Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, dans "Le Monde" du 28 août 1999, sur le niveau élevé des rentrées fiscales et la perspective d'une réduction de la TVA et de l'impôt sur le revenu.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Q - « Les rentrées fiscales sont meilleures que prévu. Que faut-il faire de ces excédents ?

- Au premier semestre, nous avons constaté, en effet, une progression des recettes fiscales plus importante que prévu, venue essentiellement de l'impôt sur les sociétés. Il est peu probable que cette tendance se poursuive à ce rythme toute l'année. Attendons donc la fin de l'exercice avant de faire des plans sur une hypothèse heureuse, mais pas encore avérée. Même s'il est d'ores et déjà évident qu'un bonus sera constaté, qu'il faudra utiliser.

Q - Le Président de la République a donc visé juste en révélant, le 14 juillet, à la télévision, que les caisses se remplissent de façon exceptionnelles ?

- Je trouve cocasse que la droite, après avoir accusé la gauche, pendant des décennies, de vider les caisses, lui reproche aujourd'hui de les remplir subrepticement ! C'est un hommage sans doute involontaire du président de la République au gouvernement de Lionel Jospin en matière de redressement des comptes publics. Redressement que le gouvernement Juppé n'avait pas été capable d'obtenir, au point de justifier, en son temps, la dissolution…

 Pour autant, les caisses sont-elles pleine ? Quand demeure un déficit budgétaire de l'ordre de 250 milliards de francs, comment prétendre qu'elles débordent, même avec des recettes exceptionnelles supérieurs à 30 milliards, voire à 60 milliards ?

Q - Faut-il donc les consacrer à réduire ce déficit ?

- La réduction du déficit reste une obligation, mais il faut aussi rendre en partie ces gains au Français via la baisse de la TVA dès 1999. Des moyens supplémentaires doivent aussi permettre de conforter certains service publics, comme l'audiovisuel, et d'augmenter la part de l'Etat dans les contrats de plan avec les régions. Je n'écarte pas, non plus, l'idée d'une affectation partielle au fonds de réserve des retraites. La seule chose que l'on ne peut pas faire, c'est d'utiliser une recette exceptionnelle pour une baisse d'impôts ou une augmentation de dépenses permanentes.

Q - A la différence des Verts et des communistes, le PS ne revendique rien pour les minima sociaux. Pourquoi ?

- Dans le projet de budget pour 2000 figurera l'application de la loi de lutte contre les exclusions et la création de la couverture maladie universelle. L'action en direction des exclus ne passe pas seulement par le relèvement des minima sociaux. Notre priorité est d'inciter à la reprise d'activité, comme c'est déjà le cas, notamment, avec les contrats emplois consolidés. La question du niveau des minima se posera de toute façon, au début de l'année 2000, comme nous l'avons fait en 1998 et 1999. Avec les bonus de 1999, la discussion pourra s'engager positivement, le PS est favorable à une mesure pour les jeunes. Mais le premier objectif reste la réduction du chômage ; c'est la meilleure réponse aux problèmes des plus démunis.

Q - Des marges existent-elles aussi pour le budget 2000 ?

- La croissance prévue pour l'année prochaine sera vraisemblablement meilleure à celle constate en 1999, de l'ordre d'un demi-point. Le gouvernement dispose donc de près de 20 milliards de francs de marges de manoeuvre pour le budget de 2000. Cela permettra de financer une baisse de TVA ciblée sur les dépenses d'entretien dans le bâtiment. Une telle mesure aura des effets favorables en termes de pouvoir d'achat, puisqu'elle bénéficiera à tous les ménages qui réaliseront des travaux dans leur logement, et en termes d'emplois, puisqu'elle viendra en soutien d'un secteur qui utilise beaucoup de main-d'oeuvre.

Q - Laurent Fabien a invité le gouvernement à aller au-delà de cette baisse de TVA…

- Il a raison. Mais essayons d'abord de mettre en perspective ce qu'il nous reste à faire par rapport à ce que nous avons déjà engagé. La volonté des socialistes est, à la fois, de modifier la structure des prélèvements obligatoires, afin de les rendre plus justes socialement et plus efficaces économiquement, et de réduire leur poids, notamment sur les ménages. C'est pourquoi nous avons commencé dès 1998 par équilibrer la contribution des revenus du capital et celle des revenus du capital via l'élargissement de la CSG. En 1999, nous avons porté l'accent sur par réduction des impôts décourageant l'emploi. Ainsi, conformément à nos engagements, nous avons décidé la suppression progressive de la base salaire de la taxe professionnelle.

