Texte intégral
Le Peuple : 1er octobre 1997
Conclusions de Louis Viannet, secrétaire général de la CGT
Cette session du CCN a été importante compte tenu des problèmes auxquels nous sommes confrontés, de la période dans laquelle il se situe et il n’est pas anodin de souligner le profond accord entre la démarche impulsée par la direction confédérale et ce qui ressort des débats.
Alors que la discussion a confirmé le caractère complexe de la situation, des profondes interrogations traversent le monde salarié dans sa diversité, donc les militantes et les militants de la CGT à tous les niveaux, y compris au niveau de la direction confédérale. La situation actuelle nous oblige à chercher, créer, construire des réponses qui, sans doute, ne se situent pas forcément dans le prolongement de tout ce que nous avons eu l’habitude de travailler.
Il n’est pas anodin non plus de constater les progrès du CCN dans sa capacité d’aborder et de discuter des problèmes avec discipline et de préparer cette discussion en amont. Nous avançons vers l’ambition que nous nous sommes fixés : faire jouer un rôle toujours plus important au CCN dans la vie de la CGT, parce que c’est le lieu idéal où peuvent et doivent se croiser les approches et les réflexions de nos unions départementales, de nos fédérations et pour toujours plus travailler ensemble le champ des coopérations et des solidarités.
Nous repartons de ce CCN avec des points d’appui que nous avons maintenant à faire vivre en faisant converger nos efforts pour qu’il se passe vraiment quelque chose sur le lieu du travail.
Il y a la perspective de la grève unitaire dans les télécommunications et les questions qui se posent sur la façon d’interpeller l’ensemble des salariés alors que le besoin d’éclairer les enjeux est fortement ressenti.
* La place et le rôle des services publics
Nous allons travailler à un projet de tract confédéral pour aider les unions départementales et les autres organisations, éclairer, expliquer les batailles qui s’engagent autour du secteur public et qui concernent tout le monde. D’une façon plus générale, on ressent le besoin d’un nouvel élan de la coordination pour aider le positionnement de toutes nos organisations sur les questions de défense et de développement des services publics.
En présence d’une certaine accélération, nous ne sommes pris ni au dépourvu, ni à contre-pied. Nous avons des textes de congrès, des débats à la commission exécutive confédérale ainsi que dans toutes nos organisations. S’il est une question qui a fait l’objet de nombreux échanges, de discussions, de prises de position et d’initiatives de la CGT, c’est bien la place et le rôle des services publics dans la vie, dans l’évolution de la société française et des atouts qu’ils représentent pour mettre en œuvre une dynamique nouvelle.
C’est, parmi d’autres, une des critiques que nous avons faite au Gouvernement : vouloir enfermer la réflexion sous le seul aspect de l’ouverture du capital, comme voulait nous y contraindre la démarche autoritaire qui a présidé aux décisions récentes du Gouvernement, serait le meilleur pour en rester à des discussions qui seraient forcément stériles. Démarche qui persiste puisque nous avons appris hier par la presse sa volonté d’aller vers la déréglementation du gaz et de l’électricité.
Nous avions pensé, dans un premier temps, réunir les fédérations du secteur public. Comme vient de l’annoncer la présidente de notre séance, Jacqueline Mautcourant, nous allons vers une réunion de toutes les fédérations, afin de faciliter l’échange et la réflexion sur ce que doit être notre engagement pour déboucher sur une initiative à laquelle nous devons donner un caractère confédéral.
L’action unitaire des cheminots le 8 octobre, les risques d’annonces, à brève échéance ; de démantèlement de la SFP, le problème de la privatisation du CIC et d’autres établissements financiers, la déréglementation du gaz et de l’électricité, du devenir du groupe Thomson qui va nécessiter une réflexion et un engagement de la fédération de la métallurgie militent en ce sens, la liste s’allonge des dossiers qui vont mettre la question du devenir de tout le service public sur le devant de la scène. Les enjeux sont tellement importants que la confédération ne peut se dessaisir d’aucune de ses responsabilités pour impulser, nourrir le débat et aider l’ensemble des organisations à se situer.
Dans le même esprit, nous allons organiser une réunion de travail avec les fédérations de la santé et des organismes sociaux pour réfléchir sur la façon de nous situer par rapport à la volonté du Gouvernement de continuer la mise en œuvre du plan Juppé.
