Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, dans "Le Monde" du 25 septembre et à Europe 1 le 6 octobre 1997, sur son projet de loi sur l'immigration et sur le processus de régularisation des sans-papiers.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Europe 1 - Le Monde

Texte intégral

Le Monde : 25 septembre 1997

Le Monde : L’ambition du gouvernement est d’aboutir à un consensus politique sur l’immigration. Or M. Weil, qui a inspiré votre projet de loi, a été bousculé par l’opposition lors de son audition par la commission des lois de l’Assemblée, tandis que les protestations se multiplient à gauche. Cela ne semble-t-il pas mal augurer de la suite ?

J.-P. Chevènement : Il faut sortir les immigrés en situation régulière de la situation d’otages d’un débat gauche-droite mal posé dont ils sont prisonniers depuis une quinzaine d’années. Il faut en finir avec les amalgames et les surenchères polémiques qui dissimulent souvent un consensus implicite entre la droite et la gauche républicaines : aucun parti représenté à l’Assemblée nationale ne s’oppose à la maîtrise des flux migratoires. Tous se disent attachés au rayonnement international de la France et à sa nécessaire ouverture au monde. Nul ne conteste la nécessité de stabiliser, voire d’intégrer, les immigrés durablement établis sur notre sol. Et personne ne préconise de priver les étrangers des garanties de l’État de droit.

Nicole Catala, que par ailleurs j’estime, a tort de reprocher à Patrick Weil de ne pas défendre l’intérêt national. Celui-ci nous commande aussi de conserver des relations dignes avec les pays francophones. Quant à ceux qui prônent l’ouverture incontrôlée des frontières, il y a parmi eux, en dehors de quelques hypocrites, beaucoup de gens sincères mais mal informés. Je suis attaché autant que quiconque au respect scrupuleux des droits des étrangers.
En France, un étranger en situation régulière bénéficie du même droit au travail et des mêmes droits sociaux qu’un Français. Ce n’est pas acquis partout ! Mais pour que ces droits puissent être garantis, encore faut-il pouvoir distinguer entre étrangers en situation régulière et irrégulière. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Comme l’a rappelé le Premier ministre, le gouvernement de la République est comptable, dans la durée, des équilibres sociaux et politiques du pays. Certains évoquent une « logique de suspicion ». Mais quand vous prenez le train, vous vous exposez au contrôleur de la SNCF ! Tout règlement implique contrôle.

Le Monde : Vous dénoncez les amalgames, mais trouvez-vous normal que le ministre chargé de la police traite aussi de l’essentiel du dossier de l’immigration ?

J.-P. Chevènement : Le ministre de l’Intérieur n’a pas seulement en charge la sécurité mais aussi l’administration territoriale du pays ainsi que les collectivités locales. C’est par excellence le ministère de l’intégration républicaine. N’oubliez pas que le projet de loi sur l’entrée et le séjour de étrangers ne reprend qu’une vingtaine des cent trente propositions contenues dans le rapport Weil. Les autres seront mises en œuvre par voie réglementaire par les ministères des Affaires étrangères, de la Solidarité, de la Justice, de l’Éducation nationale ou de l’Économie et, bien sûr, de l’Intérieur. Deux instances interministérielles sont chargées de suivre, l’une l’application de ces mesures, l’autre la mise en œuvre d’une politique d’aide au co-développement, notamment pour la formation, le soutien aux projets et l’ouverture de notre coopération à certains diplômés étrangers.

Le Monde : Si les oppositions à votre projet se conjuguent, ne craignez-vous pas d’être amené à reculer comme Jean-Louis Debré ?

J.-P. Chevènement : Une politique bâtie sur des slogans conduit souvent dans la rigole. Vous vous souvenez peut-être du projet « grand service public laïc unifié de l’éducation nationale » (Gspulen) de 1984, autrement dit de nationalisation des établissements privés d’enseignement. Le naufrage aurait pu être irréparable si nous ne nous étions pas efforcés ensuite de relever l’école de la République en la rappelant à ses missions fondamentales. Mieux vaut définir au départ des objectifs raisonnables et accessibles. Partons des réalités plutôt que d’agiter le chiffon rouge. Nous éviterons ainsi les impasses.

