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Une femme ministre
Frédérique Bredin, ministre de la Jeunesse et des Sports, trente-cinq ans, est la benjamine du gouvernement. À moins d'un mois des jeux d'Albertville, elle explique pourquoi les femmes vont se distinguer.
Marianne Lohse : Des exploits féminins récents tout à fait remarquables, 25 % de présélectionnées pour les jeux Olympiques : la femme serait-elle l'avenir du sport ?
Frédérique Bredin : À Albertville, nous avons des chances sérieuses du côté des femmes ! En ski, en patinage artistique, en patinage de vitesse. Je dirais même que beaucoup de nos espoirs sont concentrés sur elles ! C'est vrai, par ailleurs, que les disciplines sportives s'ouvrent de plus en plus, la lutte étant l'une dernières en date. Et que la vision des sportives de haut niveau a changé.
Marianne Lohse : En moins stéréotypé ?
Frédérique Bredin : Certainement ! L'image de la femme évolue, celle du sport de compétition aussi. Longtemps, on s'est étonné qu'une championne puisse être belle et féminine tant le sport était synonyme de virilité. Aujourd'hui, d'autres valeurs que la force prévalent dans nombre de disciplines : l'intelligence, l'imagination, le courage, l'endurance, la grâce… Mais soyons modestes, beaucoup reste à faire.
Marianne Lohse : Comment, justement, développer le sport féminin ?
Frédérique Bredin : Après l'école où la mixité est réelle, l'écart se creuse entre hommes et femmes. La pratique sportive est, pour l'essentiel, affaire de mentalité, d'aspirations, de mode de vie. J'ai pour ma part demandé – c'est la première fois – que le développement du sport féminin soit une des priorités des fédérations. Pour 1992, nous allons lancer une politique d'aide aux petits clubs, avec une attention spéciale aux initiatives en faveur des femmes. La troisième idée, c'est bien sûr d'encourager le sport féminin de haut niveau.
Prenez l'Insep, cette pépinière de talents, deux cent quinze filles sur six cent vingt-six élèves. Il donne une bonne photographie de ce que seront les champions de demain. Les conditions d'entraînements, de préparation, identiques pour les deux sexes, y sont exceptionnelles. Avec une double formation sportive et scolaire, des accords avec l'académie de Créteil permettant de poursuivre des études très diversifiées, jusqu'au bac et au-delà. La réinsertion des athlètes est en effet une préoccupation très forte. C'est pourquoi j'insiste beaucoup sur la formation initiale des jeunes filles. Quand une carrière sportive s'arrête, ce peut être très dur.
Marianne Lohse : Malgré la loi Avice qui fixe des quotas, la proportion des femmes dans les instances sportives reste faible et les postes rémunérés semblent encore plus difficilement accessibles que les postes d'élues. Les résistances masculines sont-elles donc si fortes ?
Frédérique Bredin : Disons qu'il y a une certaine lourdeur sociologique ! Il faut que l'encadrement sportif actuel fasse preuve de plus d'ouverture. Et que les femmes s'engagent davantage dans la vie fédérale, à la base, d'abord, pour ensuite gravir les échelons. C'est une implication nécessaire, comme en politique.
Marianne Lohse : On dit que l'argent a envahi le sport. Qu'en pensez-vous ?
Frédérique Bredin : Il y a une juste mesure, comme en tout. Un long travail de réflexion devrait déboucher sur une Charte de l'athlète, destinée à éviter certains dérapages, du reste exceptionnel. Le But ? Rappeler des droits qui sont importants mais aussi des devoirs. On doit par ailleurs, avant les Jeux, établir certaines règles avec les télévisions, principale source de financement.
Marianne Lohse : La lutte contre cet autre mal qu'est le dopage vous rend-elle optimiste ?
Frédérique Bredin : La France est en pointe dans ce domaine. Nous nous donnons beaucoup de mal pour accroître recherches et contrôles. Huit mille contrôles ont été réalisés en 1991 contre six mille cinq cents en 1990. Quarante-deux sportifs français ont été déclarés positifs. Dans l'ensemble, les femmes succombent moins que les hommes.
Marianne Lohse : Que pensez-vous des nouveaux tests de féminité qui seront utilisés à Albertville ?
Frédérique Bredin : Ils apportent plus de fiabilité, mettant en évidence le déterminant de la masculinité, le chromosome y, grâce aux techniques les plus modernes de la biologie moléculaire. Mais on touche là à des problèmes graves. Une anomalie génétique peut être révélée à une athlète qui l'ignore. Il y a toute une recherche à mener. Je souhaite donc en saisir le Comité national d'éthique.
Marianne Lohse : Dans une époque politique et économique difficile, le sport n'est-il pas, finalement, un des rares sujets de consensus ?
Frédérique Bredin : Ça a des vertus immenses, le sport, bien que ça ne soit pas une réponse à tout. Quelle merveilleuse école d'intégration sociale et raciale ! Il apprend la rigueur, la discipline, à gagner mais aussi à perdre. Et à rebondir !