Texte intégral
Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi de vous dire, de vous avouer, que ce jour était un rendez-vous important et très attendu pour moi. Je me réjouis en effet d’être parmi vous, au cœur de l’Auvergne, pour cette sixième édition du sommet de l’élevage.
Le sommet de l’élevage est devenu en quelques années un rendez-vous essentiel non seulement pour les acteurs professionnels du Massif central mais aussi pour ceux des autres régions françaises.
Son succès illustre le formidable défi que les agriculteurs et en particulier les éleveurs de votre région ont su relever. Dans une région dont le territoire est au deux tiers en zone de montagne, où les conditions climatiques sont difficiles, les femmes et les hommes d’Auvergne et en particulier les éleveurs ont su, à force de ténacité, d’opiniâtreté et d’esprit d’entreprise, maintenir une agriculture vivante participant ainsi activement à l’aménagement du territoire.
En parcourant votre sommet, j’ai pu mesurer le dynamisme des productions animales dans votre région. C’est l’élevage, et en tout premier lieu les élevages bovins allaitant et laitier, qui vous a permis de valoriser vos principales richesses naturelles, je veux parler de l’herbe et de la diversité des races du Massif central destinées à la production de viande.
Je sais les difficultés d’approvisionnement en fourrages que connaissent les éleveurs de certains départements du Massif central et je souhaite y répondre. Les conditions climatiques du printemps et de l’été (gel et sécheresse) ont affecté les productions fourragères de certains départements et en particulier la Haute-Loire, la Loire, le Puy-de-Dôme et le Cantal. La situation est préoccupante pour de nombreux éleveurs qui ont dû aller s’approvisionner, parfois assez loin, en paille et en foin, faisant ainsi face à des charges aussi lourdes qu’imprévues. Afin d’aider les éleveurs à faire face à ces difficultés, et indépendamment des procédures calamitées qui sont déjà engagées, j’ai décidé de débloquer une aide exceptionnelle de 10 millions de francs afin de prendre en charge une partie des frais de transport des fourrages. Cette aide viendra compléter les 10 millions de francs mis à disposition par UNIGRAINS les préfets se verront attribuer une enveloppe ainsi que des instructions permettant de la répartir. Tout sera mis en œuvre pour que le paiement de cette aide aux éleveurs intervienne avant le printemps 1998.
Je souhaite évoquer avec vous aujourd’hui deux sujets importants et qui préparent l’avenir, je veux parler de la loi d’orientation agricole et en particulier son volet relatif à la montagne et la réforme de la politique agricole commune.
L’agriculture française a vécu peut-être plus que d’autres secteurs encore un développement et une transformation intenses et rapides au cours de ce qu’il est convenu d’appeler les « trente glorieuses ».
Les organisations agricoles ont accompagné ce développement en faisant de la modernisation un de leurs thèmes d’action principal. Les pouvoirs publics ont également mis en place le cadre législatif de cette modernisation au travers des grandes lois des années 60.
Les résultats sont flatteurs puisqu’ils ont permis à la France de devenir la principale puissance agricole de l’UE et de figurer parmi les grands exportateurs mondiaux de produits agricoles et agro-alimentaires. La maîtrise des techniques les plus modernes par nos agriculteurs est reconnue par tous et notre agriculture figure de ce point de vue aussi parmi les premières du monde.
Mais ces succès se sont accompagnés de difficultés. Les problèmes que nous devons affronter aujourd’hui sont de nature très différente de ceux qui étaient posés dans les années 60. Je citerai en premier lieu le risque d’abandon de parties très importantes de notre territoire : qui mieux que vous sait le rôle déterminant des activités agricoles dans la vitalité économique des régions de montagne ? Les autres problèmes qui nous sont posés sont la concentration excessive des exploitations, les risques sanitaires, la dégradation de l’environnement et les difficultés d’adaptation de l’offre à la demande sont autant de questions et de défis qui sont venus remplacer le besoin de modernisation des techniques agricoles.
Comme dans les années 60, nous devons inventer l’avenir de notre agriculture en lui assignant de nouveaux objectifs :
1. Replacer les hommes et les territoires au cœur de notre politique agricole en encourageant la diversité des modèles de développement des exploitations. La richesse de la France agricole tient dans sa capacité à se placer sur tous les marchés, ceux des produits de base comme ceux des produits fermiers, biologiques ou ceux jouant la carte de l’origine.
2.- Retisser le lien entre le producteur et son produit, si vous me permettez l’expression, faire d’une pierre deux coups :
- en restaurant la confiance des consommateurs ébranlée par la crise de la vache folle, l’apparition des OGM, les menaces d’importation de viandes hormonées ;
- en permettant aux producteurs de se réapproprier une partie plus importante de la plus-value dégagée.
L’enjeu est d’importance car il correspond à l’attente des circuits de distribution et des consommateurs et plus généralement de nos concitoyens. Les agriculteurs et leurs structures économiques se doivent de sortir des sentiers battus pour mieux prendre en compte ces créneaux porteurs.
