Texte intégral
Europe 1 : mercredi 19 novembre 1997
J.-P. Elkabbach: Les Quinze de l'Europe réunis en grandes pompes pour le premier vrai Sommet sur l'emploi, c'est demain. L'architecte et l'inspirateur n° 1 pour Pans, c'est vous. Est-ce que les Quinze risquent de sortir de Luxembourg bredouilles ?
M. Aubry : Très franchement, je ne pense pas. Je crois que lorsque L. Jospin a obtenu ce Sommet pour l'emploi, à Amsterdam, avant l'été, personne ne pensait que nous arriverions à quelque chose de déterminé et de fort comme je pense nous allons le faire. Les esprits ont beaucoup changé, les opinions publiques ont beaucoup poussé. Je crois que les Européens attendent que l'Europe s'occupe enfin de l'emploi, je crois que les gouvernements l'ont compris.
J.-P. Elkabbach: Y-aura-t-il des promesses, des engagements, des dates, des chiffres sur le social et l'emploi ?
M. Aubry : Il faut qu'il y en ait. Il faut qu'il y ait, comme dit Juncker, le président, aujourd'hui, du Conseil européen, un stress vers l'emploi comme il y a eu un stress de tous les pays pour faire la convergence économique et monétaire. Pour être crédible demain et après-demain, il faut qu'il y ait des engagements on appelle ça des lignes directrices - sur des lignes directrices chiffrées. Les pays vont devoir s'engager : combien de chômeurs de longue durée ? À combien de jeunes va-t-on proposer un emploi, une mesure d'insertion, une qualification ? Comment accroître le taux d'activité et baisser le taux de chômage des femmes ? Comment créer des emplois dans les nouvelles technologies, dans les nouveaux services ?
J.-P. Elkabbach: Oui, mais ça, c'est du baratin au...
M. Aubry : Non...
J.-P. Elkabbach: ... avec une perspective de réduction à terme - à 5 ans, à 7 ans - du chômage? On dit à 10,6 % en ce moment, vous vouliez, il y a quelque temps, le réduire à 7 %, est-ce qu'il y aura une prévision ?
M. Aubry : L'objectif est bien sûr de baisser le chômage, comme les objectifs des critères de Maastricht étaient d'augmenter la croissance. Mais on n'a pas fixé ce chiffre. Ce qui est important, c'est que les gouvernements s'engagent dans des programmes nationaux, sur les thèmes dont je viens de parler, avec des objectifs chiffrés, quantifiables et que l'on pourra vérifier chaque année au mois de décembre.
J.-P. Elkabbach: Donc après les objectifs ou les critères de Maastricht, il peut y avoir les objectifs sociaux de Luxembourg ?
M. Aubry : Absolument.
J.-P. Elkabbach: Et on peut imaginer que les Quinze vont accepter de coordonner leurs politiques nationales de l’emploi ?
M. Aubry : Alors ça, c'est essentiel mais c'est déjà dans la réforme institutionnelle du Traité : une coordination des politiques économiques pour avoir un taux de croissance le plus fort possible, associé à une monnaie unique, associé à une politique de l'emploi qui traite les plus fragiles, qui rend plus « employables » - comme on dit maintenant - des chômeurs, mais qui, aussi, se bat pour créer de nouveaux emplois, qui réfléchit à la durée du travail et à l'organisation du travail. Ça fait partie des lignes directrices, ce sont des novations.
J.-P. Elkabbach: Donc il va y avoir plus de souplesse sur le traitement du travail et la manière de concevoir ?
M. Aubry : Plus personne, et c'est frappant, ne parle de flexibilité en Europe, ne dit : « Il faut mettre à bas notre protection sociale, il faut baisser des salaires. » On se dit, entre nous : « Nous devons réfléchir à des nouveaux moyens pour être à la fois plus souples mais aussi plus sûrs pour les salariés. » Par exemple, on est moins rigide contre le licenciement quand on sait qu'on est formé et qu'on peut effectivement changer de boulot, trouver un nouveau travail, changer de métier tout au long de sa vie. Voilà un des enjeux, par exemple, de Luxembourg.
J.-P. Elkabbach: Comme dit J. Delors: « mêler la sécurité et la souplesse », l'adaptabilité, etc.
M. Aubry : Absolument.
J.-P. Elkabbach: Pour que Luxembourg ne soit pas un Sommet illusion, qu'est-ce qui serait pour vous vraiment un bon résultat ?
M. Aubry : Un bon résultat, ce serait que les pays disent - au-delà des discours « le chômage est triste, on va faire nos meilleurs efforts » : « Voilà, nous sommes d'accord sur un certain nombre de thèmes - dont j'ai parlé - pour fixer des indicateurs chiffrés, un programme national sur lequel nous acceptons de faire des bilans, décembre après décembre, comme l'a proposé le président du Conseil. » Ça veut dire que, pour la première en Europe, on montrerait que la priorité à l'emploi sort des discours pour entrer dans les faits, comme nous le faisons, nous, en France.
J.-P. Elkabbach: Et on a remarqué que personne ne voulait voir la facture des dépenses publiques augmenter. Elle ne sera pas augmentée ?
M. Aubry : Non, mais je crois que ce n'est pas le sujet aujourd'hui. On verra que la Banque d'investissements européens mettra de l'argent pour effectivement aider au développement vers l'emploi. On verra aussi qu'il faut que les fonds structurels, qui sont des sommes énormes aujourd'hui, soient plus axés vers l'emploi. Mais on n'a pas besoin de faire des prélèvements complémentaires, il faut mieux dépenser. C'est ce que l'on fait, nous, dans le Budget 98 : on a redonné des priorités. L'Europe doit se redonner comme priorité l'emploi.
J.-P. Elkabbach: Le Chancelier Kohl est d’accord ?
M. Aubry : Le Chancelier Kohl, à mon avis, est un homme habile, qui comprend son opinion. L'Allemagne est un des pays où le chômage a le plus augmenté ces deux dernières années ; je suis convaincue qu'il fera le pas qu'il faut pour rejoindre tous ceux qui aujourd'hui veulent que Luxembourg soit un succès.
J.-P. Elkabbach: Vous avez beaucoup travaillé avec L. Jospin, c'est tout à fait normal, vous travaillez demain avec le Président de la République, est-ce qu'il a ajouté sa main ou sa marque à ce qui se prépare sur l’emploi ?
