Interview de M. Nicolas Sarkozy, porte parole du RPR, dans "Valeurs actuelles" du 11 octobre 1997, sur les mesures du Gouvernement en matière de politique familiale, notamment la réduction des aides fiscales liées aux emplois à domicile, intitulée "Riche ou pauvre, un enfant est un enfant".

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Média : Valeurs actuelles

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Valeurs Actuelles : Le premier ministre affirme que les mesures Aubry ne toucheront pas les classes moyennes. La droite ne défendrait-elle que les « riches » ?

Nicolas Sarkozy : Lionel Jospin a manifestement un problème avec les chiffres ! Un million de personnes sont touchées par le plafonnement de la demi-part accordée aux personnes seules ayant élevé un enfant. Et le démantèlement des aides fiscales liées à la création d’emplois à domicile concerne 400 000 à 500 000 foyers. Sans oublier les dizaines de milliers de personnes employées par les familles qui, du jour au lendemain, vont être obligées de travailler au noir. Ce sont elles les premières victimes de cette décision inique ! Font-elles partie des nantis ?
Ajoutez-y la division par deux de l’allocation de garde d’enfant et la taxation de l’épargne des familles (car je connais peu de familles qui ne mettent pas un peu d’argent de côté, par précaution, en ces temps de crise), et vous conclurez avec moi que M. Jospin a une conception pour le moins extensive de la notion de « riches » !

Valeurs Actuelles : Pour autant, l’AGED et la déduction fiscale favorisent les ménages aisés. Leur cumul n’est-il pas excessif ?

Nicolas Sarkozy : Est-il « excessif », dans un pays qui compte 3,3 millions de chômeurs, que les familles créent des emplois ? Voilà le vrai débat ! La question n’est pas de savoir si la politique familiale profite davantage aux « riches », ou à ceux qui sont supposés tels. Ce qu’il faut se demander, c’est : crée-t-elle ou non la vie des familles ? A-t-elle ou non des effets sur la natalité ? Est-elle ou non positive pour l’équilibre et l’avenir du pays ? Tout juger en fonction de la peine ou du plaisir supposés que l’on cause aux « riches », comme le font les socialistes, c’est avoir une vision purement idéologique et partisane de la société.

Valeurs Actuelles : Il reste que le coût de ces aides n’est pas négligeable…

Nicolas Sarkozy : Mais ce système d’aide à domicile coûte infiniment moins cher à la collectivité que les crèches et les haltes-garderies ! Il a permis la création d’emplois dont personne ne conteste l’utilité. Pourtant, Martine Aubry préfère dépenser 35 milliards de francs par an pour créer des sous-emplois de fonctionnaires subventionnés à 80 % par la collectivité. Voilà bien les effets de l’idéologie !

J’ajoute que cette mesure est profondément anti féminine : de nombreuses jeunes femmes seront contraintes d’arrêter de travailler car les jeunes ménages notamment ne pourront plus supporter le coût d’une employée !

Valeurs Actuelles : Vous réduisez donc l’argument d’équité avancé par les socialistes ?

Nicolas Sarkozy : Mais l’équité, elle existe déjà ! Les ménages aisés perçoivent la même allocation que les familles modestes, mais ils versent plus qu’elles pour y avoir droit, les cotisations étant proportionnelles au revenu. L’équité est donc assurée à l’entrée du système : certaines familles cotisent plus que d’autres. On ne peut pas, de surcroît, les priver de leurs droits. La Sécurité sociale n’y survivrait pas !

Valeurs Actuelles : Pourquoi ?

Nicolas Sarkozy : Réfléchissez : à l’entrée, je vous prends plus mais à la sortie je ne vous donne rien ! Qui peut accepter un tel marché ? Si le Gouvernement applique sa réforme, les ménages aisés ne voudront plus financer la Sécu. Le risque est d’autant plus grand que les socialistes seront tentés d’étendre leur logique à d’autres branches de la Sécurité sociale.