Malgré les déclarations d’apaisement, les décisions tombent que ce soit dans les hôpitaux ou par rapport aux assurés sociaux. Nous allons également organiser une réunion des fédérations de la métallurgie et des travailleurs de l’État pour pousser la réflexion sur les questions de la défense. Comme l’a confirmé le camarade du Finistère, ce sont des dizaines de milliers d’emplois qui sont en jeu et les perspectives de stratégies industrielles touchent aux éléments essentiels de nos industries qu’elles soient de défense ou métallurgiques.
Dans un deuxième temps, nous organiserons une réunion avec les unions départementales concernées par les sites les plus directement visés, pour voir comment nous travaillons à une coordination.
* L’objectif : aller vers les salariés
Ces initiatives conduisent à souligner l’importance de la mise en œuvre de la journée du 23 et de la semaine de mobilisation et de sensibilisation décidée du 29 septembre au 3 octobre. L’objectif de ne pas se limiter à nos forces vives, mais de créer les conditions pour aller vers les salariés par des distributions de tracts et des initiatives de toute nature afin de favoriser la discussion, la réflexion autour d’une présentation lisible des positions de la CGT.
Compte tenu des efforts qui sont faits pour donner une présentation caricaturale de ce que sont nos positions et nos propositions, les salariés ont besoin de bien percevoir comment se situe la CGT, la force de sa volonté pour aller au débat, non pas en disant : « Voilà ce que nous avons décidé », mais en confrontant nos propositions, nos positions et prévisions sur l’évolution de certains dossiers et ce que pensent, souhaitent et veulent les salariés.
Nous allons tout faire pour que vous puissiez avoir ce projet de tract dans le courant de la semaine prochaine et créer ainsi les conditions pour que nos organisations, nos syndicats puissent, s’ils le jugent nécessaire, le reproduire.
Mais rien ne remplacera les initiatives des syndicats eux-mêmes. Ce sont les mieux placé pour connaître les réflexions, les questions que se posent les salariés dans l’entreprise, pour apporter des arguments qui aident à la discussion, à la réflexion et permettre de mettre en débat les propositions de la CGT et la façon dont elle entend se positionner. D’autant que les sujets d’intérêts et les questions ne manquent pas. Le plan emploi-jeunes pose des problèmes. D’autres débats existent sur l’emploi, les salaires, la réduction de la durée du travail, l’annualisation qui nourrissent quotidiennement les articles des journaux. Cette situation va se développer. Il ne peut y avoir d’un côté des salariés qui réfléchissent, s’interrogent et de l’autre une CGT « donneuse de leçons ». Pour créer les conditions de la discussion et des débats, il est indispensable que la CGT s’implique à tous les niveaux. Il est nécessaire que dans toutes nos expressions, qu’elles soient écrites (tracts, articles…) ou radiotélévisées, de bien camper la CGT comme la force syndicale autonome, décidée à tout faire pour que les choses bougent dans le sens des intérêts de tous les salariés, des retraités, des chômeurs, pour que les forces syndicales convergent ensemble sur un certain nombre d’objectifs indispensables à la mise en œuvre de pistes nouvelles.
C’est d’autant plus important que la date des élections prud’homales approche, et la façon dont la CGT est aujourd’hui perçue par les salariés en attente de nouvelles réponses, va être décisive sur la façon dont ils vont ensuite écouter nos propositions, positions, nos appels à voter aux prud’hommes, et les raisons du vote CGT dans l’intérêt des salariés dans toute leur diversité.
Les questions posées autour du dispositif emploi-jeunes sont donc nombreuses et réelles comme, par exemple, l’introduction d’emplois de statut privé dans des secteurs qui appartiennent au secteur public en lien avec tout ce que nous disons sur l’emploi public, le statut, le devenir d’une fonction publique d’État, territoriale, de santé, déjà envahie par des emplois hors statuts.
Mais la réalité profonde – dont on n’a pas pris, je pense, toute la dimension – c’est qu’il y a des centaines de milliers de jeunes en attente d’un débouché qui ouvre sur un emploi et sur la possibilité de rentrer enfin dans la vie active.
Les commentaires de presses, de radios ou de télés ont été « surpris » par l’avalanche des demandes qui ont submergé les rectorats de l’éducation nationale ; première administration à annoncer une date pour le dépôt des dossiers.
Non seulement nous ne sommes pas surpris, mais nous sommes convaincus que cela va aller en s’amplifiant. Il serait dramatique que la CGT soit perçue par ces jeunes comme réticente ou comme un obstacle à la concrétisation de leur espoir. Nous avons eu une très bonne discussion avec les fédérations directement concernées par cette question et c’est un point sur lequel nous devons très vite nous mettre d’accord.