M. Aubry : J'imagine qu'il le fera, mais c'est tout le gouvernement français qui a travaillé sur ce programme - le ministre de l'économie et des finances, le ministre chargé des affaires européennes - autour du Premier ministre ; vous savez que c'est la France qui a obtenu ce Sommet, nous nous sommes battus, j'ai moi-même vu l'ensemble de mes collègues de tous les pays pour essayer de les aider, de les pousser à aller vers ce sens. Certains étaient acquis - évidemment l'Europe du Nord, l'Autriche, l'Italie qui sont derrière nous depuis le début, la Belgique. D'autres avaient besoin qu'on les aide à avancer. Je crois que maintenant nous sommes prêts.
J.-P. Elkabbach: Les 35 heures: le CNPF va organiser, début décembre, des états généraux contre les 35 heures. Est-ce que ça vous inquiète ? Qu'est-ce que ça change ? Et est-ce que vous pensez que les 35 heures vont aider à créer des emplois ?
M. Aubry : Non, ça ne m'inquiète pas parce que je fais, comme d'autres, un tour de France, actuellement, des chefs d'entreprise, pour leur expliquer que les 35 heures, c'est effectivement une volonté pour nous. Nous avons la conviction que sous certaines conditions, elles peuvent créer des emplois, notamment si les chefs d'entreprise se saisissent du sujet, réfléchissent à la réorganisation du travail, négocient les modalités et les conditions salariales avec les organisations syndicales. Nous laissons du temps, c'est souple et l'État aide. Les chefs d'entreprise que je vois, d'ailleurs, sont ouverts, ils réfléchissent J'ajoute que l'Italie va aussi vers les 35 heures, que les Pays-Bas sont déjà en dessous et que l'Autriche annonce déjà les 34 heures.
J.-P. Elkabbach: Mais le CNPF? Le successeur de J. Gandois choisi par le CNPF et parraine par C. Bébéar et ses amis sera E.-A. Seillière. Qu'est-ce que vous en pensez, comment éviter une période de durcissement social ?
M. Aubry : Écoutez, je me souviens que le CNPF a attaqué les lois Auroux en faisant des tours de France, je me souviens que le CNPF était contre la loi Robien et a dit qu'il ferait campagne contre, ça n'a pas empêché 1 000 emplois d'être signés l'année dernière. Moi, ce qui m'intéresse, c'est que les chefs d'entreprise voient leur intérêt Faut-il réorganiser le travail pour être plus compétitif ?
J.-P. Elkabbach: Non, non, mais qu'est-ce que vous attendez de M. Seillière, vous le connaissez?
M. Aubry : Je connais M. Seillière mais je n'ai pas d'appréciation à porter. Moi, je discute avec les interlocuteurs que leurs organisations ont choisis. Si c'est M. Seillière, ça sera M. Seillière et ça sera très bien ainsi. Si c'est quelqu'un d'autre, ça sera aussi très bien ainsi.
J.-P. Elkabbach: Vous prenez qui on vous donne quoi ?
M. Aubry : Absolument.
J.-P. Elkabbach: Il y a plusieurs choses à vous demander, par exemple M. Blondel marche en ce moment apparemment à côté de ses pompes; est-ce que vous comprenez ses mœurs et surtout la manière dont il traite N. Notat?
M. Aubry : Non, moi très franchement, je trouve ça inadmissible. Ça prouve que le machisme en France est encore largement présent. Je crois que tout ceci n'a rien à voir dans les rapports ni syndicaux, ni politiques, ni même humains d'ailleurs. Ce sont des phrases qu'on aimerait ne plus entendre. Mais j'espère que le travail que l'on fait pour que les femmes prennent un peu plus de place à tous les niveaux changera aussi cela. Parce que, quand il y a beaucoup de femmes, on ne peut plus dire des choses comme ça, il n'y a plus des rires gras derrière ces mots-là, il y a plutôt des ·cris effarouchés. Je crois que M. Blondel les entend.
J.-P. Elkabbach: Oui, mais quand il parle avec vous, je sais qu'une fois il vous a traitée de « pauvre chérie », si vous permettez...
M. Aubry : Oui, oui !
J.-P. Elkabbach: Est-ce qu'il parle avec autant de machisme ?
M. Aubry : Non, quand on parle ensemble, il parle très correctement et je ne le qualifierais pas de la même manière. Mais parfois, ça me démange un peu.
J.-P. Elkabbach: Qu'est-ce que vous diriez ?
M. Aubry : Ce « pauvre chéri » de M. Blondel, il faut qu'il revienne dans une ligne qui est plutôt la sienne, celle du syndicalisme, c'est-à-dire les problèmes de fond et non pas les petites phrases.
J.-P. Elkabbach : On vous entend rarement ou assez rarement parler de la cause des femmes. Là, il y a une déléguée aux droits des femmes qui va être nommée, G. Fraisse, une philosophe plutôt connue. Est-ce que vous y avez contribué ? Qu'est-ce qu'elle va faire et est-ce que vous êtes favorable à la parité ?
M. Aubry : Oui, nous avons choisi G. Fraisse avec le Premier ministre parce que c'est une femme qui est à la fois une philosophe, une historienne qui est capable de parler de la cause des femmes tout au long de l'Histoire, mais c'est aussi une femme qui a travaillé dans les entreprises, etc. Aujourd'hui, moi, j'ai trois grands sujets sur lesquels je travaille : la parité, avec un problème juridique lourd sur lequel nous travaillons depuis que nous sommes là et nous allons en reparler avec G. Fraisse. L'égalité dans le travail : je voudrais vous dire que les femmes sont encore payées 27 % en dessous des hommes et qu'elles ont peu accès à la formation, qu'elles sont trop présentes dans l'emploi. Et les droits propres aux femmes et notamment la contraception qui recule aujourd'hui dans les jeunes classes. Donc je vais relancer une grande campagne pour la contraception, pour que nos jeunes ne voient pas les droits des femmes reculer.
J.-P. Elkabbach : Dernière question, vous avez décidé : une loi empêchera à l'avenir le Front national de participer à des élections prud'homales. Pourquoi et pourquoi si tard ?
M. Aubry : Pourquoi si tard ? Parce qu'il était trop tard quand nous sommes arrivés et je regrette que mon prédécesseur ne l'ait pas fait. Maintenant, les listes étaient parties. Nous avons demandé au préfet d'attaquer ces listes à chaque fois qu'il y avait manifestement des erreurs. Certains tribunaux suivent et annulent. Mais dès l'année prochaine, nous interdirons à tous les partis politiques...
