Déclaration de M. Robert Badinter, ministre de la justice, sur les nouvelles techniques de procréation et les questions d'éthique, Vienne le 20 mars 1985.

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Circonstance : Conférence ministérielle du Conseil de l'Europe à Vienne le 20 mars 1985

Texte intégral

Pour ouvrir la discussion sur les problèmes que posent à nos sociétés les progrès de la génétique et des techniques de procréation, au regard des droits de l’homme, vous me permettez à ce stade de nos interrogations collectives, de formuler quelques réflexions liminaires.

L’évidence est là, que recouvre parfois la tempête des médias autour de certains cas individuels : dans le domaine de la procréation et de la génétique, les progrès accomplis dans les sciences médicales et biologiques annoncent des changements radicaux dans les rapports de l’homme à son corps et à son devenir.

La volonté individuelle et la science médicale suffisent aujourd’hui pour que la vie soit donnée. Avec des techniques de plus en plus sûres il est aujourd’hui possible de --------- fécondation humaine in vitro, d’implanter ensuite un embryon dans le corps d’une femme qui n’est pas nécessairement la mère.

Au-delà des règles juridiques, c’est notre conception multiséculaire de la filiation qui est radicalement transformée. Voici que l’enfant n’est plus obligatoirement conçu dans le ventre de sa mère, que la femme à il doit d’être conçu n’est plus nécessairement celle qui le mettra au monde. Et que les parents à qui l’enfant doit la vie peuvent être plus de deux.

Dans cette situation entièrement nouvelle dans l’histoire de l’humanité, non seulement, vacille notre ordre juridique traditionnel. Mais aussi, ce qui est plus important encore, notre idée même de la filiation reposant sur le trinome : le père, la mère, l’enfant ou au moins le binôme : la mère, l’enfant.

Par ailleurs, l’homme dispose maintenant des moyens d’accéder aux mystères de l’hérédité, de saisir les déficiences génétiques avant la naissance, mais aussi de transplanter des organes ou des substances d’origine humaine afin de mieux traiter ceux qui sont atteints de lésions, de maladies ou de handicaps.

Ces progrès suscitent d’immenses espoirs. L’homme est en train de conquérir une plus grande maîtrise de son destin. C’est notre condition qui peut être améliorée, dans ce qu’elle comporte de souffrances et d’injustices individuelles. Au-delà, le devenir de l’humanité s’annonce sous d’autres formes. Mais les espoirs se mêlent aux inquiétudes. Celle-ci se nourrissent sans nul doute des dévoiements qu’a connus à certains moments la médecine : un spectre hante le monde, qui a pour nom eugénisme, lié à certaines pratiques totalitaires. Mais l’histoire récente n’explique pas tout. Car les possibilités qu’ouvrent les techniques biomédicales apparaissent aussi parfois comme autant de dangers pour notre vie sociale. Ce serait la famille, qui dans sa structure, la place qui lui est reconnue, l’importance qui lui est attribuée, devrait être protégée contre les développements de la procréation artificielle. Ce serait encore l’homme, dans sa diversité et son intimité, qui devrait être préservé en face de « l’ingénierie génétique ».

Dans leur combinaison souvent irrationnelle, ces promesses et ces craintes prennent la forme d’interrogations multiples auxquelles il est tentant de laisser les hommes de science seuls répondre. 
Un tel abandon est moins encore concevable aujourd’hui qu’hier. Le savoir scientifique fournit des règles de savoir-faire, il ne livre pas de règles de jugement sur lui-même et son emploi. Les hommes de science en sont les premiers conscients puisqu’eux-mêmes réclament des directives.

Les réponses qu’il nous faut apporter exigent une méthode et des références. Il nous faut avoir d’abord une claire conscience des choix possibles. Quant aux références, elles se trouvent dans les principes de notre civilisation européenne fondée sur les droits de l’homme. En eux se trouve en effet exprimée notre conception de l’homme, de sa liberté comme de sa protection.

I. - C’est d’abord la procréation artificielle qui demande cette confrontation avec nos principes fondamentaux. Le temps n’est plus seulement où la procréation pouvait être séparée de la sexualité : l’insémination artificielle existe et s’est développée. Une étape supplémentaire a été franchie. C’est dorénavant la fécondation qui peut être séparée de la gestation : un embryon résultant d’une fécondation in vitro peut être transplanté dans le corps d’une femme qui n’a pas donné d’ovocyte.