Nous allons déjà avoir à assumer avec eux les désillusions qui vont très vite se faire jour chez tous ceux et toutes celles qui n’auront pas été recrutés en raison du nombre de demandes. Si, par malheur, cette jeunesse avait le sentiment que finalement les campagnes qui ont lieu périodiquement sur le thème « les syndicats ne sont là que pour défendre ceux qui ont un statut, une convention, un emploi » sont exactes, la rupture avec toute une génération serait lourde de conséquences.
Le fait que ces jeunes seront payés au SMIC, que l’emploi éventuel est limité à cinq ans dans le meilleur des cas, puisqu’il y a des clauses où le contrat peut être rompu, c’est à la fois loin de ce qu’il faudrait, de ce que beaucoup souhaiteraient, très loin de ce que nous disons.
Mais, nous avons formulé des critiques bien plus dures et bien plus légitimes lors de la création des CES, pourtant plus de 400 000 CES sont actuellement employés dans différents services et, on peut se le dire, nous avons eu du mal à engager nos forces militantes et ces salariés à développer des batailles pour déboucher sur des embauches et sur de véritables emplois.
* Accueillir les jeunes avec eux s’organiser
C’est donc avec un esprit de conquêtes immédiates et futures que nous devons accueillir ces jeunes pour, avec eux, s’organiser pour obtenir la pérennisation de leur emploi ; pour que leur salaire corresponde à leur niveau de qualification et, en particulier, aux conventions collectives en vigueur dans les secteurs où ces jeunes seront embauchés.
Un esprit de conquête pour leur devenir, pour donner un élan nouveau à la bataille pour l’embauche des CES, pour que nos positions soient comprises par les uns et les autres, comptes tenues des oppositions qui vont surgir lorsque dans un service, à un niveau de diplômes équivalents, des salariés seront payés à 100 % du SMIC et d’autres à 50 % et que ces positions correspondent réellement à l’intérêt de tous et non pas à l’intérêt des uns contre les autres. Esprit de conquête enfin pour la syndicalisation parce que ces jeunes qui vont entrer dans les services aujourd’hui seront les forces syndicales de demain.
Nous ne sommes plus, comme en août où lors de la conférence de presse de rentrée, en situation d’attente. Nous avons dit que par sa politique qui visait à gagner du temps, le Gouvernement avait une stratégie à risques. Ce n’est plus le cas. Le Gouvernement n’est plus dans une situation d’attente, il agit, prend des décisions, des mesures et les choses bougent. Certaines ouvrent un champ d’intervention et nous donnent la possibilité de peser pour aller dans le bon sens et permettre des conquêtes. D’autres sont ouvertement conflictuelles. Mais que cela nous plaise ou non, toutes débouchent sur une situation nouvelle qui nous oblige à intégrer le mouvement en cours, à l’analyser, à nous situer, sans avoir d’ailleurs à renier quoi que ce soit de nos positions antérieures et, à prendre en compte les contours de la situation nouvelle.
* La CSG, exemple type d’une situation nouvelle
Prenons la CSG. C’est l’exemple type d’une situation nouvelle. La décision prise par le Gouvernement est une décision importante et lourde puisque nous sommes en présence d’un impôt direct, proportionnel, plus important même que l’impôt sur le revenu. Lors de son intervention hier, Pierrette Crosemarie a eu raison de montrer les aspects contradictoires de la mesure.
Nous sommes, dans son principe, contre la CSG. Nous considérons qu’il n’y a pas de raison pour modifier notre position.
Mais pouvons-nous nous en tenir à cette seule position qui risque de nous mettre en dehors d’un champ d’intervention décisif si nous voulons empêcher des dérives plus graves ?
Nous sommes contre la CSG, mais allons-nous rester silencieux sur la non-prise en compte des revenus financiers des entreprises ?
Si nous ne parvenons pas à faire bouger le Gouvernement par rapport à cette question, telle qu’elle est faite, la répartition de l’alimentation des ressources de la CSG restera en défaveur des salariés, des retraités, des chômeurs et toute perspective d’augmentation (parce que personne ici ne se fait d’illusion) rendra plus pénible et plus dure cette distorsion. Allons-nous rester silencieux sur le fait que si cette répartition reste ce qu’elle est ; si les revenus financiers des entreprises restent protégés, les tentations vont grandir pour évacuer complètement la participation des entreprises au financement de la protection sociale ? Ou pour évacuer un des points sur lesquels nous nous battons depuis des années, qui vise à imposer une modulation du calcul de l’assiette des entreprises pour le financement de la protection sociale en tenant compte de la création d’emplois par rapport aux richesses créées ?
