Interviews de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, dans "Les Échos" le 1er octobre 1997 et à RMC le 2, sur les sessions du Parlement européen, la ratification du traité d'Amsterdam, le passage à l'euro et la préparation du sommet de Luxembourg sur l'emploi.

Prononcé le 1er octobre 1997

Intervenant(s) : 

Circonstance : Signature à Amsterdam le 2 octobre 1997 par les ministres des affaires étrangères de l'Union européenne du traité d'Amsterdam, complément au traité de Maastricht

Média : Emission Forum RMC FR3 - Energies News - Les Echos - Les Echos - RMC

Texte intégral

Les Échos : 1er octobre 1997

Les Échos : Le Gouvernement regrette-t-il d’avoir eu à entériner le projet de traité d’Amsterdam ?

Pierre Moscovici : Il faut dire tout de suite deux choses. D’abord, la réaction de déception exprimée à l’issue du Conseil d’Amsterdam vise l’absence de réforme institutionnelle de l’union. Ensuite, cette déception a été partagée par toutes les autorités françaises, aussi bien par le Président de la République que par le Premier ministre, qui l’ont dit publiquement dès la fin du sommet d’Amsterdam. Il n’y a pas de divergence. La position de la France était et reste qu’il est impératif de réduire le nombre de membres de la commission afin que celle-ci retrouve son rôle d’organe collégial de proposition et de gestion, et de revoir la pondération des voix au sein du conseil pour tenir mieux compte du poids réel de chaque État membre et permettre le recours généralisé au vote à la majorité qualifiée. C’est un impératif d’efficacité et de démocratie.

Fallait-il, à Amsterdam, refuser l’accord sur le projet du traité tel qu’il existe ? Non, car cela aurait conduit à un blocage de la situation dont personne n’aurait tiré avantage. Il fallait au contraire terminer la Conférence intergouvernementale pour passer aux étapes suivantes. Mais nous avons voulu prendre acte dès Amsterdam. Pour nous, il est bien clair qu’il y aura une réforme des institutions avant le prochain élargissement. C’est le sens d’une déclaration conjointe de la Belgique, de l’Italie et de la France, qui sera annexée au traité. Il s’agit là d’un préalable très fort. Il me semble que le Parlement serait dans son rôle en appuyant cette démarche : la ratification d’Amsterdam appelle des compléments institutionnels et politiques.

Les Échos : Prenez-vous assez au sérieux le danger de diffusion de la communauté après l’élargissement ?

Pierre Moscovici : Personne n’a intérêt à la paralysie et la dilution, pas plus les États membres actuels que les pays candidats. Ceux-ci veulent rejoindre l’union précisément parce qu’elle est beaucoup plus qu’un marché. Sinon, ils se contenteraient d’une union douanière. La demande d’Europe de la part des pays candidats, c’est celle d’un espace solidaire avec son modèle social et ses politiques communes, d’une union puissante capable d’affirmer son identité dans les monde. Ils ne veulent pas plus que nous d’un marché de dupes.

Les Échos : Mais entériner le projet de traité en l’état, n’est-ce pas prendre le risque de repousser pour longtemps la naissance d’une union politique ?

Pierre Moscovici : N’exagérons pas, a posteriori les enjeux de la CIG, dont l’objet n’a jamais été de réaliser une avancée décisive vers l’union politique. C’était un exercice limité et ciblé de « toilettage » du traité de Maastricht. Il a atteint une partie de ses objectifs, par exemple, en permettant la mise en place de « coopérations renforcées » entre quelques États membres, mais a échoué sur la réforme institutionnelle. La naissance d’une union politique est une toute autre ambition, qui se construit sur la durée, autour de convergences d’intérêts fortes, autour de politiques concrètes que l’Europe est capable de mettre en œuvre. C’est un processus ouvert, qui connaît des étapes. Le passage à l’euro en est une, peut-être la plus importante. Je suis convaincu que l’euro va provoquer des effets positifs bien au-delà du domaine monétaire. Il va créer un véritable « choc fédérateur » : l’expression est d’Hubert Védrine, je la prends à mon compte.

Les Échos : Ne surestimez-vous pas les efforts fédératifs de l’euro ?

