Texte intégral
Près d’un an après le vote de la première loi sur les 35 heures et à quelques mois de la discussion par le Parlement de la deuxième loi qu’on nous impose, il est de notre rôle de faire le point sur la mise en œuvre de la première loi, d’en tirer les enseignements et de formuler des propositions.
Pour ce faire, nous avons interrogé nos adhérents. Nous les avons consultés à l’aide d’un questionnaire largement diffusé, leur demandant leurs propositions concrètes.
Le verdict du Parlement étant tombé en juin dernier, comment les entrepreneurs, aux prises avec un texte qu’ils n’ont pas voulu, qu’ils ont combattu, mais qu’ils devront appliquer, vont-ils pouvoir s’en sortir ?
Il y a les réformes décidées à Paris, les constructions artificielles échafaudées, à l’abri des vents forts de la concurrence, et puis il y a la vie réelle des entreprises : celle des ateliers à faire tourner, des marchés à conquérir, des commandes à engranger, des nouveaux contrats à décrocher ; celle du compte d’exploitation à boucler ; celle des illusions et des faux espoirs nés de cette loi auxquels il faut apporter une réponse jour après jour. J’ai beaucoup rencontré les entrepreneurs, chez eux, ces derniers mois. Qu’ai-je vu ? Qu’ai-je entendu ? Des entrepreneurs perplexes, décontenancés, désabusés, sonnés parfois, mais aussi terriblement lucides parce qu’entrepreneurs. Les voilà confrontés à une loi qu’ils ne comprennent pas, dont ils mesurent qu’elle est artificielle, perverse même et qu’ils doivent se préparer, quel qu’en soit le prix, à faire entrer dans la vie réelle des usines, des bureaux, des ateliers, des services, des laboratoires, des commerces, des chantiers, etc… C’est cette réalité des entreprises dont nous nous faisons aujourd’hui les porte-parole.
C’est au nom des entreprises, et après les avoir consultées, qu’aujourd’hui nous prenons position et formulons des propositions de bon sens et réalistes fondées sur le dialogue social.
Il nous est remonté trois réalités :
• Première réalité : les Français sont victimes d’un redoutable mirage
A l’heure où la France se lance dans l’euro, où les Français s’engagent dans internet, double révolution qui va permettre à chacun de comparer les prix et les coûts. A l’heure où la compétition change de dimension, le mot d’ordre qui est envoyé, d’en haut, aux Français, est : « travaillez moins ! ». Alors qu’il nous faudrait, au contraire, forcer la foulée, la loi laisse entendre que nous pouvons nous payer le luxe de ralentir la course. Alors qu’il nous faut retrousser nos manches pour produire mieux et créer plus d’emploi, la loi laisse supposer que nous pouvons nous permettre de croiser les bras. Terrible erreur !
• Deuxième réalité : c’est une loi qui coûtera cher sans réduire le chômage
Les contraintes imposées aux entreprises par la rédaction de la durée légale du travail vont être lourdes, complexes, coûteuses. Il est souvent jugé périlleux, sinon impossible, de les mettre en œuvre. Personne ne souhaite que les menaces pesant sur l’expansion des entreprises coûtent à notre pays plus cher en compétitivité perdue, qu’elles ne rapportent en emplois grapillés à court terme. C’est la croissance organisée par les entreprises qui a créé 310 000 emplois en 1998, à rapprocher des quelque 20 000 emplois prêtés aux 35 heures.
• Troisième réalité : près du terrain les partenaires sociaux sont capables de réalisme
Dès que la loi a été votée, nous avons adopté une démarche de terrain, donné la parole aux entreprises, orienté les négociations vers les branches.
Les résultats aujourd’hui sont clairs :
Rares ont été les accords d’entreprises : quelques milliers, moins de 1 % des 1,2 million d’entreprises auront conclu un accord. Très peu nombreux sont les emplois créés ; bien loin des illusions entretenues que nous avons toujours dénoncées.
Plus importants ont été les résultats des négociations entre partenaires sociaux au niveau des branches : 46 accords conclus, couvrant 7 millions de salariés, soit la moitié du secteur marchand. Des dizaines d’accords sont encore en cours de négociation.
Avec réalisme et bon sens, les syndicats de salariés et les fédérations professionnelles sont parvenus dans ces accords à un équilibre propre à chaque métier entre la réduction de la durée légale du travail à 35 heures et des adaptations de l’organisation du travail.
