Texte intégral
Date : 25 septembre 1997
Source : France 2
Daniel Bilalian : Vous allez critiquer le budget, ça j’en suis sûr, mais, finalement, vous allez critiquer un budget qui respecte les 3% de déficit, ce que le précédent gouvernement n’était pas du tout sûr de réaliser ?
François Léotard : Je vous fais observer que sur les quinze pays de l’Union européenne, onze vont respecter ce critère du déficit des 3%. Ce n’est pas un exploit pour la France, presque tous les autres le font. Et je pense que nous l’aurions fait. La vérité, c’est que je crois que ce budget, contre lequel nous voterons, bien sûr, parce qu’il ne correspond pas aux intérêts des Français, est en grande partie idéologique. Est-ce que – c’est la vraie question – il permet de lutter contre le chômage ? Non, puisqu’on augmente la fiscalité des entreprises. Je ne vois pas comment on peut créer de l’emploi en augmentant la fiscalité des entreprises.
Daniel Bilalian : On crée 350 000 emplois publics par rapport…
François Léotard : Oui, publics, mais ça handicape l’emploi privé. Est-ce que ce budget permet de lutter contre les injustices ? Vous avez observé qu’on ne touche plus aux niches fiscales contre lesquelles le précédent gouvernement, à juste titre, voulait toucher. Est-ce qu’il permet de réduire la dette qui est, aujourd’hui, terrible en France – la dette publique qui fait qu’on emprunte aujourd’hui pour payer le salaire des fonctionnaires ? Non, ça ne réduira pas la dette, elle continuera à augmenter. Est-ce qu’enfin cela permet de réduire le train de vie de l’État ? Non parce qu’on recrute encore des fonctionnaires. Je crois, en d’autres termes, que ça ne correspond pas aux intérêts des Français ni à la situation économique de notre pays.
Jean-Michel Carpentier : Un des grands chevaux de bataille de l’opposition c’est ce que vous appelez le matraquage fiscal des classes moyennes, des familles. Mais le Gouvernement vient de relever les plafonds à 32 000 francs nets. Ce ne sont quand même pas des classes défavorisées là ?
François Léotard : Je crois qu’il faut dire deux choses sur ce sujet. D’abord c’est un problème de principe. La politique familiale, née de la Libération – c’est quand même un paradoxe de voir la gauche, aujourd’hui, porter atteinte à des acquis de la Libération –, est une politique qui doit permettre à la France d’avoir des enfants. Ça, c’est une politique nationale, donc c’est un principe que si on touche aux allocations familiales on va amputer la capacité des Français à avoir des familles.
Jean-Michel Carpentier : La logique du budget est justement de remettre un peu de justice et on peut penser qu’à partir de 32 000, 37 000 francs finalement on peut faire un effort dont profiteront les moins favorisés.
François Léotard : Une partie de cet argent que vous évoquez vient des femmes qui travaillent, et je trouve que ce qui est le plus grave dans ces mesures, c’est que ça porte atteinte au travail féminin qui est souvent, soit une aspiration soit une exigence, une nécessité. Je pense que beaucoup de femmes doivent être, aujourd’hui, peinées ou gênées ou inquiètes de voir que le revenu qu’elles apportent à la famille ne leur permettra plus, à travers les mesures concernant la garde des enfants à domicile par exemple, de faire garder leurs enfants et donc de travailler.
Jean-Michel Carpentier : Ne forcez-vous pas un petit peu le trait ?
François léotard : C’est ce que disent les femmes qu’on entend et c’est notre devoir de parlementaire de les entendre. Je crois qu’il y a là quelque chose d’assez grave d’autant plus qu’ensuite – car on met le doigt dans un engrenage – il sera très facile, les allocations familiales ont raison de le dire, de continuer ce processus, c’est-à-dire de réduire chaque année, comme c’est souvent le cas pour le ministère des Finances, le niveau au-dessous duquel on pourra toucher ces allocations.
Daniel Bilalian : Vous parlez d’un budget qui entraîne une certaine forme de chômage supplémentaire, des entreprises qui sont touchées par les hausses d’impôts cette année. Ce sont de grandes entreprises. Les PME ne sont pas touchées.
François Léotard : Dieu merci, d’une certaine manière mais elles peuvent l’être d’autre manière. On a calculé le montant total des impôts en 1998 supplémentaires sur les entreprises : c’est autour de 26 milliards. Ça n’est pas rien. Et vous savez que nous sommes déjà à un niveau de fiscalité des entreprises…
Jean-Michel Carpentier : Ce ne sont pas les chiffres du Gouvernement ?