Ces techniques sont connues et éprouvées. Il faut aujourd’hui leur donner toute leur portée.

Sans nul doute ces techniques permettent de surmonter la stérilité du couple. La fécondation humaine in vitro, lorsqu’elle résulte de la rencontre du sperme de l’homme et de l’ovocyte de la femme, répond à cet espoir. L’on conviendra, s’agissant d’un couple, qu’elle ne soulève guère de problèmes juridiques. Mais sous cette forme, elle est rare. Plus fréquemment un tiers intervient, qui apporte soit le sperme, soit l’ovocyte.

Ces dons de sperme ou d’ovocyte ont suscité des problèmes souvent difficiles. La question de l’anonymat du donneur est de celle-là, car elle est au cœur de préoccupations multiples : l’équilibre du couple, la sécurité du donneur et l’intérêt et les droits de l’enfant. En France, l’anonymat demeure le principe. Car il est évident que la levée de l’anonymat entraînerait une raréfaction du nombre des donneurs. Combien d’hommes accepteraient en effet que le simple don de leur sperme se traduise quelques années plus tard par des liens de paternité avec un enfant dont ils n’auraient choisi, ni même connu la mère.

La question de la rémunération soulève de moindres problèmes. A la limite, on pourrait dire qu’il s’agit-là d’une question laissée au choix moral des donneurs.

La procréation artificielle permet de surmonter la stérilité du couple. Pourtant il apparaît vite que la procréation artificielle n’est pas une thérapie : elle ne guérit pas la stérilité. Elle pallie seulement ses effets. Elle n’est au fond que l’expression de choix requérant le concours de volontés individuelles. Se pose alors la question majeure : convient-il de limiter le recours à la procréation artificielle aux seuls couples stériles ? Les techniques de procréation artificielle ne doivent-elles pas être mises à la disposition de tout être humain, célibataire ou marié, vivant seul ou en couple, réputé libre de son corps et de ses choix ?

Considérée comme remède à la stérilité du couple, la procréation artificielle avec donneurs requiert nécessairement l’accord des deux conjoints ou compagnons. Du côté de celui qui se borne à accueillir l’enfant, sans avoir contribué à sa conception, la situation est proche d’une adoption par anticipation puisque antérieure à la naissance. C’est dire que nos modèles traditionnels d’établissement de filiation, naturelle pour l’un, adoptive pour l’autre ne subiraient qu’une très faible perturbation.

Si la procréation artificielle est laissée à la discrétion de tout adulte, elle confère à la filiation une dimension nouvelle. Cette nouveauté se mesure à l’autonomie accrue que la femme se voit reconnaître. Elle peut décider seule de porter un enfant et lui donner la vie sans qu’aucun homme, serait-il le compagnon d’un soir, soit nécessaire à la procréation. Laisser à tout être humain la liberté d’user des techniques artificielles de procréation c’est en somme élargir les possibilités pour la femme d’engendrer, plus encore, c’est faire apparaître que si pour procréer l’homme a besoin de la femme, la femme pourrait, elle, ne plus avoir besoin de l’homme !

A cette évocation, les résistances sont vives. Il semble bien que ce soit dans ce masculin déclinant et dans cette liberté déclinée au seul féminin que prennent racines les résistances que nos sociétés opposent à la procréation artificielle. Mais comme il n’est pas aisé de déplorer publiquement cette limitation même virtuelle du pouvoir de l’homme et cette liberté accrue de la femme, les critiques avouées avancent plutôt un autre thème, la défense de l’intérêt de l’enfant.

Certes pour l’enfant, deux parents valent sans doute mieux qu’un. Mais que pèse cette sage observation dans nos sociétés où le divorce est commun, où la mère peut être célibataire et vouloir tout ignorer de son partenaire, où l’on ne s’émeut pas du sort des enfants à naître d’une femme hérédo épousant un homme alcoolique ? Et il y a sans doute quelque paradoxe à invoquer l’intérêt de l’enfant pour lui interdire de naître.