Valeurs Actuelles : Martine Aubry assure pourtant qu’il n’en est pas question…

Nicolas Sarkozy : Ce serait bien étonnant ! La politique familiale est la petite sœur de la politique d’assurance maladie. Je ne vois pas donc pas ce qui pourrait empêcher le Gouvernement de soumettre à condition de ressources le remboursement des dépenses de santé ! Ce qui signifie que votre traitement médical ne vous serait plus remboursé si l’on vous jugeait « trop riche » - et l’on a vu qu’on est très vite « riche » pour les socialistes.

Valeurs Actuelles : Mais rien n’est fait ! La réforme Aubry n’est pas encore votée…

Nicolas Sarkozy : Peut-être, mais c’est bien la logique de ce projet. Savez-vous que, s’il était voté en l’état, la réduction de l’abattement fiscal serait rétroactive au 1er janvier ? Les familles qui ont engagé une personne en début d’année, en espérant payer moins d’impôt, seraient honteusement grugées : certaines devraient acquitter 22 500 francs d’impôt de plus que prévu dans leur budget ! Cette mesure est d’autant plus scandaleuse que, pour les quirats de navire par exemple, la rétroactivité ne s’appliquera qu’au 15 septembre ! 1er janvier pour les familles, 15 septembre pour les quirats !

Voilà pourquoi j’ai déposé, mardi, avec Philippe Séguin, un amendement qui propose l’abrogation du caractère rétroactif de cette disposition.

Valeurs Actuelles : Le Gouvernement d’Alain Juppé n’a-t-il pas ouvert la voie à la politique actuelle, notamment lorsqu’il a envisagé de fiscaliser les allocations familiales ?

Nicolas Sarkozy : Permettez-moi tout d’abord de rappeler que, personnellement, j’ai toujours combattu cette idée. C’est d’ailleurs la preuve que mon opposition aux projets de l’actuel Gouvernement n’est inspirée par aucun sectarisme partisan. Quand mes amis étaient au pouvoir, je tenais le même langage. On me l’a suffisamment reproché.

Ensuite, la vérité oblige à dire qu’il y a loin de la fiscalisation envisagée par Alain Juppé à la mise sous condition de ressources décidée par Lionel Jospin. J’étais et je reste hostile à la fiscalisation des allocations, qui ne sont pas un revenu mais le produit d’une cotisation. Mais c’était tout de même moins choquant que ce qui est aujourd’hui en débat.

Valeurs Actuelles : C’était aussi mettre le doigt dans l’engrenage…

Nicolas Sarkozy : Si vous voulez dire que la droite n’a pas été la droite, qu’elle n’a pas suffisamment affirmé ses valeurs ni défendu assez fermement ses idées et que c’est pour cela qu’elle a été battue, je suis d’accord avec vous. Mais là encore permettez-moi d’ajouter qu’il convient de ne pas mettre tout le monde dans le même sac. Ces mesures en faveur des familles qui vont être supprimées, c’est Edouard Balladur qui les a prises. C’est son Gouvernement qui les a fait voter.

Valeurs Actuelles : Aujourd’hui, Martine Aubry ajoute que sa réforme n’est que « transitoire », et qu’elle est prête à discuter l’an prochain d’une « remise à plat » de la politique familiale…

Nicolas Sarkozy : Je ne crois pas aux belles déclarations de ceux qui promettent tout pour demain mais qui aujourd’hui ne veulent ni discuter ni transiger. Le projet du Gouvernement est néfaste du point de vue démographique : il va décourager les familles de faire des enfants. Il l’est aussi du point de vue économique : il va décourager les familles de créer des emplois. Il l’est encore du point de vue de la cohésion nationale : il fait des classes moyennes le bouc émissaire de nos difficultés. Il l’est enfin du point de vue « sociétal » : il sape les bases du modèle familial alors que depuis que le monde est monde on n’a rien fait de mieux pour assurer l’avenir et l’harmonie des sociétés. C’est la raison pour laquelle le mouvement gaulliste, avec Philippe Séguin, dénoncera avec la plus grande énergie ce démantèlement de la politique familiale.

Nous sommes convaincus qu’on ne résoudra pas les problèmes du pays en réveillant les vieilles haines de classes. Quand un enfant naît, regarde-t-on si c’est un enfant « de riche » ou un enfant « de pauvre » ? C’est un enfant, et la France a besoin de lui.