaux doivent-ils avoir une vocation générale ou voir leur activité circonscrite aux domaines culturel et social ? Je laisse, à ce stade, la question ouverte. Vos travaux de cet après-midi me fournissent de précieux éléments de réflexion. L’accueil par le Sénat de la proposition de loi sera également suivi avec attention. Le parlement doit jouer tout son rôle.
En conclusion, s’il n’est pas tolérable que l’image de la chose publique soit ternie par des comportements individuels délictueux, il ne faut pas non plus que l’opacité, l’ambiguïté des règles et l’hétérogénéité de leurs conditions d’application, engendrent une certaine frilosité chez les décideurs, prêts parfois, par découragement, à succomber à la tentation de l’immobilisme, pour minimiser les risques qu’ils encourent dans la gestion publique.
Des emplois sont en jeu, et vous savez la bataille que le gouvernement a engagée contre le chômage.
C’est pourquoi je m’attacherai, en concertation avec la FNSEM et avec les associations d’élus, à clarifier le cadre des interventions économiques des collectivités locales. Après quoi, mesdames et messieurs, ce sera à vous de jouer.
Je vous remercie de votre attention.