Le Monde : Pour autant, estimez-vous le projet bouclé ou peut-il être amendé avant l’examen parlementaire ?

J.-P. Chevènement : Sur le certificat d’hébergement, le Premier ministre n’a pas fermé le débat. Cette mesure a été déviée de son objectif initial. Elle avait été conçue en 1982 pour permettre à des étrangers aux revenus modestes d’obtenir plus facilement un visa. Elle est devenue un outil de contrôle de l’immigration entre les mains des maires plus ou moins bien inspirés. Certains les accordent très facilement, d’autres les refusent par principe. Quels que soient les perfectionnements possibles, je crains que cette discrimination demeure si ces certificats sont maintenus. J’ajoute que ce document n’est d’aucune utilité pour la police. Un simple engagement d’accueil dûment authentifié le remplacerait avantageusement.

Le Monde : On vous reproche de préserver la toute-puissance de l’administration. Pourquoi ne pas rétablir la commission de séjour qui, jusqu’en 1993, statuait en cas de refus par un préfet de renouveler un titre de séjour ?

J.-P. Chevènement : Il incombe au gouvernement de se faire obéir par l’administration, trop souvent diabolisée. Celle-ci agit d’ailleurs sous le contrôle du juge. Je ne vois pas l’intérêt de faire intervenir les magistrats deux fois : une fois avant la décision de l’administration, pour la conseiller, et une fois après, pour éventuellement casser ses décisions. Ne risque-t-on pas d’affaiblir le contrôle du juge en l’impliquant prématurément dans le processus décisionnel ? Les jugements des tribunaux ne sont pas toujours plus prévisibles que les décisions administratives. Il y a des milliers de titres de séjour attribués par le ministère de l’Intérieur, au titre de « l’asile territorial », hors de toute pression judiciaire…

Le Monde : La politique des visas fait l’objet d’autres interrogations. Ne pourrait-on pas attribuer automatiquement un visa aux personnes disposant de plein droit, dès leur arrivée en France, d’une carte de séjour, parent ou conjoint de Français, ou encore étrangers autorisés à travailler ?

J.-P. Chevènement : Le projet de loi propose pour la première fois d’obliger les consulats à motiver les refus de visas pour cinq catégories de personnes, membres de famille notamment. Cette obligation de motivation réduira à peu de choses le nombre de refus. La seule légitimité de ceux-ci ne peut provenir que de considération liées à la sécurité de l’État. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec le ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine. Le ministère de l’Intérieur ne fera pas obstacle à l’assouplissement de la politique des visas, notamment en provenance de l’Algérie. Mais c’est surtout une question de moyens administratifs au service des étrangers de Nantes.

Le Monde : Le texte entendait renforcer le droit à une vie familiale. Or certains conjoints de Français, entrés illégalement, ne pourront bénéficier d’aucune carte. Ils ne seront ni expulsables, ni régularisables…

J.-P. Chevènement : Ils pourront bénéficier de la carte « situation personnelle et familiale » ; elle a été créée pour eux. L’administration accordera d’abord au conjoint une carte d’un an, puis deux ans plus tard, une carte de résident de dix ans, renouvelable de plein droit. Il n’est pas anormal qu’il y ait un « sas » pour les conjoints. Il en va différemment pour les parents d’enfants français entrés illégalement. S’ils sont régularisés de plein droit, c’est qu’en tout état de cause ils resteront les parents de leurs enfants. Mais je reste ouvert au débat dès lors que des arguments pertinents apparaîtraient. Le texte actuel, ce n’est pas les tables de la loi !

Le Monde : La prolongation de dix à quatorze jours de la rétention administrative pourrait bien donner lieu à une censure du Conseil constitutionnel. L’efficacité d’une telle mesure ne semble pourtant pas garantie. Le jeu en vaut-il la chandelle ?

