Texte intégral
L’Humanité : Que pensez-vous de l'issue du conflit des routiers, comment appréciez-vous l'accord signé ?
Jean-Claude Gayssot : Le protocole signé apporte des augmentations de salaires immédiates entre 3 % et 6 % et cela à compter du 1er octobre. Il programme, selon les qualifications, des augmentations des minima conventionnelles de 15,8 % à 21,8 % en trois ans.
Il concerne toutes les catégories (conducteurs, sédentaires, techniciens, cadres) de tous les secteurs du transport routier (marchandises, voyageurs, transport sanitaire). Enfin et surtout, il procède à un début de remise en ordre des rémunérations de l'ensemble du secteur notamment par la reconnaissance d'un salaire mensuel garanti. Cette restructuration en profondeur de la rémunération, qui était une revendication de toutes les organisations syndicales, est, me semble-t-il, de nature à modifier les relations entre les salariés et leurs employeurs. Même résumé brièvement et en mesurant bien qu'il reste du chemin à faire, je dis que ce protocole d'accord témoigne d’avancées sociales indiscutables.
L’Humanité : Vous vous êtes personnellement beaucoup impliqué dans les négociations et on vous a même vu sur les barrages dialoguant avec les grévistes. Est-ce ainsi que vous concevez votre fonction ministérielle ?
Jean-Claude Gayssot : Le dialogue, la concertation, la confrontation des avis des experts avec celui des usagers, des salariés, des citoyens, c'est en effet un moyen de redonner de la force et de l'efficacité à la démocratie dans notre pays. Rencontrer les organisations syndicales, les organisations patronales, les associations d'usagers est donc une nécessité. Et lorsqu'il y a un conflit majeur qui concerne la vie du pays, entendre directement les grévistes, c'est contribuer à se donner les moyens de comprendre les obstacles réels pour mieux les surmonter. Faire revenir à la table des négociations, les représentants de l'UFT qui l’avaient quittée ou rencontrer les grévistes, c'est agir pour créer les conditions favorables à une issue positive du conflit.
Que la droite et le CNPF aient pu être choqués par une telle attitude ne me surprend pas. Quant à moi, j'ai cherché, dans ma façon d'agir durant ce conflit, à montrer ce que pouvait être l'apport de la composante communiste à ce gouvernement.
L’Humanité : Les routiers craignent-ils - ils en ont fait l'expérience lors d'un conflit précédent - que le patronat ne tienne pas ses promesses ? Comment allez-vous vous en assurer ? Est-ce la raison de votre proposition de loi ?
Jean-Claude Gayssot : La question du respect à la parole donnée est essentielle à nos yeux. Lionel Jospin a fait remarquer à juste titre « que le conflit aurait pu être évité si les accords signés l'année dernière avait été pleinement honorés et si le gouvernement précédent en avait fait immédiatement respecter la teneur ». C'est la raison pour laquelle conformément à mes engagements, j'ai proposé en accord avec le Premier ministre, une loi qui prévoit :
- la généralisation de la formation professionnelle obligatoire aux conducteurs ;
- l'extension du pouvoir d'investigation des contrôleurs des transports terrestres en leur permettant, par un accès aux factures, de constater les infractions de faux et usage de faux sur les titres administratifs de transport et de lutter contre les prix abusivement bas qui introduisent une concurrence déloyale et tirent toutes les pratiques professionnelles et les rémunérations vers le bas.
Enfin, le renforcement des sanctions (jusqu’à l’immobilisation du véhicule), l’augmentation du nombre de contrôleurs et d’inspecteurs viennent compléter un dispositif qui permettra d’aller vers l'établissement de règles transparentes applicables à tous. Le gouvernement, on le voit, est bien décidé à sortir du cycle infernal du laisser-faire, avant un conflit prévisible, du laisser-pourrir, au risque de sacrifier l'économie pendant le conflit, pour trahir enfin les engagements pris et créer ainsi les conditions d'un nouvel affrontement. Rétablir des règles de concurrences normales, instaurer la transparence du bulletin de paie, privilégier le dialogue social, restaurer la confiance sont désormais nos priorités pour assurer le développement du transport routier.
L’Humanité : On a beaucoup évoqué les différences de rémunération des chauffeurs à l'échelle européenne, et les risques que fait peser la concurrence sur les différentes entreprises. De quelle manière voulez-vous faire progresser cette « harmonisation par le haut » que vous prônez dans l'Union européenne ?
Claude Gayssot : Au plan européen, la situation du transport routier est la suivante : la première place revient aux Néerlandais - et ce sont eux qui ont les salaires les plus élevés - la France, dont les coûts salariaux ne sont pas les plus bas, vient au deuxième rang. On le voit, une politique sociale et salariale ambitieuse n'est pas l'ennemi de la compétitivité. C'est pourquoi je crois à l'harmonisation sociale par le haut, c'est-à-dire au bénéfice de meilleures conditions de travail pour les salariés. La France n'est pas isolée sur ce dossier, même si cela ne sera pas facile. Aussi, dès le prochain Conseil européen des ministres des transports, la France déposera un mémorandum à ce sujet afin d’accélérer l'examen de cette question. Comme vous le voyez, je suis sensible à l'inquiétude que suscite chez de nombreux transporteurs, l'ouverture de notre marché intérieur, en juillet 1998, à tous les autres transporteurs communautaires. Pour une raison finalement simple : si nous n'agissions pas pour une réglementation cohérente, pour une harmonisation sociale, nous prendrions le risque de conflits majeurs.
L’Humanité : Que diriez-vous aux salariés qui n'ont pas apprécié cet accord ?
Jean-Claude Gayssot : Tout d'abord que je respecte leur jugement. Si les revendications des routiers ont été entendues par tout le monde bien au-delà de la profession, toutes n'ont pas été satisfaites. Mais je crois que le poids de la syndicalisation dans le transport routier est une donnée qui progresse : rappelons que si notre pays a connu des barrages routiers en 1984, 1992, 1996, c'est la première fois, en 1997, que cela se passe à l'appel des organisations syndicales. Je pense que la réponse pour que le dialogue social aboutisse à l'amélioration des conditions de vie et de travail réside dans ce phénomène nouveau du rôle des organisations syndicales des salariés et de celui des organisations patronales.
Vous avez pu constater que j'ai eu pour préoccupation essentielle de faire tout ce qui était en mon pouvoir, pour que toutes les organisations syndicales et patronales jouent le jeu de la négociation jusqu'au bout. Je suis persuadé pour ma part qu'en rétablissant la confiance, le dialogue, l'esprit de responsabilité, on peut bâtir dans ce secteur, entre les différents partenaires, des relations plus modernes, plus efficaces. Peut-être qu'après l'épreuve, l'avenir du transport routier en France commence vraiment maintenant sur de meilleures bases.