Interview de M. Jack Lang, membre du bureau national du PS, maire de Blois et ancien ministre de l'éducation nationale et de la culture, à RTL le 28 octobre 1997, sur la délinquance des jeunes, la violence dans les collèges et la proposition de création d'internats ou "maisons des collégiens", le plan emplois-jeunes, et l'action des intellectuels pour l'Algérie.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Jack Lang - membre du bureau national du PS, maire de Blois et ancien ministre de l'éducation nationale et de la culture ;
  • Olivier Mazerolle - Journaliste

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

RTL : Jusqu’à présent, la gauche parlait plutôt volontiers de politique de la ville. Maintenant le gouvernement Jospin parle de conseil de sécurité intérieur. Patrick Devedjian, député RPR, dit : c’est une victoire idéologique de la droite.

J. Lang : C’est un peu idiot, ce débat. Disons que la sécurité est un droit de l’homme et il est important que le Premier ministre l’ait affirmé avec cette force. Depuis de nombreuses années, la gauche au gouvernement, par toute une série de mesures, a montré à quel point elle attachait de l’importance à la sécurité. Rappelez-vous le plan Joxe de 1985 sur la police, ou les plans locaux de sécurité imaginés par Paul Quilès en 1990. Moi-même, lorsque je suis arrivé à l’éducation nationale en 1992, une des premières mesures que j’ai prises, et qui déjà à l’époque avait étonné, a consisté à mettre au point le premier plan antiviolence dans les écoles.

RTL : Pourtant, vous, on vous voit plutôt comme étant le ministre des jeunes : les jeunes ont raison, vive la jeunesse !

J. Lang : Oui, mais les jeunes, ce n’est pas monolithique. Les jeunes souhaitent à la fois la sûreté, la sécurité, la protection des droits et l’encouragement à l’initiative.

RTL : Justement, au sujet de la délinquance des mineurs, le ministre de l’intérieur dit : il faudrait peut-être revoir l’ordonnance de 1945 qui donne la primauté à l’éducation. Il parle de l’ouverture possible de centres de rééducation.

J. Lang : C’est un débat qu’il a lancé. C’est une question qui méritera d’être discutée. Sans doute, la loi doit-elle être réadaptée en fonction de la maturation des jeunes d’aujourd’hui et c’est vrai que dans beaucoup de quartiers – je le vois là où je suis le maire –, il y a une sensibilité des adultes à l’égard de certaines petites infractions commises par des jeunes qui entraîne une sorte de climat pénible. Mais je ne suis pas sûr que la seule réponse soit la répression. Il faut, en effet, être ferme et bien expliquer aux jeunes que la loi est la loi et qu’elle doit être respectée. En même temps, nous savons très bien qu’il doit y avoir des mesures tout autres : l’emploi – Nous y travaillons sur le plan du Gouvernement –, la reconstruction des banlieues, parce que beaucoup de ces banlieues sont criminogènes par leur urbanisme même – il faudrait sur ce plan une volonté plus forte encore –, et puis la rénovation des collèges, puisqu’on parle de jeunes qui ont onze, douze ou treize ans.

RTL : Précisément, quelle est la part de l’échec de l’école dans cette violence des jeunes ?

J. Lang : Je dirais d’abord qu’il faut pouvoir redonner à certains de ces jeunes une motivation. Aucune réforme scolaire n’aura de prise sur cette situation si elle ne redonne pas le désir, l’envie, la soif de connaître. Ce qui réclame à mon avis une petite révolution à l’intérieur des collèges. Il faut changer radicalement.

RTL : Que faudrait-il faire ?

J. Lang : Il y a beaucoup de choses à faire. D’abord, assurer une part plus égale entre l’expérimentation et l’apprentissage des concepts. Faire qu’en particulier, les matières sensibles ou les matières techniques aient une plus grande place ; apporter des cours de soutien aux jeunes qui en ont le plus besoin, donc améliorer l’encadrement. Par ailleurs, indépendamment de la motivation à redonner aux collèges – et je crois que le collège est le maillon faible de notre éducation nationale –, je ne serai pas hostile – et je l’avais proposé quand j’étais à l’éducation nationale – à un système d’internats d’un type nouveau, que j’avais appelés « maisons des collégiens », qui accueilleraient des jeunes qui, dans leur habitation habituelle, ne trouvent pas toujours et les conditions physiques et les conditions intellectuelles d’une bonne maturation. Ces maisons de collégiens seraient, évidemment, d’un type nouveau et n’auraient rien à voir avec les collèges d’antan, un peu « caserne ».

