Déclaration de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur les objectifs de la loi d'orientation agricole, les mesures pour l'installation des jeunes agriculteurs et les projet de réforme de la PAC de la Commission européenne, Niort le 14 septembre 1997.

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Circonstance : 44ème session du championnat de France de labour, Niort le 14 septembre 1997

Texte intégral

Monsieur le préfet,
Madame la président,
Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureux d’être parmi vous à l’occasion de cette 44e session du championnat de France de labour organisé par le CNJA.

Avant la proclamation des résultats et la remise des médailles qui aura lieu dans quelques instants, je voudrais d’abord dire bravo à tous les candidats et bravo bien sûr à ceux qui l’auront emporté dans cette compétition.

Cette manifestation est préparée par de nombreuses autres à l’échelon départemental et régional. Elle est l’occasion de mobiliser les jeunes de la profession. Elle leur permet de se retrouver dans le cadre d’une compétition amicale, et d’affirmer à travers elle leur identité, leur attachement à leur métier, leur savoir-faire, et le goût toujours affirmé par les agriculteurs du travail bien fait.

C’est aussi un beau symbole de la capacité de l’agriculture à faire vivre en même temps la tradition et la modernité. Le labour est en effet un acte essentiel de l’activité agricole depuis la nuit des temps, auquel est attaché une forte symbolique. Mais ce que nous avons vu aujourd’hui démontre également les progrès réalisés par l’homme pour faire de cet acte essentiel et traditionnel une technique moderne au service des objectifs des agriculteurs et respectueuse également de la terre qu’ils travaillent.

La participation du ministre de l'agriculture et de la pêche à votre concours de labour est toujours l’occasion d’évoquer avec les jeunes agriculteurs les grands dossiers du moment.

Je commencerai par répondre à la question que la présidente m’a posée sur le dispositif des pré-retraites. Le dispositif actuel arrive à échéance le 14 octobre prochain. Toutefois des moyens budgétaires nouveaux seront mis en place pour répondre aux situations des agriculteurs âgés en situation difficile. En outre, j’ai prévu dans le budget 1998 une mesure nouvelle bénéficiant de crédits importants, qui permettra de financer les aides à la transmission des exploitations aux jeunes désirant s’installer hors du cadre familial.

Je souhaiterai maintenant dire quelques mots d’un sujet sur lequel nous allons travailler dans les prochaines semaines avec les représentants du monde agricole, je veux parler de la loi d’orientation agricole.

Le Premier ministre a indiqué dans son discours d’orientation qu’une loi d’orientation agricole serait élaborée et soumise au Parlement aussi rapidement que possible. Nous allons nous atteler à cette tâche sans plus attendre.

J’ai d’ores et déjà adressé un premier document de réflexion aux responsables des organisations professionnelles pour engager cette concertation.

Cette loi d’orientation agricole représente à mes yeux un élément très important du travail que nous allons réaliser ensemble dans la période qui vient. Il s’agit en effet d’affirmer le projet et les objectifs que nous nous fixons pour l’agriculture française pour le prochain siècle. Il s’agit d’indiquer en particulier aux jeunes agriculteurs débutant dans la carrière tes orientations qui seront poursuivies par les pouvoirs publics, les règles du jeu qui seront établies, bref le cadre dans lequel ils vont vivre et travailler.

C’est également un acte politique essentiel d’affirmation de ce que veut la France, principal pays agricole de la communauté, vis-à-vis de ses partenaires. Et cela est d’une grande importance pour l’avenir des discussions que je serai amené à conduire à Bruxelles.

L’agriculture française a vécu, peut-être plus que d’autres secteurs encore, une phase de développement de transformation et de modernisation intense, au cours de ce qu’il est convenu d’appeler « les trente glorieuse », c’est-à-dire cette période de forte croissance de l’après-guerre. Les organisations agricoles ont accompagné ce développement, en faisant de la modernisation un de leurs thèmes d’action principal. Cela est vrai particulièrement du CNJA.

Les pouvoirs publics ont également mis en place le cadre législatif de cette modernisation au travers des grandes lois du début des années 1960.