J.-P. Elkabbach : Oui, mais ça vise surtout le Front national ?
M. Aubry : ... de se présenter - on ne sait jamais pour l'avenir - alors que cette institution doit voir représenter les intérêts des chefs d'entreprise et des salariés.
J.-P. Elkabbach : Et après, on interdit le Front national, le parti lui-même ?
M. Aubry : On essaie de faire en sorte qu'il n'y ait plus de Front national dans notre pays en luttant contre l'exclusion, contre le chômage et en redonnant de l'espoir et des perspectives aux Français. C'est ce que nous essayons de faire.
El Paìs : 19 novembre 1997
Xavier Vidal-Folch, Paris : Martine Aubry (París, 1950), número dos del gobierno socialista francés, es la capitana de su orientación social y del reequilibrio entre moneda y empleo en la Unión Europea (UE). Nacida Delors, la alcaldesa adjunta de Lille y ministra asegura en esta entrevista mantenida ayer en su despacho que si la cumbre de los Quinces sobre empleo convocada por su culpa para mañana resulta un fracaso, lo denunciará. Y se defiende enérgicamente de las críticas contra su plan de empleo juvenil y su proyecto de reducir la jornada laboral de 39 a 35 horas.
Pregunta : ¿ Existe la solución inequívoca contra el paro ?
Respuesta : No. Los países industrializados nos equivocamos desde la crisis del petróleo porque pensamos que habría una solución, que el retorno al crecimiento eliminaría el desempleo. No es así. No hay una receta única, tampoco lo es la reducción del horario por sí sola. Hay que explora todos los caminos posibles.
P. Los políticos se resisten a experimentar y aplicar al empleo el método científico de la prueba y el error.
R. Es culpa de la ideología neoliberal. Domina el mundo e impregna los espíritus. Propugna una receta única, la ausencia de reglas. Pues bien, en EE UU, donde más se ha aplicado, el 20 % de los más ricos han incrementado su riqueza en un 25 % y a la inversa. La exclusión es creciente. Es la sociedad de tres cuartos, el primero va bien, el segundo sobrevive, el tercero queda en la cuneta. Por el contrario, el modelo europeo persigue el bienestar del 100 % de los ciudadanos.
P. El modelo que critica se ha intentado en todas partes.
R. Frente a él, estamos reconstruyendo otro, que persigue un reequilibrio entre el mercado y el estado, entre la política y los agentes sociales, entre la riqueza y su reparto. Pugnar por esta alternativa en un contexto de globalización exige abnegación y coraje, porque sus efectos se verán a largo plazo. Pero no soy nada pesimista. ¿ Es explicable que el enorme esfuerzo que hacen los europeos para alcanzar la moneda única no se aplique también a combatir el paro juvenil ? Hay que imprimir la misma pasión a la creación de empleo que la aplicaba al euro.
Causas del desempleo
P. Entre las causas del desempleo europeo, ¿ Cuál es la principal ? Bajo las criticas a la globalización late un neoproteccionismo frente a los países emergentes.
R. Desregular no es la repuesta. El mercado aporta iniciativa, eficacia y competencia para la creación de bienes individuales. Los neoliberales pretende hacernos creer que esa ley basta para crear bienes colectivos, para toda la economía y toda la sociedad. No es así, la apoteosis del mercado tiene también efectos perversos, el individualismo, la ley del más fuerte, la rentabilidad sólo a corto plazo. Si la globalización se reduce a la especulación financiera, nadie gana. El gran problema es que vivimos del modelo de desarrollo económico-productivo del pasado, de los 30 años gloriosos. Salvo los excluidos, los ciudadanos europeos han cubierto ya sus necesidades individuales primarias, tienen casa, coche, audiovisuel. Hemos de saltar a una nueva etapa en la que las nuevas necesidades son colectivas : sanidad, seguridad, educación, cultura. Y que son necesidades fuertemente creadoras de empleo. Dicho como caricatura, en EE UU, 40 millones de ciudadanos carece de atención hospitalaria ¡ mientras proliferan las clínicas para animales ! ¿ Somos capaces los europeos de concebir un sistema que, respetando el mercado, se base al tiempo en cubrir las nuevas necesidades y generar puestos de trabajo, saltando de la industria a los servicios y a las nuevas tecnologías ? La cumbre de Luxembourg es la gran ocasión para ello.
P. Francia reclamó en Amsterdam el reequilibrio de lo monetario con lo económico-social y un embríon de gobierno económico europeo. ¿ Cómo evalúa los resultados alcanzados hasta ahora ?
R. Los ciudadanos europeos rechazan la deriva hacia modelos de exclusión. El despertar de las conciencias se ha acelerado desde Amsterdam. La izquierda ganó en Francia en 1997 sin la adhesión afectiva de 1982, más bien con la exigencia expectante de la ciudadanía. Nos han dicho : « Impediremos que os equivocáis ». Esta presión de la opinión pública se generaliza en toda la UE. Cuando llegamos, el escepticismo llovió sobre nuestras propuestas, y eso que íbamos con determinación, pero también con modestia. El Progreso en cuatro meses es inmenso ¿ Quién lo imaginaba entonces ? El empleo está ya en el corazón de la política europea. No propugno una política de empleo comunitaria en sentido estricto, pero si crear el marco general y explicitar objetivos comunes concretos.
P. ¿ Qué espera de la cumbre ?
R. Creemos, con Austria, Suecia, Finlandia, Italia y otros, que le documento de la presidencia constituye un « programa mínimo » : reafirma la coordinación de políticas económicas ; anuncia nuevos medios financieros del BEI (Banco europeo de inversiones) ; apoya el dialogo social sobre las condiciones y duración del trabajo, con reglas globales para evitar que, por ejemplo, la huelga de camioneros franceses perjudique a sus colegas españoles ; y establece lineas directrices. Estas han empeorado en cuanto al objetivo global de la Comisión (crear 12 millones de empleos en cinco años), pero nadie ha cargado contra los objetivos sectoriales concretos para los parados de larga duración, empleo de jóvenes y umbrales de formación profesional. Es un programa mínimo pero bueno, aceptable, que no debe ser alterado. Maastricht no fue flor de un día. Luxembourg es la primera etapa de un proceso. Sus objetivos suponen un progreso formidable : ¡ Hace un año, lo que estaba en boga era proponer el desmantelamiento de la protección sociale europea !
