Article de M. Jean-Louis Debré, président du groupe RPR à l'Assemblée nationale et ancien ministre de l'intérieur, dans "Le Figaro magazine" du 6 décembre 1997, sur les projets de loi relatifs à l'immigration et à la réforme du code de la nationalité, intitulé "Immigration : si on pensait à la France ?".

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  • Jean-Louis Debré - Président du groupe RPR à l'Assemblée nationale et ancien ministre de l'intérieur

Média : Le Figaro Magazine

Texte intégral

Sous l’apparence de la fidélité aux principes républicains et sous l’affichage de la fermeté, les projets du gouvernement socialiste en matière de nationalité, d’asile et d’immigration portent un coup très rude à l’identité nationale et à la cohésion sociale. Ils doivent être dénoncés et combattus avec détermination car ils ne servent pas les intérêts de la France.

Ces projets procèdent, chacun, de considérations purement idéologiques. Ils tournent le dos au réalisme politique, à l’assimilation des étrangers en situation régulière, et tout simplement au plus élémentaire bon sens.

À l’heure où la France connaît des difficultés économiques et sociales importantes, était-il opportun de s’attaquer, simultanément, à des chantiers législatifs aussi sensibles et importants que ceux de la maîtrise des flux migratoires, de l’acquisition de la nationalité et du droit d’asile ? En rouvrant la boîte de Pandore de l’immigration, le gouvernement croit faire preuve d’habileté. Il joue, consciemment ou inconsciemment, aux apprentis sorciers. Pris dans le piège mortel de ses engagements préélectoraux, il veut composer avec le sens des réalités, sans renoncer à ses a priori idéologiques. Il réclame le consensus, mais refuse d’en payer le prix, à savoir l’abandon du dogme utopiste.

Si le gouvernement souhaitait, comme il l’indique dans ses proclamations officielles, dépassionner le débat, il lui revenait de ne pas toucher au code de la nationalité, dont la version actuelle est le fruit du travail remarquable de la commission Long, salué à l’époque par le propre directeur de cabinet de M. Jospin, qui en vantait la cohérence.

Si le gouvernement avait l’intention de vraiment contribuer à la lutte contre l’immigration irrégulière, il lui suffisait de se donner les moyens d’appliquer les lois de la République plutôt que de commencer par y renoncer, avant de procéder à leur démantèlement.

On abuse les Français avec des discours musclés, mais dans les coulisses, on régularise par milliers les sans-papiers, on abandonne « les charters » qui permettaient d’envoyer un signal fort en direction des pays d’origine, on qualifie les opérations de reconduite groupées à la frontière de « gesticulations médiatiques » alors que nombre d’entre elles – effectuées en coopération avec nos partenaires européens – témoignaient d’une volonté politique de contrôler les flux migratoires. Depuis six mois que les socialistes sont au pouvoir, les reconduites effectives des étrangers en situation irrégulière ont diminué de plus de 15 %.

Une atteinte inutile à l’identité nationale

J’ajoute que, derrière les intentions, il y a la réalité des textes qui sont soumis au Parlement et elle n’a pas grand-chose à voir avec les belles paroles de fermeté de M. Jospin et de M. Chevènement : assouplissement du regroupement familial, multiplication des titres de séjour, suppression du certificat d’hébergement.

Si les socialistes voulaient véritablement protéger les réfugiés politiques qui ne rentrent pas dans les critères prévus par les conventions de Genève, ils n’avaient nul besoin d’élargir l’asile à tous « les combattants de la liberté ». La France va-t-elle accueillir sur son sol tous les opposants du monde ? Le gouvernement a été incapable de donner une définition précise à la notion de « combattants de la liberté ». La procédure d’asile a déjà, dans le passé, maintes fois été détournée de son sens pour servir d’alibi à une immigration d’ordre économique. Les efforts, pour empêcher les détournements du droit d’asile, risquent d’être réduits à néant par l’introduction dans notre droit d’une nouvelle catégorie d’ayants droit, « les combattants de la liberté » aux contours plus qu’imprécis.

L’intégration à la communauté nationale des plus de 4 millions et demi d’immigrés ne sera pas facilitée par les orientations du pouvoir : l’ouverture de flux migratoires nouveaux, inscrite dans la multiplication des titres de séjour et dans l’assouplissement du regroupement familial, se fera avec hâte et impréparation, sans considération des besoins réels de notre République et des possibilités de notre économie. Il faudra en assumer les conséquences à tous points de vue (logement, emploi, école). « L’appel d’air » à l’immigration que les mesures gouvernementales vont provoquer aura pour fruits amers d’exacerber les tensions sociales et d’alimenter une xénophobie qui a, aujourd’hui, suffisamment de terreau pour prospérer.