Les résultats sont là, ils sont flatteurs puisqu’ils ont permis à la France de devenir la principale puissance agricole de l’Union européenne, et de figurer parmi les grands exportateurs mondiaux de produits agricoles et agro-alimentaires. La maîtrise des techniques les plus modernes par nos agriculteurs est reconnue de tous, et notre agriculture figure de ce point de vue aussi parmi les premières du monde.

Mais ces succès se sont accompagnés aussi de difficultés, de transformations profondes de modes de vie et des structures, vécues parfois difficilement. Les problèmes que nous devons affronter aujourd’hui sont de nature très différente de ceux qui étaient posés en 1960. Ils appellent des réponses nouvelles, la mise en œuvre de solutions renouvelées et adaptées aux nouveaux défis que les agriculteurs doivent relever.

Le risque d’abandon de parties très importantes de notre territoire, la concentration excessive des exploitations, les risques sanitaires, les difficultés d’adaptation de l’offre à la demande, sont autant de questions et de défis qui sont venus remplacer le besoin de modernisation des techniques agricoles qui constituait l’essentiel des préoccupations il y a un peu plus de trente ans. C’est à ces questions que la loi d’orientation que nous devons élaborer doit répondre.

À mes yeux cette future loi d’orientation devrait être bâtie autour des grands objectifs suivants :

    - Replacer le territoire au cœur de la politique agricole. Cela signifie que nous devons réfléchir à toutes les mesures que nous prenons en nous demandant si elles contribuent oui ou non à l’existence d’une agriculture vivante sur l’ensemble du territoire français.
    - Favoriser la diversité des modes de développement des exploitations. Il n’est pas possible d’exiger de tous les agriculteurs qu’ils suivent le même chemin, qu’ils adoptent le même modèle de développement de leur exploitation. On l’a trop fait par le passé, et en faisant cela, on a privé beaucoup d’entre eux de la possibilité de choisir un mode de développement qui soit plus en accord avec les spécificités locales, agronomiques et sociales de l’endroit dans lequel il travaille, ainsi que des aptitudes propres à chaque agriculteur. Cette diversité des situations et des choix doit être favorisé par tous les moyens.
    - La politique agricole doit également viser à restaurer les liens entre les agriculteurs et le produit qu’ils élaborent. C’est à ce prix que l’agriculteur pourra se réapproprier une partie plus importante de la plus-value des produits agricoles et agro-alimentaires.
    - Nous devons mettre en place les moyens d’un développement durable de l’agriculture. Cela suppose d’élaborer des techniques agricoles plus respectueuses de l’environnement aussi bien pour assurer les possibilités de développement pérenne des exploitations, que pour répondre aux préoccupations du reste de la société vis à vis de l’agriculture.
    - Enfin la loi d’orientation agricole doit permettre d’ouvrir le monde agricole sur la société. Cela veut dire permettre à des jeunes qui ne viennent pas du monde agricole de s’installer en agriculture. Cela signifie également trouver les moyens d’associer les représentants des autres secteurs de la vie économique et sociale à la vie des agriculteurs et des institutions du monde agricole.

Voilà, me semble-il, les sujets sur lesquels nous devrions travailler ensemble dans les semaines qui viennent.

Je souhaite maintenant m’attarder un moment sur le sujet de l’installation des jeunes agriculteurs et de la politique des structures.

Je prends acte Madame la présidente de la véritable croisade que vous conduisez en faveur de l’installation de jeunes agriculteurs. Vous pouvez être certaine que mes préoccupations rejoignent les vôtres dans ce domaine.

Nous constatons vous et moi que malgré les efforts déployés les objectifs ne sont pas encore atteints. Et nous devons ensemble nous demander quelles sont les raisons qui viennent contrarier nos ambitions communes.

En ce qui me concerne j’en vois au moins trois :
    - la première vient certainement à l’importance croissante des capitaux à mobiliser pour s’installer. Votre organisation s’est déjà largement exprimée sur ce thème et je ne vais pas m’y étendre ;
    - la seconde tient à la très grande difficulté rencontrée pour maintenir une politique des structures. Vous le savez plus de la moitié de la surface agricole utile est gérée sous forme sociétaire et de ce fait échappe au contrôle des structures.