Sanciones morales
P. Pero el médoto para vigilar el cumplimiento de esos objetivos de empleo es menos vinculante que el de la convergencia monetaria. Éste multa el exceso de déficit ; aquél, ni siquiera explicita que habrá recomendaciones a cada gobierno. Algunos, como el español, se resisten a ellas.
R. La gran sanción en la unión monetaria es no poder alcanzarla, quedarse fuera, out. Con el empleo será parecido : los gobiernos se arriesgan a quedarse out. Habrá sanciones morales. Saldremos de la cumbre con un éxito. Pero si no lo hubiera, si fuese un fracaso, lo denunciaríamos, porque la irresponsabilidad conduce al populismo. El gobierno español objeta que sus competencias en empleo están distribuidas entre las comunidades autónomas, es comprensible. Y teme que si no progresa bastante rápido en empleo se le apliquen retorsiones sobre los fondos estructurales. Pero me parece que la sanción más fuerte será, en su caso, la de la opinión pública. El problema alemán es distinto, mas ideológico, a causa de los liberales en un gobierno de coalición. Estoy segura de que el canciller Kohl sabrá comprender la aspiración de la opinión pública.
P. Muchos denostaran su paquete de empleo juvenil para crear 350 000 empleos locales y de proximidad porque « creará empleos artificiales » y es caro.
R. También muchos lo aplauden, lo votaron diputados de la oposición, y el 80 % de las corporaciones locales lo está aplicando. El ministro holandés acaba de lanzar un plan similar, pero aún más ambicioso : quiere crear 100 000 puestos, sobre 350 000 parados, equivalente a un objetivo de un millón en Francia. Nuestro plan impone condiciones muy severas : no debe ser empleos públicos ni competir con el sector privado. La mitad de los ancianos hospitalizados lo están porque carecen de servicio a domicilio. La factura de una estancia diaria en el sistema de seguridad social es de 3 000 francos diarios, el coste laboral de tres o cuatro trabajadores a domicilio. Cuesta dinero, pero también reciclamos el dinero negativo en positivo.
P. Otros dicen que son « empleos inventados ».
R. Se trata de cubrir necesidades importantes, con racionalidad económica y permanencia en el futuro, de modo que en cinco a?os encuentren financiación alternativa solvente. El secreto es elegir bien el nuevo oficio en ámbitos como los servicios personales, medioambientales o la calidad de vida. Y la profesionalidad.Un ejemplo. Los intermediarios de biblioteca son muy útiles para niños de barrios que no tienen libros en casa, como guías para que reecuentren el placer de la lectura. Este servicio existe ya para adultos en clínicas de Lille y sus usuarios ya pagan por él.
P. Pesan sobre los presupuestos municipales.
R. El Estado financia un 80 % y los municipios el 20 % restante. Para un alcade con problemas de paro, aumentar el empleo al tiempo que se incrementa la seguridad ciudadana con guardianes de inmuebles, es algo formidable. Non conozco a uno sólo que rechace participar en el plan.
P. Un temor es que a los cincos a?os se conviertan en funcionarios y agraven el deficit.
R. La clave es que se escojan oficios auténticos. Los prefectos rechazan muchos proyectos porque en cinco años no tendrán validez ni se podrán autosostener. Quizá susciten problemas entre un 10 % y un 20 %.Pero valen los ejemplos. En Lille hicimos un programa para crear 500 puestos de nuevo tipo. Ahora empezamos el tercer año y ya existen 320. Al principio su coste recaía en el municipio en un 70 % ; ahora, ha descendido al 35 %, porque se encuentran otras vías de financiación.
P. Lo sufragan reduciendo gasto militar. Pero sin política de defensa « peligra la construcción europea », ha escrito usted misma.
R. Buena parte del gasto se debería hacer a nivel europeo, por las economías de escala. La gran reforma del anterior gobierno profesionalizando la mili sacó las lecciones de la caída del muro de Berlin. Ya no existe aquel enemigo del que había que defenderse. Además, el equipamiento de Francia está sorbredimensionado y el presupuesto de defensa sigue siendo el segundo, tras el de educación. Puede digerir un ahorro de 2 000 millones de francos. Todos los ministerios, y no sólo el de defensa, se han apretado el cinturón.
P. Sus colegas la deben odiar.
R. No, ¡ qué va ! Todos compartimos el objetivo. El equipo está muy unido.
P. Otros colegas suyos, alemanes, se frotan las manos porque Francia reducirá la jornada a 35 horas. Calculan que su país le sacará ventaja.
R. La reducción del tiempo de trabajo no es la panacea, es una entre varias respuestas. Es también una apuesta de la sociedad. Todo el mundo se queja por falta de tiempo para dedicarlo a la familia, a la cultura. Ya hace mucho tiempo tuve un gran aplauso en un mítin cuando anuncié que apoyaba las 35 horas. Pero dije también que mi siguiente anuncio gustaría menos : establecer 35 horas pagándolas como 39 no sólo no crearía empleos sino que los destruiría, arruinaría la competitividad.
P. Muchos lamentan, por excesivo, qua haya optado por una ley en vez de por la negociación.
R. ¡ Si el plan lo deja casi todo a la negociación, y además en un plazo de dos años ! El contenido de la ley, que pasará en enero a la Asamblea, es muy sencillo : un articulo que establece el horario laboral en 35 horas semanales de aquí al año 2000. Y un capítulo que detalla las compensaciones o estímulos en ese periodo. Todo el resto, salarios, ritmos… está por negociar. Hay precedentes. Ya son un millar las empresas que han pasado de 35 horas a 32 horas en el marco de la ley del anterior gobierno.
P. ¿ Cómo se financia ?
R. Será producto de la negociación. En parte, la empresa, a cargo de la mayor productividad que obtendrá de la reorganización total de sus métodos y circuitos. En parte, los asalariados, más que bajando sueldos, a cargo de algún punto de moderación salarial en el periodo. En parte, el Estado, que descontará desde 9 000 francos de las cotizaciones sociales a las empresas que rebajan en 10 % la jornada (a 35 horas), hasta 14 000 francos si la reducen un 15 % (a 32 horas), con lo que se reducen los costes indirectos del trabajo. El principio es que quien quiera ir más lejos obtendrá más ayuda. Y quien antes se apunte, más ventajas consigue, porque los beneficios son decrecientes.
P. ¿ Y al final del periodo ?
R. Será entonces cuando, atendiendo a la situación económica del momento y al ritmo de crecimiento, se decidirá si quién quiera trabajar más de 35 horas deberá computarlas como extras, un 25 % más caras.