François Léotard : Pour les entreprises, l’année prochaine, ce sera 26 et c’est le chiffre que donnent tous les experts économiques en tout cas tous les journaux économiques. Mais je dis simplement qu’on est déjà à un niveau trop élevé. Si vous ajoutez à cela qu’on est en train de remettre en cause la réforme du précédent gouvernement sur l’impôt sur le revenu, qui est déjà en France beaucoup plus élevé que la moyenne des pays qui nous entourent, la tranche supérieure à la fin du processus que nous avions engagé était encore dix points au-dessus de la moyenne des pays qui nous entourent. Je trouve que cette évolution est déraisonnable.
Jean-Michel Carpentier : Sur l’impôt sur le revenu, c’est pareil. Le Gouvernement dit qu’Alain Juppé avait annoncé une baisse de l’impôt sur le revenu mais qu’elle n’était pas financée.
François Léotard : Mais ce n’est pas vrai du tout. D’abord on avait commencé à le faire. Le Parlement l’avait votée.
Daniel Bilalian : Mais ça posait des problèmes pour boucler le budget ?
François Léotard : Oui mais je ne crois pas que ce soit une bonne chose de défaire systématiquement par idéologie ce qu’un gouvernement précédent a fait. Et dans des domaines comme celui de la fiscalité où il faut une confiance, la distance, le temps, la pérennité, je crois qu’on est en train de pousser les Français soit à exporter leurs revenus et leur épargne, c’est-à-dire à aller ailleurs, soit à ralentir leur consommation au lieu de la pousser comme on le souhaite. Je crois que c’est un mauvais budget, je le dis. Nous voterons contre. Nous présenterons un certain nombre d’amendements mais il y a là des pistes, des orientations qui sont le contraire de celles qu’il faudrait suivre pour la France.
Daniel Bilalian : Vous avez parlé de saloperies politiques à propos de deux plaintes contre X qui sont déposées contre vous pour détournement de correspondance et pour prise illégale d’intérêt. À votre avis, qui est derrière ?
François Léotard : La question que je me pose à travers la vôtre c’est : qui me gêne devant cette espèce de répétition plus que désagréable et quelquefois un peu absurde et grotesque de ces démarches ? Et je me demande si, au fond, parce que ça a toujours été ma pratique personnelle, si ce n’est pas d’une part la spéculation foncière que je gêne parce que je l’ai empêchée là où j’étais en mesure de l’empêcher et puis bien sûr la spéculation politique.
Jean-Michel Carpentier : On parle du FN ?
François Léotard : Bien sûr ! Ceux qui veulent s’emparer de cette région qui est aujourd’hui l’objet de bien des convoitises. Et donc je m’efforce de me battre contre ces deux choses-là que j’estime nuisible et peut-être est-ce la raison de cette affaire.
Daniel Bilalian : Vous vous sentez tout à fait à l’aise par rapport à ces deux accusations ?
François Léotard : Totalement. J’ajoute même que l’une d’entre elles a provoqué chez moi une vaste hilarité, comme je l’ai dit, puis que la personne qui doit prendre la décision d’écouter ou non quelqu’un, c’est le Premier ministre. Donc il faudrait demander si M. Balladur a eu un jour l’idée saugrenue d’écouter des particuliers. Et ça a vraiment provoqué chez moi un franc éclat de rire.
Date : 30 septembre 1997
Source : RMC
Philippe Lapousterle : Vous êtes président de l’UDF dont la voix porte peu en ce moment, pourquoi ?
François Léotard : Je ne crois pas trop à l’efficacité du vacarme dans les périodes de reconstruction. On n’entend pas non plus l’herbe pousser. Et je crois qu’il n’est pas nécessaire d’être tonitruant pour être entendu. Nous sommes engagés dans un travail à long terme et nous voulons démontrer notre capacité à rendre les idées libérales populaires. Alors, ça demande du temps, nous faisons tout cela d’une façon démocratique, il n’y a pas de querelles de personnes, il n’y a pas de querelles de pouvoir. Et donc, il est normal, peut-être, qu’on nous entende moins que d’autres mais nous travaillons. Peut-être avons-nous été moins secoués que d’autres par la défaite du 1er juin.
Philippe Lapousterle : Mais l’herbe pousse ?
François Léotard : Mais l’herbe pousse, je peux vous l’assurer. Nous préparons tout ce qui se passe devant nous avec beaucoup d’attention.
Philippe Lapousterle : Est-ce que Lionel Jospin, hier soir à la télévision, n’avait pas quelques raisons de dire que « les classes moyennes n’étaient pas atteintes par les mesures fiscales récentes et que seuls les hauts salaires étaient touchés » ?
