Texte intégral
Le Moci. - En 1992, vous avez lancé la campagne « Le Japon, c'est possible ». Aujourd'hui, vous passez à la troisième phase de cette campagne. Quel bilan faites-vous de deux premières phases ?
Dominique Strauss-Kahn. - Le bilan de nos échanges est très encourageant. Entre 1992 et 1998, nous constatons une augmentation des exportations françaises vers le Japon de l'ordre de 24 % (27,4 milliards de francs en 1998, contre 22,2 milliards de francs en 1992) et une amélioration du taux de couverture (54 % en 1998, contre 42 % en 1992).
Cette campagne avait deux objectifs : stimuler l'intérêt des entreprises françaises pour le marché japonais et faire mieux connaître au Japon les industries hexagonales. Sur le premier joint, je me réjouis de constater l'intérêt des petites et moyennes entreprises pour le marché japonais : parmi les 6 831 établissements français exportant au Japon, 5 036 sont des PME qui réalisent 7,6 milliards de francs, soit 27,7 % du total de nos exportations. J'y vois le succès de la campagne sur les PME à travers un plan d'action PME lancé par Jacques Dondoux, le secrétaire d'État au commerce extérieur, en octobre 1997.
Sur le deuxième point, le slogan de la campagne « High-Tech High-Touch » a permis de modifier l'image de nos produits trop liée aux secteurs des parfums, de la mode et de la gastronomie. C'est pourquoi nous avons identifié quatorze secteurs prioritaires, dont la communication, l'environnement, le matériel ferroviaire et les logiciels, pour des opérations de promotion au Japon. Les résultats sont là : la structure de nos exportations est désormais plus diversifiée que celle de nos partenaires européens.
Le Moci. - Dans quelle mesure cette campagne a-t-elle servi de levier pour la diplomatie commerciale ?
D. S.-K. - Cette campagne nous a permis de dépasser les contentieux commerciaux traditionnels et de créer un climat de confiance entre nos deux pays. L'image d'un Japon fermé aux pays étrangers est dépassée. Les approches sont souvent communes en matière de respect des règles de commerce international, notamment face aux États-Unis qui sont tentés par des actions unilatérales.
Sur le plan des relations économiques bilatérales, la campagne a non seulement permis un rééquilibrage des échanges, mais aussi la défense d'intérêts communs comme en matière agricole. Le Japon et la France partagent une approche commune des prochaines négociations multilatérales fondées sur la globalité du cycle et le principe de l'engagement unique. Je vais pouvoir compter sur le Japon pour établir à l'OMC des principes relatifs à l'environnement, l'investissement et la concurrence.
Le Moci. - Pourquoi une troisième phase alors que la situation économique en Asie et au Japon est loin d'être stabilisée ?
D. S.-K. - L'extension de la durée de la campagne jusqu'en 2000 est cohérente avec l'organisation de l'Année de la France au Japon. Cette campagne s'inscrit volontairement dans la durée pour accompagner nos exportateurs qui cherchent à pénétrer le marché japonais. Malgré la crise, l'Asie reste un pôle de croissance essentiel pour l'économie mondiale, et dans cette région le Japon doit jouer un rôle de locomotive. Les signes de reprise sont là. Le marché japonais est difficile et compétitif mais peut se révéler très prometteur si nos exportateurs respectent deux critères importants : la qualité des produits et la fidélité des relations.
Le Moci. - Pour réussir cette action collective et pour mobiliser vos différents partenaires (français et japonais, institutions et entreprises, collectivités locales, etc.), quelle nouvelle approche avez-vous retenue à l'aube du XXIe siècle ? On parle de thèmes transversaux. Où en est le comité de pilotage ?