La réforme du code de la nationalité est une atteinte inutile à l’identité nationale. Le désarroi des jeunes immigrés, ballotés entre plusieurs cultures et différents repères, en sera accru. Le scepticisme de nos compatriotes devant une politique sans valeurs grandira. Comment le gouvernement expliquera-t-il qu’il veut assimiler les jeunes immigrés à une France qui n’oserait pas dire son nom ? Comment fera-t-il respecter une République honteuse de ses valeurs et incertaines de ses procédures ? Pour assimiler ou intégrer, qu’importe le terme, il ne faut pas commencer par cacher les symboles de la nation au fond d’un tiroir…

On n’adhère pas à un mirage. On ne s’intègre pas à une abstraction. On ne s’assimile pas au néant, ou, ce qui revient au même, au renoncement.

L’acquisition de la nationalité est l’aboutissement d’une démarche volontaire. Accepter que certains puissent devenir français par automaticité, par habitude, est un coup inacceptable porté à la France.

Le jour viendra où les tours de passe-passe auxquels se livrent les socialistes n’abuseront plus l’opinion. Les Français percevront, plus vite que ne l’estiment les thuriféraires professionnels de l’habileté socialiste, que les stratagèmes du Premier ministre conduisent la nation vers une impasse.

Être français comporte aussi des devoirs

Quand l’intégration aura pris du retard, quand l’identité nationale cédera le pas aux revendications catégorielles ou communautaires, quand l’immigration irrégulière provoquera son cortège de difficultés, les slogans rassurants et l’invocation des mannes républicaines seront de peu de secours.

Jospin l’enchanteur nous sert une soupe à la grimace. Le devoir de l’opposition est de le dire, et non pas de servir de roue de secours à une opération de charme qui, sous couvert de consensus républicain, a pour but exclusif de masquer les divisions de la gauche plurielle. Le devoir de l’opposition est de crier très fort l’absurdité de ces projets pour la France.

Critiquons cette disposition du projet socialiste qui permet aux parents des enfants nés en France, âgés de 13 ans, d’obtenir à leur place et automatiquement la nationalité française. Ainsi, les socialistes organisent sciemment la possibilité pour des parents étrangers en situation illégale de se maintenir en France. Ayant un enfant français, ils ne sont plus expulsables et auront droit à un titre de séjour. On comprend pourquoi certains socialistes veulent abaisser à six ans le moment où les parents pourront se substituer à leurs enfants pour obtenir à leur place la nationalité française.

Oui, je le dis, je ne peux accepter que la nationalité française soit donnée à des étrangers qui en France ont commis des actes délictueux ou criminels. Être français, c’est un honneur qui comporte des droits, mais aussi des devoirs, et le premier de ceux-ci est de respecter la loi française.

Dénonçons haut et fort cet article qui permet de faire venir en France, au titre du regroupement familial, les enfants d’une précédente union, restés à l’étranger et la première femme, mère de ces enfants, qui pourra au nom de « liens personnels et familiaux », notion créée par les socialistes, s’installer en France elle aussi. N’y a-t-il pas là le début d’une reconnaissance de la polygamie ?

On ne peut pas devenir français par hasard

Élevons-nous avec vigueur contre cet article du projet socialiste qui, pour des étrangers mariés à des Français, supprime les conditions, actuellement obligatoires, d’un an de mariage et de communauté de vie, pour obtenir un titre de séjour. Les socialistes organisent les unions de complaisance. C’est le retour aux mariages blancs.

Dans le projet socialiste, l’autorité publique ne peut plus s’opposer aux mariages dix jours avant leur célébration, même si ceux-ci manifestement ont pour but de violer la loi et de permettre à un étranger qui n’y a pas droit, par une union fictive, de s’installer en France.

Heureusement, Henri Cuq, député des Yvelines, a pu convaincre la commission des lois de la perversité de cette disposition.

Naturellement, il est plus agréable et facile d’être généreux, plus commode de fuir les réalités et de se réfugier dans l’indifférence. Mais s’agissant de la France, je ne peux me résoudre à ne pas crier mon indignation face au projet socialiste. L’état de notre société, la situation de notre économie, ne permettent plus, hélas, d’être aussi généreux que par le passé. Feindre de ne pas la voir, c’est porter un coup à la France.

Je ne peux me résoudre à ne pas montrer que l’immigration a changé de nature. D’une immigration de travailleurs, nous avons affaire aujourd’hui, dans un très grand nombre de cas, à une immigration d’ayants droit. C’est peut-être difficile à dire, mais pourtant c’est la réalité. Certains des étrangers qui viennent en France ne cherchent plus à s’intégrer à notre communauté nationale par le travail et dans le respect de la loi, mais veulent bénéficier d’un régime social généreux, de droits différents.

S’agissant de la France, je ne peux accepter que l’on devienne français par hasard ou par automaticité. La force d’un pays repose aussi et surtout sur la fierté de chaque citoyen d’appartenir à la même nation. Oui, parce que j’aime la France, parce que je veux qu’elle soit fidèle à sa tradition républicaine, je me dois de dénoncer les projets socialistes.