Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Commissaire, chers collègues,
En premier lieu, je souhaite remercier le Comité spécial Agriculture qui s’est livré à un travail important d’analyse et d’expertise des propositions de la Commission et qui a effectué un travail indispensable.
A) Les préalables
Avant de m’attacher à répondre aux questions qui figurent dans le questionnaire que vous nous avez remis, je vais insister sur deux préalables fondamentaux qui constituent le cadre dans lequel le Conseil Agriculture devra débattre des modalités de la réforme de notre Politique Agricole Commune. J’énonce ces deux préalables :
- l’Europe doit affirmer son identité agricole propre,
- l’Europe doit disposer des moyens financiers de la réforme qu’elle se propose de conduire.
I. – Affirmer l’identité de l’agriculture européenne
Nous devons avoir une ambition pour notre agriculture, une ambition pour l’agriculture.
L’agriculture ne saurait être réduite à un simple pourcentage abstrait du produit intérieur brut. La multiplicité des fonctions que remplit l’agriculture au profit de la société toute entière justifie pleinement la place qu’elle occupe dans nos pays et dans l’action de l’Union Européenne. Ce n’est pas un hasard si la Politique Agricole Commune est la plus ancienne et la plus intégrée des politiques de l’Union. A ce titre, elle a valeur de symbole.
Oui, nous devons préparer l’agriculture européenne à entrer dans le vingt et unième siècle, et il nous faut donc aujourd’hui un projet pour l’agriculture européenne. Un projet qui tienne compte des échéances internationales auxquelles nous devons faire face, mais un projet qui d’abord doit affirmer l’identité agricole européenne en fonction de ses objectifs propres. C’est pourquoi nous considérons que la Politique Agricole Commune doit aujourd’hui être adaptée, à condition que cette évolution soit bien animée de la volonté que je viens d’exprimer.
L’identité agricole européenne c’est tout à la fois :
- une agriculture performante qui approvisionne le marché européen et international,
- une agriculture soucieuse de la qualité des produits qui réponde à l’attente des consommateurs,
- une agriculture assurant un rôle décisif dans l’équilibre du territoire et participant à la vitalité du monde rural,
- une agriculture jouant pleinement son rôle dans la consolidation de l’emploi en milieu rural à travers notamment de l’installation des jeunes agriculteurs,
- une agriculture soucieuse d’une gestion économe des ressources naturelles et qui préserve un environnement de qualité,
- une agriculture qui repose sur des exploitations à taille humaine,
- une agriculture qui participe à la solidarité internationale.
Tel est, Monsieur le Président, le modèle agricole européen que nous partageons au-delà de la diversité des situations rencontrées dans les différents Etats-membres de l’Union.
La réforme que nous allons engager doit conforter ce modèle agricole européen ; elle doit donc être conçue en fonction de nos propres objectifs stratégiques à long terme et non pour conformer priori avec les conclusions de négociations internationales à venir et se concilier les bonnes grâces de certains de nos grands partenaires.
L’Europe doit affirmer son droit à définir une politique agricole qui tienne compte de ses spécificités.
La Commission doit s’engager à défendre ce modèle agricole européen dans les instances multilatérales. La PAC ne doit pas subir passivement son environnement international. En outre, la réforme ne doit pas conduire à un affaiblissement de la préférence communautaire, et d’autre part il est important que dans les futures négociations multilatérales, l’Union exige la prise en compte des attentes des consommateurs et de la société ainsi que le respect de l’acquis communautaire sur le marché européen en matière de sécurité alimentaire.
2. – Disposer des moyens financiers de la réforme
Avant de commencer à débattre du contenu à venir de réforme elle-même, nous devons aussi avoir une garantie concernant la pérennité du financement de la PAC à un niveau suffisant pour permettre d’effectuer une réforme des organisations des principaux marchés, celles qui font l’objet d’une proposition de la Commission comme celles de produits méditerranéens toujours en attente. Il s’agit d’un point clé. Si nous n’avons pas cette assurance, si nous n’avons pas cette sécurité, nous ne pourrons pas faire une réforme qui nous permette d’avancer et de façonner l’agriculture européenne du siècle à venir et nous ne serons pas crédibles vis-à-vis de nos agriculteurs.