François Léotard : Je ne suis pas certain qu’il ait raison pour deux faits : d’abord, la politique familiale, c’était destiné, depuis la Libération, à soutenir toutes les familles. Et pour la première fois, on porte atteinte au principe du soutien à toutes les familles, c’est-à-dire à faire des enfants. Et ça, c’est une vraie nécessité pour la France. La deuxième raison, c’est que quand on parle de salaires élevés, on oublie que ce sont les femmes qui font monter le niveau du salaire familial. Et donc, indirectement, on touche au travail des femmes à travers cette mesure comme à travers la diminution d’allocation de garde d’enfant à domicile. Je crois qu’il y a une vraie erreur qui a été faite concernant les femmes ? Nous sommes dans une société où les femmes aspirent ou sont obligées de travailler et là, on prend des risques sur cette partie du travail, parfaitement digne et respectable, qui est celui des femmes.
Philippe Lapousterle : Mais n’est-il pas normal que les hauts revenus payent plus que les autres ?
François Léotard : C’est déjà le cas à travers l’impôt sur le revenu et c’est normal, c’est tout à fait normal. Je crois qu’on mélange les choses. Que l’impôt sur le revenu permette aux hauts revenus de payer davantage que les autres, tout le monde l’accepte. Mais que des mesures, qui sont des mesures de soutien à la famille, qui sont nécessaires à l’ensemble de la communauté internationale, soient soumises à la même règle, c’est une erreur.
Philippe Lapousterle : Lionel Jospin est apparu prudent sur les 35 heures et la grande négociation sociale. Il a dit que ça se mettrait en place progressivement, il n’a pas parlé de loi, ni de date butoir. Est-ce qu’il a été « sage » hier sur ce point ?
François Léotard : Oui, cette prudence c’est de la sagesse. On va voir ce que ça va donner. J’ai été frappé de son affirmation répétée : « Je défends l’intérêt général. » Mais s’il y avait un Premier ministre qui affirme qu’il ne défend pas l’intérêt général, il faudrait tout de suite se poser quelques questions. J’ai peur qu’il défende surtout l’intérêt général des socialistes et qu’l reste quand même ancré dans cette idée. Cela dit, on ne peut pas dire grand-chose, vous avez vu qu’hier, il n’a rien dit d’ailleurs. Puisque cette Conférence commence le 10 octobre, il faut regarder ce jour-là ce qui va se passer, mais tant mieux s’il revient sur une mesure qui avait été annoncée, les 35 heures payées 39, parce que ce n’est pas tenable. Donc, s’il y a cette sagesse du recul, eh bien nous dirons : tant mieux !
Philippe Lapousterle : Un membre du Front national a été élu à Mulhouse dimanche conseiller général. C. Trautmann, qui est porte-parole du Gouvernement, a dit : « Par son silence et son absence de position entre les deux tours, la droite porte une responsabilité dans cette élection. » Est-ce que vous vous sentez visé M. Léotard ?
François Léotard : Mme Trautmann avait deux raisons au moins de se taire : la première, c’est que, quand on est porte-parole du Gouvernement, on parle des choses du Gouvernement mais pas des partis politiques et de ses adversaires.
Philippe Lapousterle : Oui mais elle est responsable politique aussi.
François Léotard : Oui, mais enfin…La seconde raison, c’est que l’adversaire, de ce point de vue-là, du Front national, il était socialiste. Donc, celui qui a été battu c’est le candidat socialiste. Alors je crois que c’est un avertissement. Mais si mes souvenirs sont bons, ce sont six conseillers généraux sur près de 4000, il faut bien relativiser les choses, qui sont aujourd’hui au Front national. 4000 conseillers généraux et six Front national. Alors, ça ne veut pas dire que ce n’est pas grave ; il faut regarder cela. Mais il faut relativiser les choses. On n’est pas devant une déferlante.
Philippe Lapousterle : Mais pourquoi le candidat UDF a-t-il refusé de choisir entre les deux tours ?
François Léotard : Je connais mal la situation locale. Mais il est certain que quand vous avez…
Philippe Lapousterle : Comme ça s’est fait d’ailleurs ?
François Léotard : Cela s’est fait parfois ailleurs, selon la nature des candidats et selon ce qu’ont déclaré les uns et les autres. Je ne connais pas bien la situation à Mulhouse. Je sais simplement que quelquefois ça a été fait ; quelquefois, il ne faut pas le faire. En l’occurrence, je ne connais pas le candidat même du Front national, ce qu’il avait dit avant, et le candidat qui lui était opposé. Mais c’est évident que nous sommes là devant une situation qui peut se renouveler et pour laquelle il conviendra d’avoir une attitude qui soit très claire pour la droite classique.
