Texte intégral
Parfois, de « bons esprits » font semblant de ne pas savoir à quoi sert le Sénat. La réforme de l'audiovisuel, qui vient d'être déposée, leur apporte une éclatante démonstration de son utilité. D'autant plus que le Sénat, grâce à Jean Cluzel, à Jack Ralite, à Adrien Gouteyron, à Claude Estier, à Danielle Pourtaud, à Jean-Paul Hugot, à Claude Belot, à André Diligent, à Michel Pélchat, à Ivan Renar, et à bien d'autres qui me pardonneront de ne pas tous les citer, a depuis longtemps démontré son autorité et sa compétence sur ces sujets.
Madame Trautmann, femme courageuse, qu'on a sans doute injustement critiquée pour des choix désastreux qui, « on le sait », n'étaient pas les siens, a présenté, à l'automne, après des mois de tergiversations, un projet de loi. Les sénateurs ont commencé à en délibérer de manière informelle, et j'ai réuni, le 3 décembre dernier, une table ronde afin que le Sénat, conformément à sa vocation, puisse engager, suffisamment en amont, sa réflexion et écouter les avis des professionnels. Ceux-ci se sont exprimés et, en conclusion, j'ai rappelé au gouvernement quelques conseils de base et les positions constantes du Sénat.
Que disions-nous ? Que nous approuvions le principe, réclamé depuis toujours par le Sénat, et notamment par Jean Cluzel, d'une limitation de la publicité à la condition qu'elle ne soit pas brutale et déstabilisante. Que contient le projet ? Une réduction de la publicité limitée à 8 minutes au lieu de 5, et effectuée par étapes.
Que disions-nous ? Que nous voulions un service public fort et indépendant. Le projet nouveau fait un pas pour remédier au sous-financement chronique de la télévision publique et semble renoncer aux modes de nomination suspects initialement envisagés.
La majorité sénatoriale avait déposé une proposition de loi pour parachever la fusion de France Télévision. La fusion est inscrite dans le projet, certes sous la forme d'un holding, dont le coût risque de peser sur les programmes.
Que disions-nous ? Que les finances de l'audiovisuel ne devaient pas dépendre de Bercy. Depuis toujours, le Sénat avait réclamé une mesure simple : le remboursement des exonérations de redevance, ressources plus sûres que les crédits budgétaires. Là encore, comme pour les collectivités locales, l'Etat est généreux avec l'argent des autres. Je constate que madame Trautmann vient de prendre cet engagement. Pourvu que Bercy ne reprenne pas d'une main ce qu'il a cédé de l'autre ! Le Sénat sera vigilant.
Que disions-nous ? Que le projet de loi devait traiter à la fois du public et du privé. C'est enfin la voie choisie, même si certains choix sont contestables.
Que suggérions-nous ? Que la collectivité fixe des exigences qualitatives. Le projet nous laisse sur notre faim. Mais madame Trautmann, dans sa récente conférence de presse, a dit vouloir associer les téléspectateurs et mettre en place des indicateurs qualitatifs. Là encore, le Sénat veillera au respect des engagements.
Qu'ai je réclamé ? « Donner un cadre juridique à la télévision numérique, adapter la réglementation au satellite qui évolue dans une zone de non-droit sans contrepartie culturelle, penser l'avenir des télévisions locales, organiser la fluidité des droits. » Le projet de loi nouveau calque la réglementation du satellite sur celle du câble et organise la fluidité des droits dans les termes mêmes votés précédemment par le Sénat.
Que disions-nous ? Qu'il était absurde, après avoir organisé un effet d'aubaine en faveur du secteur privé, « d'inventer des taxes compliquées pour récupérer des cadeaux involontaires (involontaires, vraiment ?) ». Le projet nouveau renonce heureusement et à l'un et à l'autre.
Naturellement, ces avancées substantielles ne règlent pas tout, loin de là, et le texte présenté est loin d'être parfait. Le Sénat aura bientôt – enfin, on ne sait jamais ! – la possibilité d'étudier ce texte, qui aurait dû, compte tenu de son expertise, être déposé en première lecture sur son bureau, et de l'améliorer. Mais je ne peux m'empêcher, à la lecture du projet, de faire remarquer, un peu cruellement, mais avec tristesse, que si le gouvernement, au lieu de faire diversion en s'attaquant au Sénat, l'écoutait davantage, l'audiovisuel français, les producteurs, les diffuseurs, les téléspectateurs, n'auraient pas perdu deux ans ! CQFD.