Pierre Moscovici : J’ai parlé d’effet « fédérateurs » pour éviter les faux débats, presque métaphysiques, entre fédéralistes et anti-fédéralistes. Mais je crois, en effet, que le passage à la monnaie unique va recentrer les énergies et relancer la construction européenne. D’abord, l’existence de l’euro sur la scène mondiale – et je n’ai pas de doute qu’il sera un euro fort et stable – manifestera pour tous nos partenaires extérieurs, mais aussi pour l’ensemble des peuples européens, la puissance de l’Europe. Ensuite, nous n’avons cessé de le répéter depuis Amsterdam, partager une monnaie commune, c’est partager des responsabilités nouvelles dans le domaine de la politique économique. Il y aura donc, nous en sommes déjà convaincus avec notre partenaire allemand lors du sommet de Weimar, une instance informelle qui devrait être le lieu de coordination des politiques économiques.

Par ailleurs, il va y avoir une Banque centrale européenne. On aura là, pour la première fois, un organe indépendant, intégré, européen. C’est une innovation majeure pour l’union.

Je crois enfin que l’euro renforcera le sentiment d’appartenance des citoyens à l’Europe. Avec ce projet historique, il y a une dynamique considérable. J’ai le sentiment que les choses iront plus vite qu’on ne le pense. C’est aussi le souhait des Français, comme le montre le sondage que le ministère vient de publier.

Les Échos : Robert Hue refuse de ratifier le traité d’Amsterdam. Quels arguments allez-vous utiliser pour convaincre votre majorité plurielle ?

Pierre Moscovici : Robert Hue, Jack Lang et d’autres se sont déjà exprimés avec des points de vue contraires. Quoi de plus naturel ? La ratification est une procédure qui par nature appelle le débat. D’ailleurs, l’un des acquis d’Amsterdam porte sur le renforcement du rôle des parlements nationaux dans le débat sur les questions européennes. C’est normal et c’est heureux. Rien ne serait pire pour l’Europe que l’indifférence.

Soyons toutefois clairs. Ne pas ratifier Amsterdam, aussi décevants que soient certains de ses résultats, ce serait renoncer aux incontestables acquis qu’apporte le nouveau traité : les coopérations renforcées, que j’ai déjà évoquées, mais aussi le nouveau chapitre sur l’emploi, l’intégration du protocole social dans le traité, la reconnaissance de la spécificité des services publics, le renforcement du rôle des parlements nationaux et du Parlement européen, pour ne citer que les points les plus importants. Devons-nous nous priver de tout cela ? Je ne le crois pas.

Les Échos : Confirmez-vous qu’il n’y aura pas de référendum sur Amsterdam, mais recours au vote parlementaire ?

Pierre Moscovici : C’est ce que le Président de la République a laissé entendre dès la conclusion des négociations. Le traité d’Amsterdam est une étape. Il y a des échéances majeures sur le calendrier européen, comme la décision sur l’euro. C’est à celles-ci que nous devons consacrer nos efforts dans les mois qui viennent. Lorsque ces échéances seront passées, nous prendrons au Parlement le temps du débat.


RMC-Le Figaro : 2 octobre 1997, à Paris

RMC-Le Figaro : C’est une journée particulière pour l’Europe puisque ce matin, a été signé le Traité d’Amsterdam et que vous serez tout à l’heure à Chambéry pour le sommet franco-italien. On va en reparler dans un instant. Exit Maastricht, bonjour Amsterdam. Qu’est-ce que cela change, si tant est que cela change quoique ce soit ?

Pierre Moscovici : Il ne faut pas comparer Maastricht à Amsterdam, parce que Maastricht, c’était quand même, qu’on soit pour ou qu’on soit contre, un traité de très grande ampleur, qui marquait une très grande rupture. On a quand même décidé, à ce moment-là, de créer la monnaie unique, l’euro, et cela va changer énormément de choses. Ce sera sans aucun doute une transformation très forte qui aura un effet fédérateur et positif.

Amsterdam, c’est un ensemble de réformes plus limitées, plus concrète. Reconnaissons aussi que ce traité n’a pas la même portée.

RMC-Le Figaro : Vous en êtes content de ce traité, vous-même ?

Pierre Moscovici : Très honnêtement, c’est un traité qui a été négocié par le précédent gouvernement. Nous sommes arrivés dix jours avant Amsterdam.

Nous assumons. Ce que je dis, c’est qu’il y a des choses positives dans ce traité. Il y a un chapitre sur l’emploi. Il n’y en avait pas. Il est d’application immédiate.

