Texte intégral
O. Mazerolle : Vous vous attaquez à un fléau : les morts sur la route. Vous voulez réduire de moitié –c'est-à-dire de 8 000 à 4 000 – le nombre de morts par an sur les routes de France et ceci dans l'espace de cinq ans. Il y a un mal français à cet égard ?
J.-C. Gayssot : Vous avez raison de parler de fléau. C'est un drame quotidien qui se vit tous les jours sur nos routes, dans nos rues : il y a un gosse de moins de quatorze ans qui est tué, il y a cinq adolescents, cinq jeunes de 18 à 24 ans qui sont tués. Chaque jour, il y a 22 personnes qui trouvent la mort, près de 400 blessés dont certains très graves.
O. Mazerolle : Mais les Français se conduisent plus mal que les autres dans ce domaine ?
J.-C. Gayssot : Oui. Nous sommes les mauvais élèves, si je puis dire, au sein des pays d'Europe développés. Et nous sommes en retard. Alors il y a du travail qui a été fait. Il ne s'agit pas de dire que rien ne s'est passé : en 25 ans, le nombre de tués a été réduit de moitié alors que le trafic routier, le nombre de véhicules a été multiplié par deux. Il y a des choses qui ont été faites mais cela étant, nous sommes toujours à un niveau qui est absolument inacceptable, intolérable. Il faut faire en sorte que les moyens, la volonté, la détermination soient tels que nous nous attaquions vraiment de front et pas simplement par des discours et des incantations.
O. Mazerolle : Vous créez la notion de grande vitesse. C’est-à-dire que la contravention sera de 10 000 francs si l'on dépasse de 50 kilomètres/heure la vitesse maximum autorisée. En cas de récidive dans l’année il y aura délit, c’est-à-dire avec peine d’emprisonnement ?
J.-C. Gayssot : Avec peine d'emprisonnement possible. Il appartient au juge, dans chaque cas, de décider. Il n'est pas question d'inventer nous-mêmes les décisions de la justice.
O. Mazerolle : Je veux dire que le code pénal prévoira une peine d'emprisonnement ?
J.-C. Gayssot : Il le prévoit déjà. Mais en créant une contravention de cinquième classe, c'est-à-dire en alourdissant en quelque sorte à la fois l'amende pécuniaire et puis les possibilités de retrait du permis avec une suspension de trois mois ; et en créant ce délit en cas de récidive dans l'année, nous aggravons en quelque sorte les possibilités pour le juge de condamner et de faire condamner ceux qui pratiquent des excès de vitesse tout à fait intolérables. Parce que la vitesse est pratiquement la cause principale des accidents et des morts sur les routes.
O. Mazerolle : Vous voulez convaincre aussi les jeunes de rouler moins vite ; mais vous savez bien que quand on est jeune c'est l'âge de la « fureur de vivre. »
J.-C. Gayssot : Justement c'est peut-être un des aspects qui apparaît le moins spectaculaire dans les propositions que j'ai faites avec le gouvernement. Hier, on s'est réunis pendant près de deux heures sous la présidence du Premier ministre pour discuter de tout cela. Ce n'était pas un comité interministériel – vous savez – qui est bâclé en quelques minutes. C'était un véritable travail d'élaboration et de propositions. Alors je suis déterminé à avancer dans ce domaine-là sur la notion de comportement dans notre pays. Il faut changer les choses. Quand on conduit – bien sûr –, c'est un acte individuel mais c'est aussi un acte social. Il y a des gens autour de nous, il y a des gens dans notre voiture, il y a des piétons. Il faut changer le comportement. C'était d'ailleurs l'objectif même du rapport Verré qui m'a été remis dès mon arrivée dans le nouveau gouvernement. Et les jeunes sont peut-être les plus en capacité de m'aider, de nous aider pour changer les comportements. Il y a une volonté du gouvernement depuis le tout jeune âge, je dis même depuis la maternelle, d'aider nos enfants, les tout petits à mieux se défendre par rapport à l'automobile. Il y aura une attestation scolaire de sécurité routière en troisième qui sera prise en compte pour le passage du code. Le passage du code, on pourra le faire dès l'âge de 16 ans et au bout d'un an de permis de conduire, je propose qu'il y ait un stage d'évaluation volontaire. Mais j'espère que ce volontariat sera très largement suivi et il sera financé par la baisse de la surprime que payent les jeunes quand ils conduisent.
O. Mazerolle : Pour les plus âgés vous prévoyez en revanche une sorte de formation continue : tous les 10 ans on pourra avoir un rendez-vous avec suppression du permis à la clé si l'on n'est plus apte à conduire ?
J.-C. Gayssot : Voilà. Toute la philosophie de nos propositions est fondée, vous l'avez dit : sur l'éducation, la formation, le changement de comportement. Nous allons expérimenter dans toute une série de départements ce stage d'évaluation également pour les conducteurs chevronnés. C'est-à-dire tous les dix ans de permis. Et nous regarderons les possibilités.