Si d’aventure, le fait d’être contre la CSG nous conduisait à laisser évoluer les choses sans rien faire, à un moment ou à un autre les salariés, nous demanderons des comptes.
Entendons-nous bien, je n’ai d’état d’âme ni par rapport à notre positionnement, ni par rapport au bien-fondé de notre argumentation. Si demain un rapport de forces venait à se créer qui nous permette d’imposer tout ou partie de nos solutions pour le financement de la protection sociale, la situation serait complètement modifiée.
Seulement, plus l’évolution se fait par rapport à la CSG pour le financement de la protection sociale, plus il sera difficile de faire un retour en arrière et plus la participation des revenus financiers des entreprises sera importante si nous parvenons à l’imposer, plus nous limiterons le champ des tentations qui vont se faire jour.
Il faut réfléchir vite à toutes ces questions, en discuter entre nous pour que la CGT pèse dans ce débat.
* Être en capacité d’apporter des propositions
Quand on pousse la réflexion, on voit bien que des questions nouvelles vont se poser dans tous les domaines en lien avec une situation qui bouge plus vite que nous, qui nous impose une démarche de mise à jour. Nous devons être en capacité à chaque moment de pouvoir apporter des propositions et des exigences pour la défense des intérêts des salariés.
Pour la réduction de la durée du travail, personne ne peut dire si nous aurons une loi-cadre et quel en sera le contenu. Si loi-cadre il y a, elle ne va pas tout régler. Au fil des négociations qui auront forcément lieu, il va bien falloir à chaque évolution réfléchir à garder le cap.
Cela se posera dans les mêmes conditions pour la modification du droit de licenciement ou pour les droits nouveaux en sachant qu’il n’y aura pas d’avancées sans l’intervention des salariés, qu’il n’y aura pas d’avancées qui concorderont, point pour point, avec les positions de la CGT et qu’il va toujours falloir ajuster pour pouvoir s’appuyer en permanence sur les salariés, sur leurs aspirations, sur leurs exigences.
Quelle est donc la démarche pour que la CGT reste en permanence un acteur qui pèse ? La pire des choses et la pire des positions serait, devant un dossier dont l’évolution ne correspond pas à ce que nous souhaitons, qu’on s’en désintéresse.
Rester donc un acteur qui pèse jusqu’au bout en s’appuyant sur les aspirations des salariés, des chômeurs, être au plus près de ce qu’ils veulent, mais en rappelant toujours ce que sont nos positions, nos propositions et les raisons pour lesquelles on les défend, voilà ce vers quoi nous devons tendre.
Prenons l’exemple de la prochaine journée d’action des cheminots. Elle va se dérouler sur les emplois, les salaires, la réduction de la durée du travail plus une ou deux revendications liées à des remises en cause très professionnelles.
Dans les revendications de cette journée d’actions ne figure pas la réforme de la SNCF. Dans une telle situation, d’aucun pourrait penser que la CGT baisse la barre. Or, nous savons que maintenir ce mot d’ordre serait se priver, dans le contexte actuel, d’un mouvement unitaire.
Cela dit, dans les débats avec les cheminots, la fédération et ses militants ne vont pas se priver en discutant de la réduction du temps de travail, de parler aussi de la réforme de la SNCF et d’en faire un élément de débat.
Nous sommes vraiment au pied du mur pour mettre en œuvre tout ce que nous avions décidé au 45e congrès.
Nous avons des atouts pour avancer. Comme nous avons eu l’occasion de le constater ensemble, des progrès ont été réalisés dans des domaines essentiels :
- dans la démarche unitaire, même si on a encore besoin de bousculer. Il faut dire aussi qu’on ne nous a pas forcément faciliter la tâche ;
- dans la vie syndicale, il y a sans doute encore plus à bousculer, à intensifier, à élargir et à accélérer ;
- dans la démarche revendicative où des progrès réels ont été réalisés et dont on mesure d’ailleurs les effets dans les débats, les assemblées générales et de entrée ;
- dans les débats. Celui de ce matin par exemple sur la mixité, après l’excellent film qui fait honneur à la CGT illustre notre volonté de plonger au plus profond du réel de la société.
C’est à partir de cette réalité, en confrontant ce que pensent les hommes et les femmes et ce que nous pensons que peuvent germer des réflexions qui nous feront progresser.