Ainsi l’alternative s’éclaire : la procréation artificielle doit-elle se borner à être un remède à la stérilité du couple ou bien peut-elle offrir de nouvelles possibilités de maternité à toute femme désireuse d’avoir un enfant ? Le choix, c’est notre philosophie des droits de l’homme qui devrait nous l’inspirer.

Or la Convention européenne de sauvegarde en son article 2 consacre le droit de toute personne à la vie. Ce droit protège l’être humain contre autrui, contre les agressions de tous ordres qui pourraient l’atteindre dans sa vie. Mais ne faut-il pas reconnaître à ce droit à la vie une portée plus large ? Ne définit-il pas aussi un pouvoir reconnu à chaque personne ? Le droit à la vie paraît bien impliquer le droit de tout être humain de donner la vie, la liberté de choisir les moyens par lesquels il pourra donner la vie.

Cette liberté de procréer, et de faire le choix des voies nécessaires à cette fin peut au demeurant prendre appui sur un autre droit fondamental, affirmé par la Convention européenne, si du moins on accepte de lui attribuer toute sa portée. La Convention compte au rang des droits de l’homme, le droit à l’intimité (art. 8). A ce principe, on attache une valeur éminente parce qu’à travers lui s’affirme l’intérêt de tout être humain à voir protéger des comportements ou des sentiments qui expriment la part la plus secrète de sa personne.

Mais le droit à l’intimité n’a-t-il pas une portée plus profonde encore : ne garant-il pas l’intérêt de chaque être humain à prendre certaines décisions essentielles pour lui-même ? Le droit à l’intimité est-il une limite imposée à l’intrusion d’autrui ou une liberté de décision reconnue à toute personne dans la sphère limitée de son intimité ? Si cette seconde acception est retenue, en plus de la première, tout être humain dispose d’une faculté de choix et d’action dans les domaines qui affectent fondamentalement sa personne et en particulier la procréation.

Cette interprétation des droits de l’homme porteuse de liberté, plus encore que de protection rencontrera sans doute des réticences. Reconnaître à la femme seule le droit de recourir à une insémination ou de recevoir un embryon transplanté, n’est-ce pas contrarier toute politique de la famille ? Ce serait oublier que, dans nos sociétés, l’enfant d’un seul a progressivement accédé à un statut comparable, sinon égal à celui de l’enfant légitime. Faut-il alors invoquer les exigences d’une politique nataliste ? Mais la liberté dont il s’agit est celle de donner la vie. Faut-il enfin opposer l’intérêt de l’enfant ? Les risques, liés par exemple à la consanguinité, peuvent être facilement conjurés grâce aux règles imposées et aux centres qui interviennent dans la procréation artificielle.

D’ailleurs peut-on envisager sérieusement d’interdire là où l’on sait que le respect de l’interdiction ne pourra être assuré ? Comment imaginer de traduire en justice la femme seule qui aurait voulu un enfant et aurait eu recours à une insémination artificielle, ou un transfert d’ovocyte ? Le droit pour tout être humain d’utiliser les moyens de donner la vie échappe en fait à l’investigation et à la sanction judiciaire. Et refuser un tel droit, c’est interdire à certains êtres les voies de l’épanouissement, sans qu’on perçoive l’avantage qu’en tireraient dans nos sociétés les autres humains.

Cette liberté de choix dans la procréation ne pourrait-elle valoir pour une autre forme de remède à la stérilité de la femme : le recours à une mère porteuse ? Ce remède a un caractère essentiellement conventionnel et l’histoire et l’anthropologie en montrent des exemples multiples.

En dépouillant cette forme conventionnelle de tout ce que l’actualité crée autour d’elle, on observe qu’elle s’apparente à une simple adoption par anticipation. L’exigence qui lui est propre et qui la distingue de l’adoption tient à la nécessité de réserver à la femme porteuse, pendant la grossesse et probablement après la naissance pendant un bref délai, un droit de repentir.

Mais peut-on raisonnablement prétendre sanctionner une telle convention, et faire des deux mères et du père des délinquants, comptables de leurs actes devant le juge répressif ? Il suffit, nous semble-t-il, de rappeler qu’une telle convention est nulle, comme portant sur ce qui est hors du commerce et qu’ainsi le juge civil ne saurait prêter le concours de son impérium ni à une mère ni à l’autre.