Et, on s’est beaucoup plaint à l’époque de Maastricht, qu’il y avait ce déséquilibre dans le traité.

Il y a chapitre social, et désormais les Britanniques – là aussi, il faut y voir sans doute le changement de gouvernement – ont ratifié le protocole social qui avait été signé à Maastricht.

Il y a ce qu’on appelle des coopérations renforcées, c’est-à-dire des capacités qui sont offertes à des États qui veulent avancer ensemble de le faire.

Il y a la reconnaissance des services publics.

Bref, il y a un certain nombre de choses qui sont assez positives et je veux citer le fait que le siège du Parlement est à Strasbourg. D’ailleurs, nous avons obtenu une belle victoire hier devant la Cour de justice des Communautés européennes qui reconnaît qu’il y a douze sessions désormais à Strasbourg.

RMC-Le Figaro : C’est « Cocorico » de la part de Pierre Moscovici…

Pierre Moscovici : Oui, j’étais à Strasbourg le 17 septembre. Je m’étais ému que le Parlement européen ait voté à nouveau onze sessions pour 1998.

Il faut que Strasbourg reste la capitale de l’Europe.

Mais c’est reconnu dans le Traité d’Amsterdam.

Pour toutes ces raisons-là, j’ai envie de dire, pourquoi pas Amsterdam. Nous avons signé ce traité. Le Gouvernement l’assume. C’est Hubert Védrine qui l’a signé pour le compte de la France et nous proposerons sa ratification évidemment de façon positive.

Mais il y a un manque dans le Traité d’Amsterdam, c’est tout ce qui concerne la réforme des institutions. Et c’est ce pourquoi la conférence intergouvernementale qui précédait Amsterdam, avait justement été prévue.

Donc, il y a quand même un demi échec. Et là-dessus, j’espère que le processus de ratification permettra d’avancer. Nous sommes très exigeants.

RMC-Le Figaro : Mais que va faire la France justement pour cette réforme des institutions, qu’est-ce qui va se passer maintenant ?

Pierre Moscovici : En même temps que nous avons signé le traité, nous avons aussi signé une déclaration qui est annexée au traité, avec nos amis belges, avec nos amis italiens, qui dit, en gros, la chose suivante : s’il n’y a pas de réforme de institutions, c’est-à-dire, pour nous une commission – la commission, c’est l’organe exécutif de l’Europe – resserrée ; s’il n’y a pas une nouvelle pondération des voix au conseil – le conseil, c’est la réunion des chefs d’États et de gouvernement  ; il faut que la France puisse se faire entendre là-dedans et donc que la démographie, la démocratie soient respectées ; s’il n’y a pas aussi l’extension du vote à la majorité qualifiée, alors qu’aujourd’hui, il faut l’unanimité pour prendre toutes les décisions, nous ne pourrons pas élargir à nouveau l’union.

RMC-Le Figaro : Et là, vous êtes prêt à bloquer l’élargissement ?

Pierre Moscovici : Nous ne bloquerons pas l’élargissement. Nous sommes favorables à l’élargissement. Comment pourrait-on être opposé à l’entrée dans l’union, de ces pays qui ont vécu pendant longtemps de l’autre côté du rideau de fer. C’est quelque chose d’historique, la réunification de l’Europe. Nous sommes favorables à l’ouverture du processus d’élargissement et ce sera décidé en décembre 1997 à Luxembourg. Mais en même temps, soyons clair, ce n’est pas de l’intérêt des pays qui veulent entrer dans l’Europe de le faire dans une Europe qui n’a plus de mécanisme de décision, qui n’a plus de politique commune, et donc, oui, nous ne conclurons l’élargissement que s’il y a une réforme des institutions. Ce n’est pas un chantage. Ce n’est pas une menace.

Je suis optimiste. On peut le faire. Il s’agit quand même de réforme qu’on peut atteindre.

RMC-Le Figaro : L’opinion, des gens comme nous, avons envie de savoir… ? Vous dites que ce n’est pas un chantage, pas une menace, c’est donc une position politique. Mais je veux dire : est-ce qu’il y a un grand risque que cela ne se fasse pas ? Il y a un risque mineur ?