La démarche confédérale, qui a nourri plusieurs initiatives importantes, n’est pas étrangère aux progrès réalisés. Mais, pour aller vers plus de mixité encore dans la vie de la CGT, il faut affirmer plus notre volonté. Il faut donc donner des prolongements à notre effort, aux initiatives unitaires notamment avec les associations qui ont permis d’élargir le cercle de ceux et celles qui ont pris la dimension de l’enjeu que représente aujourd’hui l’engagement des femmes dans le mouvement social. Engagement auquel elles donnent une dimension revendicative, une exigence de droit mais aussi de dignité, la reconnaissance d’une différence qu’elles veulent mettre au service du développement des luttes où tous et toutes seront impliqués.
Cette volonté du CCN de construire des axes de travail doit maintenant se traduire dans des décisions, et ce serait une bonne chose si nos organisations prenaient la décision, à partir du film, d’avoir un débat identique avec leur commission exécutive, leurs conseils nationaux, leurs comités généraux.
Pour permettre de l’adapter aux conditions des entreprises et faciliter l’engagement des débats sur le lieu de travail, nos camarades préparent une cassette de 8 minutes qui sera prête dans quelques jours. Par définition, les questions qui touchent à des enjeux de société sont contradictoires et peuvent à tout moment connaître des reculs, y compris dans nos rangs d’ailleurs. Par rapport à notre engagement dans cette bataille. Il y a donc besoin d’une volonté politique fondée sur la prise de conscience de l’importance de l’enjeu.
* Que les femmes puissent prendre leur place
Il est urgent pour nos directions de discuter avec nos militantes, avec nos camarades femmes sur ce qu’il faut changer dans la façon de fonctionner et de vivre pour que les femmes puissent prendre leur place, en nombre à tous les échelons de nos organisations. Il est urgent de mettre en pleine lumière que Françoise Daphnis n’ait pas parlé dans le vide.
Il ne s’agit pas de pointer telle ou telle organisation qui refuse de confier des responsabilités aux femmes, cela fait partie des réalités que nous devons faire bouger. Si les femmes doivent effectivement s’affirmer, il y a surtout ce que les hommes doivent faire pour bouger les choses, et de ce point de vue le champ est immense.
Cette réflexion, est directement liée à tout ce que nous avons évoqué, durant ces deux jours.
Il ne faut pas sous-estimer ce qui a été dit sur les difficultés de la lecture. C’est une réalité et il y en a d’autres. Le CCN devient une des rares réunions où on prend encore des notes. Cela montre les modifications qui sont intervenues, qui continuent d’intervenir, qui nous posent et vont continuer de nous poser des questions nouvelles. Le rapport a bien fait de souligner l’importance que représente aujourd’hui la dimension de la réflexion engagée dans un grand nombre de nos organisations, mais il faut bien convenir qu’elle a du mal à déboucher sur des propositions ou sur des pistes de travail.
Une tentative de mise à plat est engagée depuis quelque temps. Le bureau confédéral a discuté à plusieurs reprises de la situation que nous pose aujourd’hui la communication, et pas seulement l’hebdo et le débat d’aujourd’hui fait partie de cette mise à plat.
* La CGT a besoin d’un journal de masse
La question de savoir si la CGT a besoin d’un journal de masse qui porte largement, dans une force accessible au plus grand nombre, les questionnements de la CGT ne peut pas se poser. Ce serait contraire avec ce que nous disons sur le besoin d’information des salariés et sur le débat nécessaire. Nous allons d’ailleurs en faire rapidement l’expérience avec tout ce qui va se dire dans la presse, à la radio et à la télévision sur la réduction de la durée du travail et les difficultés que cela va produire dans les débats avec ceux et celles des salariés qui n’ont pas d’autres éléments d’information.
Mais si vous avons besoin d’un outil pour porter les éléments du débat au plus loin avec les salariés, pour servir de cet outil nous avons également besoin d’outilleurs pour s’en servir. De plus, l’hebdo n’est pas gratuit, il se vend et il faut aussi des forces pour le vendre. Il y a des choses simples qui ne se font plus très souvent. L’affichage d’une page de l’hebdo sur les panneaux syndicaux par exemple n’a jamais été interdit. Mais si d’autre formes peuvent aider à une utilisation plus directe et plus concrète il faut y travailler.
Sur la vie syndicale elle-même, on ne parle pas assez des conditions actuelles de vie et de travail des salariés, ce que sont leurs conditions de travail qui prennent souvent, des formes répressives dans la plupart des entreprises.