Il reste que de tels comportements ou de tels accords doivent échapper à tout risque de commercialisation. Tout trafic, ou simplement toute intervention professionnelle tendant à la conclusion de telles conventions nous paraît donc devoir être interdit. Et les intermédiaires qui feraient profession de les faciliter devraient, eux, tomber sous le coup de la loi pénale. Car si tout adulte doit demeurer libre de disposer de son corps, nul ne doit tirer avantage ou profit sous quelque forme que ce soit de la disposition du corps d’autrui.

II. - Mais les progrès de la médecine et de la biologie ne se bornent pas à la procréation. Ils permettent ou annoncent une meilleure connaissance de nos déficiences, et des traitements plus efficaces. A ces développements, devons-nous céder sans réflexion ni frein ?

La réflexion et l’organisation de ces procès trouvent un guide ici encore dans les droits de l’homme. A quels principes faut-il se référer ? Ils sont bien connus : la Convention européenne proclame, d’une part, le droit à l’intégralité, qui prolonge le droit à la vie, entendu comme protection de la personne contre les atteintes émanant d’autrui, et, d’autre part, le droit à l’intimité.

Dans nos sociétés, le corps humain reçoit son statut du droit à l’intégrité. Car l’homme est d’abord corps et le respect de son intégrité interdit de faire de ce corps un simple objet distinct de l’homme qui en serait le maître.

Pourtant au rappel des pratiques médicales, il apparaît que toute atteinte à l’intégrité n’est pas proscrite. Le corps humain doit pouvoir faire l’objet de certains actes ou, sinon la médecine et la chirurgie sont condamnées à reculer. En réalité, lorsqu’elles admettent les prélèvements d’organes ou de substances d’origine humaine, nos sociétés reconnaissent d’ores et déjà que l’homme peut disposer d’une partie de lui-même. Et le comité des ministres du Conseil de l’Europe a, le 11 mai 1978, donné son aval à cette limitation nécessaire du droit à l’intégrité.

Cette limitation, consacrée pour les prélèvements d’organes ou non de ce qu’il convient d’appeler les exigences de la solidarité, montre aujourd’hui où les problèmes commencent. L’interrogation débute avec la recherche du point d’équilibre entre la protection de l’intégrité et la faculté de chaque être de disposer de son corps. L’importance de l’atteinte consentie tout comme la fin poursuivie constituent les deux paramètres essentiels. Mais ces canons sont-ils suffisamment protecteurs ? La question se pose avec plus d’acuité encore avec les expérimentations de médicaments sur l’homme. La France, pour sa part, entend ajouter aux exigences déjà mentionnées, l’adoption d’un régime de responsabilité pratiquement automatique des organismes qui recourent à des essais.

On parvient enfin à la question qui secoue le plus les consciences, celle qui a trait aux actes dont l’embryon peut être l’objet. Les chercheurs réclameraient plutôt une liberté de la recherche portant sur l’embryon avec pour seule limitation celle qu’énoncerait une éthique de la finalité. L’expérience doit être profitable à la recherche et aux progrès de la science. En France, le Comité national d’éthique a considéré comme souhaitable l’utilisation des tissus embryonnaires et fœtaux à fin de recherches à condition que celle-ci poursuive un but spécialement important et utile au progrès scientifique et thérapeutique. L’opinion publique pour sa part s’inquiète de tout acte qui pourrait modifier l’embryon, moins sans doute parce qu’elle le considère comme une personne qu’en raison du mystère qui l’entoure.

Faut-il, et peut-on, au nom des droits de l’homme, trancher de débat ? Observons d’abord que la Convention européenne énonce que « le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi ».

A ceux qui soutiennent que l’embryon est protégé contre tout acte, au nom du droit à la vie, le texte ne paraît apporter aucun appui explicite : le concept de personne n’y est pas défini. Peut-on d’ailleurs parler de personne lorsque l’embryon est utilisé avant d’être viable ?

A tout bien considérer d’ailleurs, le silence de la convention n’est-il pas préférable qui respecte la division des consciences et laisse la voie ouverte à des solutions mesurées ?

