Texte intégral
Le droit à la sécurité apparaît aujourd'hui au même titre que d'autres acquis sociaux fondamentaux comme un droit essentiel dans une société libre et démocratique.
Avec d'autres services de l'Etat, l'institution judiciaire a pour mission de satisfaire à cet objectif à travers l'exercice des fonctions préventives et, répressives qui sont les siennes.
Au cours des dix dernières années la justice a connu une évolution profonde de son activité pénale. Le besoin croissant de justice exprimé par la population et en son sein, par les personnes les plus exposées à l'insécurité, a conduit en effet l'ensemble des acteurs judiciaires à modifier leur mode d'intervention.
Cette mobilisation importante de la justice s'est trouvée renforcée durant les deux années écoulées. Elle s'inscrit aujourd'hui dans le cadre d'une démarche global ! du Gouvernement, qui a mis en place une véritable méthode de travail destinée à faire reculer l'unité et son corollaire le sentiment de vulnérabilité ressenti par nos concitoyens dans certaines situations.
Mais avant de nous pencher sur cette méthode, il nous faut constater l'état de la situation connue par le pays.
Sur l'ensemble du territoire le nombre des crimes et délits a connu une très légère hausse en 1998, de 2,06 % Ce qui à juste titre, inquiète le plus est la part prise dans la délinquance générale par la délinquance des mineurs. La part des mineurs en cause a cru en effet dans des proportions importantes (+ 11,23 % par apport à 1997) qui sont rapprocher de la baisse du nombre des majeurs mis en cause (- 4 %).
Il est donc indéniable que la délinquance des mineurs augmente et que celle-ci devient plus violente. Beaucoup d'observateurs soulignent également un rajeunissement des auteurs d'infractions.
Cette délinquance est souvent une délinquance d'appropriation : ce qu'atteste par exemple le nombre de vols avec violence enregistré par les services de police et de gendarmerie. Mais cette insécurité se nourrit également d'une série de faits classés souvent dans la rubrique des incivilités.
Par ailleurs des phénomènes d'économies souterraines alimentées par des petits trafics viennent renforcer l'effet de " ghettoïsation " connu par certains quartiers.
Force est donc de constater que l'insécurité frappe le plus souvent des zones urbaines déjà touchées par d'autres fléaux sociaux, au premier rang desquels viennent le chômage et la précarité tous éléments qui remettent assez radicalement en cause les mécanismes d'intégration sociale à commencer par les mécanismes éducatifs. L'entrée dans la vie active est rendue plus difficile particulièrement pour les mineurs sans qualification ou d'origine étrangère victimes de discriminations injustifiables à l'embauche.
Il en résulte un sentiment de double injustice au sein de la population concernée qui ressent parfois le sentiment d'être abandonné des pouvoirs publics.
La sécurité est aussi l'affaire de la justice
Ce constat est connu et de récentes manifestations de violences urbaines sont venues nous rappeler l'urgence qui s'attache à trouver des solutions adaptées afin dans le respect des libertés et des droits de chacun, d'assurer le maintien de l'ordre et la présentation de la sécurité que sont en droit d'attendre nos concitoyens.
La justice se trouve aujourd'hui confrontée à un défi : elle doit non seulement réprimer les atteintes les plus graves à l'ordre social mais aussi prendre en compte un climat nourri de comportements qui ne tombent pas tous sous le coup de la loi pénale. Elle doit traiter à la fois l'insécurité et le sentiment plus diffus que celle-ci génère au sein de la population.
Aussi dans le droit fil de la déclaration de politique générale du Premier Ministre du 18 juin 1997, le Ministère de la Justice a fait au droit à la sécurité une priorité.
Cette priorité se décline de la façon suivante :
La première orientation tend à privilégier une approche territorialisée et partenariale du traitement de la délinquance.
A cet égard les parquets tiennent une place prépondérante dans les politiques locales de sécurité mises en oeuvre.
Ainsi, depuis le colloque de Villepinte d'octobre 1997, les procureurs de la République se sont engagés, au côté des préfets, des élus et des autres partenaires, concernés dans la signature des contrats locaux, de sécurité.
Mesures de réparation pour les mineurs délinquants, meilleure prise en compte des victimes d'infractions pénales, exploitation par la justice des mains courantes des commissariats de police participation à différents dispositifs de prévention, les exemples de mesures concrètes arrêtées au plan local dans le cadre contractuel dessiné par le Gouvernement manquent pas.
210 contrats locaux de sécurité ont été signés à ce jour et 450 sont en cours d'élaboration. L'Etat se doit d'exercer un rôle de suivi et d'évaluation de ces dispositifs ; il a été instauré à cet effet une cellule interministérielle d'animation et de suivi dei contrats locaux de sécurité.
