Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Dans les débats du moment, il y a parfois beaucoup de passion.
La tentation peut être grande de simplifier de caricaturer, certains sujets. Un colloque comme celui-ci a déjà le mérite de permettre une réflexion libre et mesurée, ce qui n'exclut pas la passion, sur un sujet important : « le commerce et la ville ».
Le climat de vos travaux ne doit rien au hasard, il s'explique certainement par la sagesse de chacun d'entre vous.
Je suis sûre qu'il tient aussi aux organisateurs de cette manifestation.
Je veux, ici, les en remercier.
L'affluence à ce colloque est aussi le témoignage de la réalité du sujet. Vous êtes ici parce que vous savez comme moi que le commerce est un enjeu économique, mais aussi un enjeu social pour nos lieux de vie, pour les territoires de notre pays.
Il y aurait beaucoup à dire pour expliquer où nous en sommes en matière de commerce et de vie urbaine.
Je ne vais pas revenir sur les facteurs explicatifs : évolution de l'habitat, rôle des moyens de transport, notamment individuels, mais aussi croissance démographique et consommation de masse.
A ce sujet permettez-moi de réhabiliter l'expression « consommation de masse ».
Lorsqu'il s'agit d'offrir un accès aux biens de consommation au plus grand nombre, d'élargir l'offre avec des prix bas, de garantir la qualité. Je suis favorable à la consommation de masse.
Lorsqu'il s'agit d'augmenter le niveau de vie de chacun, de permettre aux entreprises d'investir, bref, de relancer la croissance par la demande intérieure dont notre pays a tant besoin. Je suis favorable à la « consommation de masse ».
Mais il faut bien admettre que l'évolution des modes de distribution et de consommation est à l'origine de déséquilibres extrêmement sérieux entre les différentes formes de commerce.
La ville, les centres villes, les centres de vie, ont été particulièrement touchés par les bouleversements du commerce depuis l'après-guerre.
Je voudrais examiner rapidement devant vous les points de faiblesse des centres villes, vous dire comment je pense qu'il est possible d’en sortir et les moyens que les pouvoirs publics vont mettre en œuvre.
Les dégâts d'une approche exclusivement financière et d'une planification inadaptée.
La dégradation constatée des centres villes, particulièrement aggravée dans certains endroits, on emploie d'ailleurs le terme affreux de « zones » urbaines sensibles, est une préoccupation majeure du Gouvernement.
Ce sont en effet dans les centres de ville, de banlieues, parfois de bourgs que se manifestent la rupture du lien social. Cette situation est faite de délabrement du bâti, d'absence des services publics, d'insécurité. Le centre devient un lieu de paupérisation de l'agglomération.
Ne restent sur place que les commerçants, c'est parfois la dernière activité, le dernier lieu d'animation sociale. Ces commerçants ont bien du mérite, la valeur de leur fonds de commerce n'est plus leur première motivation. Et pourtant, ils restent attachés à leur outil de travail, fruit d'efforts répétés chaque jour.
Mais est-ce le rôle des commerçants que d'être « les pompiers sociaux » de centres villes fantômes ?
Il y a une responsabilité collective lourde dans ce constat :
– la responsabilité des planificateurs d'avoir privilégié des approches monofonctionnelles des services de la ville ;
– la responsabilité d'avoir réparti, dans l'arbitraire souvent, l'espace (là les industries, là les habitants et là les commerces...) ;
– la responsabilité d'avoir favorisé la seule logique de distribution des produits sur des bases financières (le fameux ratio marge sur mètre carré) ;
– la responsabilité des politiques, aussi, pour des choix parfois commandés par les bouclages budgétaires des comptes des collectivités mis à mal par la décentralisation.
Face à cette évolution inquiétante des politiques de redynamisation ont été entreprises. Là où elles existent, je les soutiens. Là où elles sont nécessaires, je souhaite les aider à voir le jour.
Pour mener à bien cette politique il m'a paru indispensable d'apaiser les esprits, de mettre fin au climat de défiance réciproque.
J'ai parlé de « sortir de la guerre des tranchées », je crois qu'aujourd'hui cette première étape est franchie.