Pierre Moscovici : Si nous annexons une déclaration au Traité d’Amsterdam, c’est quand même un geste très solennel, qui engage la France, c’est pour dire que c’est pour nous une condition extrêmement forte. C’est ce que le Président de la République a appelé un préalable institutionnel. Quand ont dit préalable, il faut que ce soit fait avant. Et donc, nous attendons qu’on nous comprenne bien. Nous sommes pour l’élargissement mais pour un élargissement qui permette en même temps à l’union de continuer à fonctionner.

Et si le Parlement – j’ai vu ici ou là, tel ou tel leader de gauche, Robert Hue d’un côté, par exemple, Jack Lang de l’autre, dire, sur Amsterdam, qu’ils avaient une position réservée – utilise son énergie de façon positive, en disant : nous ratifions ce traité, parce qu’il y a un certain nombre d’éléments positifs mais en même temps, nous exigeons des réformes institutionnelles, alors là, le Parlement jouera un rôle tout à fait favorable à la dynamique de l’Europe.

RMC-Le Figaro : Vous attendez, mais vous êtes aussi attendu. L’appel de SOS Europe lancé hier, c’était un appel transpolitique, par des députés européens, qui vont de Daniel Cohn-Bendit à Jean-Louis Bourlanges, des Verts à l’UDF ; ils disent ceci : l’Europe va mal, les Européens vont mal, ils ont mal à l’Europe. Il faut réagir très vite. Que faire s’il n’y a pas un supplément, non pas d’âme, mais un supplément d’institutions ?

Pierre Moscovici : C’est un peu aussi l’inquiétude que traduisent Raymond Barre et Jacques Delors, d’ailleurs, ils ont signé une déclaration commune. Il faut à l’Europe un supplément de politique. Je suis un partisan résolu de l’euro. Je pense que l’euro, c’est formidable et que cela va créer une dynamique économique extrêmement forte, changer les habitudes.

RMC-Le Figaro : Une parenthèse, très vite. Il est fait, on l’a dans la poche, pratiquement, pour vous, l’euro ? C’est acquis ?

Pierre Moscovici : Je crois qu’on y va, je pense qu’on y va sur des bases qui sont proches de celles qui voulait le Parti socialiste avant les élections, notamment avec l’Italie ; cela, c’est très important pour nous, car c’est une Europe très large qu’on va construire en matière monétaire. Mais, si les citoyens, si les peuples ont la sensation que l’Europe, c’est l’euro, encore une fois, chose formidable, une banque centrale indépendante, tout à fait logique et normal, un marché, c’est bien, cela fait 40 ans que cela fonctionne, mais si c’est uniquement ces domaines monétaires et marchands, alors les peuples ne seront pas satisfaits.

Et il faut, en dehors de cela, ce petit supplément d’âme, ce supplément politique, cette identité. J’ai fait faire un sondage, par un institut très sérieux, il y a une semaine, je l’ai rendu public, qui a montré que les Français attendaient de l’Europe une défense, une politique étrangère et de sécurité, qu’ils attendaient des mesures en matière de politique intérieure, qu’ils attendaient de l’Europe toute une série de compétence de souveraineté. Il faut que l’Europe politique puisse s’incarner et cela passe aussi par une réforme des institutions.

Alors, je ne suis pas un fédéraliste, à la différence peut-être de certains des signataires de SOS Europe ; je n’ai pas forcément la même sensibilité, ni la même histoire que Raymond Barre, mais je crois que cet élan nouveau doit être donné et qu’il faut ajouter de la politique à l’Europe.

J’ajouterai deux choses : il faut que cette Europe soit politique, mais aussi qu’elle soit populaire, c’est-à-dire que, dans les couches populaires, dans les classes moyennes dont on parle tant, on sente que l’Europe, c’est fait pour les gens et cela passe aussi par une Europe pour l’emploi.

RMC-Le Figaro : Quelles sont vos recettes ? Est-ce que vous dites ce matin dans Le Figaro, vous dite que c’est votre objectif, en effet. Comment faire ? Quelle méthode employer ?

Pierre Moscovici : Rendre l’Europe populaire, pour moi veut dire deux choses.

Elle doit être populaire au sens où les gens doivent l’aimer plus, alors qu’aujourd’hui, il y a une adhésion qui est un peu passive. Elle doit être populaire aussi parce qu’elle doit servir les plus défavorisés et de ce point de vue-là, on voit que, si les Français sont, quand même, de façon très majoritaire, à peu près 70 %, favorables à l’Europe, il y a encore chez les salariés, chez les ouvriers, chez les électeurs du Parti communiste, chez les électeurs du Front national, des interrogations.