Cette ouverture de la justice.et la place déterminante désormais prise par les procureurs de la République dans les politiques de sécurité publique peuvent également être illustrées par le fonctionnement souvent exemplaire des groupes locaux de traitement de la délinquance. Réunissant, sous l'autorité d'un magistrat du parquet, les différents acteurs d'un quartier déterminé (services de police, responsables scolaires, bailleurs sociaux...) ; ces groupes locaux s'attachent à déterminer-et mettre en oeuvre des solutions concrètes afin d'améliorer la vie au quotidien de habitants du secteur considéré.
C'est donc avec pragmatisme que les magistrats se sont engagés dans cette politique globale de sécurité publique. Les parquets, qui sont les premiers à intervenir, sont animés, par une double préoccupation. Ils doivent tout d'abord tenir avec efficacité la place qui leur revient, en veillant à assurer pleinement le rôle de garant de l'application de la loi et de protecteur des libertés individuelles qui est le leur.
Ils doivent aussi. Et ce n'est pas toujours chose facile faire entendre la spécificité inhérente à l'action judiciaire. L'indépendance des juges du siège l'opportunité des pour suites confiée aux magistrats du parquet, le nécessaire secret entourant les enquêtes judiciaires constituent autant de principes essentiels qui ne sauraient être oubliés dans la conduite de ces actions partenariales.
Une concertation étroite entre les autorités administratives et judiciaires constitue donc le gage d'une action cohérente et efficace dans le domaine de la sécurité.
Ainsi, j'ai dernièrement rappelé dans une circulaire du 23 décembre 1998 relative aux violences urbaines la nécessité, lorsqu'une crise apparaît imminente, de réunir une cellule d'urgence afin de coordonner au mieux l'exercice des missions de police administrative et de police judiciaire.
Une justice plus proche de la population
La seconde orientation retenue par le Gouvernement réside dans la proximité de l'action.
Les récentes rencontres organisées à Montpellier sur la prévention ont plus que jamais démontré toute l'importance qui s'attache à réunir dans les actions entreprises les personnes et les associations. Dans la ville, dans le quartier, dans la cité, la justice doit travailler au plus près des gens. Elle doit le faire pour détecter et traiter de façon précoces les signes précurseurs de la délinquance. Il ne s'agit pas ici de se contenter de mots. Pour être crédible la justice se doit de disposer d'une connaissance approfondie des réalités du terrain. A cet égard, on peut observer une évolution considérable dans les pratiques professionnelles des magistrats qui sont de plus en plus souvent conduits dans l'exercice de l'action publique, à faire oeuvre pédagogique en expliquant le sens de leurs décisions.
Cette proximité de l'action a inspiré la création des maisons de justice et du droit, qui ont vu leur existence consacrée par la loi du 18 décembre 1998 sur l'accès au droit.
29 maisons de justice fonctionnent aujourd'hui, et bien d'autres sont actuellement en cours de création. Des rappels à la loi, des médiations, des consultations juridiques y sont assurés, de même que de véritables audiences tenues par les juges des enfants.
La nouvelle législation sur l'accès au droit prévoit également d'autres mesures destinées notamment à favoriser le règlement amiable des conflits et prendre en compte les besoins des personnes en situation de grande précarité. Le nouveau souffle donné aux conseils départementaux de raide juridique devrait contribuer à la réalisation de ces objectifs.
Dans le même esprit, les parquets redoublent d'efforts pour prendre en considération la violence et l'insécurité qui affectent aujourd'hui les transports en commun ou le milieu scolaire.
Des conventions destinées à améliorer les conditions de signalement des infractions et à mieux informer les victimes des suites réservées à leurs plaintes ont été conclues tant avec les inspections d'académie pour ce qui concerne les violences en milieu scolaire qu'avec les sociétés de transport collectif de voyageurs. J'ai adressé à ce sujet aux procureurs généraux : et procureurs de la République des instructions très précises en ce sens par deux circulaires du 8 janvier et du 2 octobre 1998.
Ces nombreuses initiatives produisent d'ores et déjà des résultats. Certes il convient de rester réaliste et de ne pas attendre d'elles d'effets miracles immédiats. La lutte contre l'insécurité est un combat quotidien qui ne se gagne que par des avancées progressives : C'est donc par étapes successives que le Gouvernement s'attaque aux différents phénomènes de délinquance connus par notre société en ayant toujours le souci de procéder à l'évaluation des mesures décidées.
Ne plus opposer prévention et répression, éducation et sanction
Le Conseil de Sécurité intérieur qui a déjà à plusieurs reprises - notamment le 8 juin 1998 et le 27 janvier 1999 - les ministres concernés par la sécurité sous l'autorité du Premier ministre a pour objet de coordonner au mieux l'action des différents départements ministériels concernés par la sécurité ministérielle concernés par la sécurité.
C'est la délinquance des mineurs qui a jusqu'alors retenu le plus l'attention du Conseil de Sécurité Intérieure, tant l'enjeu qui s'attache à ce phénomène paraît important pour l'avenir de la société.