3. Mettre véritablement en place les moyens d’un développement durable en élaborant des techniques de production plus respectueuses de l’environnement. Il nous faut travailler à édifier une agriculture qui réponde plus clairement aux préoccupations de la société vis-à-vis de l’agriculture. Là encore l’enjeu dépasse largement les préoccupations strictement économiques, il s’agit de refonder le nécessaire contrat entre le monde agricole et les français.
Disant cela, j’énonce en fait les grands thèmes de la future loi d’orientation agricole que le Premier ministre m’a demandé de préparer et sur laquelle j’ai engagé hier la concertation avec les organisations professionnelles.
Dans le cadre de ces discussions, j’aurai à cœur de définir une politique spécifique en faveur des zones défavorisées et tout particulièrement de la montagne.
L’agriculture et la forêt qui ont largement contribué à modeler les paysages de montagne et à faire vivre cet espace doivent continuer à jouer un rôle prédominant dans le développement de la montagne.
Il me paraît indispensable de mobiliser au bénéfice de ces zones un ensemble cohérents de moyens publics.
Cette politique doit reposer sur la valorisation de la spécificité des productions de montagne. Il faudra à cet égard que nous procédions à l’inventaire des problèmes juridiques concernant l’utilisation du terme « montagne » et que nous apportions les solutions qui s’imposent à l’occasion de la préparation de la loi d’orientation. En outre, j’entends accentuer l’effort en faveur de la qualité des produits. Les crédits affectés au contrôle de la qualité sanitaire des produits augmenteront de 21 %. J’ai en outre obtenu dans le cadre du budget 1998 de mon ministère une remise à niveau des crédits de l’Institut national des appellations d’origine qui progressent de 9 % : je sais l’importance que les fromages d’appellation d’origine jouent dans l’économie montagnarde et particulièrement dans celle de l’Auvergne, qui dispose de la plus grande zone d’appellation de France et dont 45 % des fabrications fromagères sont des fromages AOC.
La politique de la montagne doit aussi s’appuyer sur des instruments permettant de compenser les handicaps naturels spécifiques de ces zones. Lors du conseil des ministres de l’agriculture à Luxembourg, j’ai eu l’occasion d’insister sur la nécessité de conserver les mesures déjà existantes qui ont fait leur preuve. Tel est le cas des aides aux zones défavorisées qui en assurant la compensation des handicaps naturels permettent le maintien d’un tissu rural actif et dynamique.
Je pense enfin qu’il est essentiel de maintenir des aides aux investissements compte tenu des surcoûts engendrés par les conditions naturelles difficiles. C’est pourquoi l’effort du ministère de l’agriculture et de la pêche en faveur des bâtiments d’élevage sera maintenu en 1998.
Je voudrais également évoquer avec vous la réforme de la PAC qui est envisagée par la Commission européenne.
Je voudrais d’abord calmer les impatiences qui se sont manifestées ici ou là : c’est une longue négociation qui nous attend et je crois nécessaire de bien examiner toutes les conséquences des propositions de la commission. J’engagerai la concertation dès la semaine prochaine en réunissant le Conseil supérieur d’orientation, le CSO, où siègent les représentants de l’agriculture, des consommateurs et de l’industrie agro-alimentaire…
Quels sont donc les enjeux ?
La PAC de l’an 2000 doit permettre à l’agriculture européenne de répondre aux attentes de la société. Elle doit pour cela :
- conforter l’indépendance de l’approvisionnement de l’Union européenne ;
- assurer la présence de notre production agricole et agro-alimentaire ;
- garantir la sécurité sanitaire des denrées alimentaires et des produits agricoles ;
- offrir un cadre permettant aux productions de qualité de se développer ;
- inciter à l’utilisation de techniques respectueuses de l’environnement ;
- viser à l’occupation harmonieuse de l’espace rural européen ;
- maintenir l’emploi agricole et celui qu’il induit dans les régions rurales en assurant notamment un revenu équitable aux producteurs.
S’agissant du volet relatif à la production laitière, les propositions de la commission ne me paraissent pas cohérentes avec les objectifs annoncés : la baisse de prix proposée ne libérera pas l’Union européenne de la nécessité des restitutions. L’écart avec les prix mondiaux est trop important. La part de la production laitière européenne exportée sur le marché mondial est faible, environ 10 % : ne définissons pas la politique laitière en oubliant que 90 % de la production européenne est valorisée, à des prix élevés, sur le marché intérieur.
N’oublions pas non plus que la production laitière reste « protégée » dans les autres grands pays laitiers du monde, à commencer par les États-Unis d’Amérique. Si des aménagements au régime des quotas laitiers sont nécessaires, mettons à profit les réflexions qui ont été entreprises par les professionnels du secteur laitier.