Et pour le faire, il faut, à la fois, la rendre plus proche et donc, il faut une action de communication du gouvernement très déterminée, il faut qu’on sente que c’est un sujet essentiel pour nous. Et puis, il faut surtout avancer sur les sujets concrets, je pense à nouveau à l’emploi. Il y a une échéance qui nous attend en novembre. C’est le sommet de l’emploi sur Luxembourg. Il faut qu’il permette des résultats, des débouchés concrets et opérationnels.

Je vais prendre un exemple : la commission a sorti, va sortir un document où elle propose des objectifs quantitatifs, réduire le taux de chômage en Europe à 7 % en quelques années.

S’il y avait, après Luxembourg, les objectifs de Luxembourg, comme il y a eu les critères de Maastricht, on verrait un véritable rééquilibrage de la construction européenne. Nous y sommes favorables.

RMC-Le Figaro : Je reviens un instant sur le Traité d’Amsterdam. Écoutez ce qu’en dit votre collègue du gouvernement, le ministre de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement ; il dit que c’est un dispositif passablement touffu et contradictoire qui mériterait d’être précisé et peut-être revu. C’est aussi votre avis aussi, c’est une œuvre inachevée, qui connaîtra une suite ?

Pierre Moscovici : Ce n’est pas un chef d’œuvre de la littérature politique, les traités le sont rarement d’ailleurs. Touffu, il l’est à coup sûr. Contradictoire, je ne crois pas trop. J’insiste surtout sur le fait qu’il est lacunaire et qu’il a besoin d’être complété par l’aspect institutionnel, par des réformes institutionnelles simples et pratiques, pour parler comme Jean-Pierre Chevènement, qui permettrait à l’Europe d’être gouvernée. Car la menace, si l’on ne fait pas ces réformes, c’est une forme de dilution du pouvoir ou de paralysie. Et c’est pourquoi, encore une fois, nous proposons ce fameux préalable institutionnel, c’est-à-dire, qu’il faudra remettre cette œuvre-là sur le métier.

RMC-Le Figaro : Il faudra un nouveau traité un jour ou l’autre, à votre avis ?

Pierre Moscovici : Ce n’est pas forcément un nouveau traité. On peut imaginer des formules plus souples et plus simples, par exemple, que des réformes soient intégrées dans le cadre du futur traité d’adhésion. Le jour où le premier pays qui est candidat à l’élargissement, veut adhérer à l’union, on peut introduire des clauses qui permettent la réforme des institutions. On peut aussi faire une nouvelle conférence intergouvernementale, mais dans un temps extrêmement bref, avec un objet extrêmement limité. Mais en attendant, il faut le faire. De ce point de vue-là, j’insiste.

Vous savez, ce traité va être attaqué de toutes parts. Il y aura les fédéralistes de gauche et de droit. Il y aura les anti-européens, mais tous insisteront sur la même chose, y compris ceux qui sont favorables au traité, réformer les institutions.

RMC-Le Figaro : Je voudrais qu’on voit un peu l’Europe de demain de manière concrète. Alors, je sais bien que l’idée d’un Gouvernement économique européen est plutôt abandonnée. Mais est-ce qu’on peut imaginer et quand, une fiscalité commune, une Europe sociale commune, etc. ?

Pierre Moscovici : L’idée du gouvernement économique, est abandonnée parce que le terme a pu choquer, par exemple, les Allemands qui y voient une atteinte à l’indépendance de la Banque de France. C’est pourquoi Lionel Jospin, à Weimer, a rappelé que ce n’était pas un contrepoids à la banque centrale indépendante. Mais en même temps, mieux coordonner les politiques économiques, mieux coordonner les politiques budgétaires, mieux coordonner les politiques de l’emploi, mieux coordonner les politiques fiscales, c’est un impératif. Et c’est pour cela que nous proposons toujours ce que Dominique Strauss-Kahn appelle le Conseil de l’euro, c’est-à-dire, une instance informelle dans laquelle on pourra échanger des informations et aussi rapprocher les points de vue politiques.

RMC-Le Figaro : On a quand même eu l’impression que vous insistiez moins là-dessus ? c’est un peu du réalisme ?

Pierre Moscovici : Nous essayons de trouver les formules qui permettent d’aboutir à des compromis. Nous n’imposerons pas notre vision de l’Europe aux autres. Nous ne pouvons pas imposer un modèle français à l’Europe. Nous nous retrouverions tous seuls.