J.-P. Chevènement : Le Conseil constitutionnel n’a jamais défini une durée maximale en matière de rétention. Cette durée doit être suffisante pour permettre à la loi de s’appliquer. En revanche, le Conseil avait censuré en 1993 le fait que la deuxième prolongation puisse s’appliquer à tous les étrangers retenus. Ce n’est pas ce que nous faisons puisque la prolongation que nous proposons ne s’applique qu’à certaines catégories d’étrangers.

Faut-il rappeler que la durée de rétention administrative est, en France, plus courte que dans tous les autres pays européens : six mois en Allemagne, illimitée en Grande-Bretagne, patrie de l’habeas corpus, de même qu’en Suède ou aux Pays-Bas ? Le taux d’effectivité des mesures de reconduite est de 28 %. Avec quatre jours supplémentaires, nous pourrons être plus efficaces. Nous pourrons aussi faire qu’une reconduite s’opère plus humainement, que par exemple les étrangers en situation irrégulière puissent récupérer leurs effets personnels. Sur ce point, je fais confiance à la sagesse du Conseil constitutionnel s’il est saisi… et à celle des parlementaires pour ne le saisir qu’à bon escient.

Le Monde : La régularisation lancée par votre circulaire semble démarrer bien lentement…

J.-P. Chevènement : Elle commence lentement parce que j’ai demandé aux préfectures que chaque demandeur soit reçu individuellement. Les critères sont clairs. S’ils doivent être encore éclaircis, j’y veillerai.

Le Monde : Votre projet de loi réglera-t-il définitivement la question ou faudra-t-il encore modifier la loi dans cinq ans ?

J.-P. Chevènement : Il faut sortir d’un débat pourri. La question de l’immigration doit cesser d’occuper une position centrale dans le débat politique français. Ce n’est pas juste et ce n’est pas digne de la France. Ce n’est pas servir les immigrés qu’on prétend défendre que de leur faire jouer le rôle de grand discriminant entre la droite et la gauche. Celle-ci a mieux à faire. Il faut fermer la parenthèse ouverte en juin 1984 par la percée de l’extrême droite. Cela demande un effort. À la droite qui doit cesser de penser qu’elle peut courir aussi vite que Le Pen pour revenir au pouvoir. Mais aussi à ceux qui, à gauche, ont cru pouvoir jouer un temps avec l’extrême droite. La politique que propose le gouvernement correspond à une stratégie de refondation républicaine. Elle sert d’abord les intérêts du pays.


Europe 1 : Lundi 6 octobre 1997

J.-P. Elkabbach : Les intellectuels, qui avaient malmené messieurs Juppé et Debré l’an dernier, s’en prennent à vous et veulent organiser des manifestations et des protestations de rue. Il y a environ 120 000 demandes de régularisation de sans-papiers, 5 000 l’ont été, c’est-à-dire 3 %. Est-ce que vous régulariserez les 120 000 ?

J.-P. Chevènement : Je vais être tout à fait clair : le gouvernement s’est engagé à réexaminer favorablement la situation d’un certain nombre d’étrangers en situation irrégulière sur la base de critères. Ces critères ont été définis par le collège des médiateurs de Saint-Bernard, précisés par la commission consultative des droits de l’homme. Ce qui était bon il y a quelques mois n’est pas devenu mauvais aujourd’hui. Le gouvernement applique la circulaire que j’ai signée. J’ai demandé – mais j’aimerais faire comprendre dans quel esprit – aux préfectures d’examiner individuellement, en convoquant les intéressés, chaque cas. C’est naturellement un énorme travail. Les préfectures ont travaillé le mois de septembre, le mois d’août, elles étaient en vacances.

J.-P. Elkabbach : Combien de temps vous leur donnez pour régler ces 120 000 ?

J.-P. Chevènement : Je leur ai demandé de faire en sorte que le processus soit achevé le 30 avril. Et naturellement, dans certaines préfectures, au rythme actuel, cela durerait plus longtemps.

J.-P. Elkabbach : Combien auront leurs papiers à votre avis ?

