Texte intégral
France 2 - mercredi 15 octobre 1997
F. Laborde : Le livre sur l’affaire Yann Piat a été retiré de la vente hier. L’enquête dans les milieux du renseignement se poursuit. Vous-même, quand vous étiez ministre de la défense, vous aviez demandé une enquête dans ces milieux du renseignement, qu’est-ce que cela avait donné ?
C. Millon : L’enquête a été effectuée. Elle a été diligentée. Elle a donné un résultat qui est très clair. Toutes les allégations qui sont dans cet ouvrage, ou qui étaient dans cet ouvrage, ou qui ont été portées dans une certaine presse, ne sont pas fondées. Il n’y a pas, en fait, de complot militaire.
F. Laborde : Donc, au cours de cette enquête, vous avez identifié qui pouvait être « le général », l’informateur. Vous savez qui c’est ? Vous avez une idée ?
C. Millon : Je vous ai dit que les allégations n’étaient pas fondées et qu’il n’y avait pas de personne qui était à l’origine d’une éventuelle dénonciation.
F. Laborde : Si cet informateur existe – il existe, cet informateur, puisqu’il a servi à faire ce livre –, si on l’identifie, qu’est-ce qu’il risque en tant que militaire ?
C. Millon : Je ne suis pas là pour, en fait, bâtir des hypothèses. Je peux vous dire qu’il y a eu enquête en juillet 1996 et que cette enquête a abouti au constat : allégation non fondée. J’ose espérer que l’enquête qui vient d’être diligentée par mon successeur aboutira au même résultat. Simplement, on peut être attristé par le fait que des journalistes peuvent écrire n’importe quoi, puissent remettre en cause l’État de droit, ne pas respecter la démocratie et surtout atteindre à l’honneur d’hommes politiques. J’espère qu’ils seront sanctionnés.
F. Laborde : Vous croyez à un complot politique ?
C. Millon : Je crois simplement que des personnes ont souhaité vendre un ouvrage et ont utilisé des moyens qui sont complètement indignes pour pouvoir vendre un ouvrage.
F. Laborde : Mais certains, comme Jean-Claude Gaudin, vont au-delà du livre et pensent qu’il y a peut-être une opération de déstabilisation, de manipulation à l’intérieur même de la majorité.
C. Millon : Je ne connais absolument pas les éléments précis de la région PACA. Je sais simplement qu’il faudra que la majorité soit unie pour qu’elle puisse gagner les futures élections. J’ose espérer que ces événements vont ouvrir les yeux d’un certain nombre de mes concitoyens sur des méthodes qui peuvent être utilisées pour pouvoir conquérir telle ou telle place ou tel ou tel poste. Il vaut mieux, en fait, avoir un vrai débat démocratique avec des idées plutôt que de la diffamation et de l’atteinte à l’honneur et à la dignité des personnes.
F. Laborde : Cela veut dire que la région PACA n’est pas forcément perdue pour l’UDF ?
C. Millon : En politique, rien n’est perdu, rien n’est gagné. Les derniers événements l’ont prouvé. L’élection présidentielle : personne ne croyait que Jacques Chirac allait être élu président de la République et aux élections législatives, personne ne voyait, en fait, ce résultat, et on a eu le résultat des législatives et le résultat des présidentielles qui sont venus démentir tous les sondages et toutes les prévisions.
F. Laborde : Quand même, dans cette région, il y a une forte rivalité UDF-RPR sur fond d’élus du Front national. C’est un peu compliqué.
C. Millon : J’espère que la rivalité qu’il y a entre le RPR et l’UDF sera dépassée par une entente, car s’il n’y a pas d’entente, il n’y aura pas de victoire.
F. Laborde : Vous êtes pour la fusion du RPR et de l’UDF ?
C. Millon : Je suis pour le rapprochement entre l’UDF et le RPR afin de constituer une grande formation unique qui permettra à toute la droite française, à tout le centre français de rééquilibrer le paysage politique et de permettre à la France de devenir une grande démocratie, une démocratie où l’alternance est possible, où le choix est possible entre un choix d’un côté socialiste et de l’autre côté un choix social et libéral.