De ces trois réalités, nous tirons une conclusion simple : il faut poursuivre et amplifier ce que le dialogue social a permis de faire avancer. Les accords négociés et conclus entre partenaires sociaux doivent être intégralement maintenus et les partenaires sociaux respectés. Si la négociation sociale devait être contournée ou bafouée, ce serait très grave, pour l’expansion, et pour l’emploi.
C’est parce que nous sommes dans un engrenage singulier dans lequel la France s’engage seule au monde, en soumettant toutes les entreprises à la réduction autoritaire et généralisée de la durée légale du travail, que le MEDEF, au nom de toutes les entreprises de terrain, fait des propositions réalistes et de bon sens inspirées par les négociations sociales conclues à ce jour.
En voici les six points essentiels :
1 – Priorité à la négociation collective sur la loi en matière d’aménagement du temps de travail
Non seulement il faut appliquer sans réserve les accords conclus avant le vote de la loi dans les branches et les entreprises, mais il faut aussi laisser aux partenaires sociaux la possibilité de fixer eux-mêmes par accord les règles applicables en ce domaine, sous réserve du respect des durées maximales du travail.
2 – Il faut laisser aux partenaires sociaux le temps de gérer les 35 heures
Le dialogue social fait ses preuves. Ne l’arrêtons pas ! Au contraire. Donnons-lui du temps ! Il est nécessaire que les partenaires sociaux puissent disposer d’au moins un an après le vote de la loi pour poursuivre le mouvement de négociation engagé. Cela conduit à appliquer la loi normalement votée cette année à partir du 1er janvier 2001. C’est le calendrier du réalisme et du bon sens.
3 – Il faut légiférer le moins possible
Pour les entreprises qui ne seront pas couvertes par un accord de branche ou un accord d’entreprise, il faut limiter le dispositif législatif à un cadre réaliste, leur laissant le maximum d’espaces de liberté. Nous faisons à cette fin de propositions précises, incluant notamment la nécessité de développer la formation.
4 – Il faut préserver le pouvoir d’achat des salariés les moins bien rémunérés en corrigeant les effets pervers de la loi
Les salariés touchant le SMIC devront-ils subir une diminution de 10,25 % de leur rémunération en étant payés 35 heures au lieu de 39 ?
Les entreprises devront-elles subir une augmentation de 11,4 % du SMIC en payant 39 heures le travail peu qualifié de 35 heures ? Nous proposons des solutions pour sortir de ce dilemme.
5 – Il faut prévoir des dispositions spécifiques pour certaines catégories de salariés et bien entendu les cadres, essentiels au succès des entreprises.
6 – Il faut appliquer un seuil réaliste aux petites entreprises de terrain
La consultation que nous avons ouverte nous révèle que dans les entreprises de petite taille, les salariés comme les entrepreneurs, ne savent pas par quel bout prendre cette loi plaquée sur leur réalité spécifique. Il est impératif de reporter pour elles, au 1er janvier 2003 au lieu de 2002, l’application de la loi et de relever de 20 à 50 salariés le seuil des effectifs.
Les entrepreneurs, eux, sont pragmatiques. En démocrates et républicains, ils savent bien qu’ils auront à appliquer la loi qu’ils réprouvent mais ils veulent faire prendre en compte les réalités. Ils sont soucieux d’anticiper sur des réglementations arbitraires qui seront faites :
• comme si le nouvel espace économique européen ne modifiait pas les données de la compétitivité ;
• comme si les jeunes entrepreneurs n’étaient pas de plus en plus libres d’implanter leurs entreprises ailleurs, là où les conditions sont les plus favorables à leur développement ;
• comme si l’attractivité de l’espace économique français n’était pas l’enjeu essentiel des années qui viennent ;
• comme si la France pouvait se permettre le luxe d’improviser, de théoriser, de s’illusionner.
On engage la France – seul pays d’Europe où la réduction du temps de travail est organisée par la loi – dans une périlleuse aventure dont les effets sur notre expansion et notre emploi risquent d’être lourds. Il est donc essentiel que la deuxième loi organise un bilan de l’application des 35 heures dans un délai raisonnable, trois ans après avoir été votée, c’est-à-dire en 2003.
Il faut pouvoir revenir sur les dispositions qui auront été adoptées par la loi ou les remettre sur le métier au cas où elles se seraient révélées néfastes pour l’expansion et pour l’emploi et nocives pour l’esprit d’entreprise. Car c’est bien de l’esprit d’entreprise qu’il s’agit !