J.-P. Chevènement : Je ne peux pas répondre à cette question. Le gouvernement n’a pas pris d’engagement chiffré. Je constate simplement qu’aujourd’hui, il y a plus de 5 000 régularisations, qu’il y en a plus que de rejets, que les autres cas sont étudiés, que j’ai donné des consignes très souples pour tout ce qui touche la vie familiale, et les régularisations vont progresser normalement.

J.-P. Elkabbach : À votre avis, il en faudrait 10 ou 20 %, la moitié des 120 000 ?

J.-P. Chevènement : Je me refuse d’employer un chiffre parce qu’il faut que nous restions fidèles à l’esprit de cette circulaire, c’est-à-dire une régularisation sur le fond, sur le critère. Chacun comprend bien, je voudrais le dire vraiment amicalement aux pétitionnaires, que si nous régularisons aujourd’hui tout le monde, cela veut dire que, demain, toujours, nous régulariserons tous ceux qui le demanderaient. Or, cela n’est pas possible pour des raisons qui tiennent non seulement à l’équilibre du marché du travail mais parce que nous mettrions bas l’équilibre de certains quartiers, celui de la sécurité sociale, parce qu’il faut quand même prendre conscience de ce que sont les déséquilibres du monde, démographiques, politiques, économiques, de ce qu’est la situation de notre pays et que, par conséquent, nous sommes amenés à revoir dans un sens très libéral notre législation. Avancer sur le droit d’asile, sur le droit de vivre en famille, avoir une ouverture aux étudiants, aux intellectuels, aux chercheurs. Il me semble que la France accueille 85 millions d’étrangers par an. C’est le propre d’un pays ouvert et je souhaite assouplir les conditions d’entrée sur le territoire national. Mais cela n’est possible que si, par ailleurs, la loi s’applique, si elle s’applique humainement dans le respect des droits des étrangers.

J.-P. Elkabbach : Pourquoi traitez-vous les intellectuels d’irresponsables ?

J.-P. Chevènement : La thèse d’une régularisation de tous les sans-papiers n’est pas tenable. Je viens de vous l’expliquer. Or, c’est le fond de cette pétition. Cela dit, je suis tout à fait prêt à recevoir ceux d’entre eux qui veulent s’entretenir avec moi.

J.-P. Elkabbach : En tout cas, c’est la gauche qui conteste un gouvernement de gauche. Quand on vous dit : il y a deux gauches, la gauche réaliste ou sociale, la gauche morale et qu’on ne vous situe plus dans cette gauche morale ?

J.-P. Chevènement : Moi, je n’ai jamais tourné le dos à aucun de mes engagements. Je tiens au gouvernement les mêmes propos que dans l’opposition. Et je ne laisse à personne le qualificatif de « morale ». Je pense que la gauche peut être au gouvernement en étant parfaitement morale. Je n’accepte pas cette confiscation de la morale. Au nom de qui et pourquoi ? Cela n’a pas de sens.

J.-P. Elkabbach : Une partie des 120 000 n’aura pas de papiers. Qu’est-ce que vous ferez des irréguliers et des clandestins ?

J.-P. Chevènement : J’y ai beaucoup réfléchi, croyez-moi. Et nous sommes en train d’étudier toute une série de dispositifs qui leur permettraient de retourner dans leur pays mais avec la possibilité de se réinsérer. Il y a une commission. Il y a une commission interministérielle qui travaille sur ce sujet.

J.-P. Elkabbach : Est-ce qu’aujourd’hui, les irréguliers continuent d’être reconduits chez eux ou aux frontières ?

J.-P. Chevènement : D’abord, il y a les réguliers qui continuent d’arriver à nos frontières. Il est évident qu’à partir du moment où on maintient le principe d’un contrôle des flux migratoires – et aucun parti représenté à l’Assemblée nationale, aucun parti de la majorité, n’a proposé de supprimer le contrôle des flux migratoires, bien sûr qu’il y a des reconduites qui s’effectuent. Elles s’effectuent dans le respect des droits et des garanties qui vont avec ce qu’est un État de droit.