RMC-Le Figaro : Il n’y a pas de guerre de religion sur l’Europe ?

Pierre Moscovici : Donc, il faut trouver des compromis, faire passer nos idées dans des termes qui soient acceptables par les autres, c’est pour cela que nous parlons du Conseil de l’euro, c’est pour cela que nous le proposons. Mais en matière fiscale, pour répondre très concrètement à votre question, je suis favorable à une harmonisation rapide des fiscalités. Il y a un exercice qui est mené actuellement par le commissaire Monti : nous y sommes favorables. Nous sommes favorables notamment à une harmonisation des fiscalités de l’épargne puisque, paradoxalement, il y a certains pays dans lesquels elle est trop favorable, el Luxembourg.

RMC-Le Figaro : Puisque nous parlons d’harmonisation, reprenons ce qui s’est passé hier à Paris, avec cette circulation automobile alternée entre les pairs et les impairs. D’abord, on constate qu’il y a une montée des thèmes de l’environnement en Europe. Est-ce que là-dessus aussi, sur ce chapitre qui est proche de la vie des gens, on pourra faire quelque chose dans le sens de l’harmonisation ? Est-ce que c’est souhaitable et est-ce que c’est urgent ?

Pierre Moscovici : Je commencerai par un point de vue philosophique sur l’Europe, qui est cher à Jacques Delors, qui est la subsidiarité. L’Europe ne peut pas tout faire. On ne peut pas lui demander de régler quotidiennement, dans la vie de tous les jours, la protection sociale, l’environnement, etc. L’Europe doit fixer des grandes normes mais, par exemple, je crois que si l’on doit aller vers une fiscalité écologique, vers ce qu’on appelle une « écotaxe », évidemment elle peut, elle doit être européenne ; et c’est à cela que doit servir l’Europe.

RMC-Le Figaro : Rappelez-nous ce qu’est une « écotaxe ».

Pierre Moscovici : Une « écotaxe », ce peut être une taxe qui pèserait sur les émissions de CO2,  cette idée avait été émise , ou sur telle ou telle autre source de pollution. En matière automobile, sujet que je connais bien, puisque vous avez signalé que j’étais élu de Sochaux, là-bas, on réfléchit aussi à des normes de pollution. Il y a une directive qui s’appelle « auto-oil », qui est prise pour l’automobile. L’Europe sert à harmoniser les choses ; elle ne sert pas à fixer concrètement des mesures qui soient applicables tous les jours en cas de pic de pollution, par exemple.

Mais, une fiscalité plus écologique, c’est un objectif français, c’est un objectif européen. D’ailleurs, Dominique Voynet l’a bien dit, il faut à la fois des mesures de court terme, et ce qui s’est fait hier est de ce point de vue-là, est assez remarquable ; et des mesures de long terme, qui permettent un rééquilibrage de la fiscalité, un rééquilibrage des modes de transport, la maîtrise des transports collectifs dans les villes, et aussi le développement de mode de transport alternatifs. J’ai vu qu’un certain nombre de mes collègues étaient venus hier au conseil des ministres en voiture électrique. Au ministère des affaires étrangères, nous n’en avons pas mais…

RMC-Le Figaro : Vous êtes venu à pied, vous ?

Pierre Moscovici : Oui, à défaut de voiture électrique.

RMC-Le Figaro : Mais au niveau des peuples, est-ce que vous avez le sentiment qu’il y a de plus en plus, une sorte de compromis européen ? Même la manifestation d’hier, est-ce qu’on ne se rapproche pas plus de peuples de l’Europe du Nord dans l’attitude vis-à-vis de la nature avec ce genre de choses ?

Pierre Moscovici : Si, absolument. Je crois qu’on dénigre beaucoup l’Europe mais finalement, il y a une réalité qui pénètre un peu tous les esprits. Quand on parle environnement, c’est sans doute quelque chose qui nous vient des pays nordiques, mais des pays du Sud aussi. Et la façon dont ce gouvernement gouverne, d’une certaine façon, nous vient aussi de l’Europe du Nord. La culture de la délibération, la culture du débat, la culture des négociations, ce n’est pas quelque chose qu’on trouvait forcément dans la Cinquième République telle qu’elle a pu fonctionner.