Pareil silence ne semble pas de mise lorsqu’on évoque le recueil et l’utilisation des données génétiques. L’utilité de telles informations notamment pour orienter les politiques de santé ne souffre guère de contestation. Mais gardons-nous d’oublier les obstacles, qui sont autant de garanties, que dresse sur le chemin d’une exploitation de ces données le droit de tout être à l’inimité. Qu’une personne consente à ce que les informations la concernant soient recueillies par un médecin, soit ; que les données soient ensuite analysées, sans que l’identification de la personne soit possible, soit. Mais peut-on concevoir que cette personne soit orientée dans sa vie sociale par les connaissances qui auront été acquises sur son patrimoine génétique et qui auront dicté à des tiers leurs conduites ? 
Peut-on en particulier admettre que la sélection et la promotion scolaire ou professionnelle s’effectuent au regard de ces données ? Ou comment accepter que les compagnies d’assurance exigent avant de consentir une police d’avoir connaissance du patrimoine génétique de l’individu ? Le respect de l’intimité de chacun justifie ici plus que des réserves, des interdits.

Reste à savoir qui, d’une manière générale, doit énoncer ces interdits. Entre l’action législative et la normalisation éthique, l’une doit-elle être préférée ou sacrifiée à l’autre ? Sont instituées ici et là des comités d’éthique qui étudient les problèmes, proposent des orientations ou des directives. 

Leurs actions et réflexions sont sans conteste utiles. De tels comités permettent aux hommes de science de prendre conscience des troubles que peuvent faire naître leurs recherches ou leurs actes, du doute qui doit les habiter avant certaines initiatives. Ces comités guident chercheurs et praticiens dans leurs démarches et leurs décisions. Ils permettent aux juristes et aux sociologues de mieux mesurer les progrès de la science et d’appréhender leurs conséquences sur l’évolution de nos sociétés et de nos lois.

Mais de tels comités, aussi éminents soient leurs membres, ne peuvent pas substituer ou législateur, quand ce qui est en cause c’est la filiation, sa philosophie et ses règles, quand ce qui est en cause c’est aussi la protection de la personne humaine.

Faut-il pour s’en convaincre rappeler une leçon de l’histoire. La Convention européenne s’en fait elle-même l’écho : « le droit de toute personne à la vie est protégée par la loi ». C’est à la loi que revient la mission de traduire, symboliquement et pratiquement, les exigences de protection de l’être humain. Car le progrès décisif a consisté en Europe à faire que les droits de l’homme, de morale deviennent ordre juridique. Si les comités d’éthique peuvent contribuer à éveiller les consciences et à éclairer le législateur, il demeure que celui-ci doit prendre ses responsabilités.

Dans son action toutefois, le législateur ne doit pas vouloir tout faire et tout de suite. L’œuvre législative n’est requise que lorsqu’elle est indispensable. Ainsi en va-t-il en présence d’une pratique nouvelle, diffusée et acceptée dont l’accomplissement ou les conséquences se heurtent à la règle de droit. Qu’on songe à cet égard à la situation de l’enfant né d’une insémination artificielle de sa mère après le décès du père. Qu’on songe encore, comme exemple appelant une protection renforcée de la personne, à l’utilisation possible des données génétiques. L’action législative doit aussi éviter de vouloir codifier toute la diversité des comportements humains. Dès lors qu’ils ne heurtent pas un impératif catégorique de nos sociétés civiles.

Le législateur doit enfin tendre à proclamer et garantir, chaque fois que cela est nécessaire, l’intangibilité de la personne humaine. Pour reprendre le mot d’un philosophe « l’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente ». Faisons tout pour que son épopée se perpétue.

Dans tous nos pays, l’œuvre législative trouvera, j’en suis sûr, dans les droits de l’homme sa source d’inspiration première. Nos investigations, nos expériences doivent pour cette raison être soumises à une réflexion en commun. C’est pourquoi mes chers collègues, je propose que nous adoptions le projet de résolution qui donne au Conseil de l’Europe la mission de poursuivre avec ardeur ses travaux sur les questions que j’ai eu l’honneur d’évoquer devant vous.