Ce phénomène s’accompagne d’une course à l’agrandissement qui fait qu’aujourd’hui sur 1 000 hectares rétrocédés 600 le sont pour l’agrandissement et seulement moins de 200 pour l’installation. Il nous faut donc revoir les objectifs et les méthodes en matière de contrôle des structures. Je suis convaincu de la nécessité d’une politique des structures. Je sais aussi que si nous n’y prenons pas garde elle peut toujours être détournée de ses objectifs. C’est pourquoi, je pense que nous devons être très attentifs dans la discussion de la loi d’orientation agricole aux moyens que nous mettrons en œuvre pour assurer ce contrôle des structures.

Enfin je crois que nous avons à nous interroger sur les parcours qui conduisent à l’installation. Je sais à quel point vous avez attiré l’attention sur la nécessité d’ouvrir le métier d’agriculteur et d’agricultrice à des jeunes non issus du monde agricole.

Comme vous le savez le dispositif d’installation (élévation du niveau de formation, surface d’installation, dotation jeunes agriculteurs, prêts bonifiés) sont des dispositifs qui ont été conçus pour installer les jeunes issus du milieu agricole.

Ne pensez-vous pas qu’il soit nécessaire de réexaminer ces parcours d’installation dès lors que l’on estime nécessaire l’entrée dans le métier des jeunes qui ne sont pas issus de famille d’agriculteurs ?

Ne devons-nous pas inventer des processus plus progressifs, plus modulés, bref plus personnalisés pour favoriser davantage d’installation ? Vous savez à quel point le Gouvernement fait de l’emploi des jeunes sa priorité. Je souhaite en concertation avec vous faire converger cette double ambition qui nous anime : l’entrée des jeunes dans le métier d’agriculteurs et d’agricultrices et le développement de l’emploi de plus jeunes. Je crois qu’il y a matière dans ce domaine qui nous tient à cœur à dessiner une orientation véritablement novatrice.

Sur ces trois points la loi d’orientation, comme son nom l’indique, va nous permettre non pas d’amender un système en place mais d’inventer une nouvelle approche.

Un mot encore sur ce sujet, qui nous ramène plus à l’immédiat, je veux parler des moyens consacrés à la politique d’installation aujourd’hui et demain c’est-à-dire en 1998 par le ministère de l’agriculture et de la pêche. Je voudrais vous rassurer à ce sujet en vous disant que des moyens importants sont prévus dans ce budget, qui devraient répondre en grande partie à ce que vous attendez.

C’est à partir de ces objectifs de cette réflexion que nous devrons envisager les mesures que nous sommes amenés à prendre quotidiennement dans l’ensemble des domaines qui touchent à la vie agricole. Je sais Madame la président que vous partagez un certain nombre de ces préoccupations et que c’est le cas également de beaucoup des adhérentes et des adhérents du CNJA.

Je crois avoir compris notamment que votre organisation est prête à une réflexion et une discussion sur les modalités de répartition des aides publiques versées aux agriculteurs, pour aller dans le sens d’une plus grande équité mais aussi pour permettre le maintien d’une agriculture vivante sur tout le territoire. C’est à la lumière de cette réflexion commune que nous devons poursuivre la concertation engagée sur la modification du régime actuel de répartition des aides aux grandes cultures.

J’ai fait une proposition qui me semble aller dans le sens des objectifs que je viens de rappeler. Cette proposition n’est en aucun cas à prendre ou à laisser. Ce n’est pas ma méthode, ce n’est pas la méthode du Gouvernement. Le pouvoir exécutif est dans son rôle lorsqu’il fait des propositions qu’il soumet à la concertation de ses partenaires. La concertation doit ensuite se développer.

J’entendrai l’ensemble des partenaires, et quand je dis je les entendrai, ce n’est pas une clause de style. Cela veut dire que je suis disposé à prendre en compte leurs point de vues, leurs propositions, leurs amendements, leurs objections.

Il me semble qu’un accord doit pouvoir être trouvé sur ce sujet, que des aménagements de différentes natures sont possibles, qui permettront d’avancer dans le sens indiqué, et de répondre à l’attente de la majorité des agriculteurs telle qu’elle s’est exprimée notamment dans le cadre des congrès de votre organisation.

Nous avons d’ailleurs un rendez-vous très prochainement, mardi prochain, et nous pourrons à cette occasion poursuivre cette discussion et chercher ensemble les moyens d’avancer.

Le dernier sujet que je souhaitais évoquer avec vous c’est la réforme de la politique agricole commune envisagée par la commission.