Philippe Lapousterle : Dimanche, M. Le Pen a dit que « le RPR et l’UDG sont un marigot qui va se tarir ». Est-ce qu’il n’y a pas un danger, quand même, sur le plan politique général, que le Front national apparaisse comme l’opposition la plus déterminée à la gauche ?
François Léotard : Je ne crois pas. D’abord parce que nous sommes très déterminés dans notre attitude vis-à-vis de la gauche, je viens de le dire, et nous continuerons. Quand on voit ce qui se passe dans les mairies du Front national, ce n’est pas « le marigot », c’est le cloaque. Je veux dire qu’il ne faut pas non plus qu’on se fasse donner des leçons par ces gens-là. Mais la détermination qui est la nôtre à combattre une politique qui n’est pas adaptée à la situation française, celle de M. Jospin, eh bien elle est totale. Et on le voit déjà à l’Assemblée, on le verra encore aujourd’hui et on le verra les jours prochains. Et donc, nous n’avons pas de leçons à recevoir de ceux qui nous disaient il y a quelques jours à peine : « Plutôt Jospin que Chirac ! » Ce sont eux qui disaient ça. Donc, M. Jospin est à Matignon aujourd’hui grâce à M. Le Pen. Alors, qu’il ne vienne pas nous donner de leçon quant à l’attitude à avoir vis-à-vis de la gauche.
Philippe Lapousterle : Aujourd’hui, les évêques, au nom de l’Église catholique, vont faire une déclaration de repentance pour la conduite qu’ils ont eue pendant le régime de Vichy. Est-ce que vous approuvez cette initiative ?
François Léotard : J’approuve totalement cette initiative qui est à la fois juste et belle. Je crois que la souffrance de la communauté juive après la guerre est venue d’une situation où l’absence de responsabilité alourdissait la mémoire. On le voit bien au niveau de l’État, pour la France elle-même : qu’a fait l’État français ? Qu’ont fait les fonctionnaires français, les policiers ou les gendarmes ? Eh bien aujourd’hui, il est bon que l’Église s’interroge sur son attitude. Je crois que l’histoire a tout à gagner à cette vérité-là, même si elle est un peu douloureuse ? Je me réjouis d’une telle déclaration.
Philippe Lapousterle : Un mot sur l’Algérie : Lionel Jospin a critiqué hier, on peut dire, la brutalité du pouvoir algérien, c’est une première dans la bouche d’un responsable en place, du régime en France. Est-ce que vous approuvez cette déclaration de M. Jospin ? Et, de façon plus générale, comme vous vous êtes toujours intéressé à ce qui se passe à l’étranger, à 800 km de nos côtes, il y a plus de morts qu’il y en avait dans l’ex-Yougoslavie ?
François Léotard : Oui, je crois que le mot « brutalité » est certainement l’un de ceux qui conviennent pour décrire l’attitude du pouvoir. Il faut voir que c’est une situation extraordinairement difficile. Mais si la France dit ça, il faut qu’elle aille un peu plus loin, qu’elle agisse auprès de l’ONU, ce qui ne me semble pas avoir été fait. Qu’elle agisse auprès des démocrates algériens, ce qui ne me semble pas avoir été fait. Et donc, en d’autres termes, qu’elle fasse en sorte que la voix de la France se fasse davantage entendre. Les Algériens, les démocrates algériens, les femmes, les journalistes, les universitaires, les intellectuels, les pauvres, tous ceux qui subissent de plein fouet cette brutalité d’un côté et cette terreur de l’autre ont besoin d’entendre une voix française. Et donc, je crois qu’il faudrait aller un tout petit peu plus loin.
Philippe Lapousterle : Il y a quatre mois, quand vous étiez aux affaires, en tout cas vos amis politiques, la voix ne se faisait pas entendre déjà ?
François Léotard : Non, je le sais. Et ça a toujours été pour moi une grande souffrance, parce qu’à un certain moment, on pouvait probablement, débloquer la situation. Je me souviens notamment qu’au moment des conversations de Rome, il y avait un début de dialogue avec les non violents, entre les non violents, ceux qui n’étaient pas armés de couteaux et de haches. Et je pense qu’il faut essayer de reprendre patiemment le fil de ce dialogue et la France peut jouer un rôle dans ce domaine, je crois.
Philippe Lapousterle : Le Gouvernement a eu raison hier, dans l’affaire Total, d’apporter son soutien à une entreprise française pour travailler avec l’Iran contre l’interdit américain ?
François Léotard : Si vous me permettez cette expression : totalement, totalement ! Les États-Unis n’ont pas à nous dicter notre conduite. Et là, je soutiens totalement et le Gouvernement et le président de la République dans les décisions qui ont été prises. Totalement !