Ma politique en faveur du commerce en ville tourne autour de trois axes, trois priorités :
– donner les conditions de l'équilibre entre les formes de commerce ;
– apporter les moyens financiers d'une action publique significative en faveur des commerces ;
– développer, avec tous les partenaires une approche globale.
Pour une politique d'équilibre entres entre les centres ville et la périphérie
L'opposition entre centre et périphérie repose sur un différentiel de contraintes au détriment des commerces du centre ville.
Les conditions d'exploitation des commerces en centre ville souffrent en effet de règles d'urbanisme plus lourdes, de charges foncières souvent plus élevées et de certaines nuisances.
Ces faits sont incontestables mais permettez moi aussi de rappeler les atouts des centres :
– la densité de l'habitat ;
– la desserte par les transports en commun ;
– l'importance des services publics ;
– le patrimoine culturel, architectural, historique.
Autant d'éléments qui donnent les moyens de dynamiser les zones de chalandise.
Alors que faut-il faire ? Par quoi ai-je commencé ?
Pour réduire les distorsions existantes entre les commerces de la périphérie et les commerces de centre ville, je me suis d'abord attachée à rapprocher les règles du jeu liées à l'environnement immédiat du commerce.
Les dossiers examinés en CDEC devront désormais comporter des indications, des informations, sur le traitement architectural, urbain, sur l'environnement et sur l'évolution de la zone de chalandise.
J'ai signé l'arrêté et la circulaire qui l'accompagne la semaine dernière. Ces textes entreront en application au 1er janvier prochain.
Je souhaite aussi que les schémas d'équipement commercial traduisent la volonté d'une certaine homogénéisation, sinon d'un alignement des règles urbaines de la périphérie et des centres.
La question des centres anciens, des secteurs sauvegardés et des zones de protection du patrimoine ne m'a pas échappé. Dans quinze jours, je rencontrerai ma collègue, ministre de la Culture Mme Trautmann. A cette occasion je lui proposerai la constitution d'un groupe de travail mixte pour adapter les critères d'examen des dossiers d'équipements commerciaux dans les centres anciens.
Tout ceci constitue une première étape.
Les suivantes viseront l'indemnité de départ des commerçants et des artisans âgés, la question de la fiscalité des fonds de commerce, notamment au moment de la transmission. Je ne désespère pas d'avancer aussi sur la question de la fiscalité locale.
Toujours à propos du fonctionnement des CDEC, j'ai dit, et je le répète devant vous : transparence, responsabilité et concertation. Cela veut dire concrètement que je ne sollicite plus les recours des préfets contre les décisions en CDEC
C'est une politique de responsabilité, de respect profond du travail de l'élu. Pour cela, il faut une concertation de qualité à l'échelon local. Nous sommes en train de réunir les conditions de cette concertation.
Il existe aussi un coût d’approvisionnement plus élevés pour les commerces de centre ville. Je soutiendrai tous les accords, toutes les expérimentations qui permettront de rapprocher la compétitivité prix des commerces de centre ville. C'est notre intérêt, c'est aussi l'intérêt de la grande distribution.
Des moyens considérables pour répondre à un impératif économique et social
Je plaide pour un nouveau climat, des signes encourageants me reviennent. Mais ce ne serait pas suffisant si cela n'était pas appuyé par des moyens financiers en rapport avec nos ambitions.
Aujourd'hui je peux vous annoncer, avant d'en informer la représentation nationale – mais nous sommes entre nous – au Sénat où je présenterai le budget du ministère demain, que j'ai obtenu un abondement conséquent de mon premier budget d'intervention : le FISAC. Sa dotation passera de 300 millions de francs à 400 millions de francs en 1998.
100 millions, ce n'est pas rien quand l'argent public est rare. Mais le Premier ministre a voulu montrer que la priorité des centres villes correspondait à une nécessité économique et à une urgence sociale.
Avec cette dotation, nous allons pouvoir poursuivre ce qui a été commencé, et bien commencé (je pense aux commerces multi-services, au soutien des centres bourgs aux aménagements des halles de marché…). Nous allons aussi impulser de nouvelles actions. Je voudrais vous dire dans quel esprit je travaille à ce propos.
Sortir des cloisonnements pour proposer un partenariat véritable
Une des faiblesses reconnues de l'action sur le commerce est la nature trop souvent sectorielle de l'intervention : aider au départ mais pas à l'installation par exemple, intervenir sur le bâti commercial mais pas sur le bâti d'habitation.