F. Laborde : Ce matin, en conseil des ministres, le Gouvernement doit présenter son nouveau projet de loi concernant l’immigration. On retrouve, dans ce texte, un certain nombre d’éléments qui figuraient dans les lois Pasqua-Debré. C’est une victoire pour l’ancienne majorité ?
C. Millon : Si l’on peut parler de victoire, c’est une victoire du réalisme, parce qu’on a renoncé à un certain nombre d’utopies dans ce domaine-là. On n’a pas, comme certains le suggèrent, réouvert les portes de la France et provoqué un déséquilibre avec la venue d’immigrés sans papiers. Par contre, c’est déjà une avancée vers le laxisme et je crois que le Gouvernement aurait été bien inspiré de ne rien modifier du tout car il est bien évident que les lois Pasqua-Debré ont permis un équilibre et que la France ne peut pas, comme le disait M. Rocard, recevoir toute la misère du monde. Et si l’on veut effectivement avoir un équilibre sociologique et politique dans notre pays, il convient d’être prudent dans le domaine de l’immigration.
F. Laborde : Sur les 35 heures, on a vu qu’il y avait une crise au CNPF avec ce projet de loi. Qu’est-ce que vous en pensez quand vous entendez Lionel Jospin, le Premier ministre, qui dit qu’il veut être jugé sur sa politique plutôt que sur son abandon de politique ? Il a raison ?
C. Millon : Lionel Jospin a une attitude purement idéologique et dogmatique. C’est grave car lorsqu’il y a plus de trois millions de chômeurs dans un pays, on ne s’amuse pas à prendre des mesures dogmatiques et idéologiques. Le travail doit être libéré, tout le monde sait. Il faut plus de flexibilité, il faut favoriser la souplesse dans les méthodes de négociation, dans les méthodes d’organisation du travail. On sait que d’une entreprise à une autre, on n’a pas, en fait, les mêmes contraintes ou les mêmes obligations. Certaines entreprises peuvent avoir 35 heures par semaine, d’autres 38 heures, d’autres auront la possibilité – parce que ce sont des entreprises qui ont des ventes irrégulières dans l’année – d’avoir des augmentations d’heures de travail à certaines périodes et des baisses d’heures de travail à d’autres périodes. Mais on n’a pas compris qu’il fallait la souplesse, la flexibilité, qu’il fallait, en fait, libérer le travail pour pouvoir faciliter la croissance économique car si l’on veut, aujourd’hui, lutter contre le chômage, il ne convient pas de mettre un carcan. La durée du travail ne s’organise pas par décret ou par loi. Les emplois ne sont pas décidés par des arrêtés ministériels, il faut revenir à une attitude beaucoup plus pragmatique et permettre aux entreprises de s’organiser comme elles le souhaitent.
RTL - vendredi 24 octobre 1997
J.-P. Defrain : Avez-vous un commentaire à faire sur ce que vous venez d’entendre, concernant les préoccupations des socialistes aujourd’hui réunis pour évoquer des questions de sécurité dans les villes et les déclarations de M. Allègre affirmant qu’il faut apprendre les bases de la morale, qu’il faut réapprendre le bien et le mal ?
C. Millon : Je crois qu’il est nécessaire, dans notre société, de retrouver une dimension civique à l’action politique. Trop souvent on a réduit les rapports entre les gens à des rapports de gestion. Il me paraît tout à fait sain que des hommes politiques, qu’ils soient de gauche ou de droite, s’interrogent sur la nécessité de redonner un caractère civique à un certain nombre d’engagements, c’est de retrouver le sens de l’équité, de l’égalité, de la liberté et de la fraternité.
J.-P. Defrain : Avec son franc parlé, M. Allègre dit : ce mot « morale » est un mot qui fait peur aux gens, notamment aux gens de gauche.
C. Millon : Peut-être, mais c’est un mot qui, en fait, est une nécessité. La morale, c’est d’abord le respect de l’autre et je crois que nous sommes tous attachés à la tolérance et au respect des autres. Donc je souhaite, effectivement que, sans tomber dans un ordre moral, on respecte une morale.
J.-P. Defrain : Donc vous êtes d’accord avec M. Allègre ?
