Texte intégral
Le Figaro : L’hôpital est une boîte noire, un lieu secret, où le malade entre en confiance obligée.
Bernard Kouchner : Jusqu’à présent, lorsqu’un hôpital ou certains services n’étaient pas très bons, il y avait deux attitudes. Soit on fermait les yeux et on espérait qu’il n’y aurait pas d’accidents, que personne ne s’en apercevrait, soit on ferait l’hôpital ou le service en catastrophe après un scandale. Lorsqu’un dysfonctionnement éclate dans un hôpital, on envoie une mission de l’inspection générale des affaires sociales, et on prend une décision à chaud, dans un climat de polémique, dans les pires conditions. Nous inversons le processus. L’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation de la santé va profondément changer ces attitudes. Il s’agit de prévenir, d’évaluer, plutôt qu’attendre l’accident. De remplacer le bouche à oreilles par une véritable information.
Le Figaro : Un devoir d’information ?
Bernard Kouchner : J’assimile cette démarche à un nouveau devoir d’ingérence civile. On doit pouvoir prendre en charge son propre sort avant l’accident comme l’ingérence des États doit permettre d’éviter la guerre.
Devoir d’ingérence, devoir de transparence. Le public sera informé, des fiches synthétiques seront publiées, et l’administration devra répondre aux demandes d’accès à des informations plus détaillées. C’est à ce prix que nous rétablirons la confiance du public, une confiance éclairée, adulte.
Le Figaro : L’accréditation est imposée par la loi. Est-elle acceptée dans les faits par la profession ?
Bernard Kouchner : L’évaluation a eu du mal à faire son chemin dans les esprits des professionnels de santé. Les médecins ont pu la ressentir comme une agression, un crime de lèse-majesté. C’est pourquoi, il ne fallait pas l’imposer, mais obtenir l’adhésion de tous pour élaborer des standards nouveaux, pour une méthodologie qualitative et non plus quantitative, comme le sont les points ISA (2) ou le PMSI (3). L’agence pet en place une évaluation des professionnels par leurs pairs. Nous n’avons pas voulu établir une course aux trois étoiles, mais donner les moyens aux établissements de savoir ce qu’ils font, et les aider à s’améliorer en permanence.
Le Figaro : Dans quels délais ?
Bernard Kouchner : Les établissements ont, jusqu’en 2001, un peu plus de de trois ans, pour faire leur démarche d’accréditation. À eux d’enclencher le processus quand ils seront prêts. Ce volontariat est très important. L’évaluation de la qualité ne peut pas s’imposer. Les professionnels doivent se sentir impliqués. Et ils le sont. Alors que l’agence vient d’être officiellement mise en place, 80 hôpitaux sont déjà candidats, d’autres ont lancé des audits.
Le Figaro : On assimile l’évaluation de la qualité des soins à un moyen de fermer des lits hospitaliers en excédent.
Bernard Kouchner : L’objectif de l’accréditation est de savoir si un hôpital répond à des référentiels de qualité, pour assurer les meilleurs soins possibles. C’est un contrat avec le public de plus en plus demandeur d’information claire, précise sur la sécurité à l’hôpital. Le but premier de l’évaluation n’est absolument pas de réduire les coûts, de fermer des établissements. Je n’admets pas que l’on oppose l’accréditation au sort du personnel hospitalier, et que l’on avance des chiffres de pertes d’emplois. Cela n’a pas de sens. Il ne s’agit ni d’établir une enveloppe comptable, ni de se substituer aux agences régionales d’hospitalisation. Ce qui ne veut pas dire que ces dernières ne tiendront pas compte de ces éléments objectifs de qualité pour se déterminer, au contraire. Mais les deux démarches sont nettement séparées à la base. Il faut d’abord établir des projets, répondre aux besoins de santé avant de prendre des décisions.
Le Figaro : Quelles structures seront accréditées ? Les hôpitaux, les services, les centres hospitaliers ?
Bernard Kouchner : Ce sont effectivement les établissements qui seront accrédités, et pas les services. Dans la pratique, il est évident que l’on tiendra compte de la qualité des services. Dans le cas de grands centres hospitaliers comme l’Assistance publique de Paris, en principe, légalement, l’accréditation doit se faire en bloc, par grands thèmes, et non dans chacun de ses 42 établissements.
Le Figaro : N’est-ce pas injuste de contrôler au plus près un établissement isolé, et d’accréditer globalement un grand groupe hospitalier ?
Bernard Kouchner : Effectivement, il n’y a pas de raison qu’un petit centre hospitalier isolé soit soumis à un contrôle plus strict qu’un grand ensemble, que ce soit l’Assistance publique de Paris, de Marseille ou les Hospices civils de Lyon. Nous devrons avoir une exigence de transparence qui sera la même pour tous. Par exemple, si nous prenons le cas des urgences, l’agence doit avoir les moyens de savoir si les 8 ou 10 sites parisiens répondent aux critères d’accréditation. Et non pas se limiter à connaître les grandes lignes d’un projet global. Si la loi n’a pas formellement précisé ce point, il est évident que dans la pratique, la procédure d’accréditation en tiendra compte.
Le Figaro : Et les médecins ?
Bernard Kouchner : Nous avons procédé par étapes. On a commencé par renforcer la sécurité des médicaments, des produits médicaux, avec le projet d’agence de sécurité sanitaire en cours d’examen par le Parlement. Il s’agit maintenant d’évaluer et de contrôler les actes médicaux. Les praticiens, il faudra y venir. Nous suivons pour l’accréditation une démarche similaire à celle d’autres pays étrangers. D’ailleurs, quatre experts étrangers, un Américain, un Canadien, et deux Anglais, font partie du conseil scientifique de l’Anaes. La grande différence avec les États-Unis et le Canada, c’est qu’ils évaluent aussi le travail des professionnels. L’inspection générale des affaires sociales doit nous remettre, à Martine Aubry et à moi-même, en mars prochain son rapport sur la formation médicale continue. À ce moment-là, nous verrons comment organiser cette évaluation.
(1) La composition de son conseil d’administration : Pr Gauiraud-Chaumeil, président ; Dr Loirat, président du conseil scientifique ; Pr Matillon, directeur général.
(2) Programme de médicalisation des systèmes d’information.
(3) Indices synthétiques d’activité.