RTL : Mais précisément, qui déterminerait le nombre et l’identité des collégiens appelés à aller dans ces internats ?

J. Lang : Je ne peux pas vous dire cela à l’avance, cela mérite discussion. Encore faut-il le vouloir. Je crois que c’est une des réponses : offrir à des jeunes un toit sous lequel ils trouvent à la fois une bonne hygiène corporelle, une préparation à la vie, un entourage affectif, qui parfois n’est pas donné par la famille.

RTL : C’est donc de la prévention ?

J. Lang : C’est de la prévention, c’est de l’accompagnement surtout pour assurer la réussite, car la préoccupation, c’est de faire réussir les jeunes. Si vous voulez, en réussissant, vous écartez par là même en partie des risques de délinquance.

RTL : Vous parliez de l’emploi tout à l’heure : on ne peut pas dire que cela se bouscule au portillon pour les emplois-jeunes ; à part les ministères, on ne voit personne créer des emplois-jeunes ?

J. Lang : Vous parlez dans les entreprises ?

RTL : Les entreprises et même les maires ? Vous êtes maire de Blois, vous, qu’attendez-vous ?

J. Lang : Je suis stupéfait par ce que vous me dites à l’instant puisque demain, mercredi, nous serons une dizaine de maires et je pense qu’il y en a, aujourd’hui, une bonne centaine, à signer avec le Premier ministre, Lionel Jospin, une convention. Et dans ma propre ville, nous nous engageons à faire créer 300 emplois. Ce phénomène s’amplifie un peu partout à travers le territoire national.

RTL : Et dans cinq ans, vous les mettez à la porte ?

J. Lang : Naturellement pas, puisque pendant les cinq années qui viennent, ces jeunes soit s’orienteront vers un métier privé, soit s’inséreront dans une activité d’intérêt collectif, soit même entreront dans l’administration pour remplacer les plus anciens qui seront partis.

RTL : Vous êtes maintenant président de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale. L’Algérie vient de voter : élections locales, fraudes énormes, disent les opposants.

J. Lang : C’est ce que l’on dit, et il est regrettable qu’on ne puisse pas vérifier de manière plus précise sur place l’état de ces fraudes. Moi, je suis de ceux qui pensent que démocratie et lutte contre les égorgeurs, c’est un même combat. C’est en isolant les tueurs et les égorgeurs, donc en rassemblant le peuple algérien, que l’on réussira à en finir avec ces tueurs.

RTL : Vous êtes un ancien ministre de la culture. Comment expliquez-vous que les intellectuels français sont si silencieux par rapport à la barbarie qui se déroule en Algérie ?

J. Lang : Vous les verrez s’exprimer le 10 novembre prochain. Une importante initiative a été prise par une centaine d’associations culturelles, plusieurs dizaines d’intellectuels, de créateurs de tout premier plan, des associations humanitaires. Et le lundi 10 novembre prochain, aura lieu une grande marche silencieuse – j’y participe moi-même en tant qu’animateur de l’association pour les cultures du monde – mais là, je ne m’exprime pas en tant qu’homme politique, mais en tant que citoyen et homme de culture. Cette marche silencieuse sera, en même temps, comme une marche de lumière vers la cité de la Villette et à 20 heures, il y aura une sorte de veillée au cours de laquelle, précisément, ces personnalités de tout premier plan – écrivains, scientifiques, chercheurs, artistes – diront des textes et en particulier des lettres de femmes algériennes. Je crois que ce sera un événement au cours duquel, par une sorte de témoignage du cœur – il ne s’agira pas de prendre parti pour l’un ou contre l’autre – de dire aux Algériennes et aux Algériens : nous sommes près de vous, avec vous, sachez que le peuple français, toutes tendances confondues, vous apporte son amitié et son affection et est prêt à soutenir vos initiatives pour vous libérer de ce système dans lequel on tue, on égorge en toute impunité.