C’est pourquoi, la ligne directrice agricole doit être maintenue dans son principe et dans ses modalités actuelles de calcul. Il s’agit d’un minimum pour que les agriculteurs ne croient pas à un désengagement de l’Europe. Ainsi, les marges financières qui devraient apparaître sous la ligne directrice permettront de financer prioritairement la réforme des organisations communes de marché. C’est la logique même qui a présidé à l’instauration de cet instrument de régulation des dépenses.
Compte tenu de l’étroitesse des marges dont nous disposons, je suis préoccupé par l’imputation sous la ligne directrice de mesures qui relèvent aujourd’hui des politiques structurelles ou des actions extérieures. Je comprends certes l’intérêt qu’il y aurait à faire financer le FEOGA certaines mesures concernant l’amélioration des structures agricoles, et en particulier les aides à l’installation des jeunes agriculteurs ou les mesures en faveur des zones de montagne mais il faut être vigilant pour ne pas détourner la vocation du FEOGA-Garantie.
Par ailleurs, la possibilité de financer une politique horizontale de développement rural ou des actions concernant les futurs États membres doit être examinée avec soin. Nous ne devons pas nous voir privés de toute marge de manœuvre financière au moment où nous devrons décider d’une réforme substantielle de la PAC.
J’insiste particulièrement sur cet aspect financier car il constitue la clé de la réforme à venir. Compte tenu de l’ampleur de nos objectifs, maintenir et renforcer la compétitivité de l’agriculture européenne tout en accordant une attention accrue à l’homme et aux territoires, nous devons disposer des moyens appropriés, faute de quoi aucune solution crédible ne pourra être trouvée.
B) Réactions aux propositions de la Commission
J’en viens maintenant aux principaux points sur lesquels vous avez souhaité que nous nous prononcions.
1. Bilan de la réforme de la PAC de 1992 et analyse à long terme des marchés agricoles
La réforme de 1992 a permis une amélioration temporaire de la situation des marchés, mais elle n’a pas corrigé les principaux dysfonctionnements de la politique agricole commune.
Ainsi, le bilan que nous dressons de la réforme adoptée en 1992 est nuancé.
La réforme a globalement atteint ses objectifs en ce qui concerne les céréales, même si nous pouvons regretter que l’Europe n’ait pas tiré tout le parti de la situation favorable des marchés mondiaux en raison d’un taux de jachère trop élevé. En revanche, le bilan de la réforme de 1992 est beaucoup moins positif en ce qui concerne le secteur de la viande bovine puisque nous n’avons réussi ni à assurer une réelle maîtrise de la production, ni à encourager l’extensification à améliorer la situation relative des éleveurs. Ainsi, les producteurs de viande bovine spécialisés extensifs sont-ils ceux qui ont le plus pâti des déséquilibres persistants du marché, mais je reviendrai en détail sur ce dossier.
En ce qui concerne l’analyse des prévisions des marchés agricoles, je n’ai pas de désaccord de fond en ce qui concerne les tendances que nous annonce la Commission. Mais je crois qu’en la matière, il faut rester très prudent sur l’importance et le moment où vont intervenir les déséquilibres annoncés. Le moindre incident de conjoncture rend toute prévision très aléatoire. Qui aurait prédit en 1992 l’institution de taxe à l’exportation de céréales ? C’est pourquoi il serait à mes yeux imprudent de fonder toute notre stratégie sur les prévisions par nature aléatoires.
2. La baisse des prix généralisée n’est pas une panacée
La Commission propose une politique de baisse des prix compensée par des aides directes aux agriculteurs, généralisée à tous les secteurs de production. La baisse des prix généralisée ne saurait être la panacée. Elle ne saurait être appliquée à tous les secteurs sans discernement. Il convient d’en faire l’analyse secteur par secteur et d’en apprécier l’impact sur les marchés et le revenu du producteur.