O. Mazerolle : Le monsieur ou la dame qui tremble et qui ne voit pas très clair ?
J.-C. Gayssot : Vous parlez du problème de la vue : il est certain que si nous pouvions – chaque individu, plus il prend de l'âge, plus il a de risque de moins bien voir – évaluer la situation réelle, la faire évaluer par les intéressés eux-mêmes, peut-être qu'en allant chez l'opticien, chez l'oculiste, ils pourraient solutionner les problèmes. La démarche générale n'est pas la démarche de la répression, elle est la démarche de la formation et du changement de comportement.
O. Mazerolle : La pastille verte : est-il exact que vous y êtes opposé parce qu'elle créerait une sélection par l'argent ?
J.-C. Gayssot : Non, je ne suis pas opposé à ce qu'il y ait une pastille verte mais il faut éviter bien entendu que cela se traduise par deux catégories de gens, en fonction de leurs moyens financiers. Moi, j'habite en banlieue et je sais aussi les difficultés que rencontrent les familles populaires. Donc il faut trouver les moyens – et actuellement les arbitrages sont en cours – pour qu'il y ait effectivement, en cas de pic de pollution, les voitures les plus propres qui circulent mais aussi celles qui ont fait les réglages, les visites d'entretien.
O. Mazerolle : Donc des contrôles techniques ?
J.-C. Gayssot : Des contrôles techniques qui permettent d'ailleurs d'économiser de l'essence.
O. Mazerolle : Les transports en commun : l'insécurité qui prolifère dans beaucoup de villes de France avec des mouvements d'arrêt de travail. Vous pouvez faire quelque chose. Les conducteurs et les patrons se tournent vers le gouvernement et disent : prenez des mesures ?
J.-C. Gayssot : Ils ont raison.
O. Mazerolle : Quelles mesures s'ils ont raison ?
J.-C. Gayssot : Déjà, des mesures sont prises. D'ailleurs, je crois que le ministère de l'intérieur, dans tous les cas qui ont été signalés, a fait en sorte qu'il y ait une intervention plus importante des forces de sécurité. On a d'ailleurs vu ces mouvements dont vous parliez souvent s'arrêter.
O. Mazerolle : À Mulhouse, malgré la présence des CRS, cela a continué.
J.-C. Gayssot : Nous sommes en face d'un très grave problème. Moi, je le dis comme je le ressens : il est à la fois tout à fait injustifié, inqualifiable que des bandes puissent s'attaquer comme cela à leurs propres compatriotes, à ceux qui sont dans les quartiers les plus populaires.
O. Mazerolle : Quelle autre mesure vous pouvez prendre ? Les emplois-jeunes ?
J.-C. Gayssot : Il y a toute une série de dispositions et notamment je pense à la présence humaine, à la fois en termes de forces de sécurité même s'il n'est pas possible de mettre un agent de police derrière chaque personne dans notre pays, ce serait terrible. On ne veut pas vivre en caserne. Mais il faut à la fois une présence humaine en termes de forces de sécurité et il faut aussi s'attaquer à ce véritable comportement inqualifiable d'une partie de quelques bandes qui ne correspondent pas à ce qu'est la jeunesse aujourd'hui dans le pays.
O. Mazerolle : Tout à fait autre chose : vous étiez un ami très proche de Georges Marchais. Il se trouve qu'il est décédé en pleine polémique sur le communisme. Je n'ai pas envie de vous lancer sur la polémique mais vous demander le témoignage de l'ami de Georges Marchais : au moment de sa mort, il faisait le bilan sur le communisme ?
J.-C. Gayssot : Vous savez, moi, j'ai vu Georges Marchais quelques jours, quelques heures avant sa mort et vous comprendrez – vous avez parlé d'ami et c'est effectivement vrai que je suis resté son ami jusqu'au bout. Ce que je peux vous dire, c'est que Georges Marchais jusqu'à la fin était dans cet état d'esprit, dans cette démarche : s'il y a du retard pris dans notre pays par rapport à notre parti concernant le stalinisme, ce n'était pas du fait de Georges Marchais, qui n'a eu la responsabilité de premier dirigeant qu'en 1970.
O. Mazerolle : Il éprouvait le besoin de s'en expliquer encore auprès de vous, à la fin ?
J.-C. Gayssot : Effectivement le retard pris en 1956, c'est-à-dire près de 20 ans avant, c'est quelque chose qui a toujours marqué très profondément Georges Marchais qui n'était pas le responsable de ce retard.
O. Mazerolle : L'intervention de Lionel Jospin à l'Assemblée nationale ?
J.-C. Gayssot : L'intervention de Lionel Jospin à l'Assemblée nationale, je crois même qu'il a pu la regarder à la télévision dans sa chambre d'hôpital. Elle était, je crois, bouleversante, y compris pour lui ; cette reconnaissance de ce qu'est le Parti communiste français, y compris de la présence de ministres communistes au gouvernement, dans un sens qu'a exprimé Lionel Jospin, c'est-à-dire celui de la fierté.