D. S.-K. - La réussite de la campagne tient pour une large part à la mobilisation de l'ensemble des acteurs à la fois français (Dree, chambres de commerce, Medef, CFCE et CFME Actim) et japonais (Jetro et Miti). Néanmoins, l'ensemble des partenaires, réunis dans un comité de pilotage, ont considéré qu'il fallait adopter une approche plus transversale et non pas simplement sectorielle. C'est ainsi que la troisième phase de la campagne retient trois thèmes majeurs : la promotion des investissements, la coopération sur pays tiers et les relations entre les régions industrielles des deux pays. Elle continuera de s'appuyer sur des journées d'information dans les régions françaises avec un objectif de couverture de l'ensemble du territoire national en 2000.
Je note que les thèmes retenus correspondent à ceux soulignés dans le rapport du Conseil de la stratégie économique du Japon mis en place par le Premier ministre, Keizo Obuchi.
Le Moci. - Quel impact pourra avoir l'implantation de Toyota à Valenciennes et le partenariat Nissan-Renault sur cette campagne ?
D. S.-K. - Ces deux événements ont transformé les relations entre nos deux pays. La décision de Toyota de s'implanter en France confirme l'attractivité du territoire français pour les investisseurs étrangers, tandis que celle de Nissan s'inscrit dans la volonté des entreprises japonaises de s'ouvrir plus largement à des partenaires étrangers. L'implantation de Toyota à Valenciennes est le résultat des efforts de coopération déployés depuis de nombreuses années par les équipementiers français pour fidéliser les constructeurs japonais. Le mariage Renault-Nissan va lever bien des tabous en prenant le meilleur des deux entreprises.
La France et le Japon ont certes des cultures différentes, mais aussi un certain nombre de valeurs en commun. A l'heure où le système américain semble s'imposer dans le monde comme le seul modèle social de référence, la France et le Japon doivent défendre leur conception du rôle de l'État et de la cohésion sociale.
Je me réjouis que d'autres investissements étrangers soient en cours de réalisation à travers les projets au Japon de la Société Générale, de Carrefour et de Sephora. Je souhaite que nos entreprises profitent du processus de déréglementation de l'économie japonaise, notamment dans trois secteurs où nous avons des positions fortes : la pharmacie et les cosmétiques, les télécommunications et la distribution.
Le Moci. - Quel diagnostic portez-vous sur la « langueur nipponne actuelle » ?
D. S.-K. - Depuis deux ans, l'évolution de l'économie japonaise est préoccupante. Il faut se rappeler que le PIB japonais est équivalent au PIB réuni de la France, de l'Allemagne et de la Grande-Bretagne. Le Japon doit jouer un rôle de locomotive régionale pour les pays d'Asie. J'ai insisté sur cet aspect au moment de la réunion du G7, et la bonne nouvelle de la croissance du premier trimestre y a été bien accueillie.
L'économie japonaise a beaucoup souffert des séquelles de la période de la bulle financière et immobilière des années 80. A la suite des mesures de relance fiscale massives depuis 1993, le Japon a lancé courageusement des réformes structurelles tant au niveau de l'État qu'au niveau des entreprises. Le Premier ministre, Keizo Obuchi, est pleinement conscient de l'ampleur de la tâche et a créé deux conseils ad hoc, un conseil sur la stratégie économique, l'autre sur la compétitivité industrielle, qui doivent préparer l'entrée du Japon dans le XXIe siècle. Je souhaite que le gouvernement s'appuie sur les recommandations proposées par ces organismes.
Je continue de croire que le potentiel de croissance de l'économie japonaise est élevé, malgré le vieillissement de la population et l'apparition du chômage.
Le Moci. - On dit souvent que vous avez voulu créer un Miti à la française ?
D. S.-K. - Le Premier ministre, Lionel Jospin, a voulu réunir des ministères à vocation économique en un seul ministère de la Production, à l'instar du Miti, qui regroupe l'ensemble des administrations en charge des questions économiques, industrielles et commerciales. Or, tel n'était pas le cas en France. Je crois que la synergie entre ces différents services doit permettre de renforcer la compétitivité de l'industrie française. Je sais aussi que le Miti va se transformer pour devenir le MEI (ministère de l'Economie et de l'Industrie). Je souhaiterais en discuter avec Kaoru Yosano, ministre du Miti, lors de mon prochain voyage au Japon.