Texte intégral
Le Monde
« Le marché de l'assurance a décru en 1998, surtout en vie et en dommages. Quelles sont les premières tendances pour 1999 ?
Denis Kessler
- La collecte en assurance-vie a connu un recul de 14 % en 1998. Cette décrue, spécifiquement française, ne s'explique ni par la rentabilité des contrats qui restent élevée, ni par un changement de comportement des ménages. La seule explication tient au débat fiscal, notamment le projet heureusement abandonné de prendre des masures rétroactives, qui a déstabilisé le marché en 1998, Les ménages ont besoin de visibilité, de stabilité et de sécurité pour s'engager dans un acte d'épargne de long terme. Après quatre années de modifications incessantes, il est fondamental que le régime fiscal mis en place fin 1998 pour l'assurance-vie soit désormais pérenne. En 1999, ce marché renoue avec la croissance, en atteignant 10 % sur les cinq premiers mois. En assurance-dommages, la contraction en assurances de biens et de responsabilité est beaucoup moins forte qu'en assurance-vie. Elle est de l'ordre de 1 %. D'après les derniers chiffres disponibles, on prévoit une simple stabilisation du marché en 1999.
Le Monde
- L'apparition de risques nouveaux (affaire Coca-Cola, crise du poulet...) fait l'actualité. Quel regard porte la profession sur ce type de risque ?
Denis Kessler
- Le domaine des risques alimentaires, et plus généralement sanitaires, est marqué depuis quelques années par des affaires qui ont vu un recours intensif au nouveau principe de précaution, selon lequel, dans I’incertitude, il convient de ne pas prendre de risques. Cela marque un changement profond dans l'attitude de l'opinion et des pouvoirs publics. On n'aurait jamais arrêté il y a dix ans, pour les mêmes faits, la distribution de Coca-Cola.
En cette fin de siècle, on assiste à une transformation des risques. La façon dont ils sont appréhendés, perçus, indemnisés change radicalement. Alors qu'auparavant, le risque était plutôt fortuit, aléatoire et exogène, nous nous trouvons face à des risques construits, endogènes, qui dépendent des comportements, qui peuvent être sériels, et sont parfois prévisibles. L'univers des risques est en train de changer de manière radicale.
En outre, vous remarquerez que la demande d'assurance s'accroit historiquement dans les pays développés, comme si l'aversion au risque s'élevait sans cesse. Et cela est vrai aussi bien de la part des ménages que des entreprises. La matière première de l'assurance, c'est-à-dire le risque, est en pleine évolution.
Le Monde
- Lionel Jospin a récemment indiqué qu'« il n'y aura pas de grand soir des retraites ». L'interprétez-vous comme un enterrement des réformes ?
Denis Kessler
- Le diagnostic porté par le rapport Charpin n'a été contesté par personne. Les prévisions sont celles même que les assureurs, avaient données, dès 1991, dans leur Livre blanc. Depuis cette date, les régimes du secteur privé (CNAV, Agirc et Arrco) ont connu des réformes successives en 1993, 1994 et 1996. En revanche, le régime de retraite de la fonction publique et les régimes spéciaux n'ont fait l'objet d'aucune réforme, alors que ce sont eux qui représenteront à l'horizon 2020-2040 la moitié des déficits prévisionnels ! La priorité d'aujourd'hui, c'est que l'Etat employeur procède à la réforme des régimes de retraite de ses salariés. Il doit d'urgence prendre les dispositions pour qu'à terme il y ait égalité de traitement entre les salariés du secteur public et ceux du secteur privé : à revenu égal, il doit y avoir cotisations égales et pensions égales. S'agissant du secteur privé, il faudra principalement poursuivre le relèvement des âges moyens de cessation d'activité.
Le Monde
- Après avoir promis une mesure sur l'épargne retraite pour 2000, le ministère de l'économie n'a, semble-t-il, rien prévu dans le projet de loi de finances.