P. Otros critican, por defecto, la ausencia de un big bang.
R. La negociación y las reorganizaciones empresariales exigen tiempo de maduración. Las ayudas a la reducción horaria son claras y escalonadas, a las empresas les interesa acogerse cuanto antes. Y el apoyo es más alto para quien reduzca más.
P. Bastantes economistas recuerdan que la oferta de trabajo no es une constante fija que pueda repartirse, sino una variable que depende de muchos factores.
R. Y yo estoy de acuerdo con ellos. No pretendemos repartir el pastel actual, sino aumentarlo y repartirlo mejor.
P. Su tercer paquete se conoce menos, la reforma de la financiación de la seguridad social.
R. Deprimir la demanda acaba conduciendo a crisis como la del Japón, que ha visto hundirse el poder adquisitivo y en consecuencia el consumo privado. El crecimiento económico francés es débil porque el consumo no tira. Eso exige relanzar el clima de confianza, y para ellos estamos fijando en el Parlamento reglas sostenibles en un horizonte de cinco años, evitando cambiarlas a golpe de capricho. Reglas para reducir los costes indirectos del empleo. Hasta ahora, los salarios financiaban la seguridad social casi en solitario. Hemos transferido parte del coste a la CGE (un impuesto directo universal) de modo que las rentas de capital contribuirán con 25 000 millones de francos.
P. ¿ Qué estabilidad exhibe un país sometido a tres cohabitaciones, la del presidente y el primer ministro, la de la coalición gubernamental y la de la dividida oposición ?
R. La cohabitación no es un problema. Funciona. El presidente y el primer ministro son republicanos y demócratas. Chirac no se metió con la ley de reducción del tiempo de trabajo, enfatizó la necesidad de negociación. El verdadero problema es la ausencia de une linea coherente en la derecha, por lo que a veces utiliza argumentos propios de la extrema derecha.
P. ¿ Qué aprendieron de su anterior etapa en el gobierno ?
R. Que no basta con impulsar el crecimiento y realizar une gestión clásica de la economía : que se debe acumular coraje para hacer une reforma fiscal que grave también las rentas de capital, no para hundirlas sino para reequilibrar el esfuerzo de las rentas salariales ; que no todo puede hacerse por ley, sino que debe acudirse a la gente, actuar sobre el terreno, negociar.
P. ¿ Cómo reequilibrar el peso europeo de Alemania y reconstituir la locomotora germanofrancesa ?
R. Francia debe apostar al mismo tiempo por la complicidad con Alemania, de la que nos atrae su eficacia y rigor, y por convertirse en animadora del Sur innovador y vivo, incluyendo al este y al norte de Africa. Somos ambas cosas.
Les Échos: 20 novembre 1997
Les Échos : Que serait pour vous un sommet sur l’emploi à Luxembourg réussi ?
Martine Aubry : Lorsque la France a obtenu à Amsterdam, à la demande de Lionel Jospin, l'organisation d'un sommet sur l'emploi, elle s'est heurtée à un grand scepticisme. Nous avons décidé avec d'ailleurs Jean-Claude Juncker, le président du Conseil, de nous battre pour que ce ne soit pas « une grand-messe ». Depuis l'été, les esprits ont beaucoup évolué, sans doute sous la pression des opinions publiques, et beaucoup de pays souhaitent faire de ce sommet un succès.
Les Échos : Ce sera donc avant tout une prise de conscience ?
Martine Aubry : La prise de conscience est réalisée. Luxembourg doit être la première étape d'un processus en faveur de l'emploi dans lequel les gouvernements avancent avec détermination. Un sommet réussi ne peut se contenter de vœux pieux. Il doit y avoir des engagements précis. Nous devons avoir le même « stress », dit Jean-Gaude Juncker - et il a raison - pour lutter contre le chômage et pour l'emploi que nous avons eu pour la convergence économique et monétaire. Un sommet réussi, ce sera une première étape crédible.
Les Échos : Comment se traduira concrètement cette détermination ?
Martine Aubry : Le sommet devra d'abord reconnaître les lignes directrices affirmées dans le document de la Commission et reprises dans celui de la présidence. Les pays européens sont, en effet, d'accord pour dire que, en partant de ces orientations, ils peuvent avancer en matière de chômage et d'emploi. Ces lignes directrices sont de deux natures. Certaines peuvent être quantifiées : s'il est nécessaire de coordonner les politiques économiques européennes, nous pensons qu'il convient aussi d'avoir des objectifs quantifiés par pays dans un certain nombre de domaines. À chacun ensuite de fixer la politique qui permettra de les réaliser.
Les Échos : Quels objectifs seront quantifiés ?
Martine Aubry : Plusieurs domaines pourraient donner lieu à des engagements précis, chiffrés. Il s'agit par exemple du nombre de chômeurs de longue durée ou de jeunes au chômage depuis plus de six mois, à qui on proposerait un emploi, une formation ou une action d'insertion. Serait aussi concerné l'effort de formation que les pays pourraient réaliser pour les chômeurs. Sur ces sujets, un consensus pourrait être trouvé.
À Luxembourg, les pays pourraient s'accorder sur les thèmes, se donner six mois et revenir au prochain sommet de Cardiff, en juin, avec un programme précis contenant des objectifs chiffrés, évaluables, contrôlables, et assortis d’outils pour les mettre en place.
Les Échos : Y-a-t-il le même consensus sur les moyens de créer des emplois ?
Martine Aubry : Le document de la présidence européenne est beaucoup moins précis que celui de la Commission. Celle-ci disait : « Les pays doivent s’engager à inciter à créer des emplois dans le développement local, les nouvelles technologies, les nouveaux services », et se proposait même de les chiffrer. Désormais, la présidence dit : « Il faut retirer tous les obstacles pour que ces emplois puissent voir le jour. » La France et d’autres pays jugent cette proposition insuffisante et souhaitent introduire un objectif quantifié. De la même façon, nous pourrions être plus précis sur le travail des femmes, qu’il s’agisse de leur taux d’activité - la France est, à cet égard, bien placé – ou de leur taux de chômage, et prévoir un programme spécifique.
Les Échos : Quelles sont les lignes directrices de nature qualitative ?