(…)

Ce sont d’autre types de débat. Mais je pense que pour le Gouvernement Jospin, nous sommes quand même plus proches de l’éthique politique de certains gouvernements sociaux-démocrates que d’autres types de pratiques qu’on a pu trouver ici et là.

RMC-Le Figaro : Vous serez tout à l’heure au sommet franco-italien de Chambéry. Il y a un enjeu très concret qui intéresse beaucoup la zone d’écoute de RMC, c’est le TGV ou le train rapide entre Lyon et Turin. Alors, ce soir, feu vert définitif à ce grand projet ou pas ?

Pierre Moscovici : Je dirai que de toute façon, le sommet franco-italien est un sommet qui va se passer extrêmement bien à mon sens. Sur l’euro, nous apprécions les efforts de l’Italie et nous les soutenons ; et je crois qu’ils nous en sont reconnaissants.

Il faut que cela réussisse. En matière de coopération industrielle, on va pouvoir progresser, notamment dans l’aéronautique. Et il y a deux sujets très concrets, il y a celui que vous signalez, je vais y revenir, il y a aussi le fait que Jean-Pierre Chevènement va pouvoir signer avec son homologue italien, une convention de coopération en matière de sécurité qui permettra l’entrée définitive de l’Italie dans les Accords de Schengen, dans les bonnes conditions de sécurité, en terme de libre circulation des personnes ; c’est aussi très important pour les habitants de votre zone, parce que la libre circulation sera permise.

Alors, sur le Lyon-Turin, il faut donner une impulsion politique effectivement très forte à ce projet de tunnel transalpin. On parle de TGV mais il n’y a pas que cela. C’est plus compliqué, c’est un tunnel transalpin, dans lequel pourront passer des trains, à la fois grande vitesse, mais aussi du frêt, ce qui permettra de désengorger la circulation routière, ces accumulations de camions que l’on connaît ; cela permettra un rééquilibrage des modes de transport. Donc, quand on parlait tout à l’heure d’environnement, c’est quelque chose d’absolument essentiel et c’est aussi quelque chose qui constituera un axe structurant pour tout le Sud de l’Europe, car on pourra rejoindre la Yougoslavie à Barcelone, une fois que cela aura été réalisé.

Donc, c’est quelque chose d’extrêmement important. On va donner une impulsion décisive ce soir et je pense notamment que cela se manifestera par un nouveau financement d’études, et par des déclarations d’intention forte. Ça fait partie de ces grands travaux, qui ont été adoptés à Essen, il y a quelques années, dont nous pensons qu’ils ont, par rapport à l’Europe, une vocation structurante et aussi une capacité forte à créer des emplois et à développer un véritable aménagement du territoire européen.

J’aimerais, et je pense très honnêtement, qu’on va bien avancer et que ce sommet franco-italien est un sommet qui sera réussi, parce que l’amitié franco-italienne a toujours été très grande. En ce moment, il y a une très forte identité de vues, y compris sur le domaine institutionnel dont je parlais tout à l’heure. Je rappelle que c’est avec les Italiens et les Belges que nous avons signé une déclaration annexe au Traité d’Amsterdam.

RMC-Le Figaro : En marge de ce sommet, il paraîtrait que la France va annoncer la fermeture de son consulat à Venise. Pourquoi cette décision ?

Pierre Moscovici : Nous verrons.

RMC-Le Figaro : Quoi qu’il soit, vous avez l’air satisfait, parce que les relations franco-italiennes s’arrangent. On revient de loin, quand même. Ce ne fût pas toujours le cas.

Pierre Moscovici : Il y a quand même une grande tradition européenne en Italie, Traité de Rome oblige ; il y a toujours eu des relations extrêmement fortes, mais le fait que l’Italie soit à nouveau un grand pays, qu’elle ait fait tous les efforts industriels, les efforts économiques, les efforts budgétaires, pour être dans l’euro et que tout cela se traduit aussi en matière de sécurité, j’y insiste à nouveau : on ne peut pas dire que la frontière italienne est une passoire : on va prendre les mesures nécessaires  en la matière. Il y a une très grande identité de vues et franchement, avoir un grand pays du Sud qui soit à nos côtés dans l’Europe de demain, c’est très important.

RMC-Le Figaro : Nous changeons de chapitre, mais nous restons dans l’Europe : est-ce que l’Europe doit s’impliquer dans ce qui se passe en Algérie. Est-ce que, par exemple, la France et l’Allemagne ont un rôle à jouer, comme le dit Jack Lang, par exemple ?