Denis Kessler
- Alors que tous les pays européens, sans exception, ont encouragé des mécanismes de capitalisation pour compléter les retraites par répartition, la France n'a rien fait et nous avons perdu des années. Si la loi Thomas sur l'épargne retraite votée en février 1997 était entrée en vigueur, les Français auraient bénéficié de la hausse de la Bourse intervenue depuis, et auraient ainsi préparé activement leur retraite dans de bonnes conditions. Pendant ce temps-là, ce sont les fonds de pension étrangers, donc les salariés étrangers, qui ont pleinement bénéficié dé la performance boursière des entreprises françaises ! Il y a urgence absolue à développer des mécanismes incitatifs à la préparation financière de la retraite pour des raisons démographiques, économiques et financières.
Le Monde
- Les assureurs privés ont-ils vocation à être concurrents de la Sécurité sociale ?
Denis Kessler
- Je constate que, partout, on procède à des réformes de la Sécurité sociale. En Suède par exemple, pays de tradition sociale-démocrate, le débat sur la privatisation de la Sécurité sociale bat son plein. En Suisse ou aux Pays-Bas, le débat est tranché en faveur d'une mise en concurrence « tempérée », seul moyen de parvenir à l'efficacité, c'est-à-dire à la maîtrise des coûts et à l'incitation à la qualité des soins. Concurrence « tempérée », parce que l'obligation d'adhésion demeure, que le financement peut être socialisé, et que les opérateurs doivent respecter strictement un cahier des charges.
L'objectif est d'assurer à tous les Français les meilleurs soins au moindre coût. Le système français actuel qui est celui d'un monopole pour la protection de base des salariés du secteur privé devra apporter la preuve qu'il est aussi efficace que les systèmes qui se développent chez nos partenaires. C'est une condition de notre compétitivité.
Le Monde
- N'est-il pas contradictoire que le Medef menace de quitter la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), alors que, dans le même temps, la FFSA signe un accord pour élaborer un « panier de biens et services » avec la « Sécu » ?
Denis Kessler
- Le Medef ne formule aucune menace. Il demande que la CNAM parvienne à supprimer les déficits par une action sur la dépense. Nous nous sentons investis d'une totale responsabilité, vis-à-vis des salariés comme des entreprises, de la bonne utilisation de l'argent prélevé pour financer les régimes sociaux. Nous faisons confiance à l'équipe de la CNAM, qui s'est fixé un objectif de réduction de la dépense. C'est elle qui a pris la responsabilité d'élaborer un plan stratégique pour y parvenir. C'est à elle de démontrer que cet objectif est atteignable dans des délais raisonnables. Le Medef tirera les conclusions sur l'utilité de sa présence à la CNAM au vu des chiffres.
Il n'y a donc absolument pas contradiction entre la position du Medef et celle de la FFSA. Le projet de CMU (couverture maladie universelle) risquant de créer une confusion des responsabilités entre les assureurs complémentaires et les caisses de base, deux protocoles ont précisé le rôle de chacun. Le nouveau protocole est plus ambitieux, et établit un véritable partenariat avec la Sécurité sociale pour qu'ensemble nous puissions mieux exercer notre métier d'assureur.
Le Monde
- les conclusions du rapport de Michel Rocard sur l'application aux mutuelles dés directives européennes sur l'assurance vous satisfont-elles ?
Denis Kessler
- M. Rocard définit avec précision les conditions dans lesquelles les directives de 1992 doivent s'appliquer aux mutuelles 45 relevant du code de la Mutualité. C'est la Commission de Bruxelles qui a introduit un recours contre l'Etat français devant la Cour de justice de Luxembourg, recours qui n'est pas suspensif. Il y a donc urgence. Nous nous réjouissons que les mutuelles 45 deviennent membre du « club des troisièmes directives assurance », à condition qu'il y ait égalité stricte de droits et de devoirs dans tous les domaines, y compris le domaine fiscal. »