J.-P. Elkabbach : Lundi prochain, le conseil de ministres va examiner le projet de loi Chevènement, le débat aura lieu au Parlement dans deux mois, vous voulez un consensus droite-gauche et l’opposition, qu’on entendait à Saint-Jean-de-Luz, a dit qu’elle ne concéderait rien !

J.-P. Chevènement : Écoutez, quand j’entends J.-L. Debré féliciter les pétitionnaires pour leur lucidité, dans le « Journal du dimanche », à la place des pétitionnaires, je m’alarmerais. Je dis très franchement qu’à l’horizon, si nous laissons parler les vieux démons, d’où qu’ils parlent, nous aurons un jour un gouvernement de droite soutenu par le Front national. Et cette responsabilité-là, moi je ne la prendrai pas.

J.-P. Elkabbach : Vous accusez l’opposition actuelle, républicaine et libérale, de faire le jeu du Front national !

J.-P. Chevènement : Pas républicaine et libérale, j’accuse tous ceux qui laissent parler les vieux démons, tous ceux qui veulent faire de l’immigré le bouc émissaire dans le débat politicien, tous ceux qui se servent de lui pour, en quelque sorte, orchestrer un débat profondément malsain entre une droite qui veut faire mieux que le Front national. J’écoutais ce qui se disait à Saint-Jean-de-Luz, hier. J’entendais un député, M. Guibal, expliquer qu’il regrettait que la droite n’ait pas occupé le terrain du Front national. Un autre, M. Kossowski, qui prônait le retour au droit du sang. Heureusement, j’ai entendu des voix plus modérées dire que certains immigrés ne devaient pas être exclus, qu’il fallait faire d’enfants nés de l’immigration des Français. Moi, je partage ce point de vue.

J.-P. Elkabbach : On voit tout l’enjeu du débat. Mais je voudrais vous poser deux questions, une sur l’Algérie, à propos des menaces adressées par le GIA à la France : est-ce qu’elles sont prises au sérieux, est-ce que la sécurité sera renforcée en France, même si vous le faites discrètement ?

J.-P. Chevènement : Ces menaces existent, elles sont prises au sérieux. Notre vigilance ne se relâche pas. Notre plan Vigipirate est maintenu. Mais, naturellement, s’agissant des prolongements du conflit algérien sur le territoire français, nous devons faire l’effort de comprendre. Je regrette que cet effort ne soit pas suffisamment fait.

J.-P. Elkabbach : Après demain commence le procès Papon, ancien fonctionnaire du ministère de l’Intérieur sous Vichy. Le ministre de l’Intérieur d’aujourd’hui a-t-il une remarque à faire ?

J.-P. Chevènement : Je pense qu’il y a des moments où un homme doit savoir dire non. Mais cela dit, il faut que le procès se déroule là où il a lieu, c’est-à-dire à Bordeaux. Si on veut juger cette époque, je pense qu’il faut relire Marc Bloch, « L’étrange défaite », comment nos classes dirigeantes ont programmé, à bien des égards, la défaite. Il faut rappeler aussi peut-être que la France en 1940 était isolée, qu’elle n’avait pas la Russie comme alliée, il y avait le pacte Hitler-Staline, que l’Amérique était isolationniste, que la Grande-Bretagne avait mené la politique d’« apeasement ». Il ne faut pas non plus tomber dans le masochisme national. Tous les Français n’ont pas été des collaborateurs.

J.-P. Elkabbach : Mais est-ce que vous souhaitez que, comme l’Église, d’autres administrations en fassent autant, s’expliquent ?

J.-P. Chevènement : Il y aurait beaucoup à dire sur un certain nombre de corps de l’État mais je vous ferais remarquer que, dans le corps préfectoral, il y a quand même 39 préfets et sous-préfets qui ont été fusillés, déportés et qui n’en sont pas revenus. Et par conséquent, je ne voudrais pas qu’on fasse croire aux jeunes générations que la France entière s’est vautrée dans la collaboration, parce que ce n’est pas vrai et que ce serait, à mon avis, dénaturer complètement le combat de ceux qui se sont battus pour que la France reste libre.