3. Viande bovine
J’en viens maintenant aux propositions sectorielles de la Commission et je commencerai par le secteur de la viande bovine dans la mesure où il me pose de graves difficultés. La proposition de la Commission est en effet très déséquilibrée au détriment de l’élevage extensif, allaitant, spécialité dans la production de viande.
Une telle orientation est difficile à comprendre. Elle est contraire aux souhaits des consommateurs qui demandent une viande de qualité produite de façon traditionnelle à l’herbe et d’origine connue. Elle est contraire aux attentes des citoyens qui demandent une agriculture plus extensive et plus soucieuse de l’environnement et des paysages comme des grands équilibres territoriaux. Elle est enfin contraire aux motivations mêmes de la Commission, qui, dans son exposé des motifs, réaffirme son souci d’encourager l’extensification de la production.
Un rééquilibrage des soutiens en direction des éleveurs extensifs qui sont les seuls à valoriser des terres en zone difficiles et qui disposent de revenus souvent très modestes est indispensable. A cet effet, il faut introduire une forme, au moins partielle, de soutien pour ce type d’élevage du type d’une prime liée au sol.
En faisant ce choix, nous favoriserons un type de production qui répond aux attentes du consommateur et du citoyen. Nous éviterons ainsi la déstabilisation d’une filière qui est la principale activité économique de nombreuses régions défavorisées et nous maintiendrons l’emploi dans ces régions particulièrement vulnérables. En outre, le stockage privé ne peut à lui seul soutenir le marché. L’intervention publique est beaucoup plus crédible et son maintien serait utile.
4. Produits laitiers
Dans le secteur des produits laitiers, les propositions qui sont présentées par la Commission sont-elles cohérentes avec son analyse du marché ? La baisse de prix envisagée serait totalement inopérante car elle ne résoudrait ni les problèmes de la filière, ni ceux des producteurs.
Le régime actuel des quotas laitiers doit être maintenu et amélioré par l’introduction d’une flexibilité additionnelle qui permettra d’exporter plus facilement sur le marché mondial.
5. Grandes cultures
Sur les grandes cultures, la Commission tire les enseignements des années précédentes en fixant le taux de jachère à 0 et en supprimant le gel extraordinaire. Il s’agit d’une excellente chose. En revanche, l’instauration d’une prime unique pour l’ensemble des grandes cultures compromet l’équilibre entre les céréales et les oléagineux. Compte tenu du différentiel de rentabilité qui pourrait être créé, le risque de report depuis les oléagineux vers les céréales est sérieux qui poserait de graves problèmes à la filière oléo-protéagineux toute entière. Là encore, des problèmes d’emploi et de délocalisation des productions pourraient se poser sur lesquels je souhaite que nous nous penchions attentivement. De même, la pérennité de la taxe à l’exportation de céréales pose un problème important.
6. Modulation et équité des soutiens
Enfin, M. Le Président, il existe un point auquel le Gouvernement auquel j’appartiens, accorde une grande attention, c’est l’équité dans l’octroi des soutiens publics. Je comprends qu’en la matière, la Commission envisage de plafonner les aides directes par exploitation. Il faut être attentif à ce sujet et, il est indispensable que le niveau pour le plafond tienne compte des différences existant entre les structures des exploitations des États membres.
Par ailleurs, la Commission envisage de fixer au plan communautaire des critères qui permettront aux États membres, dans le cadre de la subsidiarité, de moduler les soutiens entre agriculteurs, au sein de développer qui leur est accordée. Ainsi sera-t-il possible, dans un souci d’équité d’octroyer davantage à certains agriculteurs et moins à d’autres. Il s’agit d’un point positif qui permettra aux Etats membres de mieux répondre à la réalité de leur pays tout en évitant des distorsions de concurrence entre État membre.
Voici, Monsieur le Président, les réactions de la France sur ce dossier important dont les développements vont se poursuivre vraisemblablement jusqu’en 1999. La première étape importante est constituée par le Conseil Européen de Luxembourg qui doit à mes yeux confirmer deux choix :
- affirmer l’identité de l’agriculture européenne,
- disposer des moyens financiers nécessaires.
Je vous remercie