S’agissant de la viande bovine, je pense que là non plus les réponses proposées par la commission ne sont pas adéquates. La réduction importante (- 30 %) des prix ne nous émancipera pas de la nécessité des subventions à l’exportation. En outre, je ne peux pas accepter que les achats publics de viande bovine soient supprimés : j’y vois une volonté de désengagement des autorités communautaires du soutien des marchés agricoles, ce qui me paraît très dangereux.
Mais surtout, j’observe que l’élevage bovin extensif est « le grand oublié » du Paquet Santer : il est pourtant essentiel dans la vitalité économique de nombreuses régions françaises et en particulier dans les zones défavorisées. En complément de sa contribution à la production et donc à la vie économique locale, il joue un rôle fondamental dans l’entretien et l’aménagement de l’espace. Cette fonction doit être reconnue et prise en compte dans la PAC. C’est pourquoi je m’attacherai à ce que les propositions soient rééquilibrées dans ce sens : il faudra intégrer dans les modalités de soutien des marchés, des instruments qui encouragent les modes d’exploitation liés à l’espace et je pense en particulier à des aides liées au sol comme la « prime à l’herbe ». Il me paraît en effet essentiel d’intégrer ces objectifs dans les organisations communes de marché afin d’inciter les éleveurs à développer des systèmes de production herbagers.
Dans l’attente de cette réforme, j’ai proposé à la Commission Européenne de reconduire la prime au maintien des systèmes d’élevage extensifs, dite « prime à l’herbe », dans le cadre du dispositif communautaire agri-environnement.
La « prime à l’herbe » vient en effet à échéance à la fin de cette année. Comme vous le savez, elle fait l’objet de vives critiques de la part de la commission, qui considère qu’elle ne répond pas aux objectifs des mesures agri-environnementales.
Ces critiques ne sont pas justifiées et je suis pour ma part très attaché à la prime à l’herbe. Alors qu’entre 1979 et 1993, les surfaces en prairies se sont réduites de 20 % en France, elles se sont stabilisées depuis l’instauration de la prime à l’herbe. Depuis 1994, les alpages et les zones de faible production ont même vu leur superficie légèrement progresser pour dépasser 2 millions d’hectares. 100 000 éleveurs ont ainsi bénéficié de cette aide en 1997 pour une superficie de 4,5 millions d’hectares.
J’aurais souhaité comme vous qu’elle puisse être revalorisée cette année afin de favoriser les élevages herbagers qui en ont tant besoin. Mais une telle revalorisation aurait mis en péril la prime à l’herbe : depuis 1994, la part des autres mesures agri-environnementales (les PDD, l’agriculture biologique etc.) n’a cessé de se réduire et est devenue nulle en 1996 et 1997. Les discussions qui ont eu lieu entre la Commission européenne et mes services m’ont convaincu de la nécessité de rééquilibrer le dispositif si l’on veut pérenniser la prime à l’herbe. J’ai donc proposé qu’elle soit reconduite en l’état. Je vous demande de considérer qu’il s’agit d’une décision provisoire. En effet, dans le cadre de la réforme de la PAC, je m’attacherai à ce que la prime à l’herbe soit intégrée dans les organisations communes de marché des produits animaux et qu’à cette occasion elle fasse l’objet d’une revalorisation substantielle. Elle pourra alors jouer un véritable rôle d’incitation pour les élevages herbagers.
J’ai par ailleurs proposé à la commission un certain nombre d’aménagements de la réglementation française actuelle. Elles permettront de faciliter le transfert d’un éleveur à l’autre des obligations du contrat engageant l’éleveur. La réglementation sera aussi assouplie en ce qui concerne les seuils de tolérance pour les faibles réductions de surfaces. J’espère ainsi répondre au souci de simplification exprimée par les organisations agricoles sur le sujet et éviter que de nombreux éleveurs perdent chaque année leur droit à prime.
Si la « prime à l’herbe » reste le socle des mesures agri-environnementales en France, elle n’en a pas le monopole. Alors que depuis 2 ans, aucun crédit ne permettait la mise en œuvre d’actions environnementales nouvelles, j’ai fait en sorte que dès 1998, près de 240 millions de francs soient affectés à ces actions. Nous serons ainsi en mesure d’accompagner plus de 5 000 exploitations dans le cadre des plans de développement durable et 2 500 exploitations dans leur reconversion à l’agriculture biologique. Il sera aussi possible d’aider de nouvelles exploitations qui s’engagent dans une démarche d’extensification ou de réduction des pollutions, tout en poursuivant les actions déjà engagées au cours des 5 dernières années.
Par cet effort, que je voudrais poursuivre dans les années qui viennent, je veux contribuer à démontrer, à l’aide d’expériences concrètes, que l’agriculture peut adopter un mode développement durable, prenant en compte son impact à long terme sur l’environnement mais aussi sur le plan social et économique.
Le pari que nous avons à relever ensemble est celui de la dimension territoriale et environnementale de l’agriculture. Le sommet de l’élevage, votre sommet, démontre que les éleveurs de votre région y sont prêts.