Martine Aubry : Dans ce chapitre aussi, les progrès sont importants, puisque l'organisation et la durée du travail y figurent en bonne place. Le document reconnaît désormais que ce sont des pistes qui peuvent favoriser l’emploi, alors que beaucoup de pays jusqu’à présent jugeaient que seule la flexibilité et la remise en cause des systèmes de protection sociale permettraient d’avancer. Cette approche est tout à fait inédite.
Le coût du travail qui, a priori, pourrait être un objectif quantifié figure dans ce chapitre, parce que les grandes différences entre les pays interdisent d’arrêter des objectifs communs. Mais une baisse de la TV A sur les services et un effort particulier à faire dans les pays où la fiscalité et les charges pèsent trop sur le travail sont des idées qui font leur chemin. Enfin, et c'est là sans doute l'aspect le plus novateur, nous abordons différemment le problème de la flexibilité : au lieu de dire comme nous l'avons fait jusqu'ici « supprimons les acquis sociaux qui pèsent sur les entreprises », nous essayons de réfléchir à de nouvelles modalités qui apportent à la fois de la souplesse aux entreprises et des garanties aux salariés. On ne créera pas une société compétitive en fragilisant les salariés.
Les Échos : À la veille du sommet d’Amsterdam, vous êtes donc optimiste ?
Martine Aubry : Je pense que Luxembourg fera date. Pour la première fois, nous abordons l'Europe sociale différemment. Jusqu'ici, nous avons voulu établir des règles uniformes sur des pratiques sociales différentes. Cette approche n'a pas convaincu, car chaque pays se sentait remis en cause dans sa culture propre. Nous essayons désormais de créer ensemble un modèle pour l’avenir : comment l'Europe demain, face au libéralisme déréglé, peut se forger un modèle de développement qui donne toute sa place au marché, dont personne aujourd'hui ne conteste qu’il favorise l’initiative, l'efficacité et l'innovation dans certains domaines. Mais, au nom de ces caractéristique, le libéralisme prône d'étendre ces critères à l’ensemble de l'économie et de la société. Or, l’individualisme, la seule rentabilité à court terme, la loi du plus fort ne peuvent permettre à nos sociétés de bien fonctionner. Il faut y apporter de l'investissement à moyen terme, de la solidarité pour développer les biens collectifs dont nous avons besoin, pour lutter contre les exclusions et mieux vivre ensemble. L'État peut faire accélérer certaines évolutions du marché, mais il doit aussi pleinement jouer son rôle.
Les Échos : Est-ce que les salariés européens qui viennent d’assister au conflit des routiers n’attendent pas plutôt une directive européenne pour réglementer ce secteur que des objectifs généraux, comme ceux que vous venez de définir ?
Martine Aubry : Mais l’un n’exclut pas l'autre. J'ai proposé, lors du sommet d'octobre, de relancer le dialogue social entre le patronat et les syndicats européens, particulièrement sur le problème des routiers. Je pense, en effet, qu'il faut traiter cette question non par une directive, mais d'abord par un accord de branche au niveau européen.
Les Échos : À la différence de ce qui s’est passé pour les objectifs économiques, il n’y aurait pas de mécanisme d’obligation et a fortiori de sanction.
Martine Aubry : Effectivement, avec l’euro, on était « in » ou « out ». Sur le terrain social, et particulièrement celui de l’emploi, ce sont les gouvernements qui vont être « in » ou « out ». La sanction sera politique. La prise de conscience s’est manifesté en France lors des dernières élections : la gauche a gagné parce que les Français ont cru à nos engagements sur l’emploi. Mais ils ne nous ont pas donné un chèque en blanc. Ils ont accordé leur confiance, mais ils restent vigilants. Nous le savons. Les opinions publiques pensent de la même manière dans les différents pays européens. Chacun le sait, en Allemagne comme ailleurs.
Les Échos : Et les Anglais ?
Martine Aubry : Les Anglais, dont le discours a beaucoup évolué, ont déclaré lundi qu’ils étaient en accord avec le document de la Commission.
Les Échos : Est-ce que vous avez trouvé dans d’autres pays européens des dispositifs dont la France pourrait s’inspirer ?
Martine Aubry : Oui, le développement local en Italie est très créateur d’emplois. Les Italiens savent travailler avec de vraies réseaux de PME. L’Allemagne a su traiter l’exclusion en amont avec une vraie politique de mixité sociale dans les villes. À l’inverse, certains pays regardent ce que nous faisons. Les Pays-Bas, par exemple, viennent de financer 100 000 emplois dans les nouveaux services. À l’échelle de la France, nous aurions dû prévoir 1 million d’emplois-jeunes… le modèle européen doit s’inspirer à la fois de l’efficacité allemande mais aussi de l’innovation des pratiques italiennes. La France peut jouer un rôle pour concilier ces deux approches. C’est cela l’Europe !
Les Échos : Vous venez de citer l’exemple de l’Allemagne où le chômage explose. Or, il a augmenté malgré les 35 heures. N’est-ce pas un exemple à méditer ?
Martine Aubry : Nous n’avons jamais dit que les seules 35 heures allaient tout résoudre. L’Allemagne a, comme chaque pays, des problèmes propres : le coût du travail. Certaines contraintes existent dans ses relations sociales : par exemple, les procédures de licenciement y sont plus lourdes qu’en France.
Les Échos : La durée du travail pouvait faire partie des objectifs quantifiables au niveau européen. Regrettez-vous qu’elle n’ait pas été retenue ?
Martine Aubry : La durée du travail ne peut être fixée au niveau européen, car il y a une multitude de situations. Chacun a en outre ses pratiques sociales. La réduction de la durée du travail doit, en tout état de cause, être discutée dans l'entreprise pour permettre une réorganisation du travail. La vraie problématique, l'idée neuve, c'est d'utiliser la réduction de la durée du travail comme outil de réorganisation du travail et de meilleur fonctionnement de l'entreprise. Les salariés y trouveront leur compte et les entreprises seront plus réactives.
Les Échos : Mais, précisément, plus les entreprises réorganiseront leur travail, moins elles auront besoin de recourir au temps partiel ou au contrat à durée déterminée. Cela peut donc jouer contre l'emploi.
Martine Aubry : Certes, elles peuvent économiser des emplois à court terme, mais, grâce à une meilleure compétitivité, elles gagneront aussi des parts de marché à moyen terme. Mon souci n'est pas que les entreprises mettent quatre personnes derrière un guichet là où il en faut une, mais qu'elles soient sans cesse plus réactives, qu'elles créent des richesses et des emplois.