Dans le même esprit, le gouvernement propose d'élargir l'assiette des cotisations patronales, aujourd'hui composée des seules salaires, en créant l'éco-taxe et la contribution sur les bénéfices. Pour l'an 2000, priorité doit être donnée à l'allègement de la fiscalité indirect, en accédant les baisses ciblées de TVA qui pourront, à l'avenir, aller au-delà des travaux dans les logements et concerner d'autres services, comme la restauration.

Q - L'impôt direct n'est-il pas plus sensible ?

- Dans toutes les enquêtes d'opinion, quand on demande aux Français quel est l'impôt le plus intolérable, ils répondent, avec juste raison : la TVA. C'est celui qui rapporte le plus, deux fois l'impôt sur les revenus ; il touche indistinctement toutes les catégories sociales ; son taux est l'un des plus élevés par rapport à ceux pratiqués par nos partenaires européens. Puis-je enfin ajouter qu'Alain Juppé avait fait des promesses de baisse sur l'impôt sur le revenu, ce qui ne l'a pas empêché de perdre les élections en 1997 ? Cela ne veut bien sûr pas dire qu'il ne faille rien faire sur ce sujet, mais chaque chose en son temps. C'est une stratégie fondée sur une cohérence d'ensemble qu'il faut mettre en oeuvre. Il ne s'agit pas de faire des coups ou des promesses - nul n'y croit -, mais d'établir une programmation dans le temps.

Nous, nous voulons être jugés sur une logique qui s'inscrit sur toute la durée de la législature. Nous avons rééquilibré les prélèvements sur le travail et ceux sur le capital ; nous voulons alléger la fiscalité indirecte qui pèse sur la consommation, donc sur composante majeure de la croissance ; et nous procéderons, ensuite, à la baisse des impôts directs.

Q - Des députés socialistes envisagent de plafonner l'impôt sur la fortune…

- Il a été revu en 1998. Je ne souhaite pas à priori qu'on y revienne.

Q - La gauche n'a-t-elle plus rien à proposer, d'ici 2002, qu'une répartition en bon père de famille des fruits de la croissance ?

- Pourquoi ne pourrait-on pas réformer aussi - et surtout - en période de croissance ? Les recettes exceptionnelles autorisent ce que la stagnation et, pire encore, la récession interdisaient il y a peu. Le surplus de croissance, qui nous est en partie au moins imputable, doit être un stimulant à la réforme, et non une incitation à gérer comme des rentiers les fruits d'ailleurs encore modestes de notre politique.

La croissance, si nous savons la stimuler et la pérenniser, favorisera, à l'évidence, le financement des retraites. De même, s'agissant de la réforme de l'Etat, il est facile de faire les redéploiements justifiés par des gains de productivité lorsqu'on peut aussi distribuer du pouvoir d'achat et engager la réduction du temps de travail dans l'ensemble de la fonction publique. Enfin, la correction des équilibres territoriaux pourra être facilitée par une bonne conjoncture économique. Elle pourra s'accompagner, après les élections municipales et cantonales de 2001, de nouveaux transferts de compétences et ressources correspondantes en direction des collectivités locales.

Q - Cette situation favorable ne vous conduit pas, toutefois, à envisager d'enrichir le programme de réformes défini par Lionel Jospin il y a deux ans…

- Nos priorités n'ont pas changé : réduction du chômage, justice sociale, pacte républicain. Il y a aujourd'hui suffisamment de chantiers ouverts ou à ouvrir pour que nous n'ayons pas besoin de redéfinir à mi-course notre programme, même si les champs d'intervention peuvent évoluer. Je pense à la sécurité alimentaire, à la qualité de la vies dans les agglomérations, à la formation permanente, au développement de l'épargne salariale, à l'égalité devant le service public.

Q - Avez-vous renoncé à la lutte contre l'emploi précaire ?

- Bien au contraire ! Martine Aubry avait souhaité, d'abord, une concertation des partenaires sociaux dans les branches. La réponse espérée du patronat n'étant pas venue, je propose, si rien ne bouge d'ici la fin de l'année, de passer par la loi. »