C’est l’occasion pour moi de réaffirmer ce que j’ai dit il y a quelques jours devant le conseil national de la FNSEA.

La commission prétend, avec ce projet, régler deux séries de problèmes de nature différente. D’une part ceux qui sont liés aux négociations internationales entre l’Union européenne et ses partenaires, je veux parler des négociations dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce et de celles qui permettront l’élargissement de l’Union européenne. D’autre part, des problèmes internes que pourrait rencontrer la politique agricole commune faute de réforme à échéance de quelques années.

S’agissant de l’Organisation mondiale du commerce. La démarche de la commission consiste à dire : « rapprochons les prix communautaires des prix mondiaux et nous pourrons supprimer les restitutions, la protection aux frontières de l’Union européenne, bref la politique agricole commune. Ainsi, nous n’aurons plus de difficultés dans le prochain round de négociation de l’Organisation mondiale du commerce.

Je ne peux pas accepter cette démarche pour plusieurs raisons :
    - l’alimentation est un enjeu stratégique pour l’Europe. Elle doit maintenir les outils de la défense de ses intérêts dans ce domaine ;
    - La Commission elle-même se heurte aux limites de cette démarche. Si elle propose de rapprocher le prix intérieur des céréales communautaire du prix mondial, elle ne va pas aussi loin pour les autres produits. Cela pour des raisons évidentes, car il est impossible à un horizon prévisible de rapprocher le prix communautaire du lait ou de la viande des prix néo-zélandais, australiens ou autres. Alors, il faudra bien maintenir une protection aux frontières et des restitutions pour ces produits si nous voulons que l’agriculture européenne continue d’exister.

Sans faire ici l’inventaire de toutes les questions et objections que j’ai présentées à Bruxelles ou à Luxembourg, au sujet de ce projet, je rappellerai ici les principales.

S’agissant des grandes cultures, il me semble que la principale objection réside dans le traitement réservé aux oléagineux.

La commission propose pour échapper aux contraintes de « Blair house » d’aligner le régime d’aides aux oléagineux sur celui qui est consenti aux céréales.

Nous avons effectivement des chances d’échapper à toute contrainte de surfaces pour la production des oléagineux si cette orientation est retenue, puisque les agriculteurs arrêteront vraisemblablement de produire du colza ou du tournesol pour produire du blé qui leur assurera une meilleure rémunération. Cette politique n’est pas cohérente avec les intérêts de l’Union européenne, et je m’opposerai à sa mise en œuvre.

S’agissant du secteur de l’élevage, les réactions ont été dans l’ensemble très hostiles en France pour des raisons qui sont évidentes. La proposition présentée par la commission est extrêmement déséquilibrée en ce qui concerne la production de viande bovine. Elle encouragerait la production intensive issue du troupeau laitier et pénaliserait gravement la production extensive pratiquée dans le grand bassin allaitant français.

Les conséquences de ce projet apparaissent complètement opposées aux objectifs affirmés par ailleurs par l’Europe. Je veux parler des discours sur une agriculture occupant mieux le territoire et plus respectueuse de l’environnement, orientée sur des pratiques moins intensives de production de produits de plus grande qualité. Cette partie du projet doit donc être revue profondément.

J’ai déjà eu l’occasion d’indiquer à quel point je désapprouvais l’orientation proposée pour la production laitière. Il ne me paraît pas souhaitable d’ajouter aux quotas de production laitière des quotas de prime à la vache laitière. Sans opposer à l’orientation dogmatique de la commission consistant à aligner tous les secteurs sur le même régime un autre dogmatisme, je pense qu’il est nécessaire d’examiner des solutions alternatives, dans la continuité du travail de réflexion qui a été entrepris par les professionnels laitiers.

J’aurai l’occasion dans les prochaines semaines, comme je l’ai fait pour la loi d’orientation, de proposer aux organisations syndicales une méthode de concertation nous permettant de travailler efficacement. Nous avons devant nous une longue période de difficiles négociations, puisque les propositions de la commission ne seront pas applicables avant l’an 2000. Il faut la mettre à profit pour faire valoir notre point de vue, celui de la défense d’une agriculture vivante sur tout le territoire, productrice de produits de qualité, et au service des hommes.