Autre faiblesse : l'intervention est ponctuelle après une aide plus rien, le relais n'a pas été pris. Certes il y a aujourd'hui des projets à trois ans, mais cela ne vise que des opérations lourdes, trois ans, ce n'est peut-être pas non plus une période suffisamment longue.
Dernière faiblesse : l'intervention ne réunit pas tous les acteurs concernés. Je sais que ce n'est pas toujours facile, c'est pourtant un élément déterminant de la réussite.
Les actions nouvelles qui seront financées en 1998 sur les crédits du FISAC devront soutenir des projets précis, appuyés sur des analyses approfondies des territoires. Je vais prochainement demander aux préfets et aux DRCA d'apporter leurs concours à ce travail, en donnant aux Observatoires Départementaux d’équipement Commercial (les ODEC) les moyens de mener les expertises nécessaires.
Ces projets devront s'inscrire dans une dynamique collective reconnue par tous les acteurs locaux. Il peut s'agir d'une opération autour d'une friche majeure de centre ville, je pense à un quartier de gare, à un établissement militaire qui aurait fermé par exemple.
Je suis prête aussi à apporter mon soutien à des opérations innovantes, je pense à l'arrivée du commerce électronique aussi, je suis prête à apporter mon appui aux entreprises commerciales et artisanales nouvelles, aux TPE, aux jeunes qui cherchent à s'installer.
Les centres villes commerçants sont les meilleures galeries marchandes, les projets cohérents, innovants qui créent des emplois seront soutenus.
Le centre ville est le cœur des commerces
Il n'y a pas dans l'expression « centre ville » d'exclusive, vous le savez bien.
Mais l'expression est porteuse d'une certaine qualité de vie. Je voudrais aider à apporter cette qualité partout où il y a des commerces : dans les centres villes « traditionnels » mais aussi dans les banlieues ou les bourgs qui ont souffert ces dernières années.
Il ne faut pas se tromper de débat, dire que les commerces s'implantent là où les gens habitent est un peu réducteur. Les gens vont aussi là où il y a des commerces. Ce sont les commerces qui font « les cœurs de villes » et non l'inverse.
Je crois qu’il faut promouvoir cette dynamique urbaine là. Et rétablir la qualité du lien social là où il s'est déchiré.
J'ai esquissé devant vous quelques moyens d'action. Je vous propose que nous les précisions ensemble. Le vrai partenariat suppose que les solutions soient élaborées en commun. Il n'y a pas un modèle venu d'en haut et des applications locales. C'est la raison pour laquelle je serai prochainement amenée à lancer des appels à projets pour aider les opérations locales, qui n'entreraient pas dans les critères d'analyse préétablis, pour permettre d'essaimer les expériences.
Conclusion
Nous nous sommes mis d'accord sans peine sur le constat que nos centres villes ne pouvaient pas vivre sans commerces.
Je ne vous ai pas proposé un hypothétique retour en arrière qui n'aurait pas de sens. Mais j'ai essayé de tracer devant vous quel pouvait être, avec la participation de tous, les chemins d'un renouveau des commerces dans les centres villes.
Cette politique n'est orientée contre personne. Les clivages entre les différentes sortes de commerce sont improductifs. Il faut en sortir tous ensemble. Je sais que vous en êtes convaincus.
C'est en tout cas l'esprit dans lequel je travaille.
C'est aussi parce que cela est ma conviction profonde que les moyens financiers dont j'ai la responsabilité seront consacrés en priorité à l'équilibre des formes de commerce.
Je ne peux pas, et je ne veux pas conduire, seule, cette politique. J'ai besoin de vous qui êtes les professionnels du secteur, j'ai surtout besoin de vous, élus, qui avez une responsabilité éminente dans le commerce de vos villes, de vos bourgs, de vos villages.
Nous avons un chantier majeur devant nous : préparer nos centres villes au siècle prochain, faire des centres des lieux de vie. Nous savons que l'avenir de ce que certains ont appelé « la civilisation de la ville » ne se fera pas sans le commerce.
Alors, je vous invite à travailler avec moi pour que nous réussissions, ensemble.
Je vous remercie.