Si ce n’est pour mouliner dans le vide, comment parler de ce qu’il faut faire du point de vue de la vie démocratique, de l’amélioration de la vie syndicale si on n’intègre pas ces éléments dans notre réflexion.
Prenons l’exemple de l’enquête sur le lectorat. Il y a eu les réunions, les discussions, et des critiques, ce qui n’a rien d’anormal. Je ne connais pas de journal, surtout en ce moment, qui ne suscite pas de critiques. Mais, pour le moment, aucune ne permet de dire : « alors là vraiment il faut changer ». D’autres pointent assez vite ce qu’il faut corriger et modifier. On a donc un panel normal de critiques de camarades qui indiquent ce qui les intéresse ou ce qui ne les intéresse pas. Mais sur le fond ce qui est dit sur l’attachement au journal montre que l’hebdo représente quelque chose.
Alors vient la question : « on n’a pas de débat avec les non-lecteurs ».
C’est exact. Mais demander à un non-lecteur ce qu’il pense d’un journal n’est pas tout à fait évident. Lui demander de répondre à la question : « Qu’est-ce que vous attendriez d’un journal syndical ? Ce n’est pas simple compte tenu qu’un lecteur a déjà du mal à y répondre, mais il lui sera encore plus difficile de donner son avis sur la question suivante : « Quelles sont les forces susceptibles aujourd’hui de gagner des lecteurs ? ».
La majorité des ventes de l’hebdo se fait maintenant par abonnement. Le journal est donc distribué au domicile du lecteur ce qui constitue un handicap pour que les dossiers, les articles soient insérés dans la vie syndicale, les réunions, les débats.
Cela ne veut pas dire qu’il faut arrêter de le vendre par abonnement, mais comment mener la bataille pour que l’hebdo soit présent dans les discussions de nos syndicats et de nos sections syndicales en tant qu’outil ? Ce sont des questions à poser à nos lecteurs pour qu’ils soient eux-mêmes acteurs pour la recherche de nouveaux lecteurs et de nouvelles lectrices.
* Enrichir le cercle de réflexion
Nous avons besoin, à partir de là, de continuer d’enrichir le cercle de réflexions.
Nous avons besoin d’un journal de masse qui soit lu, qui soit au service de toute la bataille que nous avons à conduire pour le renouveau du syndicalisme, pour une démarche revendicative en prise avec les problèmes du moment pour notre démarche unitaire, ce n’est ni la direction du journal, ni la direction confédérale qui peuvent, seules, répondre aux questions qui nous sont posées.
Il ne faut pas considérer que le CCN d’aujourd’hui est une fin. Notre débat aura des suites et le prochain CCN ne sera peut-être pas encore en mesure de trancher définitivement les questions abordées. Nous devons continuer la réflexion sur les problèmes des publications, leur nombre, leur intérêt, ce qu’elles représentent dans la vie de la CGT, ce qu’il faut peut-être changer pour que certaines choses puissent devenir, dans tel ou tel titre, un pôle d’intérêts supplémentaires.
Il faut aller vers la constitution du groupe de travail du CCN, avec la volonté de continuer l’effort de diffusion, en essayant à chaque fois de capter les éléments de réflexion que nous pouvons tirer des expériences qui se font. Il faut le faire en étant clair sur une donnée fondamentale : nous ne lâcherons pas le créneau d’un journal de masse, y compris si cela devait déboucher sur une structuration des efforts que fait la confédération sur nos différents moyens d’information. Tout cela permet un bon éclairage de la campagne des prud’homales.
Sans revenir sur tout ce que j’ai dit précédemment, c’est dans la mise en œuvre de notre démarche revendicative, de notre démarche unitaire, de notre positionnement dans la période présente, que nous créerons les conditions pour que l’impact des efforts que nous allons faire et que nous allons demander à nos militants et nos militantes de faire pour la campagne électorale, ait une résonance parmi les salariés.
Cet enjeu des prud’homales prend encore plus d’importance compte tenu de tout ce qui se prépare du point de vue des modifications que l’on sent venir par rapport au code du travail. Nous allons être dans des situations quasiment inextricables, avec des emplois privés dans le secteur public et des situations qui vont nécessiter une réflexion encore plus élargie. Nous allons nous servir de cette bataille pour élargir encore le rayonnement de la CGT et j’espère bien pouvoir dire après ces élections : « Nous sommes en mesure de nous servir des résultats à ces élections, pour aller à la conquête de forces nouvelles dans l’ensemble des secteurs, des branches et des catégories de salariés ».