Il est nécessaire pour appréhender la délinquance juvénile de se garder de toute solution simpliste de tout amalgame. Il faut en effet éviter de stigmatiser les forces vives de notre pays, en les désignant comme responsables, au plan de la sécurité, de toutes les difficultés rencontrées.
Pour répondre à. cette délinquance juvénile, nous disposons d'un texte, l'ordonnance du 2 février 1945. Ce texte, contrairement à ce qui a pu être dit ici ou là, offre aux magistrats des moyens d'action. Il n'érige nullement un principe d'irresponsabilité pénale du mineur.
Je pense qu'il est temps aujourd'hui de ne plus se laisser enfermer dans des clivages dépassés et de ne plus opposer la prévention et la répression, l'éducation et la sanction.
La réponse judiciaire apportée aux mineurs délinquants doit obéir à différentes caractéristiques, que j'ai eu l'occasion de présenter dans une circulaire de politique pénale adressée aux magistrats le 15 juillet 1998. Cette réponse doit être rapide, adaptée et surtout systématique : La modernisation du fonctionnement des parquets, qui ont maintenant recours au traitement en temps réel des procédures pénales, permet d'atteindre ces trois objectifs.
L'adaptation à la systématisation de la réponse suppose bien sûr des moyens et des méthodes nouvelles, que les parquets ont pu notamment trouver dans le recrutement de délégués du procureur. Ces collaborateurs issus de la société civile assistent le parquet et réalisent sur mandat de celui-ci des mesures de rappel à la loi et des classements sous condition. Ce recours aux délégués du procureur constitue sans nul doute une avancée dans l'ouverture de la justice sur la société civile ; il permet surtout de limiter le nombre des classements sans suite, qui sont-préjudiciables au mineur lui-même en ce qu'ils ne font que renforcer une impression d'impunité favorisant la récidive.
Mais l'effort le plus important doit surtout aller vers la prise en charge des mineurs les plus difficiles ceux qui sont multi-réitérants ou multirécidivistes : A cet égard le Conseil de Sécurité Intérieure du 27 janvier 1999 a décidé d'une mobilisation de moyens sans précédent qui vont permettre d'améliorer de façon considérable l'accueil de ces mineurs dans des structures adaptées telles des centres de placement immédiat. Le recrutement d'éducateurs de la Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse viendra également renforcer l'encadrement de ces jeunes.
La sécurité nous concerne tous
La justice fait donc évoluer ses méthodes d'intervention pour répondre aux besoins de sécurité. Elle ne saurait justice agir seule ni être perçue comme le seul et unique recours dans des situations très dégradées. Il est commun de dire que la sécurité est l'affaire de tous. Mais il s'agit là d'une évidence parfois perdue de vue par ceux qui attendent trop d'une institution judiciaire qui ne peut avoir réponse à tout. La judiciarisation excessive de certains phénomènes relevant de la compétence d'autres acteurs sociaux notamment doit être évitée sous peine de voir l'intervention judiciaire banalisée et partant, dévalorisée.
La restauration de l'autorité des parents sur leurs enfants, illustre bien cette difficulté : si la justice doit dans les cas les plus extrêmes intervenir notamment par l'exercice de poursuites pénales à rencontre des parents défaillants, elle ne peut le faire que si l'ensemble des dispositifs sociaux et éducatifs ont été préalablement activés.
Il faut en outre responsabiliser tous les acteurs. La concertation, quand elle a lieu donne de bons résultats. Pour 110 000 mesures d'assistance éducative prises par les services de l'Etat en 1998, il n'y a eu que 8 000 mesures administratives par les conseils généraux.
Avec l'association des présidents de conseils généraux nous travaillons à identifier ce qui marche et ce qui ne marche pas.
Il faut améliorer la coordination des services concernés en vue de renforcer leur action. Ce n'est pas facile, car nos services déconcentrés ont perdu l'habitude d'aller dans certains quartiers.
L'action que le Gouvernement conduit en matière de sécurité depuis bientôt deux ans devra faire l'objet d'une évaluation précise.
Je souhaite que le fruit des efforts engagés par l'institution judiciaire se traduise non seulement dans les statistiques mais aussi dans le regard que portent nos concitoyens sur la capacité de l'Etat à répondre à leurs attentes.
Il est à cet égard indispensable que l'ensemble des acteurs de l'Etat fasse la preuve de leur efficacité en réunissant leurs efforts pour tendre à cet objectif commun qu'est le respect du droit à la sécurité. Cet objet passe, j'ai voulu le démontrer ces quelques lignes par l'harmonisation des pratiques de toutes les personnes concernées à un titre ou un autre par la délinquance. Il passe aussi nécessairement par la solidarité et la cohérence des propos tenus· par les agents publics investis d'une mission de sécurité.