C. Millon : Je suis d’accord avec toutes celles et tous ceux qui sont favorables à ce qu’il y ait le respect des autres.
J.-P. Defrain : Les auteurs du livre sur l’affaire Yann Piat n’ont pas pu fournir les preuves de leurs affirmations cet après-midi, devant le tribunal. Vous êtes à la fois ancien ministre de la défense et député UDF.
C. Millon : Oui, j’ai fait effectuer en juillet 96 une enquête à partir d’affirmations ou d’allégations qu’avait retranscris un hebdomadaire satirique. L’enquête que j’avais fait effectuer par les services du ministère de la défense avait abouti à la conclusion que ces allégations étaient non fondées. Je constate à l’évidence qu’aujourd’hui les affirmations qui ont été portées par tel ou tel journaliste sont, elles aussi, non fondées. Je regrette simplement qu’on puisse porter atteinte à l’honneur de telle ou telle personnalité politique de cette manière-là et j’espère que des suites seront réservées pour que la dignité des personnes soient garanties.
J.-P. Defrain : Demain, vous réunissez plusieurs personnalités de la majorité et de l’opposition avec, pour thème de discussion : faut-il changer de République ? Estimez-vous que les institutions de la Ve République sont dépassées et ne sont plus en phase avec notre époque ?
C. Millon : Ce dont je suis sûr, c’est qu’aujourd’hui il convient de se poser cette question sur la pérennité et la stabilité de nos institutions. Alors que chacun pensait que les institutions de la Ve République étaient des institutions faites de stabilité, de sérénité, aujourd’hui elles se heurtent à des cohabitations répétées. Nous sommes à la troisième cohabitation depuis le début de la Ve République. Cohabitation, c’est synonyme d’immobilisme ou de tensions. À partir de ce moment-là, il convient que des hommes politiques responsables s’interrogent pour savoir si les institutions correspondent toujours aux défis de notre époque. C’est la raison pour laquelle, demain, les adhérents de la « Convention libérale européenne et sociale » se réuniront. Ne faut-il pas revenir à une lecture de la Ve République qui soit plus conforme à la lecture originelle, où il y avait une distinction très claire des rôles entre le président de la République et le Gouvernement ?
J.-P. Defrain : Est-ce que cela veut dire que l’on doit se diriger vers un régime présidentiel ou plutôt parlementaire ?
C. Millon : C’est très facile lorsqu’on voit que quelque chose ne va pas, d’affirmer immédiatement : il faut faire une réforme constitutionnelle, aller dans tel sens ou dans tel autre. C’est beaucoup plus difficile en fait, et on s’en aperçoit puisque depuis des années et des années, des hommes politiques aussi brillants et aussi influents que Valéry Giscard d’Estaing ou Georges Pompidou ont proposé des réformes constitutionnelles, et qu’elles n’ont pas abouti. Alors, je m’interroge, et est-ce qu’il ne faut pas revenir à un président qui préside, et un gouvernement qui gouverne, un président qui est en charge de l’essentiel, et un gouvernement qui est en charge du gouvernement courant, ou de la gestion courante des affaires de la France. C’est un petit peu le débat que l’on va animer demain dans la journée. Je crois que c’est relativement important, il faut aussi recrédibiliser la fonction politique, et à partir de ce moment-là, apparaissent les questions telles que le cumul des mandats.
J.-P. Defrain : Justement, j’allais vous demander si vous approuvez le projet de Lionel Jospin sur les limitations du cumul ?
C. Millon : Je suis personnellement favorable à la limitation du cumul des fonctions exécutives, je suis même pour l’exercice exclusive d’une fonction exécutive, que ce soit président d’un conseil général, président d’un conseil régional, maire d’une grande ville, ou député ou sénateur, car je crois que si l’on veut réhabiliter la mission des parlementaires à l’Assemblée ou au Sénat, ou si l’on veut poursuivre la décentralisation, il convient de rendre exclusive un certain nombre de fonctions.
J.-P. Defrain : Charles Millon, vous me répondez par oui ou par non : vous souhaitez une VIe République ?
C. Millon : Non, je souhaite en réalité une Ve République rénovée.