Les Échos : Pour rassurer les entreprises, le gouvernement met désormais l'accent sur le fait que les 35 heures seront une durée légale déclenchant seulement le paiement d'heures supplémentaires. N'est-ce pas contradictoire avec l'objectif de créations d'emplois poursuivi ?
Martine Aubry : La durée légale à 35 heures au 1er janvier 2000 montre un cap, affirme une conviction : on peut créer des emplois par une réduction de la durée du travail bien menée. Bien menée, c'est-à-dire réfléchie - car il faut du temps pour réorganiser le travail - et négociée pour que les modalités de la réduction profitent à tous : entreprises, salariés, chômeurs. C'est aussi libérer du temps pour que chacun vive mieux.
Les Échos : Compte tenu du sommet de Luxembourg, de votre politique en faveur de l'emploi, pour quand attendez-vous une baisse du chômage ?
Martine Aubry : La baisse de la durée du travail est un élément parmi d'autres. La réduction du chômage va dépendre de plusieurs facteurs. D'abord de la croissance. Ces dernières années, la croissance a été moins forte en France que la moyenne des pays européens, notamment parce que la consommation a subi le contrecoup des pertes de pouvoir d'achat et de l’absence de confiance, due à la montée du chômage et à la crainte de l'avenir. Aujourd'hui, la confiance revient et nous avons pris plusieurs mesures pour relancer la croissance en augmentant l'allocation de rentrée scolaire, en distribuant du pouvoir d'achat par le transfert des cotisations maladie sur la CSG..., et pour assurer un meilleur équilibre des prélèvements sur les revenus du capital et du travail.
Deuxième facteur, les nouveaux emplois. À l'exemple des États-Unis ou du Canada, qui sont pourtant des pays libéraux, nous voulons aider les nouvelles technologies, notamment de l’information, le développement local, les PME par des simplifications administratives, mais aussi par des crédits plus ouverts, notamment par des mécanismes de capital-risque. Et bien sûr les nouveaux emplois tels que nous les mettrons en place dans le programme emplois-jeunes sur les services aux personnes, la qualité de vie, l'environnement.
Le troisième facteur, c'est la durée du travail : rien ne doit être fait dans la précipitation parce que changer l'organisation du travail demande du temps. J'ajoute la baisse des prélèvements sur le travail. Nous avons commencé avec le rééquilibrage entre la fiscalité du travail et celle de l'épargne et le basculement de la cotisation maladie sur la CSG ; nous poursuivrons l'an prochain avec des mesures sur la fiscalité locale, celle du patrimoine et la réforme de l'assiette des cotisations patronales.
Les Échos : La réforme de l'assiette des cotisations patronales sera faite dès l'an prochain ?
Martine Aubry : Il faut repenser l'assiette des cotisations patronales qui pénalise l'emploi. Quels indicateurs choisir ? Ce n'est pas facile, mais j'espère que notre réflexion sera suffisamment avancée pour réaliser une première étape dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999.
Les Échos : À quel moment tout cela portera-t-il ses fruits ?
Martine Aubry : Les premiers résultats significatifs devraient apparaître à la fin de l'année prochaine, sauf bien sûr crise majeure de la croissance au niveau international ou crise financière. Je rappelle qu'aucune mesure n'a été prise pour obtenir des résultats purement statistiques sur le chômage. D'ailleurs, la plupart des jeunes à qui s"adresse le plan 350.000 emplois-jeunes ne sont pas inscrits à l’ANPE. En revanche, le fait qu'ils trouvent un emploi va contribuer à redonner l'espoir aux jeunes et aussi à leur famille, ce qui contribuerait l'amélioration du climat général.
Les Échos : Le projet de loi sur le temps de travail doit venir en conseil des ministres avant la fin de l'année. Quand, et que dira cette loi ?
Martine Aubry : La loi sur les 35 heures, qui sera examinée effectivement le 10 décembre, affirmera une conviction : le gouvernement croit que la réduction de la durée du travail, sous certaines conditions, peut avoir des effets favorables sur l'emploi.
Les Échos : Vous croyez que les salariés attendent d'abord de travailler moins ?
Martine Aubry : Si l'on considère que l'économie est au service des hommes, et non l'inverse, faire de la politique, c'est aussi vouloir que le maximum de nos concitoyens vivent mieux, aient plus de temps pour la vie familiale, les amis, l'accès à la culture... Effectivement, la durée du travail n'est pas une revendication pour les six mois qui viennent, mais un engagement vers le modèle de la société que nous voulons construire.
Les Échos : Qu'y aura-t-il donc dans cette loi ?
Martine Aubry : L'affichage des 35 heures au 1er janvier 2000 pour les entreprises au-delà d’un certain seuil.
Les Échos : Lequel ?
Martine Aubry : Nous discutons autour de 10 ou de 20. La décision n'est pas encore prise, car, si tout le monde s'accorde à dire qu'il y a des problèmes d'organisation dans les entreprises de moins de 10 salariés, certains pensent - principalement dans le milieu patronal - que le seuil de 20 créerait des distorsions de concurrence entre les entreprises et poserait des problèmes d'adéquation entre les organisations patronales.
Les Échos : Les entreprises de moins de 10 qui voudraient dès maintenant engager des négociations pour réduire le temps de travail bénéficieraient des aides ?
Martine Aubry : Bien sûr. Le mécanisme des aides, qui est souple, est ouvert à toutes les entreprises. L'aide sera de 9 000 francs par an et par salarié dans les entreprises qui réduisent le temps de travail de 10 % et augmentent leurs effectifs de 6 %. Elle sera portée à 14 000 francs lorsque la réduction sera de 15 % pour une augmentation des effectifs de 9 %. Enfin, cette aide sera valorisée pour les entreprises qui seront innovantes, notamment sur la création d'emplois, mais l'examen se fera au cas par cas pour éviter les effets d'aubaine. Le texte comportera des dispositions spécifiques pour les entreprises confrontées à des difficultés, c'est-à-dire qu'il y aura un volet défensif. Le dispositif sera dégressif sur cinq ans et débouchera sur une aide structurelle.
Les Échos : Les entreprises s'interrogent surtout sur le sort qui sera réservé aux heures supplémentaires.