Une information, ne serait-ce que pour votre réflexion. Même si nous ne sommes pas obligés de décider quoi que ce soit aujourd’hui, le bureau confédéral a réfléchi sur le prochain congrès confédéral. Vous devez donc partir avec l’idée que le prochain congrès confédéral aura lieu au début de l’année 1999. Statutairement, on aurait dû le tenir en décembre 1998, mais pour des raisons liées aux aléas politiques, la CFDT a décidé, avant nous, de tenir son congrès dans la première ou la deuxième semaine de décembre 1998.
Nous avons considéré que nous n’avions pas intérêt à ce que les deux congrès se tiennent simultanément.
Le congrès confédéral de la CGT se tiendra donc au tout début de l’année 1999.
Le Peuple : 22 octobre 1997
Le syndicalisme en Europe face aux défis de la construction européenne
Intervention de clôture de Louis Viannet
Nous avons toutes les raisons de nous féliciter de ces trois jours de discussion qui ont permis de riches échanges à un moment où la construction européenne, chacun le ressent bien, est à un véritable tournant qui ajoute plus de questions et de craintes qu’il n’apporte de réponses ou de certitudes.
Sur tous les aspects décisifs de l’évolution qui s’annonce, le syndicalisme voit grandir les défis qui lui sont lancés et s’affirmer le besoin urgent de convergences entre toutes les forces syndicales d’Europe, pour stimuler la pression du monde du travail.
Le coup d’accélérateur donné à la mise en place de la monnaie unique, par l’avancement de la date de fixation des parités, rassure et conforte tous ceux, toutes celles qui, attachés à l’euro, doutaient de la possibilité de respecter les délais, mais il laisse intactes toutes les interrogations.
Va-t-on vers une avancée dans l’harmonisation des politiques fiscales ou va-t-on laisser se développer la concurrence en vue d’attirer les capitaux ?
Le syndicalisme va-t-il avoir la force d’imposer la prise en compte des objectifs sociaux comme objectifs centraux à mettre en œuvre, ce qui suppose le développement d’une véritable politique de coopération économique, de perspectives industrielles communes, de mise en œuvre d’une réelle conception de services publics, ou bien va-t-on voir se poursuivre la politique de « dumping social » sous l’égide de la loi de la jungle entre les grands groupes européens, des délocalisations, de la remise en cause de nombre d’acquis sociaux qui, pourtant, donnent légitimité à la notion de modèle social européen ?
Le syndicalisme ne peut rester indifférent devant les risques de voir les politiques économiques encadrées par la politique monétaire alors que, précisément, les axes de la construction européenne restent solidement ancrés sur une démarche de concurrence, et les politiques sociales entourées, enfermées, étouffées par la recherche de toujours plus de compétitivité, de rentabilité.
Certes, nous sommes lucides sur la contradiction d’intérêts qui continue de marquer fortement les rapports employeurs/salariés et sur la marge de manœuvre de plus en plus réduite pour des initiatives en matière de politique sociale pour les différents pays.
Non seulement les contraintes de la monnaie unique pèsent sur les finances publiques et conduisent les gouvernements à réduire les dépenses publiques, y compris les dépenses utiles pour le développement et l’emploi. Mais cette démarche de concurrence entre grands groupes fait grandir leurs exigences pour obtenir, sous des formes diverses, une contribution de plus en plus forte des États pour renforcer leur position.
Non seulement les questions sociales sont ramenées à la portion congrue, mais ce sont les salariés qui subissent les effets de baisse du pouvoir d’achat, de la consommation, du développement de la précarité et de la persistance du chômage à un taux élevé.
Cette course à la position dominante que se livrent les grands groupes a maintenant des conséquences lourdes en matière d’emploi, mais également en termes d’aménagement du territoire, de restructuration des sites industriels, la stratégie des grandes entreprises obéissant de plus en plus à des critères financiers, et de moins en moins à des critères de développement industriel.
Joël Decaillon a montré les conséquences de stratégie qui ont maintenant valeurs générales et qui tendent, à la fois, à la recherche de croissances externes par rachats, OPA, franchise, sous-traitance… etc., bien souvent hors de l’Europe, tandis que les pouvoirs de décision sont de plus en plus centralisés, faisant fi des questions d’intérêt national, régional voire européen.
Où se trouve, pour les salariés, l’intérêt de la construction européenne telle qu’elle se fait aujourd’hui ? C’est une vraie question.