Pierre Moscovici : Vous savez, c’est une situation très très douloureuse que vit l’Algérie, avec un cycle de terreur et de violence qui est effrayant, une aspiration double de la population algérienne, une aspiration à la sécurité et aussi une aspiration à trouver une solution politique. Alors, on reproche parfois à la France, telle ou telle attitude, mais ce que nous pouvons faire, compte tenu du fait qu’on ne peut pas s’ingérer dans les affaires algériennes, c’est manifester une solidarité très grande au peuple algérien, et une solidarité concrète, avec notamment tout ce qui concerne l’assouplissement en matière de délivrance de visas ; on doit penser aux Algériens, mais penser aussi aux Français, qui peuvent être en difficulté là-bas. Il faut aussi aider au redressement économique de l’Algérie, mais il ne faut pas non plus céder à des formules qui sont, à force d’être généreuses, un peu irréalistes ; d’abord parce qu’on ne sait pas très bien ce qui se passe là-bas.

RMC-Le Figaro : Ce qui veut dire que Lionel Jospin a eu raison de prendre quelques distances avec le régime algérien, pour être plus concret, plus clair ?

Pierre Moscovici : Écoutez, les paroles du Premier ministre en général me satisfont.

Mais, je crois qu’en la matière, je veux affirmer plutôt la proposition que nous avons avec Hubert V2drine, pour répondre à ce que vous dites, c’est-à-dire que nous sommes ouverts et disponibles à toute action, à toute solution, qui pourra aller dans le sens d’une résolution du problème algérien.

Il faut avouer que c’est une belle formule, ça !

Non, je veux dire que si l’union peut y contribuer, et on va débattre dès lundi au Conseil affaires générales, c’est positif.

En même temps, on ne peut pas non plus, je le répète, faire à nous tous seuls, et la politique algérienne, et la politique européenne.

RMC-Le Figaro : Et dans votre esprit, de quelle manière cette contribution de l’Europe ?

Pierre Moscovici : Il faut vraiment qu’on en parle avec nos partenaires. Il me semble que cela peut être essentiellement dans l’ordre du redressement économique que les choses peuvent aider. L’Europe peut aider, comme elle le fait au Proche-Orient d’ailleurs, sur ce qui concerne la structure. Elle n’a pas, on l’a vu, la capacité en matière de politique étrangère et de sécurité commune, qu’elle pourrait avoir. D’ailleurs, l’Algérie n’est pas en Europe, elle n’est pas comme la Bosnie.

Alors, ne demandons pas à l’Europe ce qu’elle ne peut pas faire, demandons-lui ce qu’elle peut faire.

RMC-Le Figaro : Une dernière question de politique étrangère : est-ce que le Premier ministre a eu raison également de tracer un quelque sorte les limites du terrain franco-américain dans la signature du contrat Total avec l’Iran ?

Pierre Moscovici : Complètement, vous savez, et ce pour quatre raisons. D’abord, Total est une société privée et multinationale qui doit défendre ses intérêts stratégiques. Deuxième raison, l’Iran n’est pas un pays qui fait l’objet d’un embargo de la part des Nations unies. Et donc, cette décision est conforme au droit international. Troisième raison, cette décision est compatible avec notre politique française, par rapport à l’Iran. C’est-à-dire que nous tenons vis-à-vis d’eux un langage sans complaisance, nous n’avons pas, par exemple, actuellement d’ambassadeur là-bas, puisqu’ils ont maltraité l’ambassadeur allemand ; mais nous ne sommes pas pour la restriction des échanges avec ce pays. Nous jugeons que ce n’est pas positif. Et puis, quatrièmement, il faut rappeler la formule de Lionel Jospin, les lois américaines s’appliquent aux citoyens et aux entreprises américaines. Et la loi d’Amato, l’Europe s’y est toujours opposée car elle est contre les législations qui comportent des sanctions sanitaires à portée extraterritoriales, de même que nous ne reconnaissons pas non plus la loi Helms-Burton, les sanctions par rapport à Cuba ; nous avons saisi l’Organisation mondiale du commerce de ce problème. Il faut que les Américains respectent un peu les autres, et je crois que la position de Lionel Jospin est une position de principe et de réalité extrêmement ferme. Je la partage intégralement (…).