Martine Aubry : il est difficilement acceptable dans un pays où existent plus de 3 millions de chômeurs d’accepter que certains salariés travaillent en permanence 44, 45 heures, et parfois plus. Nous proposons des modalités pour l'éviter. Enfin, il y aura des dispositions pour moraliser le temps partiel, rétablir un allégement des charges proportionnel à la durée du temps de travail - une disposition déjà actée dans la loi de finances -, mais aussi réduire les durée d'amplitude et le volume des heures complémentaires en renvoyant à la négociation de branches. Aujourd’hui, certains employeurs signent un contrat à temps partiel de 10 heures, mais font faire 20 ou 30 heures sans délai de prévenance.
Les Échos : Mais que se passera-t-il en l'an 2000 ?
Martine Aubry : L’exposé des motifs de loi rappellera la philosophie de notre démarche : pour que la réduction du temps de travail soit créatrice d'emplois, elle ne doit pas altérer la compétitivité des entreprises, mais au contraire leur permettre de se réorganiser et d'améliorer leur réactivité et la qualité des services qu’elles rendent.
Nous rappelons que c’est à la négociation de trouver la meilleure organisation du temps de travail et les modalités de son financement. Au dernier trimestre 1999, nous ferons le bilan des accords et nous examinerons la situation économique. Si tout va bien, les heures au-delà de 35 heures seront payées à 125 % au 1er janvier 2000. La loi finale prévoira un dispositif structurel sur les fortes durées du travail, des dispositions pour les cadres et pour favoriser le temps choisi. Dès le 10 décembre, les entreprises connaîtront les règles du jeu et pourront entamer leur réflexion.
Les Échos : Sachant qu'ils auront les 35 heures à l'an 2000, les syndicats ont-ils intérêt à négocier alors que les entreprises vont demander aux salariés d'accepter davantage de flexibilité ?
Martine Aubry : La flexibilité se pose en d'autres termes quand on travaille 35 heures ou 45 heures. Il suffit d'examiner les accords Robien pour voir quels aménagements ont été demandés par les entreprises et acceptés par les salariés. Et ceux qui ont été demandés par les salariés et acceptés par les employeurs. Les souplesses ne sont pas unilatérales. Un salarié peut très bien accepter de travailler un samedi matin s'il obtient en contrepartie son mercredi après-midi. Les Français ont changé. On discute dans les entreprises, y compris sur des cas particuliers.
Les Échos : Que feront les entreprises qui n'ont pas de syndicat pour négocier ?
Martine Aubry : Effectivement, 10 % seulement des entreprises concernées ont des délégués syndicaux. Or tout le monde a intérêt à ce que les modalités soient négociées. Aussi réfléchit-on avec les partenaires sociaux à un système de mandatement par les organisations syndicales qui permettrait des négociations tout en apportant bien entendu des garanties sur le fond.
Les Échos : Lors de la présentation du budget du travail, vous avez semblé circonspecte sur la poursuite de la politique de baisse des charges ?
Martine Aubry : La baisse des charges sur les bas salaires mis en place par Messieurs Balladur et Juppé coûte 40 milliards par an et a permis la création d'environ 45 000 emplois. C'est cher de l'emploi créé. Cela dit, nous n'étions pas en période de croissance forte : aussi ne doit-on pas tirer des conclusions trop hâtives. Qu'il y ait des problèmes de coût du travail pour les bas salaires dans notre pays, c’est un fait, mais il y a d'autres moyens qui peuvent y remédier comme le changement d'assiette des cotisations de sécurité sociale.
Les Échos : Est-ce que votre projet de lutte contre l'exclusion est très différent de la copie que vous avait laissé le gouvernement précédent ?
Martine Aubry : Nous nous appuyons sur le travail considérable qui a été réalisé par les associations. Nous reprenons les principes du projet de loi mais nous lui donnerons un véritable contenu. Le Premier ministre a fixé l'emploi et la lutte contre les exclusions comme les deux priorités majeures du gouvernement. Aussi, nous préparons un programme général : chaque ministre intègre dans sa politique cet objectif. Nous préparons avec dix-huit ministres un programme d'ensemble qui comprendra une loi centrale comportant les principes généraux et des dispositions concrètes dans de nombreux domaines. Elle sera complétée par des lois particulières, comme celle préparée par Elisabeth Guigou sur l'accès aux droits. Mais la lutte contre l’exclusion, ce sont aussi des programmes d'action avec des moyens financiers afférents : consolider les ZEP, aider le financement des cantines scolaires, favoriser l'accès aux soins, ouvrir la culture aux plus défavorisés...
Les Échos : Certains jugent qu'aujourd'hui l'écart entre le SMIC et les minima sociaux est trop faible et qu'il n'encourage pas le travail…
Martine Aubry : Les abus sont mineurs. L'État doit d'abord assurer un minimum de survie. Je pense par exemple aux femmes seules avec enfants, aux gens « cassés » qui ont besoin d'une assistance car ils ne sont pas capables de reprendre un travail. En revanche, beaucoup de bénéficiaires du RMI sont en capacité de travailler et n’ont aucun désir : retrouver un travail. Nous devons leur donner les moyens de s'en sortir. C'est pour cela que je vais faire des propositions pour donner plus de réalité aux « I » de RMI (revenu minimum d’insertion). Il ne faut pas oublier que 85 000 RMIstes perçoivent cette allocation depuis sa création en 1989.
Les Échos : Si c'était à refaire, prendriez-vous les mêmes mesures dans le domaine de la politique familiale ?
Martine Aubry : Oui, le Premier ministre a eu raison - dans la situation du déficit actuel de 13 milliards de la branche famille et alors que notre politique familiale profite beaucoup plus aux plus aisés - de souhaiter mettre de la solidarité dans la politique familiale, d'où le plafonnement des allocations familiales. En effet, si le transfert des non-familles vers les familles joue à plein, la redistribution entre les familles marche à l'envers du bas vers le haut : une famille de trois enfants disposant de cent 100 000 francs de revenus reçoit 27 000 francs au titre des prestations familiales et celle qui dispose de 700 000 francs de revenus reçoit 76 000 francs. Le plafonnement des allocations familiales a été critiqué. Si les associations familiales et les syndicats se mettent d'accord pour une autre formule, comme la réforme du quotient familial ou de la fiscalisation des allocations familiales, nous sommes prêts à rouvrir le dossier.
Nous avons par ailleurs eu raison de supprimer des avantages injustifiés en modifiant les règles sur les emplois familiaux et l’Aged. Après nos mesures, une famille ayant un enfant de moins de trois ans continuera à se faire financer à 50 % par l'État son employé à plein temps. Aucun pays ne va aussi loin.