Peut-on laisser se développer les tendances lourdes qui conduisent de plus en plus à ce que l’Europe se coule dans le moule de la mondialisation, où les plus forts imposent ouvertement leur loi, comme viennent de le confirmer les discussions entre la commission européenne et les États-Unis à propos de la fusion Mac-Donald/Douglas ?
Le syndicalisme ne doit-il pas maintenant investir tous les champs d’intervention possibles en utilisant tous les points d’appui possibles : comités de groupes européens, coopérations interrégionales, définition d’objectifs revendicatifs et rassembleurs pour peser dans le sens des intérêts des salariés ?
C’est pourquoi nous attachons autant d’importance et persistons dans nos efforts pour la recherche de convergences intersyndicales.
* Recul du chômage
Mais cette question décisive de recul du chômage et de la précarité, de l’exclusion et de la misère, n’est-elle pas centrale dans l’évolution à imposer pour la construction européenne, tant sont lourdes les angoisses de toutes les catégories de salariés, de chômeurs, de jeunes, de femmes qui ne peuvent plus supporter la situation actuelle ?
Dans une large mesure, la crédibilité du syndicalisme va se jouer dans chacun de nos pays et, également, au niveau européen, autour de sa capacité à influer sur les choix, les décisions des États et de la commission européenne, sa capacité à intervenir en partant des propositions sur tous les dossiers où se trouve l’intérêt présent et à venir des salariés, des chômeurs, des retraités, sa capacité à construire des solidarités nouvelles entre salariés, entre salariés et chômeurs dans chaque pays et des solidarités nouvelles entre les forces syndicales de tous les pays européens.
Certes, c’est dans tous les pays du monde que le syndicalisme est confronté à des défis considérables du fait de la mondialisation, c’est-à-dire de la domination des grandes féodalités industrielles et financières mondiales, de la volonté de la finance d’imposer sa loi dans tous les aspects de la vie des hommes et des femmes et de soumettre l’économie à ses objectifs de captation des profits.
Les récents conflits sociaux à Vilvorde, en Corée du Sud ou aux États-Unis, avec la grève des salariés d’UPS, témoignent d’une réelle évolution de l’état d’esprit et de la recherche de réponses nouvelles et d’alternative à la situation actuelle. Mais l’Europe n’est-elle pas le berceau du syndicalisme ?
Est-ce un hasard si existe effectivement un certain modèle social européen, sans doute avec des diversités, des inégalités entre pays, mais aussi avec une réalité forte : c’est que certains acquis significatifs qui concernent la protection sociale, la retraite, les droits des syndicats, le rôle qu’ils jouent, ont effectivement structuré la plupart de nos sociétés dans les pays d’Europe ?
Dit autrement, ce syndicalisme européen qui, par-delà les difficultés qu’il rencontre aujourd’hui, constitue bel et bien une force importante, ne doit-il pas tout mettre en œuvre pour permettre au monde du travail, en Europe, de peser de tout son poids dans la définition des objectifs de développement à mettre en œuvre, des objectifs de démocratie à conquérir partout, à tous les niveaux ?
C’est dire l’intérêt de l’initiative prise par la confédération européenne des syndicats, visant à organiser une manifestation le 20 novembre à l’occasion du sommet du Luxembourg sur l’emploi. Nous sommes évidemment décidés à apporter notre contribution au succès de cette manifestation. Mais nous souhaitons que sa préparation, après les manifestations du 28 mai, du 10 juin en France, permette de faire émerger des propositions et des objectifs à l’aide desquels nous pourrons continuer de travailler à la convergence des efforts des différents syndicats d’Europe, au-delà du sommet de Luxembourg car aucun syndicat, aucun peuple d’Europe ne peut espérer s’en sortir seul, tant sont fortes les imbrications économiques et convergentes les retombées des décisions qui se prennent.
Ce colloque, qui vient de montrer avec éclat l’intérêt que représente l’échange, la confrontation d’idées, la recherche collective de réponses et d’objectifs, ne peut que nous encourager à persévérer vers plus de coopération, plus de travail en commun, plus de constructions communes, avec toujours à l’esprit l’ambition qui nous est commune à tous : l’amélioration de la situation des salariés, retraités, chômeurs, le développement du progrès social et de la démocratie.
Décidément oui, mes chers camarades et amis, le syndicalisme en Europe a le devoir de s’affirmer, de se renforcer et de s’unir s’il veut être à la hauteur des défis qui lui sont lancés.